L'EFFICACITÉ DU RECOUVREMENT : UN ENJEU QUI CONDITIONNE L'ACCEPTATION PAR LES ÉTATS
Au-delà des questions portant sur la clé de répartition, le passage d'une assiette commune à une assiette consolidée se heurte aussi à un obstacle concret de recouvrement, qui conditionne son acceptabilité par les États membres .
Du point de vue administratif, l'assiette consolidée repose sur un système de « guichet unique » . L'article 51 de la proposition de directive prévoit que les contribuables traitent avec une administration fiscale unique, dite « autorité fiscale principale », qui est celle de l'État membre où la société mère du groupe est résidente fiscale. Ils déposent leur déclaration fiscale consolidée auprès de cette autorité fiscale unique, qui la vérifie, émet le cas échéant des avis d'imposition rectificatifs, et procède au recouvrement de l'ensemble des créances fiscales déterminées en application de la formule de réparation ci-dessus et du taux en vigueur dans chaque État membre. Le produit est ensuite reversé par l'État membre collecteur aux États membres concernés.
Par conséquent, l'assiette consolidée implique que les États membres qui recouvrent le produit de l'impôt sur les sociétés ne sont pas nécessairement les États membres qui en sont in fine les affectataires . Or il est permis de douter qu'un État membre dont le système de recouvrement est très efficace ne montre pas quelques réticences à reverser une partie des recettes collectées, sur la seule base d'informations déclaratives (la clé de réparation), à un État membre dont le système de recouvrement est défaillant, et qui n'est pas en mesure de faire preuve de la même diligence dans le recouvrement qui lui incombe.
Ces réticences risquent d'être accrues par les doutes qui, au-delà du recouvrement spontané, pèsent sur les modalités concrètes du contrôle fiscal . L'article 64 de la proposition de directive sur la consolidation, qui prévoit la possibilité de « contrôles coordonnés » sous la responsabilité de l'administration fiscale de l'État membre dans lequel se trouve le guichet unique, ne fournit pas de détails. Comme l'a remarqué lors de l'audition du 1 er décembre 2016 Daniel Gutmann, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre et membre de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF), « un groupe établi dans un État donné, qui a des filiales dans d'autres États membres, aura un interlocuteur fiscal privilégié en la personne de l'autorité fiscale de l'État membre où est située sa tête. Mais en réalité, les autorités fiscales des États des filiales auront un rôle à jouer ; elles pourront suggérer à l'État fiscal de la tête de mener des contrôles fiscaux. C'est l'administration de cet État qui coordonnerait les contrôles. Mais selon quelles modalités ? Des inspecteurs allemands, ou italiens, viendraient mener des contrôles fiscaux en France ? Comment les éventuels redressements seraient-ils contestés ? L'aspect administratif de l'harmonisation fiscale est très important car il conditionne la viabilité du système . Or des imprécisions demeurent. Il me semble que le législateur devrait commencer à y réfléchir ».
Compte tenu des incertitudes liés au recouvrement et au « juste » reversement des recettes, la mise en oeuvre de la consolidation nécessiterait au préalable une mise à niveau des compétences et une harmonisation des procédures des administrations fiscales au sein de l'Union européenne.
Dans la mesure où les directives en matière de fiscalité sont soumises à la règle de l'unanimité, la question de la « juste » formule de répartition et de l'efficacité du recouvrement semblent conditionner l'adoption du second volet de l'Accis.
La prudence de la Commission européenne à ce sujet est d'ailleurs éloquente. Le volet « consolidation » n'est que peu détaillé dans les documents officiels de présentation du paquet de directives, et lorsque c'est le cas, c'est souvent pour rappeler que « la consolidation reste néanmoins un objectif concret, qui devrait être poursuivi par le Conseil dès que l'assiette commune est approuvée ».