Rapport n° 257 (2016-2017) de M. Albéric de MONTGOLFIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 décembre 2016

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N° 257

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 décembre 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des finances, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l' impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l' impôt sur les sociétés ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur.

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir le numéro :

Sénat :

219 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les propositions de directive en vue d'une assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (propositions « Accis ») poursuivent, d'après la Commission européenne, deux objectifs. Il s'agit, d'une part, de renforcer l'équité du système fiscal , en évitant les doubles impositions, en mettant fin à des possibilités injustifiées d'optimisation fiscale, et en assurant une plus juste répartition de l'assiette fiscale par rapport aux réalités économiques de la production de la richesse au sein de l'Union européenne. Il s'agit, d'autre part, de renforcer le marché intérieur et de stimuler la croissance et l'investissement , en définissant une assiette fiscale qui tienne compte des externalités positives du financement en fonds propres ou encore de la recherche et du développement.

Ces propositions s'inscrivent dans un contexte marqué, au niveau international, par la finalisation des travaux de l'OCDE en matière de lutte contre l'érosion fiscale et le transfert de bénéfices ( base erosion and profit shifting - BEPS). L'Union européenne s'est tout d'abord saisie de ces travaux en la matière avec la directive relative à la lutte contre l'évasion fiscale 1 ( * ) , adoptée en un temps record le 20 juin 2016, soit seulement six mois après la proposition de la Commission européenne. Cette directive prévoit que les États membres doivent prendre une série de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale :

- une limitation des surcoûts d'emprunt , afin de lutter contre l'endettement artificiel ;

- la création d'une exit tax sur les plus-values latentes des actifs transférés ;

- l'adoption de clauses anti-abus pour les montages non authentiques , qui ont pour objectif principal d'obtenir un avantage fiscal ;

- l'introduction de règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées ayant pour objet de réattribuer à la société mère les revenus d'une filiale étrangère soumise à une faible imposition ;

- l'adoption de règles permettant de lutter contre les dispositifs hybrides , qui entrainent des situations de double déduction d'un même produit dans deux États.

En revanche, malgré l'inscription de cette disposition dans la proposition initiale de la Commission européenne, la directive Atad ne contient pas la clause dite de « switch over » qui permet de taxer des produits qui remontent à la société mère venant de filiales dans des pays tiers où ils sont exonérés (cf. ci-dessous).

UNE APPROCHE GRADUÉE, QUI POSE UNE QUESTION DE COMPÉTITIVITÉ ET DE SOUVERAINETÉ

Identifiée par votre commission des finances lors de la présentation de la première proposition relative à l'Accis en 2011, l'hypothèse d'une dissociation entre la définition d'une assiette commune d'une part et la consolidation de cette assiette d'autre part se vérifie à travers l'approche graduée retenue par la Commission européenne.

Compte tenu de la forte opposition que suscite la consolidation et, en particulier, du risque qu'elle comporte pour chacun des États membres de se traduire par des transferts de recettes fiscales, l'approche graduée choisie par la Commission européenne constitue en effet la seule voie de parvenir à un accord politique . Elle permet ainsi à l'Union européenne d'avancer en matière d'harmonisation et de stabilité fiscale.

Ce faisant, il n'est pas improbable que la proposition de directive relative à l'assiette commune soit adoptée sans que le soit celle relative à la consolidation. Si le projet de consolidation pose en effet des questions qui, à ce stade, ne sont pas réglées (cf. ci-dessous), il convient de souligner que les principaux apports des propositions en termes de simplification pour les entreprises et de lutte contre l'évasion fiscale reposent sur la consolidation .

UNE QUESTION DE COMPÉTITIVITÉ : RÉFORMER LE TAUX DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS ET LES AUTRES PRÉLÈVEMENTS ACQUITTÉS PAR LES ENTREPRISES

Avec une assiette commune consolidée, la concurrence fiscale entre les États membres de l'Union européenne ne serait pas supprimée, mais concentrée sur d'autres éléments de comparaison : le taux de l'impôt sur les sociétés d'une part, et le niveau des autres prélèvements acquittés par les entreprises d'autre part .

Or, la France, avec son taux d'impôt sur les sociétés de plus de 34 % et un taux-cible en 2020 de 28 %, est l'un des pays qui présentent, avec la Belgique, l'Allemagne ou le Portugal, les taux d'impôt sur les sociétés les plus élevés de l'Union.

Il en va de même des autres prélèvements acquittés par les entreprises : les assises de la fiscalité des entreprises de 2014 avaient montré que la France se caractérise par d'importants impôts pesant sur la production (contribution sociale de solidarité des sociétés [C3S], contribution sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE], taxes foncières, taxe locale sur les enseignes et les publicités extérieures, etc.).

En définitive, à fiscalité constante, l'adoption de la seule directive relative à l'assiette commune d'impôt sur les sociétés se traduirait par une perte de compétitivité pour la France s'agissant des grandes entreprises . Une étude du cabinet Ernst & Young de juillet 2016 confirme cette analyse, en indiquant que « [la directive relative à l'assiette commune] aurait un impact radical en termes d'expression de la compétitivité fiscale comparée des États membres. En effet, jusqu'à aujourd'hui les écarts de taux pouvait être justifiés par une divergence d'assiette. Demain, la comparaison sera à la fois plus simple, mais aussi plus brutale. À cette seule aune, les États qui ont entrepris des politiques de baisse de leur taux nominaux (Irlande, Royaume-Uni...) apparaissent comme les grands gagnants potentiels de la comparaison résultant d'une mise en place d'une assiette commune. Par ailleurs, le chemin à parcourir pour les autres sera d'autant plus difficile que l'équilibre de leur finances publiques est dégradé et qu'ils ne respectent pas tous, loin s'en faut, les critères de déficits imposés par l'approche dite "maastrichtienne" » . L'étude en conclut que la France et l'Allemagne, qui se caractérisent toutes deux par des taux élevés, se trouvent dans cette situation paradoxale d'être à la fois favorables au projet et désavantagés par sa mise en oeuvre.

Les conséquences de l'assiette commune d'impôt sur les sociétés sur l'attractivité fiscale des États membres

Source : étude de Ernst&Young, « Compétition fiscale et projet d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés en Europe : quelle stratégie adopter ? », mai 2016

UNE QUESTION DE SOUVERAINETÉ : CONSERVER CERTAINES OPTIONS NATIONALES

Le débat technique sur les éléments de l'assiette proposée par la Commission européenne, ainsi que sur les modalités de sa consolidation et de la répartition du produit, ne doit pas masquer le changement majeur de paradigme que contient cette proposition .

En effet, ces deux propositions font sortir la fiscalité des bénéfices des entreprises d'une certaine taille de la souveraineté fiscale nationale . Une fois les règles harmonisées à l'échelle européenne, il ne sera plus possible, pour chaque État membre, de revoir ces règles à l'échelle nationale.

Cette évolution serait tout particulièrement majeure pour la France, qui se caractérise, notamment par rapport à l'Allemagne, par une forte instabilité fiscale : depuis le début du quinquennat, vingt-quatre mesures ont été adoptées qui modifient l'assiette ou les modalités de paiement de l'impôt sur les sociétés (créations ou modification de crédits d'impôt, mesures anti-abus, modification des règles d'acompte, instauration d'amortissements exceptionnels, etc.). Parmi ces mesures, de nombreuses ciblaient les très grandes entreprises - règles du cinquième acompte, règles anti-abus, etc. L'adoption d'une directive relative à une assiette commune d'impôt sur les sociétés priverait le législateur national de cette marge de manoeuvre, qui est aussi une marge budgétaire, les modifications de l'assiette et des modalités de paiement de l'impôt ayant régulièrement permis d'améliorer les recettes fiscales associées.

En conséquence, un plus grand nombre d'options à la discrétion des États membres devraient être préservées dans le cadre des directives . S'agissant de l'assiette commune, ces options devraient entre autres couvrir :

- la possibilité de maintenir ou de mettre en place des crédits ou réduction d'impôt ou des règles d'amortissement dérogatoires dans le cadre d'une politique sectorielle (emploi, recherche et développement, industrie, etc.) ;

- la possibilité de définir des règles plus précises pour certain type d'activités particulières , à l'image des délégataires de service public, pour lesquels l'alignement sur le régime général de l'amortissement n'est pas adapté 2 ( * ) .

LES POINTS DE VIGILANCE POUR LE PROJET D'ASSIETTE COMMUNE POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES

UN RÉGIME OBLIGATOIRE POUR LES TRÈS GRANDES ENTREPRISES

L'article 2 de la proposition de directive relative à l'assiette commune prévoit que les règles communes s'appliqueraient de façon obligatoire à toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires consolidé dépasse 750 millions d'euros . Par ailleurs, toute entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés pourrait également opter pour ces règles, pour une période de 5 ans (renouvelable sans limite de temps).

Ce seuil reflète celui défini par les lignes directrices de l'OCDE en matière d'évasion fiscale et de transferts des bénéfices, en particulier concernant le reporting public pays par pays. Il pose trois principales questions.

Tout d'abord, par définition, il crée un effet de seuil pour les entreprises qui, en raison de l'évolution de leur chiffre d'affaires, devront passer d'un régime à l'autre.

Ensuite, il pourrait créer une forme de distorsion de concurrence en raison de son calibrage. Bruno Mauchauffée, sous-directeur des entreprises à la Direction de la législation fiscale, a, lors de l'audition conjointe, rappelé que « une filiale française, seule implantation européenne d'un groupe américain au chiffre d'affaires de 750 millions d'euros, qui réaliserait un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros entrerait dans le champ de la directive, contrairement à une même entreprise concurrente indépendante réalisant un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros ».

Enfin et surtout, ce seuil implique le maintien de deux systèmes fiscaux : l'un purement national et l'autre communautaire, obligatoire pour certaines entreprises et optionnel pour les autres. Comme l'a souligné Bruno Mauchauffée lors l'audition conjointe du 1 er décembre 2016, « la question se pose de savoir s'il est viable de conserver, à terme, deux calculs d'assiette au sein d'une même juridiction nationale . C'est certes le parti pris depuis le début des négociations, mais cette solution posera des problèmes de concurrence entre les entreprises (...). Cela posera aussi des problèmes en termes de croissance, avec des effets de seuil assez redoutables, et sera source de complexité administrative, surtout pour les entreprises ». Il existe également un risque d'arbitrage : les entreprises pour lesquelles l'assiette commune est optionnelle pourraient la choisir pour la seule raison qu'elles en anticipent un allègement de leur fiscalité, compte tenu de leur structure financière.

Au total, les interrogations portent donc moins sur le niveau du seuil retenu que sur les principes qui le fondent . En particulier, une analyse juridique précise de la compatibilité de ce double système fiscal avec le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt et les charges publiques devra être conduite.

L'INCITATION À LA RECHERCHE

L'étude d'impact de la Commission européenne classe les États membres en fonction de la puissance de l'incitation à la recherche de leur système fiscal (crédits d'impôt, règles d'amortissement, abattements, patent boxes , etc.). Dans cette comparaison, la France se situerait à la huitième place sur 28 des systèmes fiscaux les plus favorables à la recherche . Parmi les principaux États membres, seule l'Espagne (2 ème place) se situerait devant la France. Cela montre la puissance des deux principaux instruments français : le crédit d'impôt recherche (CIR) d'une part et le taux réduit de 15 % sur les cessions ou concessions de brevets d'autre part .

La France s'est en effet, en particulier depuis la réforme du CIR en 2008, positionnée en matière de soutien à la recherche et développement privée. Votre commission des finances a pu mesurer, lors de son déplacement à Toulouse en juin 2015, combien le CIR constituait un outil essentiel d'attractivité pour la localisation en France des centres de recherche des groupes internationaux et de leurs sous-traitants.

Alors que la proposition de 2011 ne prévoyait aucune mesure en matière de recherche, l'article 9 de la nouvelle proposition de directive prévoit que les dépenses de recherche et de développement bénéficient d'une forme de « super-déduction » de l'assiette imposable, en sus de la déductibilité normale de 100 % des dépenses afférentes :

- sur-déduction de 50 % des coûts (sauf coûts liés à des actifs matériels mobiliers) jusqu'à 20 millions d'euros ;

- sur-déduction de 25 % de ces coûts au-delà de 20 millions d'euros ;

- sur-déduction de 100 % de ces coûts jusqu'à 20 millions d'euros, lorsqu'ils sont réalisés par une PME ou une entreprise nouvelle.

À cet égard, la Commission européenne indique dans son étude d'impact que l'un des objectifs poursuivis est précisément de mettre fin aux systèmes de patent box - c'est-à-dire aux systèmes permettant la défiscalisation partielle ou totale des recettes tirées de la propriété intellectuelle afin d'attirer ces actifs incorporels sur le territoire de l'État en question - qui « ne stimulent pas la R&D et pourraient plutôt servir d'instrument de délocalisation des bénéfices, résultant en d'importantes pertes de recettes ».  Elle ajoute que « les patent boxes récompensent des innovations réussies qui profitent déjà de la protection de la propriété intellectuelle ».

La compatibilité de cette super-déduction avec les mesures nationales assises sur les dépenses de recherche (crédit d'impôt, abattement, amortissements accélérés, etc.) ou des mesures assises sur les résultats de la recherche (taux réduits ou patent box ) n'est pas, à ce stade, clarifiée . Rien n'indique que l'assiette commune interdise à un État de prévoir des crédits d'impôt - qui s'analysent comme une forme de subvention sectorielle -, mais rien ne garantit non plus qu'ils auront, en ce domaine, toute latitude.

À cet égard, votre commission des finances fait sienne l'inquiétude exprimée par Bruno Mauchauffée lors de l'audition conjointe précitée : « techniquement, cette super-déduction pourrait cohabiter avec le crédit d'impôt recherche. Mais comment expliquer, politiquement, que l'on fasse vivre deux dispositifs avec le même objectif ? Surtout, connaissant la jurisprudence assez créative de la Cour de justice de l'Union européenne, une fois le sujet de la recherche et du développement figurant dans un texte européen, on pourrait imaginer qu'elle décide d'en dessaisir les États au motif qu'il s'agirait d'une entrave à la liberté d'établissement . Le crédit d'impôt recherche ne vise-t-il pas à attirer en France les laboratoires ? C'est un point d'autant plus important que le CIR a véritablement pour objet de stimuler la recherche et développement française privée, dont on sait qu'elle est lacunaire par rapport à la recherche et développement publique. Il tend à rééquilibrer ces deux types de recherche. L'idée de renoncer à cet outil devra être examinée avec attention. » Il en concluait que « transférer cette compétence à l'Union européenne doit faire l'objet d'un choix politique spécifique et assumé . Les crédits d'impôt comme le CIR et le CICE sont des dispositifs de subventionnement des entreprises, qui utilisent l'impôt comme vecteur de paiement, mais n'ont pas de lien avec la technique de l'impôt ».

Cette interprétation n'a pas été réfutée par Valère Moutarlier, directeur « Fiscalité directe, coordination fiscale, analyse économique et évaluation » de la Commission européenne, qui a indiqué que « [la Commission européenne a] prévu un système obligatoire pour les grandes entreprises, par exemple pour la recherche et le développement, parce [qu'elle ne pourrait] pas leur offrir une incitation fiscale au sein de l'ensemble de l'Union européenne sans cela. La question de la compatibilité avec des mécanismes tels que le crédit d'impôt recherche, concerne la possibilité d'agir nationalement sur le montant final de l'impôt, et non sur son assiette ; elle est moins juridique et plus politique. L'esprit de la proposition n'est pas que chacun puisse agir de manière autonome sur le montant final de l'impôt. Mais comme la directive porte sur le calcul de l'assiette, et non sur le taux ou la liquidation de l'impôt, il y a évidemment une marge de manoeuvre politique ».

Élément essentiel de notre attractivité fiscale et du positionnement de nos entreprises, l'avantage comparatif résultant du CIR doit être défendu . Cela implique non seulement que le Gouvernement fasse valoir la possibilité de maintenir, de mettre en place ou de modifier des crédits d'impôt ou d'autres instruments fiscaux en faveur d'une politique sectorielle. Cela implique surtout que la proposition d'un dispositif de super-déduction, qui, général, réduirait l'avantage comparatif de la France, soit abandonnée en application du principe de subsidiarité : le soutien à la recherche et développement privée ne ressortit pas de ce texte, dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur, mais des politiques fiscales nationales.

LE TRAITEMENT DE LA « PRÉFÉRENCE POUR LA DETTE »

La proposition de directive relative à l'assiette commune entend traiter, contrairement à la proposition de 2011, le biais en faveur de la dette ( debt bias ) qui est attaché à l'assiette de l'impôt sur les sociétés. En effet, toute charge étant déductible, les charges d'intérêts pour les emprunts contractés par une entreprise sont déductibles des bénéfices réalisés par cette entreprise, tandis que le même financement par les fonds propres ne le serait pas.

La plupart des États membres de l'Union européenne se sont dotés de règles permettant de limiter cette « préférence pour la dette » naturellement associée à l'assiette de l'impôt sur les sociétés. En particulier, l'Allemagne s'est dotée d'une règle de limitation des intérêts d'emprunt, à 30 % de l'excédent brut d'exploitation, dès 2008 , tandis que la France a instauré une limitation forfaitaire de déductibilité à 75 % du montant des charges financières, à compter de 2014, prévue par l'article 212 bis du code général des impôts . La France dispose par ailleurs de diverses règles permettant de lutter contre la sous-capitalisation.

La barrière d'intérêts en Allemagne (« Zinsschranke »)

Le mécanisme allemand de la « barrière d'intérêts » (« Zinsschranke ») a été introduit à partir de 2008 dans le cadre de la réforme de l'imposition des entreprises 3 ( * ) . L'objectif affiché de cette réforme était de renforcer les fonds propres des entreprises en luttant contre la sous-capitalisation . En particulier, il s'agissait d'éviter que les groupes soient incités à localiser leurs dettes en Allemagne et leurs profits à l'étranger, procédé désigné comme « délocalisation des bénéfices » (« Gewinnverlagerung »). L'exposé des motifs du projet de loi soulignait ainsi : « Le principal objectif de la réforme de l'imposition des entreprises est, à côté du renforcement de l'attractivité du territoire, la garantie durable du maintien de l'assiette fiscale. À travers des incitations positives et négatives, la délocalisation de l'assiette fiscale à l'étranger, principalement par les entreprises [...] doit être freinée. »

Le principe de la barrière d'intérêts est d'interdire la déductibilité des intérêts d'emprunt au-delà de 30 % du résultat de l'entreprise avant impôts, intérêts, dotations aux amortissements, et provisions sur immobilisations (EBITDA, Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization ). Sont pris en compte les intérêts nets, c'est-à-dire après déduction des intérêts perçus.

Toutefois, ce principe général de plafonnement est assoupli par une série d'exonérations :

(1) un montant forfaitaire d'intérêts d'emprunt, fixé initialement à un million d'euros, puis porté à 3 millions d'euros, continue d'être intégralement déductible ;

(2) la règle ne s'applique qu'aux entreprises intégrées dans un groupe (« Konzern »), selon une définition du groupe spécifique au dispositif ; les entreprises n'appartenant pas à un groupe doivent prouver qu'il n'y a pas « financement extérieur de l'entreprise dommageable » (versement à un actionnaire significatif d'intérêts représentant plus de 10 % des intérêts nets de l'entreprise) ;

(3) la règle ne s'applique pas lorsque l'entreprise démontre que son taux de financement propre est supérieur, ou inférieur de moins de 2 %, à celui de son groupe ;

(4) la règle ne s'applique pas lorsque l'entreprise démontre qu'il n'y a « financement extérieur de l'entreprise dommageable » ni pour elle ni pour aucune entité du groupe.

Par ailleurs, le mécanisme, lorsqu'il vient à s'appliquer, est modéré par la possibilité de reporter en avant, pour les exercices ultérieurs, le montant des intérêts non déductibles.

Le dispositif est souvent critiqué (...) pour son caractère procyclique. En effet, le montant des intérêts déductibles étant plafonné à une certaine proportion du résultat, plus ce dernier est élevé, plus l'entreprise peut déduire ses intérêts d'emprunt et moins elle paie d'impôts. À l'inverse, plus son résultat est faible, moins elle peut déduire d'intérêts et plus elle devra payer d'impôt.

Cet inconvénient a cependant été considérablement réduit suite à l'introduction, en 2010, d'une possibilité de reporter en avant, pour l'application de la barrière d'intérêts, le résultat des exercices antérieurs. Ainsi, une entreprise ayant connu, en année N, un EBITDA très important, au-delà de ce qui lui était nécessaire pour déduire l'intégralité de ses intérêts d'emprunt, pourra reporter en année N+1 la partie du résultat « inutile » du point de vue de la barrière d'intérêts ; cela permet aux entreprises de se constituer une forme de « stock de résultats » destiné à l'application de la barrière d'intérêts.

Source : rapport de François Marc sur le projet de loi de finances pour 2013 4 ( * )

La proposition de directive propose de répondre au biais en faveur de la dette par deux dispositifs .

D'une part, elle propose, dans son article 13, une règle de limitation des intérêts très largement inspirée de la règle allemande . Ainsi, les charges d'intérêts seraient déductibles jusqu'à un plafond de 30 % de l'excédent brut d'exploitation 5 ( * ) ou de 3 millions d'euros (le plafond le plus élevé devant être retenu). L'ensemble des charges est apprécié au niveau consolidé. Des exceptions, proches de celles existantes au sein de l'article 212 bis du code général des impôts, sont également prévues en faveur des engagements préexistants et des financements d'infrastructures publiques.

D'autre part, elle propose, dans son article 12, de compenser la « préférence pour la dette » induite par la déductibilité des charges financières à travers un système d'intérêts notionnels , c'est-à-dire une déduction pour croissance et investissement ( allowance for growth and investment - AGI). Le montant de cette déduction, défini par l'article 11 de la proposition, correspond à la différence entre le montant du capital de l'entreprise au premier jour de l'année et celui dont elle disposait dix ans auparavant, auquel est appliqué le taux moyen des obligations d'État à dix ans tel que calculé par la Banque centrale européenne, augmenté d'une prime de risque de 2 %. Il convient de noter que si le capital diminue entre les deux dates de référence, le montant d'AGI calculé selon les mêmes modalités s'ajoute à l'assiette imposable. Il y a donc une désincitation fiscale à réduire son capital.

Exemple chiffré d'application de l'AGI

Une entreprise dispose, au jour d'entrée en vigueur de la directive, d'un capital de 15 millions d'euros. Au premier jour de l'exercice fiscal N considéré, soit 8 ans après l'entrée en vigueur de la directive, elle dispose d'un capital de 18 millions d'euros. Le taux moyen des obligations d'État constaté par la Banque centrale européenne s'établit, au mois de décembre précédant le début de l'année N, à 1,6 %.

AGI = (1,6 % + 2 %) x (18 000 000 - 15 000 000) = 108 000 euros

L'entreprise pourra, au titre de l'exercice fiscal N, déduire 108 000 euros de son assiette taxable au titre de l'abattement pour la croissance et l'investissement.

Source : commission des finances du Sénat.

Au total, l'ensemble de ces éléments posent plusieurs questions.

• Le système de limitation de la déductibilité présente, comme son modèle allemand, un caractère procyclique : le montant des intérêts déductibles étant plafonné à une certaine proportion du résultat, plus ce dernier est élevé, plus l'entreprise peut déduire ses intérêts d'emprunt et moins elle paie d'impôts. À l'inverse, plus son résultat est faible, moins elle peut déduire d'intérêts et plus elle devra payer d'impôt.

• Le système de limitation est relativement avantageux pour les entreprises structurellement peu endettées - ce qui est le cas des entreprises allemandes, mais moins des entreprises françaises. En appliquant la limitation par rapport au résultat d'exploitation, et non de façon forfaitaire par rapport au montant total des charges financières, la proposition de la Commission européenne introduit un biais en fonction de la structure de financement des entreprises, historiquement différente d'un État membre à l'autre, et qui peut parfois être temporairement déséquilibrée pour des raisons opérationnelles saines, comme à l'occasion d'une croissance externe ;

• Contrairement à ce que la directe Atad précitée avait prévu, au point 5 de son article 4, la proposition de directive relative à une assiette commune ne prévoit pas d'exception à la limitation de la déductibilité lorsque l'endettement d'une filiale n'est pas excessif au regard du niveau d'endettement du groupe . En effet, si l'objectif d'une règle de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt est d'éviter des sous-capitalisations qui traduisent des transferts artificiels de bénéfices et de charges financières d'un pays à l'autre, c'est bien la différence entre le niveau d'endettement de la filiale et celui du groupe consolidé qui en est le symptôme.

• Enfin, l'impact du système d'intérêts notionnels, pratiqué notamment en Belgique, doit être évalué au niveau national . En particulier, il n'est pas certain qu'il se traduise par un gain pour les entreprises, dès lors qu'il pénalise également les réductions de capital.

Pour l'ensemble de ces raisons, à défaut d'une évaluation précise des conséquences de l'adoption des mesures proposées en termes de financement des entreprises françaises, votre commission des finances exprime, à ce stade, d'importantes réserves sur les mécanismes de lutte contre le « biais en faveur de la dette » .

« SWITCH OVER » : LE RETOUR D'UNE DISPOSITION CONTROVERSÉE RETIRÉE DE LA DIRECTIVE ATAD

La proposition initiale de la Commission européenne pour la directive «  Atad » contenait une disposition dite de « switch over » . Cette disposition avait pour objet de prévoir que les revenus perçus par une société mère en provenance d'une filiale située dans un État tiers ne sont pas par principe exonérés d'impôt, comme ils le seraient en application de la directive mère-fille, mais bénéficient d'un crédit d'impôt à hauteur de l'impôt payé par la filiale pour ces mêmes revenus . L'objectif de cette clause était de faire en sorte que des revenus non imposés dans un pays tiers à la fiscalité privilégiée le soient dans les mains de la société mère établie dans l'Union européenne .

Cette disposition n'a toutefois pas été retenue dans le texte final de la directive, compte tenu des risques qu'elle engendrait pour des situations légitimes . Par exemple, il arrive que des revenus soient exonérés d'impôt dans le pays de la société filiale, non pas parce que ce pays est un pays à fiscalité privilégiée, mais parce que l'exonération est l'un des principaux leviers des pays en développement pour attirer les entreprises étrangères à y investir dans un secteur donné.

Or, l'article 53 de la proposition de directive « Acis » réintroduit cette disposition . Elle prévoit qu'un contribuable ne doit pas être exonéré d'impôt sur les produits distribués qu'il reçoit d'une entité située dans un État tiers où le taux normal d'impôt sur les sociétés est au plus égal à la moitié du taux normal de l'État membre de résidence de la société mère. Comme dans la proposition initiale de directive « Atad », la proposition de directive « Acis » prévoit que la société mère bénéficie, à défaut d'une exonération, d'un crédit d'impôt correspondant à l'impôt payé par la filiale .

On peut s'étonner de la ré-introduction de cette clause , dont il était apparu lors de la négociation de la directive « Atad » qu'elle pouvait entraver des opérations légitimes d'entreprises européennes dans des pays en développement - et de surcroît compromettre la possibilité d'un accord entre les États membres.

UN SYSTÈME DUAL D'AMORTISSEMENT

La proposition de directive reprend la proposition initialement formulée en 2011 s'agissant des règles d'amortissement . Elle prévoit de distinguer entre des immobilisations de moyen et long termes dont la durée d'amortissement est individualisée d'une part, et des immobilisations de court terme, qui sont toutes inscrites dans un « panier d'immobilisation » asset pool », article 37).

Les immobilisations dont l'amortissement reste individualisé sont les bâtiments immobiliers, structures industrielles, les actifs matériels de durée de vie longue ou moyenne, et les actifs immatériels protégés.

Les autres actifs, rassemblés dans un panier d'immobilisations, pourront être amortis selon un taux annuel de 25 %.

Il est difficile de mesurer l'impact de cette évolution pour les entreprises françaises. Si l'introduction d'un panier d'immobilisations au taux forfaitaire de 25 % peut apparaître comme une mesure de simplification, il reviendra cependant aux entreprises de déterminer, en lien avec l'administration fiscale, les actifs qui peuvent effectivement bénéficier de ce régime. Cela pourrait être, du moins dans un premier temps, source d'une forte instabilité et d'une grande complexité pour les entreprises.

Il convient, en tout état de cause, de permettre aux États membres de définir des exceptions à ce régime d'amortissement . En particulier, le code général des impôts prévoit un certain nombre d'amortissements accélérés (amortissements dégressifs ou amortissements exceptionnels sur un ou deux ans) qui visent à favoriser l'acquisition des équipements concernés par les entreprises. Il en va ainsi, par exemple, de l'amortissement exceptionnel sur deux ans des robots dans les PME, prévu par l'article 39 AH du code général des impôts.

De même, il convient de permettre aux États membres de maintenir le régime fiscal adapté aux concessions de service public (cf. ci-dessus).

LA CONSOLIDATION : UNE PROPOSITION INCERTAINE

UNE FORMULE DE RÉPARTITION PROBLÉMATIQUE

L'assiette commune de l'impôt sur les sociétés a vocation à être, dans un second temps, consolidée au niveau de l'ensemble de l'Union européenne pour chaque entreprise ou groupe d'entreprise concerné . Une fois déterminée, l'assiette imposable consolidée serait « répartie » entre les différents États membres. Chaque État membre appliquerait ensuite son taux d'imposition national à la part d'assiette qui lui est attribuée.

L'article 28 de la proposition de directive relative à l'assiette consolidée prévoit une formule de répartition de l'assiette fondée sur trois facteurs affectés d'une même pondération (33 %) :

1) les immobilisations corporelles détenues par l'entreprise dans l'État membre : usines, bureaux, machines etc. ;

2) la main d'oeuvre dont dispose l'entreprise dans l'État membre, ce facteur étant constitué pour moitié du nombre d'employés, et pour moitié de la masse salariale ;

3) les ventes effectuées par l'entreprise dans l'État membre, en application du principe du pays de destination : l'impôt est dû là où les marchandises sont vendues ou expédiées, ou là où le service est fourni.

Sur le principe, la mise en place d'une clé de répartition transparente et homogène paraît pleinement justifiée. Toutefois, en pratique, il semble que cette clé de répartition, au demeurant inchangée par rapport à la proposition de directive de 2011, ne suffise pas à garantir que les bénéfices soient effectivement imposés là où ils sont réalisés - ce qui constitue pourtant l'un des principaux objectifs de l'Accis, tout comme d'ailleurs du projet BEPS de l'OCDE.

Deux problèmes se posent particulièrement.

Premièrement, la formule de répartition exclut les immobilisations incorporelles , telles que les brevets, licences, marques, concessions, designs, logiciels et autres droits de propriété intellectuelle. L'exposé des motifs du projet de directive rappelle que cette exclusion des incorporels a été prévue « en raison de leur caractère mobile et des risques de fraude » : de fait, il est relativement plus facile de localiser ceux-ci dans les pays où la fiscalité est la plus favorable - même s'il convient de souligner que les normes comptables françaises et européennes, ainsi que les obligations déclaratives portant sur les prix de transfert et le « reporting pays par pays », restreignent largement la liberté des entreprises en la matière.

Le problème est que les entreprises françaises se caractérisent par l'importance des incorporels dans leur chaîne de valeur , particulièrement dans des secteurs comme le luxe, l'agroalimentaire, l'audiovisuel, le secteur pharmaceutique ou encore l'aéronautique : dès lors, l'absence de prise en compte de ceux-ci dans la formule de répartition entre les États membres pourrait aboutir à une baisse des recettes fiscales de la France . De plus, comme l'a souligné Cyrille Dero, directeur fiscal du groupe Danone, lors de l'audition du 1 er décembre 2016, il est possible que ces nouvelles règles aient à termes des conséquences au-delà de l'Union européenne : « les normes se multiplient, qu'elles soient créées par l'OCDE ou l'Union européenne. Celle-ci créerait pour la première fois une règle de répartition des profits. Ma crainte est qu'elle soit appliquée dans le monde entier. Si la Chine applique pareillement la règle du tiers-tiers-tiers, la France, grand pays d'incorporel, sera perdante ».

Deuxièmement, la clé de répartition proposée semble également inadaptée aux entreprises du secteur du numérique , dont l'imposition effective des bénéfices est l'un des principaux enjeux de la réforme de l'assiette de l'impôt sur les sociétés :

- s'agissant du premier facteur, ces entreprises se caractérisent par l'importance de leurs actifs incorporels : marques, algorithmes, bases de données etc. Or ceux-ci sont facilement localisables dans un seul État membre, voire dans un État tiers : les droits afférents à l'utilisation hors États-Unis des marques et technologies des grandes multinationales du numérique sont ainsi, bien souvent, détenus par des holdings domiciliées dans des juridictions à fiscalité privilégiée ;

- s'agissant du deuxième facteur, ces entreprises se caractérisent par une main d'oeuvre relativement peu nombreuse, et de surcroît très mobile : il s'agit en grande partie d'ingénieurs et de commerciaux dont l'implantation géographique importe relativement peu, et qui peuvent être en quelques mois réaffectés à Paris, à Dublin, à Londres ou à San Francisco ;

- s'agissant du troisième facteur, le chiffre d'affaires pays par pays de ces entreprises est particulièrement difficile à établir avec précision . En témoignent d'ailleurs les diverses procédures fiscales et judiciaires engagées en France contre certaines de ces entreprises, visant à démontrer l'existence d'un « établissement stable » sur le territoire, ce qui entraînerait l'imposition des bénéfices y afférent. Reste qu'il n'est guère satisfaisant de compter sur des redressements fiscaux au cas par cas pour « sécuriser » le dernier tiers de l'assiette consolidée de ce secteur économique en pleine expansion.

Certes, la proposition de directive prévoit une adaptation de la clé de répartition pour tenir compte de la spécificité de certains secteurs économiques : les établissements financiers, les entreprises d'assurances, le secteur pétrolier et gazier, et le transport maritime, fluvial et aérien. Mais aucune adaptation spécifique n'est prévue pour le secteur numérique, ni pour une meilleure prise en compte des incorporels.

De même, l'article 29 de la proposition de directive relative à la consolidation prévoit une « clause de sauvegarde » , qui permet aux États membres ou aux contribuables de demander qu'une autre méthode de répartition soit utilisée, s'ils estiment que les règles générales ne reflètent pas fidèlement le volume d'activité de l'entreprise. Toutefois, il s'agit là d'une procédure dérogatoire, dont il est difficile de dire à ce stade si elle sera couramment utilisée , et qui en tout état de cause nécessite l'accord de toutes les autorités compétentes - en d'autres termes, et toutes choses égales par ailleurs, l'État membre « gagnant » à l'application du droit commun n'aura guère intérêt à accepter la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde.

L'EFFICACITÉ DU RECOUVREMENT : UN ENJEU QUI CONDITIONNE L'ACCEPTATION PAR LES ÉTATS

Au-delà des questions portant sur la clé de répartition, le passage d'une assiette commune à une assiette consolidée se heurte aussi à un obstacle concret de recouvrement, qui conditionne son acceptabilité par les États membres .

Du point de vue administratif, l'assiette consolidée repose sur un système de « guichet unique » . L'article 51 de la proposition de directive prévoit que les contribuables traitent avec une administration fiscale unique, dite « autorité fiscale principale », qui est celle de l'État membre où la société mère du groupe est résidente fiscale. Ils déposent leur déclaration fiscale consolidée auprès de cette autorité fiscale unique, qui la vérifie, émet le cas échéant des avis d'imposition rectificatifs, et procède au recouvrement de l'ensemble des créances fiscales déterminées en application de la formule de réparation ci-dessus et du taux en vigueur dans chaque État membre. Le produit est ensuite reversé par l'État membre collecteur aux États membres concernés.

Par conséquent, l'assiette consolidée implique que les États membres qui recouvrent le produit de l'impôt sur les sociétés ne sont pas nécessairement les États membres qui en sont in fine les affectataires . Or il est permis de douter qu'un État membre dont le système de recouvrement est très efficace ne montre pas quelques réticences à reverser une partie des recettes collectées, sur la seule base d'informations déclaratives (la clé de réparation), à un État membre dont le système de recouvrement est défaillant, et qui n'est pas en mesure de faire preuve de la même diligence dans le recouvrement qui lui incombe.

Ces réticences risquent d'être accrues par les doutes qui, au-delà du recouvrement spontané, pèsent sur les modalités concrètes du contrôle fiscal . L'article 64 de la proposition de directive sur la consolidation, qui prévoit la possibilité de « contrôles coordonnés » sous la responsabilité de l'administration fiscale de l'État membre dans lequel se trouve le guichet unique, ne fournit pas de détails. Comme l'a remarqué lors de l'audition du 1 er décembre 2016 Daniel Gutmann, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre et membre de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF), « un groupe établi dans un État donné, qui a des filiales dans d'autres États membres, aura un interlocuteur fiscal privilégié en la personne de l'autorité fiscale de l'État membre où est située sa tête. Mais en réalité, les autorités fiscales des États des filiales auront un rôle à jouer ; elles pourront suggérer à l'État fiscal de la tête de mener des contrôles fiscaux. C'est l'administration de cet État qui coordonnerait les contrôles. Mais selon quelles modalités ? Des inspecteurs allemands, ou italiens, viendraient mener des contrôles fiscaux en France ? Comment les éventuels redressements seraient-ils contestés ? L'aspect administratif de l'harmonisation fiscale est très important car il conditionne la viabilité du système . Or des imprécisions demeurent. Il me semble que le législateur devrait commencer à y réfléchir ».

Compte tenu des incertitudes liés au recouvrement et au « juste » reversement des recettes, la mise en oeuvre de la consolidation nécessiterait au préalable une mise à niveau des compétences et une harmonisation des procédures des administrations fiscales au sein de l'Union européenne.

Dans la mesure où les directives en matière de fiscalité sont soumises à la règle de l'unanimité, la question de la « juste » formule de répartition et de l'efficacité du recouvrement semblent conditionner l'adoption du second volet de l'Accis.

La prudence de la Commission européenne à ce sujet est d'ailleurs éloquente. Le volet « consolidation » n'est que peu détaillé dans les documents officiels de présentation du paquet de directives, et lorsque c'est le cas, c'est souvent pour rappeler que « la consolidation reste néanmoins un objectif concret, qui devrait être poursuivi par le Conseil dès que l'assiette commune est approuvée ».

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution européenne n° 166 (2010-2011) du Sénat du 11 juillet 2011 sur la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés,

Vu la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur,

Vu les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés du 25 octobre 2016,

Sur l'ensemble du projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés

Approuve la volonté de la Commission européenne de relancer le projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés, afin de lutter contre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale, de freiner la concurrence fiscale entre les États membres et de renforcer le marché intérieur ;

Sur l'approche graduée

Considère que le choix fait par la Commission européenne d'une approche graduée à travers la présentation de deux propositions distinctes, s'il permet d'éviter les blocages dont a pâti la proposition de directive de 2011, reporte à la date de la mise en oeuvre de la directive relative à la consolidation le plein effet de ces propositions en matière de simplification et de lutte contre l'évasion fiscale des entreprises ;

Sur la concurrence fiscale

Constate que l'adoption des propositions de directives de la Commission européenne aurait pour conséquence de rendre plus transparente et lisible la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne en la concentrant sur les taux d'impôts sur les sociétés d'une part et sur les autres impôts et charges sociales payés par les entreprises d'autre part ;

Souligne, à cet égard, que la France, qui présente un taux d'impôt sur les sociétés élevé, des impôts de production nombreux et des charges sociales importantes, pourrait perdre en attractivité si elle n'accompagne pas cette adoption au niveau européen d'une réforme fiscale et sociale d'ampleur au niveau national ;

Sur le champ d'application

Considérant que les propositions de directive de la Commission européenne s'appliqueraient, de façon obligatoire, à toutes les entreprises de l'Union européenne dont le chiffre d'affaires annuel consolidé est supérieur à 750 millions d'euros et, de façon optionnelle, à toutes les autres entreprises ;

Souligne que le champ d'application des propositions de directive risque de créer un effet de seuil et conduira à des arbitrages pour les entreprises au détriment des recettes fiscales nationales ;

Sur le projet d'assiette commune

Sur la souveraineté fiscale

Estime que la définition d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés au niveau européen ne doit pas avoir pour conséquence de priver les États membres de leur souveraineté fiscale, en particulier pour stimuler la croissance et orienter les comportements des entreprises ;

Souhaite, à cet égard, que la directive comporte, à côté d'une base commune harmonisée, davantage d'options à la discrétion des États membres ;

Souhaite, en outre, que la directive affirme la possibilité pour les États membres de mettre en place ou de maintenir des instruments fiscaux, en particulier des réductions ou des crédits d'impôts, en faveur d'une politique sectorielle ;

Sur la cohérence entre règles fiscales et règles comptables

Rappelle que, dans un souci de simplification de la vie des entreprises, les règles fiscales applicables à une assiette commune d'impôt sur les sociétés doivent être cohérentes avec les règles comptables harmonisées au niveau européen ;

Sur le financement des entreprises

Considérant que la proposition de directive se donne pour objectif de renverser le « biais en faveur de la dette » par une limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt en fonction de l'excédent brut d'exploitation d'une part et par un système d'intérêts notionnels calculés sur l'évolution des capitaux propres d'autre part ;

Estime que la puissance publique ne doit intervenir sur les choix de financement des entreprises que pour prévenir un endettement ou une sous-capitalisation excessifs qui mettraient en cause la pérennité de l'entreprise ;

S'inquiète, à cet égard, des modalités envisagées en matière de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt, en particulier en ce qu'elle s'appliquerait à chaque filiale nationale en fonction de son résultat et non du niveau moyen d'endettement du groupe auquel elle appartient ;

Estime que la proposition d'une déduction pour la croissance et l'investissement (intérêts notionnels) rémunérant l'accroissement des capitaux propres et pénalisant leur réduction doit faire l'objet d'une évaluation précise de son impact sur la rémunération du capital ;

Sur le soutien à la recherche et développement

Considérant que la proposition de directive de la Commission européenne comporte une super-déduction pour les dépenses de recherche, majorée pour les jeunes PME innovantes ;

Estime que le principe de subsidiarité s'oppose à ce qu'une directive européenne dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur investisse le champ, strictement national, du soutien fiscal à la politique sectorielle de la recherche et développement ;

Sur les mécanismes anti-abus

Salue l'introduction de plusieurs mesures anti-abus, tout en regrettant, d'une part, que ces mesures ne soient pas toujours rédigées dans les mêmes termes que les mesures proposées par l'OCDE ou que celles adoptées dans la récente directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui poursuit pourtant les mêmes objectifs, et d'autre part, que le problème posé par la manipulation des prix de transfert reste entier tant que l'assiette ne sera pas consolidée ;

Sur le projet de consolidation

Considérant que le projet de consolidation prévoit une formule de répartition de l'assiette de l'impôt sur les sociétés répartie sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération : (1) les immobilisations corporelles détenues par l'entreprise dans l'État membre ; (2) la main d'oeuvre de l'entreprise dans l'État membre ; (3) le chiffre d'affaires résultant des ventes de l'entreprise dans l'État membre, en application du principe de destination ;

Estime que cette formule de répartition, inchangée par rapport à la proposition de 2011, ne suffit pas à assurer que les bénéfices soient imposés là où ils sont effectivement créés et à résorber les distorsions entre les États membres ;

S'inquiète en particulier de l'exclusion de la formule de répartition des immobilisations incorporelles (marques, brevets, algorithmes etc.), qui ont une importance particulière pour les entreprises françaises ;

S'inquiète également de l'inadéquation de cette formule de répartition aux entreprises du secteur du numérique, qui se caractérisent : (1) par l'importance de leurs actifs incorporels, aisément localisables dans un seul État membre, voire dans un État tiers ; (2) par la moindre importance et la très grande mobilité de leur main d'oeuvre ; (3) par un chiffre d'affaires par pays que les administrations fiscales ont de grandes difficultés à établir ;

Rappelle enfin que la consolidation implique une dissociation entre, d'une part, l'État membre chargé du contrôle et du recouvrement de l'impôt dans le cadre du « guichet unique », et d'autre part, les États membres bénéficiaires ultimes des recettes fiscales, ce qui nécessiterait une mise à niveau et une harmonisation des compétences des administrations fiscales dans l'Union européenne ;

Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans la directive qui sera adoptée au terme du trilogue institutionnel ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

EXAMEN EN COMMISSION

RÉUNION DU 14 DÉCEMBRE 2016

Réunie le 14 décembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur les propositions de directives du Conseil de l'Union européenne COM (2016) 683 concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) et COM (2016) 685 concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, et la présentation d'une proposition de résolution.

Mme Michèle André , présidente . - Certains d'entre vous pourraient trouver étonnant que notre commission inscrive à son ordre du jour des propositions de résolution européenne alors que notre ordre du jour est déjà chargé en cette semaine d'examen du projet de loi de finances rectificative. Ils n'auraient pas tort et nous aurions sans doute examiné ces textes plus sereinement en début d'année prochaine. Néanmoins, nous n'avons pas le choix : l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat enserre dans des délais très brefs l'examen par les commissions permanentes des propositions de résolution adoptées par la commission des affaires européennes et des textes européens dont elles décident de se saisir directement. Cette matinée était la dernière pour ne pas être hors délai dans l'examen des textes dont nous sommes saisis.

Nous nous sommes donc saisis des deux propositions de directives relatives au projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (ACCIS).

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous connaissons déjà le sujet dont je vais vous parler à présent grâce aux auditions très instructives organisées il y a deux semaines par notre commission, au cours desquelles nous avons entendu la Commission européenne, l'administration fiscale, des représentants des entreprises et des experts fiscalistes. J'ai également sollicité ces mêmes personnes par un questionnaire écrit sur des points plus techniques.

La Commission européenne a présenté le 25 octobre dernier deux propositions de directive relatives à une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). La Commission avait déjà présenté une proposition en 2011, à l'issue de dix ans de négociations, mais celle-ci n'avait pas abouti. La relance de cette idée faisait partie des priorités de la Commission européenne, et en particulier du commissaire chargé de la fiscalité, Pierre Moscovici. Ces propositions s'inscrivent dans un contexte nouveau, marqué par la lutte contre l'évasion fiscale et les transferts artificiels de bénéfices des grandes entreprises multinationales, menée en même temps par l'OCDE.

L'objectif de l'instauration d'une ACCIS est double. Il s'agit, d'une part, de renforcer le marché intérieur européen en facilitant la conquête de nouveaux marchés pour les entreprises, qui n'auront plus à se conformer à de nouvelles règles d'assiette en matière d'impôt sur les bénéfices, ni à risquer des doubles impositions, ni, lorsque la consolidation sera réalisée, à fournir une documentation détaillée sur les prix de transfert. D'autre part, l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale en supprimant les divergences de règles fiscales dans l'Union européenne qui ouvrent la voie aux schémas d'optimisation fiscale et aux doubles exonérations.

Notre commission des finances s'était déjà saisie, en 2011, de la proposition de directive ACCIS de la Commission européenne et avait élaboré une résolution européenne, adoptée par le Sénat. Nous avons fait le choix de nous saisir à nouveau de ce sujet, en proposant nous-mêmes une proposition de résolution. Nous nous situons très en amont : l'idée de cette proposition de résolution n'est pas de livrer une analyse technique très fine mais de mettre en garde, en soulignant les principaux points de vigilance pour la compétitivité de nos entreprises et pour la préservation de nos recettes fiscales.

Le paquet ACCIS proposé par la Commission européenne se distingue de la proposition de 2011 par le choix d'une approche en deux temps. La Commission a constaté que la consolidation, c'est-à-dire l'imposition agrégée des bénéfices des entreprises au niveau de l'Union puis la répartition du produit fiscal entre les États membres, était le sujet le plus bloquant. Elle a donc proposé de scinder sa proposition en deux, l'une sur l'assiette commune, l'autre sur la consolidation. Une telle solution permet d'espérer une adoption de la directive sur l'assiette commune mais comporte un risque de non-adoption de la directive sur la consolidation. Or, l'audition a sur ce point été éclairante : les véritables avantages en termes de simplification et de lutte contre l'évasion fiscale n'interviendraient que si la consolidation est effective.

Par ailleurs, je vous propose que nous alertions le Gouvernement et la Commission européenne sur deux éléments. D'abord, la directive ne supprime pas la concurrence fiscale, elle la concentre sur le taux d'impôt sur les sociétés (IS), et sur les impôts sur la production et sur les charges sociales. À ce jeu-là, la France est en mauvaise posture. Une étude d'Ernst & Young de juin dernier a montré que la France et l'Allemagne sont toutes deux dans la position paradoxale d'être favorables par principe à l'ACCIS mais désavantagées par sa mise en oeuvre. Une réforme du taux d'IS et des autres impositions sera donc nécessaire en France en parallèle de l'adoption de l'ACCIS pour rétablir notre attractivité.

Ensuite, l'adoption de ces directives poserait une question de souveraineté fiscale, puisqu'elle aurait pour conséquence d'empêcher le législateur national d'intervenir dans les matières traitées par la directive : nous ne pourrions plus définir un régime national d'amortissement, ou une règle nationale de déductibilité des charges financières. C'est pourquoi nous demandons que la directive contienne davantage d'options, laissées à la discrétion des États membres, et notamment qu'elle leur permette explicitement de maintenir ou de mettre en place des instruments sectoriels comme les crédits d'impôt. Il en va du respect, fondamental, du principe de subsidiarité.

J'attire plus particulièrement votre attention sur le crédit d'impôt recherche (CIR). La Commission européenne propose une innovation dans sa proposition : une super-déduction fiscale pour les dépenses de recherche, majorée jusqu'à 200 % pour les jeunes PME innovantes. Or, dans son calibrage, cette initiative est moins favorable aux entreprises que le CIR français. À cet égard, les propos de Bruno Mauchauffée, de la direction de la législation fiscale, n'étaient guère rassurants : lors de l'audition, il a indiqué qu'« une fois le sujet de la recherche et du développement figurant dans un texte européen, on pourrait imaginer que la Cour de justice de l'Union européenne décide d'en dessaisir les États membres au motif qu'il s'agirait d'une entrave à la liberté d'établissement ». En d'autres termes, si rien n'interdit techniquement de cumuler le CIR avec la super-déduction, le crédit d'impôt pourrait devenir juridiquement caduc. Il s'agit pourtant d'une des grandes forces de notre système fiscal et d'un pilier de notre attractivité, comme nous l'avions vu lors des tables rondes et auditions que nous avons conduites, ou pendant notre déplacement à Toulouse en juin 2015.

En conséquence, je vous propose d'affirmer que le principe de subsidiarité s'oppose à ce que la législation européenne dessaisisse ainsi les États membres d'une politique sectorielle, celle de la recherche, au détour d'une directive fiscale. Le soutien à la recherche et développement, y compris par des instruments fiscaux, doit rester du ressort national.

Autre point abordé par la proposition et sur lequel j'exprime quelques réserves : le financement des entreprises. La proposition de directive se donne pour objectif de renverser le biais en faveur de la dette à travers, d'une part, une limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt en fonction de l'excédent brut d'exploitation, et d'autre part, un système d'intérêts notionnels, c'est-à-dire d'intérêts fictifs déductibles, calculés sur l'évolution des capitaux propres. En première analyse, il semblerait que ces systèmes soient très défavorables aux entreprises françaises : une étude d'impact précise doit impérativement être conduite à ce sujet. La notion d'endettement excessif devrait également être appréciée en fonction de l'endettement global du groupe, et non filiale par filiale.

La seconde proposition de directive concerne la consolidation, c'est-à-dire la répartition du produit fiscal entre les États membres. Elle prévoit une formule de répartition du produit de l'IS sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération : les actifs de l'entreprise dans l'État membre, la main d'oeuvre de l'entreprise dans l'État membre - nombre de salariés et masse salariale - et le chiffre d'affaires résultant des ventes de l'entreprise dans l'État membre.

Cette formule pose au moins deux problèmes. D'abord, elle exclut les immobilisations incorporelles, notamment les marques et les brevets. Or, cela a été répété par les directeurs fiscaux de Danone et de Sanofi lors de leur audition, la France est un grand pays d'incorporels, notamment dans le luxe. Si nous voulons protéger nos recettes fiscales, il faut que la possession des marques, brevets et autres droits de propriété intellectuelle soit d'une manière ou d'une autre prise en compte dans la clé de répartition. Deuxième sujet d'inquiétude : l'inadéquation de cette clé de répartition aux entreprises du numérique, qui sont l'un des sujets de préoccupation constante de notre commission. En effet, ces dernières, dont le chiffre d'affaires repose également beaucoup sur des incorporels, peuvent aisément localiser ceux-ci dans n'importe quel État, y compris dans un État tiers. En outre, leur main d'oeuvre est peu nombreuse et facile à délocaliser, à Londres, dans la Silicon Valley ou en Asie, et leur chiffre d'affaires est difficile à mesurer pays par pays. Au total, ces entreprises ne pourront donc pas être aisément appréhendées par la formule proposée par la Commission européenne, et l'une des principales cibles de cet effort de lutte contre l'évasion fiscale sera alors manquée.

En somme, il s'agirait de centraliser l'ensemble des recettes fiscales, pour en assurer ensuite la territorialisation - un peu à l'image de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui cause des débats récurrents. Des questions restent en suspens : comment est garantie la collecte de l'impôt ? Qui assure le contrôle fiscal ?

En conclusion, ces projets sont ambitieux, et ils présentent certains points positifs pour renforcer le marché intérieur et simplifier la vie des entreprises, surtout pour nos PME souhaitant s'installer ailleurs en Europe. Cependant, ils soulèvent un certain nombre d'inquiétudes pour lesquelles le Gouvernement devra se montrer vigilant au cours de l'examen de ce texte au niveau européen. Nous sommes donc favorables à l'ACCIS, à deux conditions : que ni la compétitivité des entreprises françaises ni les recettes fiscales de la France n'en pâtissent, mais qu'elles en soient, au contraire, renforcées. L'ensemble de ces éléments sont repris dans la proposition de résolution que je vous propose d'adopter.

M. André Gattolin . - Je ne conteste pas vos commentaires, mais ce que vous avez dit sur le principe de subsidiarité m'étonne : les directives COM 683 et COM 685 ont été étudiées par le groupe « subsidiarité » de la commission des affaires européennes, dont je suis membre, et nous n'y avons trouvé aucun problème. Ce contraste entre l'analyse de la commission des affaires européennes et celle de la commission des finances me conduit à émettre un vote défavorable.

M. Éric Bocquet . - Sur la question de l'assiette commune, on avance à la vitesse d'un char à boeufs, faute de décisions fermes pour étayer les discours. Du coup, la guerre des taux recommence tous azimuts, ce qui neutralise d'ores et déjà l'effet attendu de ce texte, sur lequel nous sommes donc très réservés.

M. Serge Dassault . - Quel sera le taux de l'IS ? Comme il est plus élevé chez nous qu'ailleurs...

M. Richard Yung . - Pas sûr : il est tout aussi haut en Allemagne ou aux États-Unis. Cette proposition va dans le bon sens. Voilà des années que nous discutons d'une assiette commune, et des taux. La Commission européenne a pris une décision raisonnable en séparant les deux débats. On ne peut qu'être d'accord avec vos deux conditions - préservation de la compétitivité des entreprises françaises et de nos recettes fiscales - mais comment faire, dans la négociation, pour les imposer ? Que suggérer au Gouvernement et à nos parlementaires européens sur ce point ? D'ailleurs, d'autres pays craignent pour leurs recettes fiscales, et il est difficile de construire l'Europe dans cette atmosphère. Il faut de la souplesse.

M. Francis Delattre . - Sur l'IS, ce qui est affiché diffère partout de la réalité : chaque État met en place des dispositifs atténuant le poids de cet impôt. Chez nous, le CIR produit ses effets, et nous devons le préserver. Si l'Allemagne consacre 4,5 % de son PIB à la recherche et au développement, contre 2,5 % en France, c'est que chaque Land a des dispositifs s'ajoutant à ceux de l'État, ce qui produit un ensemble complexe et moins contrôlable. Or le CIR est à l'origine du redressement de notre industrie automobile, autant que son réaménagement capitalistique. La voiture connectée de Renault lui est due. Il nous faut donc trouver le moyen de le préserver sans encourir de condamnation par la CJUE. C'est la condition du redémarrage industriel du pays. Les chaînes de montage, qui étaient toutes installées dans le Sud-Est asiatique, vont revenir grâce à la robotisation. Elles ont déjà commencé à se réimplanter aux États-Unis : Apple envisage d'y assembler une partie de son iPhone 7. Pour que l'Europe suive, il faut de nouvelles technologies, au développement desquelles le CIR est indispensable. De plus, sa suppression serait un signal désastreux. Ne nous y trompons pas : les grands groupes installent leurs centres de développement et de recherche en fonction des coûts. Carlos Ghosn nous avait expliqué, lors de notre enquête sur le CIR, comment un conseil exécutif décide, en se fondant tout simplement sur la rentabilité. Nous sommes à la croisée des chemins : les 5,5 milliards d'euros de cette dépense fiscale doivent être sanctuarisés.

M. Bernard Lalande . - Je partage l'analyse du rapporteur général, et ses conclusions. Nous devons continuer à travailler à une assiette commune. Les positions divergent toutefois entre les directions des entreprises et l'administration fiscale, sans oublier les différences dans les normes comptables selon les pays, qui conduisent à des écarts dans le calcul du bénéfice distribuable. Je suis favorable à ce texte, et à la protection des intérêts français, notamment par la préservation des dispositifs ayant un effet de levier sur notre économie.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - André Gattolin, je n'ai évoqué la subsidiarité qu'à l'alinéa 30 de la proposition uniquement au sujet du CIR. Le problème avait été soulevé par la direction de la législation fiscale, dont le représentant nous a indiqué qu'il n'était pas certain que le CIR soit compatible avec le mécanisme de super-déduction prévu, allant jusqu'à évoquer la CJUE.

Oui, la concurrence fiscale existe, en Europe et avec les États-Unis, dont le nouveau président parle de baisser le taux de l'IS jusqu'à 15 %. Dès que nous aurons défini une assiette commune, la concurrence s'exercera encore plus fortement par les taux. Sur l'IS, le taux français est d'environ un tiers. En Allemagne, il est de 30 %, et il est généralement inférieur ailleurs. La directive dont nous parlons n'a pas de conséquence sur les taux, dont la fixation reste la prérogative de chaque Parlement national.

Francis Delattre, nous demandons la sauvegarde du CIR. Quant à la question des recettes fiscales, nous sommes encore très en amont, et ne faisons qu'examiner des pistes. La France a pour spécificité de disposer de nombre de brevets, marques, et autres droits incorporels, qui ne sont pas pris en compte. Je connais bien le cas des parfums, dans mon département. Le consommateur n'achète pas tant un produit physique qu'une image, une marque. Nous devrons veiller à la protection de ces incorporels.

Dans l'ensemble, ce texte va dans le bon sens. Il aidera les entreprises françaises à s'installer dans d'autres pays européens. Mais nous devons rester vigilants sur la répartition des recettes fiscales, et obtenir la préservation du CIR.

À l'issue de ce débat, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution présentée par M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, et décidé de fixer au mardi 20 décembre 2016 à 12 heures le délai-limite de dépôt, par tout sénateur, d'amendements éventuels à ce texte.

RÉUNION DU 21 DÉCEMBRE 2016

Réunie à nouveau le 21 décembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a, en application de l'article 73 quinquies , alinéa 2 du Règlement, procédé à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne présentée par M. Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, sur les propositions de directive du Conseil de l'Union européenne COM (2016) 683 concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) et COM (2016) 685 concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La semaine dernière, je vous ai présenté mon analyse des propositions de directive du Conseil de l'Union européenne COM (2016) 683 concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) et COM (2016) 685 concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés.

Aucun amendement n'a été déposé sur la proposition de résolution européenne, en dehors de ceux que je vous propose.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Mon amendement FINC.1, qui porte sur l'alinéa 34, est un amendement de précision.

L'amendement FINC.1 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'amendement FINC.2 soulève une question de fond.

La consolidation de l'assiette et le guichet unique marquent un progrès pour les entreprises : l'entreprise qui voudra s'implanter dans différents pays européens n'aura plus à s'adresser à autant d'administrations fiscales. Elle s'enregistrera auprès de l'une d'entre elles, qui calculera l'assiette et percevra l'impôt, lequel sera réparti entre les pays suivant une clé reposant sur trois tiers : les actifs corporels, les effectifs et le chiffre d'affaires. Ce système de répartition ressemble un peu à ce qui existe entre collectivités territoriales pour la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Le problème, c'est que la qualité de l'administration fiscale n'est pas tout à fait la même dans tous les pays.

Avec cet amendement, je précise qu'il faut une mise à niveau, une confiance réciproque entre les administrations fiscales dans l'Union européenne. À défaut, l'acceptabilité du dispositif pourrait être compromise. Je vous propose d'écrire que cette nouvelle répartition « nécessiterait une mise à niveau et une confiance réciproque entre administrations fiscales dans l'Union européenne ».

Michèle André et moi-même avons rencontré le responsable de la nouvelle « super-agence » fiscale grecque indépendante, chargée du recouvrement des impôts en Grèce. Notre interlocuteur a été incapable de nous donner des précisions sur le taux de TVA dans les îles, sur les montants de l'érosion fiscale ou encore sur le montant anormalement faible des revenus déclarés par un médecin ou un avocat. Nous avons ressenti un manque manifeste de compétence.

Concrètement, peut-on faire confiance à toutes les administrations fiscales de l'Union européenne pour percevoir l'impôt ? Dans certains cas, n'y aurait-il pas érosion de nos recettes fiscales ?

Il faut un minimum de mise à niveau des standards. Autant je pense que l'on peut faire confiance à l'administration fiscale allemande ou l'administration fiscale française, qui a l'un des meilleurs taux de recouvrement spontané au monde, autant il y a encore des problèmes de mise à niveau et de confiance réciproque dans la capacité d'un certain nombre d'administrations fiscales étrangères.

Les conséquences du guichet unique peuvent être assez graves : si l'impôt est mal recouvré ou l'assiette mal calculée, nous percevrons beaucoup moins d'impôt qu'aujourd'hui. Autrement dit, le système de guichet unique implique un minimum de standards à respecter par les administrations fiscales des différents pays. Aujourd'hui, cela ne me paraît pas atteint, et c'est ce qui peut compromettre l'acceptabilité du dispositif. Concrètement, l'Allemagne et la France, pour lesquelles l'enjeu est le plus grand dans cette affaire, peuvent très bien refuser le système s'il existe un risque pour leurs recettes fiscales.

M. Daniel Raoul . - Comment la répartition s'opère-t-elle avec le guichet unique, sachant que les taux diffèrent suivant les pays ?

M. André Gattolin . - Le terme « confiance » est toujours compliqué. On peut avoir confiance en des truands ! Il me paraît trop philosophique ou religieux pour figurer dans la loi.

Selon moi, la rédaction devrait plutôt se référer à « une harmonisation des compétences des administrations fiscales des pays concernés ».

M. Maurice Vincent . - Avec le guichet unique, comment sera déterminé le pays auquel une entreprise s'adressera ? Est-ce le groupe qui décide de se déclarer résident fiscal dans tel ou tel pays ou y a-t-il d'autres critères, plus objectifs ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je vous rappelle que ces directives ne portent que sur l'assiette. Elles n'induisent pas une harmonisation des taux, ce qui, d'ailleurs, peut poser des problèmes. De ce point de vue, la France et l'Allemagne, qui sont les pays les plus demandeurs, sont aussi ceux qui ont le plus à perdre dans l'application de ces projets, puisque c'est dans ces pays que les taux sont le plus élevés.

Concrètement, il y a consolidation de l'assiette, puis partage de celle-ci entre les États membres en fonction des trois critères que j'ai évoqués, et enfin application sur la quote-part de chaque État membre du taux national pour déterminer le produit. On appliquerait donc le taux de l'impôt français à la quote-part française.

Maurice Vincent, la société ne peut choisir sa résidence fiscale. La directive prévoit que c'est la localisation du siège de la société mère qui déterminera le lieu du guichet unique.

M. Richard Yung . - Si je comprends bien, la société mère - dans le cas des groupes - n'aura plus de relations qu'avec un seul service fiscal ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - En effet.

M. Richard Yung . - C'est une avancée considérable pour les entreprises, qui n'auront plus à remplir vingt-sept déclarations, à se voir appliquer vingt-sept assiettes, etc.

Mme Michèle André , présidente . - Cela pose la question de la compétence de certains pays.

Le rapporteur général a évoqué notre rencontre avec l'agence grecque. Nous avons bien compris que l'administration grecque souffrait d'une absence de formation. D'ailleurs, la France s'était clairement engagée, dans la zone euro, à soutenir l'administration grecque et à l'aider à acquérir les compétences nécessaires.

Le guichet unique constitue une avancée incontestable, mais il implique que les compétences soient identiques d'un pays à l'autre.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Richard Yung, oui, c'est évidemment un progrès considérable, puisqu'une entreprise qui veut travailler dans les différents pays de l'Union européenne, exporter, etc., n'aura pas à respecter vingt-sept législations, à remplir autant de formulaires fiscaux... Il lui suffira de s'adresser à un guichet unique.

En contrepartie, celui-ci représente un risque pour les recettes fiscales des États : concrètement, le travail reposera sur une administration fiscale étrangère, qui n'a pas forcément aujourd'hui le même degré de technicité, de compétence que l'administration fiscale française. Or nous ne percevrons plus directement l'impôt. Nous recevrons la quote-part d'un produit réparti sur des critères. J'ai cité l'exemple de la Grèce, mais il y en a peut-être d'autres.

J'ai bien compris que le mot confiance pouvait faire débat. Je vous propose donc de modifier la rédaction de l'amendement de manière à remplacer « ce qui pourrait compromettre l'acceptabilité du dispositif » par « ce qui nécessiterait une mise à niveau et une harmonisation des compétences des administrations fiscales dans l'Union européenne ». Cette formulation n'est pas subjective. Elle signifie, concrètement, que les administrations fiscales doivent harmoniser leurs standards en les tirant plutôt vers le haut, la France se situant sans doute parmi les pays où l'administration fiscale est la plus élaborée, la plus efficace.

L'amendement FINC.2, ainsi rectifié, est adopté.

À l'issue du débat, la commission des finances a adopté la proposition de résolution européenne, dans la rédaction issue des travaux de la commission.

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PPRE ASSIETTE COMMUNE ET ASSIETTE COMMUNE ET CONSOLIDÉE POUR L'IS (ACCIS)

COM-1

COMMISSION DES FINANCES

(n° 219)

21 DÉCEMBRE 2016

A M E N D E M E N T

présenté par

M. de MONTGOLFIER, rapporteur

_________________

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Alinéa 34

Remplacer les mots :

du produit

par les mots :

de l'assiette

OBJET

Amendement de précision.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PPRE ASSIETTE COMMUNE ET ASSIETTE COMMUNE ET CONSOLIDÉE POUR L'IS (ACCIS)

COM-2

COMMISSION DES FINANCES

(n° 219)

21 DÉCEMBRE 2016

A M E N D E M E N T

présenté par

M. de MONTGOLFIER, rapporteur

_________________

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Après l'alinéa 37

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Rappelle enfin que la consolidation implique une dissociation entre, d'une part, l'État membre chargé du contrôle et du recouvrement de l'impôt dans le cadre du « guichet unique », et d'autre part, les États membres bénéficiaires ultimes des recettes fiscales, ce qui nécessiterait une mise à niveau et une harmonisation des compétences des administrations fiscales dans l'Union européenne ;

OBJET

Le passage d'une assiette commune à une assiette consolidée se heurte aussi à un obstacle concret de recouvrement de l'impôt sur les sociétés, qui conditionne son acceptabilité par les États membres.

Du point de vue administratif, l'assiette consolidée repose sur un système de « guichet unique » : les contribuables traitent avec une « autorité fiscale principale », qui est celle de l'État membre où la société mère du groupe est résidente fiscale. Ils déposent leur déclaration fiscale consolidée auprès de cette autorité fiscale unique, qui la vérifie, émet le cas échéant des avis d'imposition rectificatifs, et procède au recouvrement de l'ensemble des créances fiscales, qu'elle reverse ensuite aux autres États membres. C'est également cette autorité fiscale unique qui lance et coordonne les contrôles, ceux-ci pouvant toutefois être demandés par d'autres États membres.

Par conséquent, l'assiette consolidée implique que les États membres chargés du contrôle et du recouvrement ne sont pas nécessairement les États membres qui sont in fine les bénéficiaires des recettes fiscales. Or il est permis de douter qu'un État membre dont le système de recouvrement est très efficace ne montre pas quelques réticences à reverser une partie des recettes collectées, sur la seule base d'informations déclaratives (la clé de réparation), à un État membre dont le système de recouvrement serait défaillant, et qui ne serait pas en mesure de faire preuve de la même diligence dans le recouvrement et les contrôles qui lui incombent.

Dès lors une mise à niveau et une harmonisation des compétences des administrations fiscales des États membres apparaissent nécessaires.

TABLEAU COMPARATIF

Proposition de résolution initiale
___

Proposition du rapporteur
___

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution européenne n° 166 (2010-2011) du Sénat du 11 juillet 2011 sur la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés,

Vu la résolution européenne n° 166 (2010-2011) du Sénat du 11 juillet 2011 sur la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés,

Vu la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur,

Vu la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur,

Vu les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés du 25 octobre 2016,

Vu les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés du 25 octobre 2016,

Sur l'ensemble du projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés

Sur l'ensemble du projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés

Approuve la volonté de la Commission européenne de relancer le projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés, afin de lutter contre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale, de freiner la concurrence fiscale entre les États membres et de renforcer le marché intérieur ;

Approuve la volonté de la Commission européenne de relancer le projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés, afin de lutter contre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale, de freiner la concurrence fiscale entre les États membres et de renforcer le marché intérieur ;

Sur l'approche graduée

Sur l'approche graduée

Considère que le choix fait par la Commission européenne d'une approche graduée à travers la présentation de deux propositions distinctes, s'il permet d'éviter les blocages dont a pâti la proposition de directive de 2011, reporte à la date de la mise en oeuvre de la directive relative à la consolidation le plein effet de ces propositions en matière de simplification et de lutte contre l'évasion fiscale des entreprises ;

Considère que le choix fait par la Commission européenne d'une approche graduée à travers la présentation de deux propositions distinctes, s'il permet d'éviter les blocages dont a pâti la proposition de directive de 2011, reporte à la date de la mise en oeuvre de la directive relative à la consolidation le plein effet de ces propositions en matière de simplification et de lutte contre l'évasion fiscale des entreprises ;

Sur la concurrence fiscale

Sur la concurrence fiscale

Constate que l'adoption des propositions de directives de la Commission européenne aurait pour conséquence de rendre plus transparente et lisible la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne en la concentrant sur les taux d'impôts sur les sociétés d'une part et sur les autres impôts et charges sociales payés par les entreprises d'autre part ;

Constate que l'adoption des propositions de directives de la Commission européenne aurait pour conséquence de rendre plus transparente et lisible la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne en la concentrant sur les taux d'impôts sur les sociétés d'une part et sur les autres impôts et charges sociales payés par les entreprises d'autre part ;

Souligne, à cet égard, que la France, qui présente un taux d'impôt sur les sociétés élevé, des impôts de production nombreux et des charges sociales importantes, pourrait perdre en attractivité si elle n'accompagne pas cette adoption au niveau européen d'une réforme fiscale et sociale d'ampleur au niveau national ;

Souligne, à cet égard, que la France, qui présente un taux d'impôt sur les sociétés élevé, des impôts de production nombreux et des charges sociales importantes, pourrait perdre en attractivité si elle n'accompagne pas cette adoption au niveau européen d'une réforme fiscale et sociale d'ampleur au niveau national ;

Sur le champ d'application

Sur le champ d'application

Considérant que les propositions de directive de la Commission européenne s'appliqueraient, de façon obligatoire, à toutes les entreprises de l'Union européenne dont le chiffre d'affaires annuel consolidé est supérieur à 750 millions d'euros et, de façon optionnelle, à toutes les autres entreprises ;

Considérant que les propositions de directive de la Commission européenne s'appliqueraient, de façon obligatoire, à toutes les entreprises de l'Union européenne dont le chiffre d'affaires annuel consolidé est supérieur à 750 millions d'euros et, de façon optionnelle, à toutes les autres entreprises ;

Souligne que le champ d'application des propositions de directive risque de créer un effet de seuil et conduira à des arbitrages pour les entreprises au détriment des recettes fiscales nationales ;

Souligne que le champ d'application des propositions de directive risque de créer un effet de seuil et conduira à des arbitrages pour les entreprises au détriment des recettes fiscales nationales ;

Sur le projet d'assiette commune

Sur le projet d'assiette commune

Sur la souveraineté fiscale

Sur la souveraineté fiscale

Estime que la définition d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés au niveau européen ne doit pas avoir pour conséquence de priver les États membres de leur souveraineté fiscale, en particulier pour stimuler la croissance et orienter les comportements des entreprises ;

Estime que la définition d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés au niveau européen ne doit pas avoir pour conséquence de priver les États membres de leur souveraineté fiscale, en particulier pour stimuler la croissance et orienter les comportements des entreprises ;

Souhaite, à cet égard, que la directive comporte, à côté d'une base commune harmonisée, davantage d'options à la discrétion des États membres ;

Souhaite, à cet égard, que la directive comporte, à côté d'une base commune harmonisée, davantage d'options à la discrétion des États membres ;

Souhaite, en outre, que la directive affirme la possibilité pour les États membres de mettre en place ou de maintenir des instruments fiscaux, en particulier des réductions ou des crédits d'impôts, en faveur d'une politique sectorielle ;

Souhaite, en outre, que la directive affirme la possibilité pour les États membres de mettre en place ou de maintenir des instruments fiscaux, en particulier des réductions ou des crédits d'impôts, en faveur d'une politique sectorielle ;

Sur la cohérence entre règles fiscales et règles comptables

Sur la cohérence entre règles fiscales et règles comptables

Rappelle que, dans un souci de simplification de la vie des entreprises, les règles fiscales applicables à une assiette commune d'impôt sur les sociétés doivent être cohérentes avec les règles comptables harmonisées au niveau européen ;

Rappelle que, dans un souci de simplification de la vie des entreprises, les règles fiscales applicables à une assiette commune d'impôt sur les sociétés doivent être cohérentes avec les règles comptables harmonisées au niveau européen ;

Sur le financement des entreprises

Sur le financement des entreprises

Considérant que la proposition de directive se donne pour objectif de renverser le « biais en faveur de la dette » par une limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt en fonction de l'excédent brut d'exploitation d'une part et par un système d'intérêts notionnels calculés sur l'évolution des capitaux propres d'autre part ;

Considérant que la proposition de directive se donne pour objectif de renverser le « biais en faveur de la dette » par une limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt en fonction de l'excédent brut d'exploitation d'une part et par un système d'intérêts notionnels calculés sur l'évolution des capitaux propres d'autre part ;

Estime que la puissance publique ne doit intervenir sur les choix de financement des entreprises que pour prévenir un endettement ou une sous-capitalisation excessifs qui mettraient en cause la pérennité de l'entreprise ;

Estime que la puissance publique ne doit intervenir sur les choix de financement des entreprises que pour prévenir un endettement ou une sous-capitalisation excessifs qui mettraient en cause la pérennité de l'entreprise ;

S'inquiète, à cet égard, des modalités envisagées en matière de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt, en particulier en ce qu'elle s'appliquerait à chaque filiale nationale en fonction de son résultat et non du niveau moyen d'endettement du groupe auquel elle appartient ;

S'inquiète, à cet égard, des modalités envisagées en matière de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt, en particulier en ce qu'elle s'appliquerait à chaque filiale nationale en fonction de son résultat et non du niveau moyen d'endettement du groupe auquel elle appartient ;

Estime que la proposition d'une déduction pour la croissance et l'investissement (intérêts notionnels) rémunérant l'accroissement des capitaux propres et pénalisant leur réduction doit faire l'objet d'une évaluation précise de son impact sur la rémunération du capital ;

Estime que la proposition d'une déduction pour la croissance et l'investissement (intérêts notionnels) rémunérant l'accroissement des capitaux propres et pénalisant leur réduction doit faire l'objet d'une évaluation précise de son impact sur la rémunération du capital ;

Sur le soutien à la recherche et développement

Sur le soutien à la recherche et développement

Considérant que la proposition de directive de la Commission européenne comporte une super-déduction pour les dépenses de recherche, majorée pour les jeunes PME innovantes ;

Considérant que la proposition de directive de la Commission européenne comporte une super-déduction pour les dépenses de recherche, majorée pour les jeunes PME innovantes ;

Estime que le principe de subsidiarité s'oppose à ce qu'une directive européenne dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur investisse le champ, strictement national, du soutien fiscal à la politique sectorielle de la recherche et développement ;

Estime que le principe de subsidiarité s'oppose à ce qu'une directive européenne dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur investisse le champ, strictement national, du soutien fiscal à la politique sectorielle de la recherche et développement ;

Sur les mécanismes anti-abus

Sur les mécanismes anti-abus

Salue l'introduction de plusieurs mesures anti-abus, tout en regrettant, d'une part, que ces mesures ne soient pas toujours rédigées dans les mêmes termes que les mesures proposées par l'OCDE ou que celles adoptées dans la récente directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui poursuit pourtant les mêmes objectifs, et d'autre part, que le problème posé par la manipulation des prix de transfert reste entier tant que l'assiette ne sera pas consolidée ;

Salue l'introduction de plusieurs mesures anti-abus, tout en regrettant, d'une part, que ces mesures ne soient pas toujours rédigées dans les mêmes termes que les mesures proposées par l'OCDE ou que celles adoptées dans la récente directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui poursuit pourtant les mêmes objectifs, et d'autre part, que le problème posé par la manipulation des prix de transfert reste entier tant que l'assiette ne sera pas consolidée ;

Sur le projet de consolidation

Sur le projet de consolidation

Considérant que le projet de consolidation prévoit une formule de répartition du produit de l'impôt sur les sociétés répartie sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération : (1) les immobilisations corporelles détenues par l'entreprise dans l'État membre ; (2) la main d'oeuvre de l'entreprise dans l'État membre ; (3) le chiffre d'affaires résultant des ventes de l'entreprise dans l'État membre, en application du principe de destination ;

Considérant que le projet de consolidation prévoit une formule de répartition de l'assiette de l'impôt sur les sociétés répartie sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération : (1) les immobilisations corporelles détenues par l'entreprise dans l'État membre ; (2) la main d'oeuvre de l'entreprise dans l'État membre ; (3) le chiffre d'affaires résultant des ventes de l'entreprise dans l'État membre, en application du principe de destination ;

Estime que cette formule de répartition, inchangée par rapport à la proposition de 2011, ne suffit pas à assurer que les bénéfices soient imposés là où ils sont effectivement créés et à résorber les distorsions entre les États membres ;

Estime que cette formule de répartition, inchangée par rapport à la proposition de 2011, ne suffit pas à assurer que les bénéfices soient imposés là où ils sont effectivement créés et à résorber les distorsions entre les États membres ;

S'inquiète en particulier de l'exclusion de la formule de répartition des immobilisations incorporelles (marques, brevets, algorithmes etc.), qui ont une importance particulière pour les entreprises françaises ;

S'inquiète en particulier de l'exclusion de la formule de répartition des immobilisations incorporelles (marques, brevets, algorithmes etc.), qui ont une importance particulière pour les entreprises françaises ;

S'inquiète également de l'inadéquation de cette formule de répartition aux entreprises du secteur du numérique, qui se caractérisent : (1) par l'importance de leurs actifs incorporels, aisément localisables dans un seul État membre, voire dans un État tiers ; (2) par la moindre importance et la très grande mobilité de leur main d'oeuvre ; (3) par un chiffre d'affaires par pays que les administrations fiscales ont de grandes difficultés à établir ;

S'inquiète également de l'inadéquation de cette formule de répartition aux entreprises du secteur du numérique, qui se caractérisent : (1) par l'importance de leurs actifs incorporels, aisément localisables dans un seul État membre, voire dans un État tiers ; (2) par la moindre importance et la très grande mobilité de leur main d'oeuvre ; (3) par un chiffre d'affaires par pays que les administrations fiscales ont de grandes difficultés à établir ;

Rappelle enfin que la consolidation implique une dissociation entre, d'une part, l'État membre chargé du contrôle et du recouvrement de l'impôt dans le cadre du « guichet unique », et d'autre part, les États membres bénéficiaires ultimes des recettes fiscales, ce qui nécessiterait une mise à niveau et une harmonisation des compétences des administrations fiscales dans l'Union européenne ;

Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans la directive qui sera adoptée au terme du trilogue institutionnel ;

Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans la directive qui sera adoptée au terme du trilogue institutionnel ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.


* 1 Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.

* 2 Il s'agirait de faire en sorte que les biens non renouvelables, acquis pour une période très longue, puissent être soumis au régime des provisions (en vue de l'acquisition du même bien) plutôt qu'à celui des amortissements.

* 3 §4h Einkommensteuergesetz et §8a Körperschaftssteuergesetz.

* 4 Rapport général n° 148 (2012-2013) de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2012.

* 5 EBITDA : earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization.

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