II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : REDONNER DE LA LISIBILITÉ ET DE LA PRÉVISIBILITÉ AUX RÈGLES DE LA PRESCRIPTION SANS ENGENDRER UNE IMPRESCRIPTIBILITÉ DE FAIT
Le texte élaboré par votre commission prévoit un allongement des délais de prescription en matière pénale et un encadrement des règles relatives à leur computation afin d'éviter de créer de nouvelles imprescriptibilités, de droit ou de fait.
A. ACCEPTER L'ALLONGEMENT DES DÉLAIS DE DROIT COMMUN DE LA PRESCRIPTION MAIS REFUSER LA CRÉATION D'UNE NOUVELLE IMPRESCRIPTIBILITÉ DE DROIT
Sans remettre en cause le constat dressé par l'Assemblée nationale sur les attentes de la société, votre commission des lois tient néanmoins à rappeler la pertinence de la prescription .
Liant droit à l'oubli et efficacité de la réponse pénale, notre collègue M. François Pillet considérait ainsi, lors du premier examen de la proposition de loi 12 ( * ) , que « c'est porter deux fois atteinte à l'ordre public que de revenir sur une infraction au bout d'un certain temps ». Nos collègues Mme Cécile Cukierman, MM. Yves Détraigne et François Zocchetto rappelaient également l'ambivalence d'une argumentation fondée sur les techniques scientifiques : si l'évolution technologique permet d'obtenir des « preuves » de longues années après les faits, elle peut aussi justifier le raccourcissement des délais nécessaires pour rechercher l'auteur d'une infraction et établir sa culpabilité.
Observant que « le vrai fondement de la prescription, c'est la reconnaissance de la faillibilité de la justice », notre collègue M. Alain Richard soulignait que « plus on creuse l'écart entre le moment où les faits sont accomplis et celui où ils sont jugés, plus il y a de risques que la justice se trompe . »
La prescription se déduit en effet du droit à un procès équitable . Dans un arrêt du 22 octobre 1996 13 ( * ) , la Cour européenne des droits de l'homme soulignait ainsi les finalités des délais de prescription : « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actes, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des évènements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ».
La prescription, sanction de la « négligence » des autorités de poursuite, traduit également le droit à être jugé dans un délai raisonnable . Ainsi la prescription incite à l'action et à la mise en état des procédures. Si certains pays, à l'instar du Royaume-Uni, postulent un principe général d'imprescriptibilité, les juges peuvent néanmoins mettre un terme à des procédures, sur le fondement de l'abus de procédure (« abuse of process »), lorsque de longs délais ne permettent plus de garantir un procès équitable 14 ( * ) .
Pour autant, le rapport d'information précité de notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest, et de nos collègues MM. Hugues Portelli et Richard Yung relevait que les délais de prescription « apparaissent aujourd'hui excessivement courts » 15 ( * ) , notamment au regard de ceux retenus par nos voisins au sein de l'Union européenne, et proposait de fixer le délai de droit commun de la prescription de l'action publique à cinq ans en matière délictuelle et quinze ans en matière criminelle.
Votre commission a estimé raisonnable et compatible avec ces fondements de doubler les délais de droit commun de prescription de l'action publique en matière délictuelle et criminelle, tout en étant attentive à éviter tout risque d'imprescriptibilité de fait.
Elle ne sous-estime pas les effets indirects de cette réforme, qui risque de décevoir, en premier lieu, les attentes des victimes. Une affaire, même criminelle, dénoncée trop tardivement ne serait plus prescrite mais risquerait d'aboutir à un non-lieu, pour défaut d'éléments à charge suffisants.
De plus, l'allongement des délais de prescription est susceptible de redonner toute son importance au principe de l'opportunité des poursuites du ministère public. L'accroissement du nombre des affaires en cours pourrait inciter le ministère public à définir plus précisément les priorités de l'action publique, puisqu'il serait illusoire d'espérer, en particulier au regard des moyens des juridictions, la poursuite effective de l'ensemble des infractions.
Votre commission a également approuvé l'allongement, de cinq à six ans, du délai de prescription des peines prononcées pour un délit .
En revanche, à l'instar de la mission d'information de 2007 qui recommandait de « conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée aux crimes contre l'humanité » 16 ( * ) , elle a supprimé les dispositions prévoyant l'imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l'humanité.
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Le
compte rendu est disponible à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160523/lois.html#toc7
* 13 CEDH, 22 octobre 1996, Stubbings et autres c/ Royaume-Uni, n° 22083/93 - 22095/93.
* 14 Étude de législation comparée n° LC 270 précitée « Les actes interruptifs de la prescription », pages 33-34.
* 15 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) précité, page 40.
* 16 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) précité, page 39 (consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-338-notice.html)