B. ...QUI N'A PAS RÉSOLU TOUTES LES DIFFICULTÉS
1. Le souhait d'une meilleure application de la loi Thévenoud
Si la loi Thévenoud est considérée comme un texte équilibré, plusieurs acteurs regrettent qu'elle ne soit pas suffisamment appliquée sur le terrain, faute de contrôles suffisants.
Lors d'une visite à l'antenne spécialisée de la préfecture de police de l'aéroport de Roissy, votre rapporteur a pu constater la forte mobilisation des boers autour de cette problématique. Constituée de 80 fonctionnaires depuis 2015, cette police spécialisée est chargée, sur le ressort de la préfecture de police de Paris, de relever les infractions à la réglementation spécifique du transport public particulier de personnes.
Depuis 2014, le nombre d'infractions constatées a augmenté, toutes infractions confondues, chaque année de près de 25 % :
Évolution du nombre des infractions constatées par les boers dans le ressort de la préfecture de police de Paris
Neuf premiers mois 2014 |
Neuf premiers mois 2015 |
Neuf premiers mois 2016 |
|
Taxis |
1 351 |
1 153 |
1 094 |
Taxis communaux |
46 |
14 |
58 |
VTC |
502 |
919 |
651 |
Services occasionnels soumis au régime de la loi Loti |
763 |
1355 |
2640 |
Véhicules motorisés à deux ou trois roues (VMDTR) |
151 |
144 |
106 |
Divers et intermédiaires |
64 |
134 |
84 |
Travail illégal |
451 |
840 |
520 |
dont exercice illégal de l'activité de taxi |
227 |
543 |
190 |
Autres délits et contraventions |
1 258 |
1 217 |
1 958 |
Total |
4 586 |
5 776 |
7 111 |
Source : préfecture de police - direction de l'ordre public et de la circulation.
Mais ces efforts soutenus, qui doivent être salués, n'empêchent pas la poursuite de comportements illégaux, que votre rapporteur a pu observer sur le terrain. Cette situation explique le mécontentement exprimé par une partie des acteurs du secteur.
2. Le détournement massif du régime de la loi d'orientation des transports intérieurs (Loti)
L'encadrement de l'activité de VTC par la loi du 1 er octobre 2014 a conduit de nombreux acteurs à avoir recours à un autre dispositif législatif, beaucoup plus souple : celui des services occasionnels régis par la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982.
Celui-ci autorise les entreprises de transport collectif à transporter, sur réservation préalable, un groupe de personnes, ce dont doit attester un billet collectif. Mais en pratique, ce statut est souvent détourné par des entreprises qui ne transportent, en fait, qu'une seule personne.
Ce régime est moins contraignant que celui des taxis et des VTC, tant sur le plan des exigences requises pour devenir conducteur que des critères imposés aux véhicules.
Si le statut d'exploitant d'une entreprise régie par la loi Loti nécessite de répondre à plusieurs conditions d'honorabilité, d'établissement, de capacité professionnelle et de capacité financière, les conducteurs qu'elle recrute doivent seulement détenir le permis B et une attestation médicale.
À l'inverse, les conducteurs de voitures de transport avec chauffeur doivent avoir réussi un examen théorique sous la forme d'un questionnaire à choix multiples ou justifier d'une expérience professionnelle d'un an et suivre, tous les cinq ans, une formation continue. Les conducteurs de taxi doivent réussir, quant à eux, un examen théorique et pratique, et sont également soumis à une obligation de formation continue.
Les taxis comme les voitures de transport avec chauffeur doivent répondre à un certain nombre de caractéristiques. Les taxis doivent disposer de l'ensemble des équipements spéciaux tels que le compteur horokilométrique, le lumineux, la plaque avec le numéro de la licence, le terminal de paiement électronique, etc. ; pour les VTC, le véhicule doit être âgé de moins de six ans et répondre à des critères de taille et de puissance. Les véhicules utilisés dans le cadre des services occasionnels régis par la loi Loti ne sont pas soumis à ces exigences.
En conséquence, de nombreux acteurs se sont lancés dans le transport de personnes sur réservation en ayant recours à ce régime, sans toujours respecter l'obligation de transporter au minimum deux personnes. Certaines plateformes de réservation sont soupçonnées d'avoir favorisé ce phénomène.
Les chiffres du transport de personnes à titre
onéreux
Au 1 er juillet 2015, on dénombrait 59 666 autorisations de stationnement, dont 21 884 concernaient l'Ile-de-France, et 19 328 spécifiquement Paris. Au 26 septembre 2016, 12 714 exploitants de VTC sont inscrits au registre des VTC. Ils représentent environ 14 000 conducteurs et un nombre équivalent de véhicules. 9 563 exploitants ont leur siège implanté en Ile-de-France (ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils exercent leur activité sur ce territoire). Le décompte des services occasionnels régis par la loi Loti est moins évident, comme l'a expliqué le rapport des inspections générales sur l'application de la loi Thévenoud. Seules des données correspondant aux entreprises, et non aux véhicules ou aux conducteurs, sont en effet recensées. Par ailleurs, les entreprises régies par la loi Loti ont vocation à effectuer des services réguliers et occasionnels, et le registre auquel elles s'inscrivent pour obtenir une licence ne distingue donc pas ces deux types d'activité. Tout véhicule de ces entreprises doit détenir une copie conforme de la licence, fournie par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, mais le nombre de ces copies conformes, qui dépend de la capacité financière de l'entreprise, ne correspond pas nécessairement au nombre de véhicules mis en circulation. Fin juin 2016, on dénombre plus de 37 000 entreprises transportant des voyageurs dans des véhicules de moins de dix places inscrites au registre correspondant au régime de la loi Loti. Parmi elles, un peu plus de 16 000 sont inscrites sous un régime dérogatoire, limitant la possibilité d'avoir recours à ce régime à un seul véhicule. Ce régime dérogatoire correspond majoritairement aux inscriptions des taxis à ce registre. 11 173 entreprises sont inscrites pour exercer sous le régime de droit commun, dont 5 931 sont implantées en Ile-de-France. Au total, environ 90 000 copies conformes de licences valides ont été recensées, dont 16 000 correspondent au régime dérogatoire. Source : Rapport sur l'application de la loi n° 2014-1104 du 1 er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, novembre 2015 et direction générale des infrastructures, des transports et de la mer. |
Évolution du nombre d'entreprises régies
par la loi Loti
et d'exploitants de VTC depuis 2011
Source : direction générale des infrastructures, des transports et de la mer.
NB Le régime dérogatoire limite à un seul véhicule la possibilité d'effectuer des services régis par la loi Loti, et correspond majoritairement à l'inscription de taxis au registre « Loti ». Le régime de droit commun permet à une entreprise de faire circuler plusieurs véhicules, avec des copies conformes de la licence.
Pour répondre à ces nombreux détournements de la loi Loti, les boers ont intensifié leurs contrôles dans ce domaine, et le nombre d'infractions constatées relatives à ce type de transports a considérablement augmenté.
Typologie des infractions spécifiques au transport public particulier de personnes constatées par les boers dans le ressort de la préfecture de police de Paris depuis le début de l'année 2016
Données 2016 |
Nombre total d'infractions constatées |
Infractions commises par les VTC |
Infractions commises par les trans-porteurs régis par la loi Loti |
Infractions commises par les VMDTR |
Infractions commises par les taxis
|
Infractions taxis parisiens |
Divers et inter-médiaires |
Stationnement/arrêt sur voie publique en quête de client |
402 |
122 |
243 |
25 |
12 |
||
Non inscription au registre |
69 |
69 |
NA |
NA |
NA |
||
Prise en charge sans réservation préalable |
63 |
17 |
24 |
16 |
6 |
||
Démarchage d'un client pour prise en charge |
71 |
18 |
22 |
26 |
5 |
||
Circulation sur la voie publique sans réservation préalable en quête de client |
68 |
22 |
41 |
2 |
3 |
||
Proposition vente ou offre de prise en charge sans réservation |
93 |
7 |
7 |
3 |
3 |
73 |
|
Stationnement en gare ou en aérogare avec une réservation mais pendant plus d'une heure |
9 |
1 |
2 |
2 |
4 |
||
Défaut de terminal de paiement électronique (pour les taxis) |
140 |
NA |
NA |
NA |
NA |
140 |
|
Exercice illégal de l'activité de taxi sans carte de stationnement |
190 |
ND |
ND |
ND |
ND |
ND |
ND |
Travail dissimulé |
330 |
ND |
ND |
ND |
ND |
ND |
ND |
Autres infractions |
162 |
65 |
19 |
10 |
68 |
Source : préfecture de police - direction de l'ordre public et de la circulation.
3. La nécessité d'une responsabilisation en amont des plateformes
La multiplication de comportements à la limite de la légalité, voire illégaux, de la part de certaines plateformes, est régulièrement dénoncée.
Outre le rôle supposé de certaines plateformes dans la multiplication des détournements au régime de la loi Loti, certaines d'entre elles ont délibérément organisé la mise en relation de clients et de conducteurs non professionnels pour la réalisation de prestations présentées comme des prestations de covoiturage, alors qu'il s'agissait bien de prestations effectuées à titre onéreux. Cela a notamment été le cas du service UberPop.
La loi Thévenoud a prévu une peine de deux ans d'emprisonnement et une amende de 300 000 euros pour punir ce type d'agissement, ces peines pouvant être aggravées pour une personne morale. Mais ce dispositif répressif n'a pas permis d'enrayer rapidement le développement du service UberPop, puisqu'il a fallu plus d'un an et demi pour que ses responsables y mettent fin, avant la fin de la procédure judiciaire. Cette lenteur de la procédure judiciaire rend aujourd'hui nécessaire de responsabiliser davantage les plateformes en amont.
En parallèle, la situation de dépendance des conducteurs vis-à-vis de certaines plateformes ou centrales de réservation, quelle que soit l'activité pratiquée (taxi ou VTC) appelle, elle aussi, des évolutions législatives.