B. 25 ARTICLES TRADUISENT DES DÉSACCORDS SUSCEPTIBLES DE PROLONGER LA NAVETTE
1. Les principes généraux relatifs à la politique en faveur de la création artistique
Les premiers articles portent une dimension politique particulière ; il n'est pas étonnant qu'ils servent, au moins pour partie, de « marqueurs » au projet de loi. Pour autant, si les différences restent fortes, des rapprochements ont été opérés par l'Assemblée nationale qu'il convient de prolonger en deuxième lecture au Sénat.
À l'article 1 er bis relatif à la liberté de la diffusion de la création artistique un désaccord subsiste, l'Assemblée ayant supprimé la seconde phrase de l'article au motif que cette liberté devait s'exercer dans le respect des principes encadrant la liberté d'expression et conformément aux règles relatives aux droits d'auteur. Votre commission a rétabli la rédaction du Sénat de première lecture.
À l'article 2 , l'Assemblée nationale a conservé deux apports importants du Sénat qui font figurer parmi les objectifs de la politique en faveur de la création artistique le principe de transparence dans l'octroi des subventions publiques et une évaluation régulière des actions menées, ainsi que la nécessité d'encourager les actions de mécénat des particuliers et des entreprises. Pour autant, votre commission ne peut qu' être défavorable à la réaffirmation par l'Assemblée nationale du caractère de « service public » de cette politique qui ignore la diversité des acteurs intervenant dans cette politique. Elle a donc rétabli le texte adopté au Sénat pour le premier alinéa de cet article.
L'article 3 relatif à la labellisation des structures locales qui interviennent dans les domaines du spectacle vivant ou des arts plastiques constitue une autre pierre d'achoppement puisque l'Assemblée nationale a rétabli le principe d'un agrément du ministère de la culture aux nominations des dirigeants. Afin de favoriser un rapprochement des points de vue, votre commission a souhaité limiter cet agrément aux cas des structures financées principalement par l'État . Le retrait du label, expressément prévu par la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale, doit rester le mode de recours privilégié du ministère au non-respect par la structure considérée des obligations attachées au label.
L'Assemblée nationale a, également, rétabli l' article 3 bis qui prévoit un rapport au Parlement sur la mise en place d'un dispositif de « 1% travaux publics ». Votre commission a, à nouveau, supprimé cette disposition estimant qu'il était préférable de compléter l'article 2 du projet de loi pour y faire figurer la nécessité de mettre en valeur les oeuvres dans l'espace public par des dispositifs de soutien adaptés.
2. Les industries culturelles et la propriété intellectuelle
Les blocages se concentrent sur onze articles en ce qui concerne le volet du projet de loi portant sur la propriété intellectuelle et les industries culturelles.
Ainsi, l'Assemblée nationale a rétabli, sous une forme légèrement modifiée, l' article 4 B prévoyant un rapport sur l'amélioration du partage et de la transparence des rémunérations dans le secteur du livre. Compte tenu de son opposition traditionnelle aux demandes de rapports au Parlement, votre commission a supprimé à nouveau cet article .
À l' article 5 sur la protection contractuelle des artistes-interprètes, les députés sont revenus sur la distinction souhaitée par le Sénat entre les musiciens et les artistes-interprètes principaux et ont introduit, à l'initiative du Gouvernement, une disposition visant à interdire les cessions de créances entre producteurs et artistes. Votre commission est défavorable à ces deux dispositions .
À l' article 6 bis relatif à l'application du régime de la licence légale aux services radiophoniques diffusés sur Internet a été rétabli. Cette fois, votre commission a proposé une solution de compromis en maintenant, sous réserve de mieux l'encadrer, la disposition.
À l' article 7 bis AA relatif aux enregistreurs personnels vidéo en réseau (nPVR), votre commission a souhaité prévoir la nécessité d'un accord professionnel afin de fixer les modalités d'application de cette fonctionnalité. À défaut d'un accord d'ici le 1 er janvier 2017, le Gouvernement prendrait un décret en Conseil d'État.
À l' article 7 bis sur la participation de trois représentants des ministres chargés de la culture, de l'industrie et de la consommation, les députés ont rétabli leur rédaction de première lecture s'agissant de la composition du pôle public, limité l'obligation de déclaration d'intérêts au seul président et supprimé l'obligation de publier le règlement au Journal officiel . Convaincue de l'importance, pour la crédibilité même de la commission de la copie privée, des mesures de transparence et d'indépendance qu'elle avait promus, votre commission les a rétablies.
À l' article 7 ter relatif au financement des études d'usage, le raisonnement de votre commission a été identique devant la suppression, par les députés, de l'agrément de Copie France, comme de la mission confiée par le Sénat à la Hadopi pour la réalisation des études d'usage sur la base de cahiers des charges.
L' article 7 quater AA portant élargissement des missions de la Hadopi aux études d'usage a été supprimé. Par cohérence avec sa position sur l'article 7 ter , votre commission l'a rétabli .
L'Assemblée nationale a également supprimé l'article 10 quater relatif à la rémunération des plasticiens et des photographes dont les oeuvres sont reproduites par les services automatisés de référencement d'images sans autorisation. Votre commission ne partage pas les arguments mis en avant par l'Assemblée nationale pour justifier sa suppression et a jugé son rétablissement indispensable au regard de la situation de plus en plus précaire dans laquelle se retrouvent ces artistes, pour lesquels les défis liés au développement du numérique n'ont jusqu'ici jamais été pris en compte par le législateur.
L'Assemblée nationale a rétabli l' article 11 bis relatif au contrôle du respect, par le CSA, des quotas de chansons francophones dans les radios dans sa version issue de ses travaux de première lecture, qui ne semble pas opportune à votre commission au regard de l'indépendance du régulateur .
Les députés ont complété l' article 11 ter sur la diversité des titres francophones diffusés au titre des quotas radiophoniques par de nouvelles règles fort complexes applicables auxdits quotas en vue de les assouplir, soit un objectif inverse à celui affiché par la version initiale de l'article. Votre commission a jugé préférable de s'en tenir à la rédaction qu'elle avait adopté en première lecture.
Enfin, l' article 28 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour modifier et compléter le code du cinéma et de l'image animée a été rétabli. En l'absence d'informations plus précises sur le projet d'ordonnance, votre commission a supprimé à nouveau l'article.
3. Les conservatoires
L'article 17 A relatif aux conservatoires a été l'objet, durant ces deux lectures parlementaires, d'un désaccord marqué entre les deux assemblées, chacune rétablissant, peu ou prou, sa rédaction initiale. Votre commission a été particulièrement ferme sur son souhait que la région soit clairement désignée comme « chef de file » sur la compétence « enseignements artistiques » , estimant que ce n'était qu'à ce niveau territorial qu'une organisation rationnelle des structures d'enseignement pouvait être établie, entre conservatoires à rayonnement communal, départemental et régional.
Le corollaire devrait être le transfert à la région des crédits de l'État , tel qu'initialement voté en 2004 par le Parlement. Votre commission considère de surcroît que, même si la région n'était pas érigée en chef de file sur les enseignements artistiques, sa participation financière aux classes préparatoires prévues dans le présent article, justifie un transfert de crédits en provenance du budget de l'État.
4. L'archéologie préventive
En dépit des annonces faites par la nouvelle ministre lors du débat en séance publique sur la volonté du Gouvernement de rapprocher les points de vue, le texte adopté par l'Assemblée nationale reprend dans leur grande majorité les dispositions rejetées par le Sénat en première lecture .
A l'article 20, la régulation économique par l'Etat du service public de l'archéologie préventive, la maîtrise d'ouvrage scientifique accordée à l'Etat sur les opérations d'archéologie préventive, l'obligation de convention entre les collectivités territoriales et l'Etat pour obtenir l'habilitation des services archéologiques des collectivités territoriales, ainsi que la limitation géographique des compétences desdits services, l'envoi de toutes les offres auprès des services régionaux d'archéologie et l'évaluation par ces derniers de leur volet technique, le monopole de l'INRAP sur les fouilles sous-marines, le refus de laisser plus de temps aux collectivités territoriales pour décider de se saisir ou non d'effectuer les diagnostics sont autant de sujets de désaccord entre les deux assemblées.
5. Le patrimoine
Votre commission a regretté que les modifications apportées par les députés au dispositif destiné à renforcer l' encadrement des cessions de monuments historiques appartenant à l'État , prévu à l' article 24 bis , lui aient fait perdre une grande partie de sa portée. Sans aller jusqu'à rétablir l'accord du ministre chargé de la culture sur les projets d'aliénation d'un immeuble classé ou inscrit, elle a réaffirmé la nécessité que la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture puisse, à tout le moins, se prononcer sur ces projets. L'Assemblée nationale ayant rejeté un amendement en ce sens présenté lors de la deuxième lecture, il pourrait s'agir d'une ligne de fracture entre les deux assemblées.
Un renvoi aux dispositions prévues à l'article 24 bis étant opéré à l' article 23 du projet de loi, relatif aux missions de la commission nationale et des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture et à la protection des biens français inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, la rédaction de cet article pourrait continuer à soulever des difficultés dans la suite des discussions entre les deux assemblées. À cet égard, il convient de souligner que des divergences persistent également concernant l'implication des collectivités territoriales dans le mécanisme de protection des biens classés au titre de l'UNESCO .
S'agissant de l' article 24 , des incertitudes demeurent quant à l'accueil que réserveront les députés aux modifications de fond introduites par votre commission, en particulier le rétablissement du principe de la création obligatoire d'une commission locale sur le périmètre d'un site patrimonial remarquable, supprimé par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, ainsi que le maintien du caractère inconstructibles des parties de domaines nationaux cédés par un établissement public de l'État à une collectivité territoriale . La consultation des communes sur le périmètre intelligent des abords lorsque la compétence en matière d'urbanisme relève de l'échelon intercommunal, comme la faculté offerte à la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture d'émettre des recommandations sur l'évolution du document de protection, qui paraissent toutes deux des modifications de bon sens, pourraient ne pas susciter l'opposition des députés.
Votre commission a jugé indispensable de rétablir l' article 33 bis A , supprimé par les députés en deuxième lecture, pour soumettre à l' autorisation de l'architecte des Bâtiments de France tout projet d'implantation d'éoliennes situé dans un rayon de dix kilomètres autour d'un monument historique et en covisibilité avec celui-ci, d'un site patrimonial remarquable ou d'un bien inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Une solution intermédiaire, supprimant ce régime d'autorisation au profit d'un simple avis émis par une instance qualifiée dans le domaine du patrimoine, ne lui paraît pas à ce stade envisageable, tant elle n'apporterait aucune garantie en termes de protection du patrimoine.
6. L'architecture
Des différends substantiels entre les deux assemblées demeurent sur quatre articles .
L'Assemblée nationale a rétabli l'article 26 bis relatif aux modalités de mise en oeuvre du dispositif du « 1 % artistique » par les collectivités territoriales . Les réserves formulées en première lecture par votre commission, à savoir que les dispositions de cet article sont dépourvues de caractère normatif et de nature réglementaire, n'étant pas levées, votre commission l'a de nouveau supprimé.
À l' article 26 quater , relatif à la réalisation du projet architectural, paysager et environnemental de la demande de permis d'aménager un lotissement , un désaccord profond subsiste entre les deux assemblées sur le caractère obligatoire du recours à l'architecte , rétabli par l'Assemblée nationale. En première lecture, le Sénat avait préféré élargir ce recours à l'ensemble des professionnels de l'aménagement et du cadre de vie, dont la liste serait fixée par décret. Votre commission a estimé préférable de revenir à la rédaction adoptée par le Sénat , considérant que celle-ci est plus équilibrée et offre les meilleures garanties d'amélioration de la qualité des lotissements. Soucieuse que cette qualité concerne l'ensemble des lotissements, votre commission a supprimé le seuil dérogatoire , adopté en première lecture par le Sénat et maintenu par l'Assemblée nationale.
Il en va de même pour l' article 26 sexies , relatif au concours d'architecture , rétabli par les députés. Votre commission l'avait supprimé en première lecture, du fait de la visée essentiellement déclarative et symbolique de ses dispositions, ainsi que de l'incompatibilité avec les règles européennes en matière d'anonymat de la phase de dialogue entre les candidats et le jury avant l'examen et le classement des projets par ce dernier. Dans un souci de conciliation et malgré l'absence de normativité de certaines de ses dispositions, votre commission a maintenu cet article, en le modifiant néanmoins sur deux points . En premier lieu, votre commission a précisé que la phase de dialogue ne pouvait avoir lieu qu'après l'examen et le classement des projets par le jury . Enfin, votre commission a supprimé le dernier alinéa , dans un souci de conformité avec la réforme des marchés publics en cours.
Tirant les conséquences d'un désaccord persistant, votre commission a également supprimé l'article 26 duodecies , qui vise à encourager le recours à l'architecte en permettant aux collectivités volontaires de déroger aux conditions et délais d'instruction des permis de construire établis par un architecte en-deçà du seuil dérogatoire. En ce qu'il permet aux collectivités territoriales de déroger aux conditions pour la présentation et l'instruction des demandes de permis de construire, votre commission a estimé que cet article présentait des risques juridiques non négligeables.
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Au bénéfice de ces observations, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a adopté 63 amendements au cours de ses réunions des 10 et 11 mai 2016, puis le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine ainsi modifié.