SECONDE PARTIE - UN PROJET DE LOI DE FINANCES QUI MÉCONNAIT LE PRINCIPE D'ANNUALITÉ DU BUDGET DE L'ÉTAT
L'analyse de la budgétisation prévue pour l'État en 2017 confirme le constat d'un budget de campagne : les dépenses dérapent de près de 10 milliards d'euros, la masse salariale et les effectifs augmentent et de nombreuses sous-budgétisations affectent la crédibilité du solde budgétaire prévisionnel présenté pour un montant compris entre 3,1 et 5,2 milliards d'euros.
Du côté des recettes, le constat n'est guère plus brillant : les estimations revêtent un caractère particulièrement optimiste en raison à la fois d'une prévision de croissance supérieure à celle du consensus des économistes et d'une élasticité à la croissance probablement surévaluée.
Il est donc à craindre que le déficit budgétaire de l'État ne connaisse pas en 2017 l'amélioration prévue par le présent projet de loi de finances, et ce malgré des effets positifs artificiels résultant de certains jeux d'écriture , en particulier le reversement de 4 milliards d'euros de la Coface au nouveau compte de commerce « Soutien au commerce extérieur », qui diminue d'autant le déficit sans pour autant améliorer d'une quelconque façon la situation financière de l'État.
Le budget de l'État pour 2017 est donc irréaliste .
Il paraît également contraire à la loi organique relative aux lois de finances en ce qu'il méconnaît le principe d'annualité budgétaire . Pour mémoire, l'article 1 er de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 dispose que « les lois de finances déterminent, pour un exercice , la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'État, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte » et l'article 6 de la même loi prévoit que « le budget décrit, pour une année , l'ensemble des recettes et des dépenses budgétaires de l'État ».
Or le Gouvernement crée des charges d'un montant très important qui ne pèseront pas sur l'exercice budgétaire 2017 et dont l'impact se fera sentir à partir de 2018.
Ainsi, la double budgétisation en autorisations d'engagement et crédits de paiement lui permet d'engager des dépenses sans en assumer l'impact sur le solde budgétaire, puisque celui-ci n'intègre que les décaissements de crédits de paiement. En particulier, doit être signalé le choix de ne pas inscrire de crédits de paiement sur le troisième programme des investissements d'avenir (PIA 3), pour un montant de 10 milliards d'euros. Au total, ce sont plus de 12 milliards d'euros de dépenses qui sont budgétées en autorisations d'engagement seulement et ne donneront lieu à décaissement de crédits de paiement qu'à compter de l'exercice 2018.
Le Gouvernement annonce aussi plusieurs mesures en recettes dont l'impact budgétaire porte sur les exercices postérieurs à 2017, pour un montant de 11,8 milliards d'euros à horizon 2020 .
Au total, le projet de budget 2017 présenté par le Gouvernement créé 24 milliards d'euros de charges nouvelles qui n'auront un impact budgétaire effectif qu'à partir de 2018 .
Tableau n° 31 : Charges nouvelles créées par le projet de loi de finances pour 2017 qui ne pèseront qu'à compter de l'exercice budgétaire 2018
(en milliards d'euros)
Nature de la charge |
Montant |
Dépenses inscrites en PLF 2017 (en AE) qui devront être financées en CP sur les exercices postérieurs à 2017 |
12,3 |
Coût à horizon 2020 des mesures en recettes du PLF 2017 sans impact budgétaire significatif en 2017 |
11,8 |
Total des charges supplémentaires pesant exclusivement à compter de 2018 |
24,1 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après le présent projet de loi de finances
Le projet de loi de finances pour 2017 paraît donc à la fois irréaliste , avec des risques en dépenses dont la réalisation est quasi certaine pour un montant d'au moins 3,1 milliards d'euros, et contraire au principe organique de l'autorisation annuelle des dépenses et des recettes , en créant plusieurs dizaines de milliards d'euros de charges nouvelles sans aucun impact sur le solde budgétaire de l'exercice 2017 mais qui grèveront le budget de l'État à partir de 2018.
I. LES DÉPENSES : UN DÉRAPAGE PRONONCÉ QUI PÈSERA LOURDEMENT SUR 2017 ET AU-DELÀ
Les dépenses brutes du budget général de l'État augmentent de 37,4 milliards d'euros, soit plus de 9 %, entre la loi de finances initiale pour 2016 et le présent projet de loi de finances. Les dépenses nettes (dont sont déduites les remboursements et dégrèvements) connaissent une hausse plus modérée, de l'ordre de 8,8 milliards d'euros (soit + 2,8 %).
Graphique n° 32 : Évolution des dépenses de l'État entre la loi de finances initiale pour 2016 et le projet de loi de finances pour 2017
(en milliards d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'article d'équilibre de la loi de finances initiale pour 2016 et du projet de loi de finances pour 2017
Mais les évolutions affectant les dépenses nettes du budget général de l'État agrègent des effets de périmètre qu'il faut neutraliser et intègrent certaines dépenses qui ne sont pas réellement pilotables de façon directe par les gestionnaires publics, comme la charge de la dette ou encore les contributions de l'État au compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Pour analyser les efforts réels mis en oeuvre par l'État afin de maîtriser ses dépenses, il convient de se référer aux deux normes de dépenses. Celles-ci, qui existent depuis 2011, sont définies sur des périmètres précis qui permettent des comparaisons pertinentes. Elles sont également censées constituer un plafond d'évolution des dépenses de l'État, limitant la possibilité pour le Gouvernement de dégrader le budget de l'État.
La double norme de dépenses : zéro valeur et zéro volume Si des normes d'évolution des dépenses de l'État ont été introduites dès le début des années 2000, c'est la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 qui a mis en place la double norme de dépenses aujourd'hui appliquée : - d'une part, les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant : c'est la norme « zéro valeur » ; - d'autre part, la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charge de la dette et dépenses de pensions, doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation : c'est la norme « zéro volume ». Source : commission des finances du Sénat |
En 2017, le Gouvernement a manifestement abandonné les normes de dépenses , qui ne sont d'ailleurs pas mentionnées dans l'exposé général des motifs du projet de loi de finances alors qu'il s'agit en principe d'un élément fondamental pour la budgétisation et le pilotage des dépenses de l'État. Les « plafonds » du budget triennal sont largement dépassés : les crédits des ministères dérapent de 10 milliards d'euros par rapport à la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.
En outre, la masse salariale de l'État devrait connaître en 2017 une hausse de 4 % , soit une augmentation en une seule année supérieure à celle constatée sur une période de dix ans, de 2003 à 2013.
Ce dérapage pourrait être partiellement contrebalancé par le souci d'une budgétisation initiale réaliste et ne nécessitant pas les traditionnelles ouvertures en cours d'année au profit de certains postes généralement en sur-exécution. Or le budget 2017 présente, comme les exercices précédents, son lot de sous-budgétisations et d'artifices budgétaires , dont le troisième programme d'investissement d'avenir n'est pas des moindres : si 10 milliards d'euros sont annoncés, aucun crédit de paiement n'est budgétisé.
A. UN DÉRAPAGE DE PRÈS DE 10 MILLIARDS D'EUROS DES DÉPENSES DE L'ÉTAT
Les dépenses de l'État dépassent largement le plafond prescrit en loi de programmation des finances publiques et augmentent par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. Sur l'ensemble du quinquennat, les crédits des ministères auront connu une hausse de 5 % tandis que les prélèvements sur recettes aux collectivités territoriales baissaient, dans le même temps, de 20 %.
1. Le plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques sur le périmètre des dépenses pilotables par l'État n'est pas respecté
La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2017 prévoyait qu'à périmètre constant, les dépenses des ministères ne devaient pas dépasser 222,9 milliards d'euros en 2017 . Les dépenses sous norme « zéro valeur » devaient demeurer inférieures à 290,7 milliards d'euros et les dépenses sous norme « zéro volume » ne devaient pas excéder 388,6 milliards d'euros.
Seule cette dernière norme est respectée pour la seule raison qu'elle intègre des dépenses qui ne dépendent pas de la gestion du Gouvernement , en particulier la charge de la dette, dont la diminution en lien avec le maintien de taux d'intérêt faibles permet de compenser l'augmentation constatée sur toutes les autres catégories de dépenses.
En effet, les seules « économies » significatives du projet de loi de finances pour 2017 par rapport à la loi de programmation sont de pure constatation et ne dépendent aucunement des choix budgétaires du Gouvernement.
Ainsi, la charge de la dette est réévaluée très nettement à la baisse, à hauteur de 7,7 milliards d'euros , ce qui s'explique par le maintien d'un environnement de taux bas en raison notamment de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne devrait, quant à lui, être inférieur de 2,4 milliards d'euros à la prévision de la loi de programmation.
La norme « zéro valeur », qui s'applique aux dépenses réellement pilotables par l'État, devrait être largement dépassée en 2017, à hauteur de 7,9 milliards d'euros . Il faut noter que la norme « zéro valeur » intègre les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne, alors même que leur montant n'est pas fixé par le Gouvernement. Le dérapage est encore plus important si l'on neutralise ce prélèvement pour ne retenir que les dépenses qui sont réellement pilotables par l'État, c'est-à-dire les seules dépenses des ministères (crédits centraux et opérateurs) : sur ce périmètre, le plafond de la loi de programmation est dépassé de 9,1 milliards d'euros .
Graphique n°
33
:
Évolution prévisionnelle des dépenses de
l'État en 2017 par rapport au plafond fixé par la loi de
programmation des finances publiques
pour les années 2014 à
2019
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
En effet, les crédits ministériels sont supérieurs de 9,4 milliards d'euros aux plafonds fixés par la loi de programmation des finances publiques. Les seules réductions de dépenses réelles concernent les opérateurs, avec la baisse - au demeurant très modérée - du plafond de certaines taxes affectées et de nouveaux prélèvements sur le fonds de roulement de certains opérateurs, pour un total de moins de 300 millions d'euros.
Le Gouvernement renonce donc clairement à tenir ses engagements en matière de dépenses et, dès la budgétisation initiale, annonce un dérapage de près de 10 milliards d'euros.
Ce dépassement des plafonds fixés par la loi de programmation des finances publiques s'accompagne d'une forte hausse par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2016.
2. L'augmentation des dépenses des ministères par rapport à 2016 est partiellement masquée par des économies de constatation
De façon similaire, par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, les dépenses de l'État proprement dit - c'est-à-dire des ministères et des opérateurs - augmentent et les seules « économies » concernent des agrégats qui ne correspondent à aucun effort d'économies réel de la part des services de l'État : la charge de la dette est réduite de 2,7 milliards d'euros , le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne de 1,1 milliard d'euros. Les contributions de l'État au compte d'affectation spéciale « Pensions » augmentent de 1,7 milliard d'euros , ce qui s'explique par les nombreux recrutements prévus en 2017 et par l'impact du protocole PPCR (cf. infra , B. Une hausse préoccupante de la masse salariale de 4 % en 2016).
Graphique n° 34 : Évolution prévisionnelle des dépenses de l'État en 2017 par rapport à la loi de finances initiale pour 2016
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
La baisse la plus importante touche, une fois de plus, les collectivités territoriales : ainsi, les transferts aux collectivités territoriales diminuent de 2,8 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2016.
Cette diminution n'est évidemment pas inédite : sur l'ensemble du quinquennat, les collectivités locales ont subi une baisse très significative de leurs dotations budgétaires.
3. Sur le quinquennat, les crédits des ministères augmentent de 5 % et les dotations aux collectivités locales baissent de 20 %
Le Gouvernement met en avant une baisse des dépenses de l'État de « près de 7 milliards d'euros en valeur depuis 2013 » . Cette affirmation est trompeuse. En effet, la diminution affichée est calculée sur le périmètre de la norme « zéro volume » qui, comme cela a été souligné précédemment, intègre de nombreux éléments dont l'évolution est totalement indépendante des choix de politique budgétaire mis en oeuvre par le Gouvernement.
Afin d'être en mesure de juger la réalité des « efforts menés année après année » que le Gouvernement affirme avoir fait, il faut examiner l'évolution des différentes composantes des dépenses de l'État , que récapitule le graphique ci-après.
Graphique n° 35 : Évolution des dépenses de l'État sur l'ensemble du quinquennat
(en milliards d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la loi de règlement pour 2013 et le projet de loi de finances pour 2017
Le constat est sans appel : de 2012 à 2017, la baisse la plus marquée a porté sur les dotations aux collectivités territoriales : le prélèvement sur recettes à leur profit est ainsi passé de 55,6 milliards d'euros à 44,2 milliards d'euros, soit une réduction de plus de 20 % en cinq ans . Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne et la charge de la dette ont également diminué, respectivement de 15 % et de 7 %.
En revanche, les dépenses des ministères ont, quant à elle, crû de 4,6 % sur la même période . Sur l'ensemble du quinquennat, les dépenses des ministères n'ont pas baissé de 7 milliards d'euros, comme le Gouvernement le suggère, mais bien augmenté de près de 10 milliards d'euros.
Il est donc clair que les seuls efforts d'économies que le Gouvernement a été en mesure de mettre en oeuvre étaient ceux qui ne portaient pas sur les services dont il a directement la charge : l'appel à la maîtrise des dépenses des secteurs social et local s'est accompagné d'une hausse des crédits des ministères et des opérateurs.
Graphique n° 36 : Comparaison de la baisse des dépenses mise en avant par le Gouvernement avec la hausse des dépenses des ministères et des opérateurs de l'État
(en milliards d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires