LES POINTS DE VIGILANCE POUR LE PROJET D'ASSIETTE COMMUNE POUR LES ENTREPRISES FRANÇAISES
UN RÉGIME OBLIGATOIRE POUR LES TRÈS GRANDES ENTREPRISES
L'article 2 de la proposition de directive relative à l'assiette commune prévoit que les règles communes s'appliqueraient de façon obligatoire à toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires consolidé dépasse 750 millions d'euros . Par ailleurs, toute entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés pourrait également opter pour ces règles, pour une période de 5 ans (renouvelable sans limite de temps).
Ce seuil reflète celui défini par les lignes directrices de l'OCDE en matière d'évasion fiscale et de transferts des bénéfices, en particulier concernant le reporting public pays par pays. Il pose trois principales questions.
Tout d'abord, par définition, il crée un effet de seuil pour les entreprises qui, en raison de l'évolution de leur chiffre d'affaires, devront passer d'un régime à l'autre.
Ensuite, il pourrait créer une forme de distorsion de concurrence en raison de son calibrage. Bruno Mauchauffée, sous-directeur des entreprises à la Direction de la législation fiscale, a, lors de l'audition conjointe, rappelé que « une filiale française, seule implantation européenne d'un groupe américain au chiffre d'affaires de 750 millions d'euros, qui réaliserait un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros entrerait dans le champ de la directive, contrairement à une même entreprise concurrente indépendante réalisant un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros ».
Enfin et surtout, ce seuil implique le maintien de deux systèmes fiscaux : l'un purement national et l'autre communautaire, obligatoire pour certaines entreprises et optionnel pour les autres. Comme l'a souligné Bruno Mauchauffée lors l'audition conjointe du 1 er décembre 2016, « la question se pose de savoir s'il est viable de conserver, à terme, deux calculs d'assiette au sein d'une même juridiction nationale . C'est certes le parti pris depuis le début des négociations, mais cette solution posera des problèmes de concurrence entre les entreprises (...). Cela posera aussi des problèmes en termes de croissance, avec des effets de seuil assez redoutables, et sera source de complexité administrative, surtout pour les entreprises ». Il existe également un risque d'arbitrage : les entreprises pour lesquelles l'assiette commune est optionnelle pourraient la choisir pour la seule raison qu'elles en anticipent un allègement de leur fiscalité, compte tenu de leur structure financière.
Au total, les interrogations portent donc moins sur le niveau du seuil retenu que sur les principes qui le fondent . En particulier, une analyse juridique précise de la compatibilité de ce double système fiscal avec le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt et les charges publiques devra être conduite.