B. DES FRAGILITÉS JURIDIQUES QUI RISQUENT D'AMOINDRIR LA PORTÉE DE LA PROPOSITION DE LOI

1. Une précipitation peu favorable à un travail parlementaire de qualité

S'il est légitime de vouloir trouver une réponse rapide aux nouvelles tensions apparues dans le secteur, votre commission regrette néanmoins la méthode employée par le Gouvernement, qui ne permet pas au législateur d'effectuer son travail dans de bonnes conditions, ni de garantir la qualité du texte proposé.

En ayant recours à une proposition de loi comme véhicule législatif, le Gouvernement se prive de l'avis du Conseil d'État, et prive les parlementaires d'une étude d'impact. Par ailleurs, la rapidité d'examen du texte, sur lequel le Gouvernement a engagé une procédure accélérée, ne permet pas au législateur de procéder à un examen approfondi de ses différentes dispositions.

Et encore, le Sénat avait empêché le Gouvernement d'aller encore plus vite, en rejetant deux amendements au projet de loi pour une République numérique qu'il avait déposés le 25 avril 2016 en séance publique 1 ( * ) , dont les dispositifs figurent désormais aux articles 1 er et 3 de la présente proposition de loi. Le Gouvernement les avait présentés au dernier moment, sans attendre la fin de la concertation menée par Laurent Grandguillaume, en les présentant comme des mesures consensuelles, ce que certaines consultations n'ont pas permis de démontrer. Pour l'ensemble de ces raisons, le Sénat les avait rejetés.

2. Le précédent de la loi Thévenoud

Or, ces conditions d'examen ne sont pas exemptes d'inconvénients, comme l'a illustré la loi Thévenoud, présentée devant le Parlement de la même manière : sous la forme d'une proposition de loi, et de façon très rapide. Elle avait été examinée en première lecture par les deux chambres, dans le mois suivant son dépôt, avant d'être adoptée conforme par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

Depuis, plusieurs dispositions de cette loi ont été déclarées non conformes à la Constitution, à l'occasion de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

Par sa décision n° 2015-468/469/472 QPC du 22 mai 2015, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition encadrant les modalités de paiement des prestations de VTC. Celle-ci prévoyait que le prix total de la prestation de VTC devait être déterminé lors de la réservation préalable et qu'il ne pouvait être déterminé après la réalisation de la prestation que s'il était calculé uniquement en fonction de la durée de la prestation. Le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition est une atteinte à la liberté d'entreprendre, qui n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général en lien direct avec l'objectif poursuivi.

Par sa décision n° 2015-516 QPC du 15 janvier 2016, il a censuré la disposition prévoyant une incompatibilité entre les activités de conducteur de taxi et de VTC, qui porte elle aussi une atteinte à la liberté d'entreprendre qui n'est justifiée ni par les objectifs que le législateur s'est assignés ni par aucun autre motif d'intérêt général.

Par ailleurs, la loi Thévenoud comporte des dispositions relatives à des services de la société de l'information qu'il aurait fallu déclarer à l'Union européenne en application de la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques. C'est le cas de la disposition interdisant à une plateforme d'informer, avant la réservation d'un VTC, d'un véhicule motorisé à deux ou trois roues (VMDTR) ou d'un taxi hors de sa zone d'ADS, à la fois de sa localisation et de sa disponibilité lorsqu'il est situé sur une voie ouverte à la circulation publique.

L'absence de notification de cette disposition l'a fragilisée. La Commission européenne a interrogé le Gouvernement à ce sujet dans le cadre d'une procédure « EU Pilot ». Par ailleurs, le Conseil d'État a considéré, dans son arrêt du 9 mars 2016, que ce vice de procédure justifiait l'annulation de la sanction prévue par le pouvoir réglementaire en cas d'infraction à cette disposition législative.

Ces développements démontrent combien l'absence d'une étude juridique préalable de qualité et la précipitation peuvent conduire à fragiliser les textes législatifs sur le plan juridique et partant, amoindrir leur portée.

3. Le risque d'inconstitutionnalité de certaines mesures de la présente proposition de loi

Dans la présente proposition de loi, certains dispositifs ne semblent pas conformes à la Constitution et risqueraient donc, s'ils étaient adoptés en l'état, d'être censurés lors d'une question prioritaire de constitutionnalité.

L'article 1 er impose aux professionnels qui mettent en relation des conducteurs et des passagers des obligations définies de façon très large, tout en punissant toute infraction à ces dispositions d'une amende de 300 000 euros.

Ce dispositif semble très ambitieux en termes d'affichage, puisqu'il impose à ces professionnels de « s'assurer du respect, par les conducteurs [...] des règles régissant [...] le contrat de transport et des règles d'accès aux professions et aux activités de transport routier de personnes » et de « [prendre] des mesures afin de prévenir l'exécution de déplacements dans des conditions illicites ». Mais, en ne définissant pas suffisamment ces obligations et en renvoyant à un décret en Conseil d'État le soin de le faire, il enfreint le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Il risque donc de devenir inopérant si le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le censure.

De plus, le montant de l'amende n'est pas conforme au principe de proportionnalité des peines. L'article punit de la même amende de 300 000 euros le fait, pour un professionnel de mise en relation, de ne pas respecter les obligations qui lui sont imposées (par exemple, la vérification des cartes professionnelles des conducteurs), et le fait d'organiser sciemment la mise en relation de passagers et de conducteurs non professionnels pour la réalisation de prestations de transport à titre onéreux et donc illégales. Or, il s'agit de deux infractions de nature différente.

L'article 2 , qui autorise l'autorité administrative à imposer aux personnes intervenant dans le secteur du transport public particulier de personnes la transmission périodique de données, soulève aussi un certain nombre de difficultés d'ordre juridique. En particulier, l'étendue des données concernées, qui inclut les données relatives aux déplacements ou aux passagers, semble disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, qui est de disposer de données chiffrées fiables sur le secteur et d'en assurer la régulation.


* 1 Les amendements 602 et 603.

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