N° 628

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 mai 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l' accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 ,

Par M. Christian CAMBON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Nathalie Goulet, Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mme Leila Aïchi , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall, Bernard Vera .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3719 , 3733 , 3743 et T.A. 729

Sénat :

614 et 629 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'année 2015 a été marquée par une prise de conscience, au niveau mondial, de la réalité du changement climatique, de ses conséquences déjà observables et de ses coûts humains et économiques potentiels. Cette prise de conscience de la communauté internationale, accompagnée par une forte mobilisation de la société civile, a permis l'adoption de l'accord de Paris du 12 décembre 2015, signé à New-York le 22 avril 2016.

En application de l'article 53 de la Constitution, le Sénat est saisi du projet de loi autorisant la ratification de cet accord, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 17 mai 2016, après engagement de la procédure accélérée.

L'accord de Paris était indispensable.

Le consensus scientifique sur le changement climatique est sans ambiguïté, ainsi que l'a confirmé le cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat GIEC (2014).

Ce rapport constate que les années 1983 à 2012 ont été la période de trente ans la plus chaude qu'ait connu l'hémisphère nord depuis 1400 ans, les dix années les plus chaudes jamais enregistrées étant postérieures à 1998. Le niveau moyen des mers s'est accru de 19 cm entre 1901 et 2010. D'ici à 2100, la température pourrait augmenter de 5°C et le niveau de la mer pourrait croître encore de près d'un mètre. Ce réchauffement s'accompagne d'une augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes, avec de fortes disparités d'une région à l'autre du globe. Les régions littorales sont particulièrement vulnérables à ces évolutions, en raison de leur densité de population, de leur importance économique et stratégique, et de leur exposition accrue aux risques.

Le coût économique de l'inaction de la communauté internationale serait immense, de l'ordre de 5 % à 20 % du PIB mondial chaque année, comme l'a montré, dès 2006, le rapport Stern 1 ( * ) , qui a amené le débat sur le terrain économique, mettant en évidence l'intérêt d'une action coordonnée de la communauté internationale contre le réchauffement climatique. En revanche, les coûts de l'action, c'est-à-dire des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pourraient se limiter, d'après le même rapport, à environ 1 % du PIB mondial chaque année.

Votre commission a étudié les impacts des changements climatiques, en particulier l'élévation du niveau de la mer et l'évolution de la région arctique, sous l'angle géostratégique, dans un rapport récent de nos collègues Cédric Perrin, Leila Aïchi et Eliane Giraud 2 ( * ) . Ce rapport a souligné les risques induits par l'érosion côtière et la pénurie des ressources, qui constituent des facteurs d'instabilité au niveau international, et dont on ne saurait exclure qu'ils puissent contribuer à aggraver des tensions ou des conflits latents.

Le risque d'une accélération des migrations environnementales est particulièrement préoccupant. Selon le GIEC, une augmentation du niveau des mers de 50 cm (probable d'ici à la fin du siècle) forcerait 72 millions de personnes à se déplacer. L'Organisation internationale des migrations (OIM) estime que le nombre de déplacés environnementaux pourrait atteindre 200 millions d'ici à 2050.

Pour répondre à ces défis majeurs, le rapport précité de votre commission a proposé des orientations dans le sens d'une meilleure anticipation des risques et de mesures d'adaptation renforcées. La première de ces propositions appelait à la conclusion d'un accord ambitieux et contraignant, lors de la 21 e Conférence de la convention des Nations unies sur le Changement climatique (CNUCC) en décembre 2015 à Paris.

Votre commission ne peut que saluer le succès obtenu par la diplomatie française, qui s'est très fortement mobilisée et a permis d'impliquer l'opinion, très en amont de la COP 21, marquant ainsi probablement un tournant pour la communauté internationale. Signé par 175 États, l'accord de Paris constitue un indéniable succès du multilatéralisme, ayant réuni le plus grand nombre de signatures d'un accord international dans l'Histoire. Il doit se lire conjointement avec la décision 1/CP.21 sur l'adoption de l'accord de Paris, qui le précise. En outre, cet accord est accompagné de 187 contributions nationales, qui doivent permettre d'accomplir une partie du chemin vers les objectifs ambitieux de l'accord : contenir l'élévation moyenne de température à 1,5°C et, en tout état de cause, nettement en dessous de 2°C.

L'accord entrera en vigueur dans un délai de trente jours lorsque 55 pays, représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l'auront ratifié. Il n'engage les États qu'à compter de 2020 mais une entrée en vigueur rapide est néanmoins souhaitable, afin d'entrer de plain-pied dans la phase d'action renforcée pré-2020, indispensable à l'enclenchement des trajectoires voulues par l'accord.

Le succès diplomatique de la COP 21 a pour contrepartie un faible degré de contrainte juridique, ceci notamment pour permettre la ratification de l'accord par les États-Unis sans examen par le Sénat américain. L'accord a donc privilégié l'institution d'obligations de moyens plutôt que d'obligations de résultats. Il constitue malgré tout un engagement politique fort et quasi-unanime de la communauté internationale, ce qui n'était, certes, pas gagné d'avance.

Mais au-delà des bonnes intentions, tout reste à faire.

Les contributions nationales déposées par les États conduisent, en effet, encore, en l'état actuel, à un réchauffement de l'ordre de 3,5°C, ce qui est loin de l'objectif affiché par l'accord. Celui-ci a, au demeurant, éludé de nombreuses questions qui auraient pu le faire échouer en divisant les États Parties.

Parmi ces questions éludées figurent notamment la place des énergies fossiles, les émissions des transports aériens et maritimes, l'instauration d'un prix du carbone, la protection des océans ou encore celle de zones particulièrement fragiles telles que les pôles.

Chaque État doit désormais travailler à mettre en oeuvre l'accord de Paris, en commençant par le ratifier. Or, plusieurs signaux d'alerte sont préoccupants.

D'une part, le processus de ratification de l'accord au niveau européen est ralenti par les négociations entre États membres, pour la mise en oeuvre du « paquet énergie climat 2030 ». L'Union européenne a un rôle essentiel à jouer pour maintenir la dynamique issue de l'accord de Paris.

D'autre part, le 9 février 2016, la Cour suprême des États-Unis a suspendu l'application des mesures prises par le « Clean power plan » de l'Agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA), régulant les émissions de gaz à effet de serre des centrales à charbon.

Enfin, le 4 mars 2016, le nouveau Premier ministre canadien a repoussé de six mois la décision sur les mécanismes à mettre en place pour que le Canada respecte les engagements pris à Paris, faute de consensus entre le gouvernement fédéral et les provinces.

La tâche à accomplir reste immense. Elle nécessite la mobilisation de tous pour perpétuer la dynamique de l'accord de Paris et rendre possible son entrée en vigueur dans les meilleurs délais.

C'est pourquoi votre commission a adopté le présent projet de loi.

I. UN ACCORD QUI TRADUIT UNE NOUVELLE DYNAMIQUE INTERNATIONALE EN FAVEUR DU CLIMAT

La bonne compréhension des enjeux de l'accord de Paris nécessite un retour sur l'historique des négociations climatiques, depuis la conclusion de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 1992.

A. UN ACCORD QUI N'ÉTAIT PAS GAGNÉ D'AVANCE

1. Des négociations climatiques paralysées depuis plusieurs années

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a été adoptée en 1992 au sommet de Rio de Janeiro. Elle est entrée en vigueur le 21 mars 1994 et a été ratifiée par 196 État parties . L'Union européenne est elle-même Partie à la Convention, en plus de ses 28 États membres. Son objectif est de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'origine humaine dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute interférence dangereuse sur le climat.

La Conférence des Parties (COP) est l'organe suprême politique de la Convention. Elle se réunit chaque année pour faire le point sur l'application de la Convention et négocier de nouveaux engagements. Elle prend ses décisions à l'unanimité ou par consensus. La Conférence des Parties est couplée depuis 2005, année d'entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, à la conférence annuelle des Parties au Protocole de Kyoto (CMP 3 ( * ) ).

Le Protocole de Kyoto a été adopté le 11 décembre 1997 par la COP 3 réunie au Japon. Il est entré en vigueur le 16 février 2005 et a été ratifié par 192 Parties. Les États-Unis ne l'ont pas ratifié. Il s'agit du premier accord international comportant des objectifs individuels, légalement contraignants , de réduction ou de limitation des émissions de gaz à effet de serre. Adopté sur la base du deuxième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), il comporte, pour la période 2008-2012, un objectif global de réduction du total des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 5 % par rapport à l'année 1990 pour les pays développés (ceux qui figurent à l'annexe I de la Convention) et des engagements chiffrés plus contraignants pour les pays développés qui les ont acceptés. L'Europe des 15 s'est alors engagée à réduire de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre sur cette période. Le protocole de Kyoto prévoit des mécanismes de marché pour assurer la flexibilité du système. Trois mécanismes sont prévus : les permis d'émissions, le mécanisme de développement propre et la mise en oeuvre conjointe.

La COP 15 , qui s'est déroulée à Copenhague en 2009 , avait pour ambition de trouver un instrument juridique, contraignant et universel, pour succéder au Protocole de Kyoto. Cet objectif n'a, alors, pas été atteint. La conférence a marqué un recul, dans la mesure où elle a vu s'imposer une logique d'engagements volontaires individuels non juridiquement contraignants.

En 2011, la conférence de Durban (COP 17) est parvenue à un accord garantissant la poursuite du protocole de Kyoto et prévoyant la conclusion, au plus tard en 2015, d'un accord mondial sur les changements climatiques, qui entrerait en vigueur en 2020.

La conférence de Doha (COP 18) a, par la suite, validé le principe d'une deuxième période d'engagement. L'amendement dit de Doha au Protocole de Kyoto 4 ( * ) , adopté le 8 décembre 2012, engage les pays qui l'ont ratifié pour la période qui court du 1 er janvier 2013 au 31 décembre 2020. L'Union européenne, qui a dépassé l'objectif qui lui était fixé dans la première période du protocole de Kyoto, s'est engagée à réduire ses émissions de 20 % par rapport à 1990, ce qui correspond aux objectifs définis dans le Paquet Énergie-Climat 2020 5 ( * ) .

Plusieurs pays ont toutefois choisi de se fixer des objectifs hors Protocole pour la période 2013-2020. Il s'agit notamment du Canada , du Japon , de la Nouvelle-Zélande et de la Russie . Le Canada s'est retiré officiellement du protocole de Kyoto en décembre 2011. Le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Russie restent membres du Protocole, mais ne s'engagent pas sur la seconde période. Par ailleurs, les États-Unis n'ont jamais ratifié le protocole de Kyoto.

La deuxième période d'engagement du Protocole, qui a débuté en 2013, ne couvre qu'un peu plus de 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) 6 ( * ) .

Le processus d'élaboration de l'accord mondial sur le climat adopté le 12 décembre 2015, lors de la COP 21 de Paris, a été lancé par le Sommet sur le climat, organisé par le Secrétaire général des Nations unies, à New York, le 23 septembre 2014. En décembre 2014, la France s'était déjà fortement mobilisée pour la COP 20 de Lima, qui a constitué une étape déterminante pour aboutir à un accord à Paris.

2. Des objectifs très ambitieux

Chaque année, la Conférence des Parties se déroule par rotation dans un des pays des cinq groupes régionaux de l'ONU . Le choix du pays hôte se fait au sein de chaque groupe. En avril 2013, la candidature de la France a été endossée par le « Groupe des États d'Europe occidentale et autres ».

En novembre 2013 , à l'occasion de la COP 19 (Varsovie), au cours de laquelle un accord sur le financement de la lutte contre le changement climatique a été conclu, la France a été désignée présidente de la conférence de 2015 .

Il a alors été décidé que tous les États devraient communiquer leurs « Intended nationally determined contributions » (INDC) ou « contributions prévues déterminées au niveau national » en matière de réduction d'émissions avant la Conférence de Paris, afin qu'elles puissent être évaluées.

La Conférence dite « Paris Climat 2015 », ou COP21/CMP11, s'était donné un objectif très ambitieux : aboutir à l'adoption d'un premier accord universel, juridiquement contraignant, dans l'objectif de maintenir la température globale en deçà de 2°C . La France s'était également fixé pour objectif que l'accord de Paris permette des avancées sur le financement de la lutte contre le dérèglement climatique et que cette lutte soit moins envisagée comme un « fardeau » à partager que comme une opportunité de création d'emplois et de richesses. À ce titre, les initiatives sectorielles des différentes composantes de la société civile et du monde de l'entreprise (« agenda des solutions ») viennent compléter les engagements des États afin de les concrétiser.

Cet accord prend le relais du protocole de Kyoto, à compter de 2020 , tout en incluant les États-Unis et les grands États émergents dans la lutte contre les changements climatiques, ce qui représente en soi un succès majeur.


* 1 Stern Review on Economics of Climate Change, Lord Nicholas Stern (octobre 2006).

* 2 Rapport d'information de M. Cédric PERRIN, Mmes Leila AÏCHI et Éliane GIRAUD, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 14 (2015-2016) - 6 octobre 2015.

* 3 Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Kyoto Protocol (CMP).

* 4 Rapport n° 168 (2014-2015) de Mme Leila AÏCHI, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 10 décembre 2014.

* 5 Le 24 octobre 2014, le Conseil européen a conclu un accord visant, à l'horizon 2030, à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer de 27 % l'efficacité énergétique et à avoir une part d'énergie renouvelable d'au moins 27 %.

* 6 Outre l'Union européenne et ses 28 États membres, seuls l'Australie, la Biélorussie, l'Islande, le Kazakhstan, le Lichtenstein, Monaco, la Norvège, la Suisse et l'Ukraine ont pris des engagements chiffrés pour la deuxième période dans le cadre de l'amendement de Doha.

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