EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 8 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».
M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État » constitue le support budgétaire des opérations conduites par l'État actionnaire. En recettes, il retrace principalement les produits des cessions de participations. En dépenses, il peut financer des prises de participation, mais aussi contribuer au désendettement de l'État.
Habituellement, les crédits inscrits en dépenses comme en recettes sont fixés à un niveau conventionnel de 5 milliards d'euros, identique année après année, afin de ne pas donner d'information aux marchés. Le compte est donc par construction toujours présenté à l'équilibre dans le cadre du projet de loi de finances. Ensuite, en exécution, la réalité des opérations passées est examinée.
Cette année, le Gouvernement annonce pour la première fois que le compte ne sera pas équilibré, puisqu'il a inscrit 6,5 milliards d'euros de dépenses et 5 milliards d'euros de recettes, soit un déficit de 1,5 milliard qui contribue négativement au solde d'exécution de la loi de finances.
Cette nouvelle approche s'explique par la volonté de transparence du Gouvernement et par les besoins liés à la recapitalisation d'EDF et d'Areva. Il s'agit d'abord de soutenir le groupe Areva, dont les pertes cumulées s'élèvent à 10 milliards d'euros, en raison des nombreuses erreurs commises entre 2004 et 2011. Ces difficultés ont été exacerbées ces dernières années par la baisse de prix que connaît l'ensemble du secteur énergétique, dans un contexte de libéralisation croissante des marchés.
Le Président de la République a ainsi décidé de reconstituer les capacités financières de cette filière. Sur le plan financier, les deux groupes devraient bénéficier en 2017 d'une augmentation de capital de 9 milliards d'euros, dont 7 milliards d'euros apportés par l'État actionnaire. Sur le plan de l'organisation, Areva se reconcentrera sur son « coeur de métier », c'est-à-dire sur le cycle du combustible nucléaire. Ainsi, EDF va devenir le véritable « chef de file » du nucléaire français, récupérant les activités d'Areva liées aux réacteurs.
Le déficit de l'État au sens de Maastricht pourrait être affecté par le fait qu'une partie de la contribution de l'État à la recapitalisation d'Areva, estimée à 2 milliards d'euros, devrait être fléchée vers une structure de défaisance. Eurostat pourrait considérer que l'État n'agit pas en « investisseur avisé » pour cette partie de l'opération mais je serai optimiste en comptant comme le Gouvernement sur une appréciation globale de la recapitalisation par Bruxelles.
Je précise pour être tout à fait exhaustif que cette évaluation ne prend pas en compte le coût potentiellement associé à la décision de rester au capital d'Alstom, qui devra être tranchée en fin d'année prochaine. En effet, l'État n'est présent au capital d'Areva qu'en vertu d'un prêt de titres accordé par Bouygues, qui prendra fin en octobre prochain. Nous disposons toutefois d'une option pour racheter à Bouygues jusqu'à 20 % du capital d'Alstom. En 2017, le Gouvernement issu des élections de mai voudra-t-il lever cette option, pour un coût aujourd'hui estimé à 1,1 milliard d'euros ? La question reste posée.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La présentation de ce CAS est particulière. Le niveau élevé des cessions attendues m'interpelle. Le rapporteur spécial a rappelé que le montant prévisionnel des dépenses est en réalité de 7,5 milliards d'euros. Aussi, une variation du solde limitée à 1,5 milliard d'euros en 2017 suppose la réalisation de 6 milliards d'euros de cessions. Ce ne serait pas totalement inédit puisqu'en 2007, les recettes ont atteint 7,7 milliards d'euros. Il me semble toutefois irréaliste de penser que les cessions atteindront un montant de 6 milliards en 2017, au regard du contexte de marché et des cessions réalisées les années précédentes. Comment le pourraient-elles ? Quels seraient les actifs cédés ? Ce ne sont plus des prévisions volontaristes mais irréalistes. Une prévision plus raisonnable, quoiqu'optimiste, est celle de la mise en oeuvre d'un programme de cessions d'un montant de 4 milliards d'euros, accompagné d'un épuisement du solde cumulé du compte, qui devrait s'élever à 3,5 milliards d'euros. Mais le solde du compte spécial serait alors dégradé de 2 milliards d'euros supplémentaires, ce qui pèserait d'autant sur le solde d'exécution de la loi de finances. Si l'on retient l'engagement de dépenses supplémentaires à hauteur de 1,1 milliard d'euros pour rester au capital d'Alstom, l'écart par rapport aux hypothèses du Gouvernement pourrait même atteindre 3,1 milliards d'euros ! S'agissant de l'impact sur le déficit de Maastricht, le rapporteur spécial a rappelé qu'il pourrait s'élever à 2 milliards d'euros.
M. Michel Bouvard . - Je constate le déséquilibre entre les dépenses et les recettes du CAS. Était-il alors judicieux d'annuler 800 millions d'autorisations d'engagement sur ce CAS dans le dernier décret d'avance ?
J'ai noté que la dernière tranche de financement de l'Agence française de développement était prévue. Qu'en est-il des fonds propres qui devaient être libérés pour Bpifrance ? L'an dernier, une dernière tranche restait à verser. Le sera-t-elle ?
Je partage les propos du rapporteur général sur les cessions, néanmoins quelques actifs restent valorisables. Le rapporteur spécial peut-il nous éclairer sur l'ouverture du capital de Réseau de transport d'électricité (RTE) ?
M. Marc Laménie . - EDF et Areva ont un savoir-faire et des moyens humains de grande qualité. Comment en est-on arrivé à la situation actuelle ?
M. Daniel Raoul . - J'ai écouté les observations du rapporteur spécial avec beaucoup d'intérêt. Quel gâchis dans l'équipe « électricité », qui aurait pu gagner de nombreux marchés... EDF rencontre des difficultés liées à la baisse des prix de l'énergie, mais ceux-ci vont remonter avec la mise en oeuvre de la COP 21 et la maintenance de nos centrales. L'arrêt de ces dernières, en Allemagne, a entraîné une hausse des tarifs.
M. Richard Yung . - Ce CAS traduit ce que devrait être une politique industrielle de l'État. Le plus important, ce n'est pas le niveau des recettes ou des dépenses, mais l'action structurelle de l'État. La restructuration du capital de Peugeot a été une réussite - peut-être, d'ailleurs, est-il temps de céder une partie de nos actions de ce constructeur.
Le rapporteur spécial a évoqué 9 milliards d'euros de recapitalisation, dont 7 milliards d'euros pris en charge par l'État. Qui fournira les 2 milliards d'euros restants ?
La concurrence entre Areva et EDF me rappelle celle qui règne entre la RATP et la SNCF. Au Vietnam, on m'avait fait part d'une grande incompréhension face à ces deux entreprises publiques françaises qui se disputaient publiquement l'appel d'offres pour le métro de Hanoï. J'espère qu'un timonier est à la barre.
M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Effectivement, le montant de 6 milliards d'euros d'actifs publics vendus en 2017 est élevé, dans le contexte actuel. Mais ce n'est qu'une estimation à pondérer selon les décisions du Gouvernement dans les mois à venir. Le Gouvernement pourrait par exemple mobiliser davantage les excédents du CAS accumulés depuis plusieurs années, qui devraient s'élever à 3,5 milliards d'euros à la fin de l'exercice. L'équilibre du compte pourrait ainsi être préservé même si les cessions se limitaient à 4 milliards d'euros.
J'en viens au décret d'avance évoqué par Michel Bouvard. L'État n'avait pas besoin, cette année, des 800 millions d'euros qui ont été annulés, puisque le CAS va dégager un excédent de 1,1 milliard d'euros.
Le Gouvernement a jusqu'à juillet 2018 pour procéder à la libération du reste du capital de Bpifrance, pour un montant de 1,15 milliard d'euros.
S'agissant de RTE, c'est EDF, et non l'État, qui procèdera à la cession. L'opération en cours, menée avec la Caisse des dépôts et consignations, ne transitera pas par le CAS. Elle s'inscrit dans le plan de cessions de 10 milliards d'euros annoncé par l'entreprise.
Marc Laménie se demande comment on en est arrivé là. L'État actionnaire a failli gravement entre 2004 et 2011, en rejetant les demandes d'augmentation de capital du directoire, sans pour autant freiner sa stratégie d'expansion, si bien que la croissance a été financée par l'endettement et les cessions. Par ailleurs, le management a mal conduit certains projets - je pense par exemple à l'EPR finlandais - et réalisé des acquisitions discutables sans toujours en informer l'actionnaire, comme le montre l'affaire Uramin. Enfin, l'État, en tant que gestionnaire de la filière, n'aurait pas dû laisser se développer des rivalités persistantes au sein même de la filière nucléaire française.
Pour mesurer les conséquences de ces erreurs, il faut préciser qu'aux 7 milliards d'euros de recapitalisation s'ajoute le choix de percevoir le dividende d'EDF en actions plutôt qu'en numéraire pendant trois ans, soit une perte de recettes pour le budget général de 6 milliards d'euros. Au total, le soutien de l'État aux fonds propres d'EDF et d'Areva s'élève donc à 13 milliards d'euros.
Depuis 2015, avec l'entrée en vigueur des directives européennes et la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, le prix de gros de l'électricité s'est effondré. EDF et Engie ont dû affronter des pertes de recettes très importantes. De plus, le système de couverture des prix de l'énergie retarde l'effet bénéfique de la hausse des prix pour le secteur.
En effet, Monsieur Yung, ce CAS reflète la politique industrielle du Gouvernement. L'État a bien fait d'investir dans Peugeot pour lui permettre de passer un cap difficile. Il pourrait certes vendre ses actions et enregistrer une plus-value - mais le directeur de l'Agence des participations de l'État a toutefois publiquement écarté cette hypothèse.
Les deux milliards d'euros de différence entre le montant total des recapitalisations d'Areva et d'EDF et le montant souscrit par l'État devraient être apportés par des investisseurs privés étrangers, peut-être chinois.
Mme Marie-France Beaufils . - Je voterai contre cette mission car les abandons de participations de l'État n'emportent pas l'adhésion du groupe CRC. Au contraire, l'État aurait intérêt à jouer pleinement son rôle d'actionnaire.
En outre, la contrainte qui pèse sur les prix d'EDF me préoccupe, car sa situation financière va s'en ressentir.
M. Maurice Vincent , rapporteur spécial . - Je vous propose d'approuver ce compte d'affectation spéciale.
À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
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Réunie à nouveau le jeudi 24 novembre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable au projet de loi de finances pour 2017.