EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE FINANCEMENT DU SECTEUR MÉDICO-SOCIAL : DES PRATIQUES PEU LISIBLES À LA PÉRENNITÉ MENACÉE

A. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS MÉDICO-SOCIAUX EN TROMPE-L'OEIL

1. L'exécution de l'Ondam médico-social de l'exercice 2016 : un écart important entre les crédits votés et réalisés

Le Parlement se prononce chaque année en loi de financement de la sécurité sociale sur le niveau des crédits d'assurance maladie consacrés au financement des établissements et services médico-sociaux. Ces crédits sont regroupés au sein de deux des sous-objectifs de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). Il s'agit, d'une part, de la contribution de l'assurance maladie aux dépenses des établissements et services pour personnes âgées, d'autre part de la contribution d'assurance maladie destinée aux établissements et services pour personnes handicapées. Ces deux sous-objectifs forment ce qui est communément appelé l'Ondam médico-social .

Retracé au sein de la section I du budget de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) l'Ondam médico-social est complété chaque année par une partie des ressources propres de la CNSA correspondant à une fraction du produit de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA) et à une fraction de la contribution sur les droits du tabacs. Cet ensemble forme l'objectif global de dépenses (OGD), dont le niveau est fixé par voie réglementaire une fois la loi de financement publiée.

Le premier examen auquel votre rapporteur s'est livré concerne l'exécution des crédits de l'Ondam médico-social votés en 2015 pour 2016, qui s'élevaient à 18 183 millions d'euros. Les chiffres obtenus font a priori état d'une exécution de l'Ondam médico-social en 2016 inférieure de près de 185 millions d'euros aux montants votés en loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 . Ces chiffres semblent aggraver la tendance qui augmente d'exercice en exercice l'écart entre les crédits votés par le Parlement et ceux effectivement utilisés, plus connue sous le nom de « sous-consommation de l'Ondam médico-social » .

On constate que cette sous-consommation se trouve essentiellement répercutée dans le secteur des personnes handicapées, pour un montant de 117 millions d'euros.

Montants arrêtés et montants constatés des Ondam médico-sociaux

(en millions d'euros)

2015

2016

Montant arrêté

Montant constaté

Écart

Montant arrêté

Montant constaté

Écart

Ondam MS

17 851

17 800

-51

18 183

18 000

-183

dont PA

8 651

8 700

49

8 866

8 800

-66

dont PH

9 200 1 ( * )

9 100

-100

9 317

9 200

-117

Source : Questionnaire parlementaire 2017, lois de financement de la sécurité sociale pour 2015, 2016 et 2017

Cet écart s'explique par des mesures fréquentes de redistribution des montants au sein de l'Ondam général , qui se font le plus souvent au détriment du sous-objectif « médico-social » et en faveur du sous-objectif « soins de ville ». Ces mesures de redistribution sont officiellement désignées comme « mises en réserves » mais sont plus communément (et explicitement) connues comme « gels », et « surgels », pour celles intervenant en cours d'exercice.

Répartition des gels et surgels du champ médico-social

(en millions d'euros)

Gel

Surgel

Total des gels et surgels

Contribution du champ médico-social aux « mises en réserves » (% ONDAM global)

2014

OGD

51

42

93

11%

PAI

49

49

Réserves CNSA

Total

100

42

142

2015

OGD

65

20

85

25%

PAI

25

25

Réserves CNSA

88 2 ( * )

88

Total

90

108

198

2016

OGD

111

111

23%

PAI

Réserves CNSA

10 3 ( * )

10

Total

121

121

Source : Questionnaire parlementaire 2017

Ces gels et surgels interviennent pour une large part via une diminution du montant global de l'OGD (formé pour 85 % de l'Ondam médico-social) et, plus marginalement, via une diminution du montant de deux postes du budget de la CNSA : le plan d'aide à l'investissement (PAI) et ses fonds propres (plus communément appelés ses « réserves »).

À ce titre, votre rapporteur note avec satisfaction que la tendance observée en 2014 et 2015 de prélever des montants importants au titre des gels et surgels sur le PAI semble s'être interrompue en 2016, sanctuarisant ainsi ces crédits pour l'usage originel qu'on leur réservait, à savoir le renouvellement des infrastructures accueillant des personnes âgées ou handicapées.

Comme le tableau ci-dessus le montre, la pratique des gels et surgels a en outre subi deux évolutions notables depuis 2015. On constate d'abord une forte augmentation de la contribution de l'OGD (et donc de l'Ondam médico-social) à la régulation de l'Ondam , stabilisée depuis deux ans à près d'un quart. On relève ensuite une sollicitation importante des réserves de la CNSA dans cette régulation , qui constituent pourtant par définition une source non pérenne de crédits.

Il est à noter que le recours à ces réserves, pour l'exercice 2016, s'élève actuellement à 10 millions d'euros mais devra être fortement réévalué à la suite d'opérations de régulation de fin d'année. Il devrait s'élever à environ 75 millions d'euros (afin que l'on retrouve l'écart de 185 millions d'euros entre le montant arrêté et le montant constaté).

Votre rapporteur déplore fortement la faible lisibilité de ces pratiques, qui tendent in fine à minorer le montant de l'Ondam médico-social approuvé par le Parlement et à entamer sa fiabilité. En 2016, le montant des crédits médico-sociaux de l'assurance maladie (18 milliards d'euros) afficheront donc une progression réelle de 1,12 %, et non de 1,9 % comme le prévoyait la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 .

2. L'évolution de l'OGD en 2017 : la sollicitation massive de crédits non pérennes
a) La composition de l'OGD

L'article 55 du PLFSS fixe à 20,1 milliards d'euros le montant de l'Ondam médico-social pour 2017 , décomposé en 9,1 milliards à destination des personnes âgées et 11 milliards d'euros à destination des personnes handicapées. Une évolution faciale aussi importante (en hausse de 11,6 % par rapport au montant réel de 2016) s'explique en premier lieu par l'intégration dans l'Ondam médico-social des frais de fonctionnement des établissements et services d'aide par le travail 4 ( * ) (Esat), estimés à 1,477 milliard d'euros 5 ( * ) . Cet élément neutralisé, on constate une augmentation de l'Ondam médico-social de 2,2 % par rapport à son montant voté de 2016 et de 3,3 % par rapport à son montant constaté de 2016 6 ( * ) . Votre rapporteur, en cohérence avec les remarques précédemment faites, tient à tempérer l'optimisme que de tels chiffres, qui viennent interrompre plusieurs années de décélération progressive de l'Ondam médico-social, pourraient susciter.

L'Ondam médico-social vient abonder l'OGD, qui rassemble la totalité des financements destinés à la prise en charge des soins dans les établissements et services médico-sociaux. L'Ondam médico-social en constitue la part majoritaire, en plus d'une fraction de la CSA ainsi que d'une ponction sur les réserves de la CNSA.

Décomposition et montant de l'OGD

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

Montant constaté

Montant arrêté

Montant constaté 7 ( * )

Montant prévisionnel

Ondam médico-social (1)

17 800

18 183

18 000

20 100

dont PA

8 700

8 866

8 800

9 100

dont PH

9 100

9 317

9 200

11 000

CSA et autres ressources propres (2)

1 179

1 186

1 206

Réserves de la CNSA (3)

110

160

230

OGD (1+2+3)

19 089

19 529

21 536

Source : Dossiers de presse PLFSS 2016 et 2017, budget 2015 de la CNSA, questionnaire parlementaire 2017

La principale inquiétude de votre rapporteur s'agissant de l'OGD tient à la part croissante (doublée en deux ans) représentée par la ponction sur les réserves de la CNSA . Déjà sollicitées pour compenser les gels et les surgels de l'Ondam en cours d'exercice, leur mise à contribution dans la construction de l'OGD, comme si elles constituaient une ressource propre récurrente, ne manque pas de faire peser, à terme, un danger sur la soutenabilité du financement du secteur médico-social (cf. infra ).

b) La destination de l'OGD

Le dossier de presse du PLFSS pour 2017 indique que l'augmentation substantielle de l'OGD permettra le financement de 590 millions d'euros de mesures supplémentaires . Votre rapporteur s'interroge sur la pertinence de ce chiffre, sachant que dans l'attente du dernier budget modificatif de la CNSA pour l'exercice 2016, nous ne disposons pas du montant de l'OGD réellement consommé cette année. Néanmoins, sur la base des montants attendus pour 2016 et en neutralisant l'effet de l'intégration des Esat, on constate une augmentation de l'OGD en 2017 de 3,1 %.

Ces 590 millions d'euros de mesures supplémentaires permettraient notamment de :

- revaloriser de 0,92 % (contre 0,8 % pour l'exercice précédent) les moyens de fonctionnement dans les structures existantes (à savoir la mobilisation de 110 millions d'euros environ) ;

- soutenir les différents plans de créations de places dans les deux secteurs des personnes âgées (pour un montant de 209 millions d'euros) et des personnes handicapées (pour un montant de 85 millions d'euros) ;

- accompagner la réforme tarifaire des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en mobilisant 185 millions d'euros (dont 32 millions au titre des financements complémentaires venant en appui des formes particulières de prise en charge).

Si votre rapporteur ne peut que se réjouir des moyens alloués aux plans de créations de places, qui pour certains ont accusé un retard important (cf. infra ), il estime que le montant des dotations aux structures existantes mérite un examen particulier. Sur l'exercice 2016, « l'actualisation des moyens au sein des ESMS se traduit par un taux d'évolution de 0,66 % 8 ( * ) », qui prend en compte l'évolution de la masse salariale 9 ( * ) (pour une pondération de 82 %) et l'évolution du prix des autres facteurs (pour une pondération de 18 %). Or, cette évolution de 0,66 % se situe en-deçà du taux de 0,8 % initialement prévu par le PLFSS pour 2016 pour les moyens dévolus aux structures existantes.

Votre rapporteur en déduit qu'une partie non négligeable des dotations notifiées par la CNSA aux ARS n'entre pas dans l'actualisation des moyens des établissements, mais se trouve réservée par ces dernières au titre des crédits non reconductibles (cf. infra ) ou parfois réintégrée aux réserves de la CNSA comme dotations non consommées (cf. infra ). Ainsi, il conviendra d'observer sur l'exercice 2017 le taux d'évolution des dotations régionales limitatives (DRL) en regard du chiffre annoncé de 0,92 %.

3. La délégation des crédits médico-sociaux aux ARS : un circuit à repenser

Le constat en 2015 d'une sous-consommation de l'Ondam médico-social oblige à se pencher sur la question de la délégation des crédits de l'OGD par la CNSA aux ARS. Cette délégation se fait par la CNSA en autorisations d'engagements, et annuellement en crédits de paiement.

Cette délégation divise les financements en deux catégories :

- la principale se compose de la dotation globale (élaborée par équation tarifaire dans le secteur des personnes âgées, et encore selon une logique prévisionnelle dans le secteur des personnes handicapées) ;

- les financements dits complémentaires , qui viennent appuyer certains établissements dans des cas de prise en charge complexes.

Peuvent s'y ajouter des financements dits expérimentaux , provenant du Fonds d'intervention régional (Fir), dont les crédits, qui s'élèvent à environ 3 milliards d'euros, sont retracés dans un sous-objectif spécifique de l'Ondam et, n'étant donc pas imputés sur l'Ondam médico-social, ne sont pas délégués par la CNSA.

La délégation des crédits par la CNSA aux ARS se fait selon une logique prévisionnelle . Les crédits sont alloués en début d'année en fonction d'une prévision d'ouvertures de places émise par chaque ARS, avec possibilité pour la CNSA de récupérer mensuellement les crédits non consommés, et qui alimentent ainsi ses réserves. En revanche, peuvent être distingués au sein des crédits non repris par la CNSA aux ARS des crédits qui ne couvrent pas des dépenses pérennes. Ce sont les crédits non reconductibles (CNR) .

Ils proviennent de deux sources : soit des crédits spécifiquement désignés, au moment de leur délégation par la CNSA, comme ne devant pas financer une action pérenne, soit des crédits issus de marges dégagées par les ARS sur le différentiel entre les moyens mis à leur disposition pour l'évolution des structures existantes et l'évolution effective des DRL (cf. supra ). On ne dispose pas actuellement de données consolidées capables de distinguer la pondération de ces deux origines dans le montant global des CNR, qui s'élève en 2015 à 466,3 millions d'euros 10 ( * ) . De façon schématique, il est possible de présenter les CNR comme les moyens laissés à la discrétion des ARS pour moduler les dotations distribuées aux établissements en fonction des besoins.

Si votre rapporteur se montre favorable à ce que les ARS disposent de moyens modulables, rendus nécessaires par l'hétérogénéité de la couverture de leur territoire et par le taux de médicalisation de leurs établissements, il estime que le montant des CNR est excessivement élevé, au regard notamment des besoins de financement que la CNSA ne manquera pas de dégager d'ici peu d'années.

Il souhaite que soit prochainement engagée une réflexion sur les modalités de délégation des crédits aux ARS . Conserver une logique prévisionnelle au niveau de la délégation nationale des crédits, alors qu'elle est en recul au niveau de la délégation régionale au profit de la tarification à la ressource, lui paraît relever de l'anachronisme. La dichotomie de ces modes de délégation conduit mécaniquement l'ARS à percevoir des crédits d'une façon beaucoup moins stricte que celle selon laquelle elle les tarifie.


* 1 Ce chiffre est celui indiqué à l'article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, alors que la réponse aux questionnaires parlementaires de 2017 indique un montant de 9 050 millions d'euros.

* 2 Ce montant s'élevait à 75 millions dans le rapport de notre collègue Colette Giudicelli sur le volet médico-social de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 (n° 134). L'écart de 13 millions s'explique par des opérations de régulation de fin d'année, qui ne correspond pourtant pas au montant de 48 millions indiqué par la réponse au questionnaire parlementaire de 2017.

* 3 Montant susceptible de réévaluation en tenant compte des opérations de régulation de fin d'année.

* 4 Mesure inscrite à l'article 74 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

* 5 Projet de loi de finances pour 2016 (mission « Solidarités, insertion et égalité des chances »), rapport général n° 164 (2015-2016) de M. Éric Bocquet au nom de la commission des finances du Sénat.

* 6 Le Gouvernement, pour sa part, indique une progression de 2,9 % dans le dossier de presse du PLFSS pour 2017.

* 7 Les montants constatés de CSA, réserves sollicitées et OGD sont indisponibles en 2016 en raison de l'examen courant novembre d'un budget modificatif de la CNSA.

* 8 Circulaire n° DGCS/SD5C/DSS/CNSA/2016/126 du 22 avril 2016 relative aux orientations de l'exercice 2016 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et des personnes âgées.

* 9 L'évolution de la masse salariale doit faire l'objet d'une distinction entre établissements du secteur public (qui doivent répercuter le dégel de l'indice du point de la fonction publique) et les établissements du secteur privé non lucratif qui, à leur différence, bénéficient du crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice).

* 10 Selon une réponse au questionnaire parlementaire 2017.

Page mise à jour le

Partager cette page