III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : ADOPTER LA PROPOSITION DE LOI EN AJUSTANT LES CONTOURS DE L'OBLIGATION MISE À LA CHARGE DE LA RESTAURATION COLLECTIVE
Réunie le 2 mars 2016, votre commission des affaires économiques a adopté la proposition de loi en y apportant certaines inflexions .
A. UNE OBLIGATION JURIDIQUE QUI NE POURRA ÊTRE ATTEINTE QUE PAR UNE MOBILISATION RÉELLE DES ACTEURS
Une enquête par sondage effectuée en janvier 2016 par l'institut IFOP 4 ( * ) fait apparaître que 76 % des personnes interrogées, représentatives de la population française, sont favorables au vote d'une loi qui imposerait l'introduction d'aliments issus de l'agriculture biologique, locaux et de saison dans la restauration collective publique. La mise en place d'une obligation juridique à l'égard des personnes publiques en charge de services de restauration collective est donc fortement souhaitée par nos concitoyens.
Cependant, certains, notamment lors des auditions conduites par votre rapporteur, ont émis des doutes sur la possibilité matérielle de mettre en oeuvre l'obligation prescrite à l'article 1 er .
Certes, prescrire une telle obligation de manière immédiate serait irréaliste ; mais votre rapporteur tient à souligner que la proposition de loi laisse justement un délai de plusieurs années afin de permettre aux acteurs concernés de s'organiser pour assurer son respect. Car c et objectif contraignant est réalisable si tous les acteurs s'en donnent les moyens .
Son respect impliquera néanmoins nécessairement un renouvellement de l'approche jusqu'ici retenue par la plupart des acteurs de la restauration collective . Et les projets alimentaires territoriaux , prévus à l'article L. 111-2-2 du code rural et de la pêche maritime, constituent les instruments juridiques idoines pour mettre en oeuvre cette nouvelle approche dans chaque territoire . Ces instruments contractuels permettent en effet de définir des actions opérationnelles, en mobilisant le cas échéant des fonds publics et privés, visant à répondre aux objectifs définis par les plans régionaux de l'agriculture durable qui s'étendront, par l'effet de la présente proposition de loi, à l'alimentation durable. Il est donc essentiel que ces projets soient élaborés au plus tôt.
1. Développer la formation des acteurs de la restauration collective
a) Mieux former les acheteurs publics
- Développer l'information juridique des gestionnaires de restauration collective en matière de marchés publics.
L'une des principales inquiétudes exprimées par les représentants des collectivités territoriales entendues par votre rapporteur tient à la difficulté, dans des services administratifs dotés d'un personnel très réduit, de disposer de gestionnaires ayant une connaissance suffisamment fine du droit de la commande publique. En particulier, l'Association des maires de France (AMF) a souligné les réalités locales, très hétérogènes, des besoins et des capacités d'ingénierie contractuelle des communes et intercommunalités pour élaborer des cahiers des charges et organiser des appels d'offres susceptibles de favoriser l'achat de produits du terroir et de produits locaux.
Votre rapporteur ne nie pas les moyens limités des petites communes ou intercommunalités pour définir des cahiers des charges au plus près du territoire dans le respect des contraintes du droit des marchés publics. Il estime néanmoins que, par un effort adapté de formation et d'information, les responsables des marchés publics locaux pourront posséder les compétences nécessaires pour garantir le respect de l'obligation mentionnée à l'article 1 er de la proposition de loi.
Dans ce cadre, il est essentiel que le ministère de l'agriculture, en lien avec le ministère de l'économie, définisse des instruments très pratiques pour la rédaction des marchés publics. Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants du ministère ont d'ailleurs indiqué qu'un tel instrument serait très prochainement disponible. En outre, l'offre de formation du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) doit être renforcée en matière de marchés publics afin que les potentialités de leurs règles soient pleinement mises à profit. Les collectivités, quant à elles, ne doivent pas hésiter à y recourir. Pour ce qui concerne les restaurants collectifs administratifs de l'État, le service des achats de l'État doit également renforcer la formation des gestionnaires.
- Mieux planifier les achats
Certains restaurants collectifs désireux de proposer aux convives des produits bio ou locaux formulent des demandes très ponctuelles portant sur de forts volumes. Faute de prévisibilité pour les producteurs, ces commandes ne peuvent être honorées, simplement parce que l'offre suffisante n'est pas disponible.
Il est donc essentiel d'inciter les gestionnaires de services de restauration à mieux planifier leurs achats sur une période pluriannuelle , afin de permettre aux producteurs de mettre en place les cultures ou les cheptels nécessaires pour satisfaire la demande. Un juste équilibre doit toutefois être trouvé, car lorsqu'une collectivité s'engage dans un marché public de longue durée sur un prix ferme, l'agriculteur ou l'éleveur doit pouvoir fournir les produits prévus sans pour autant vendre à perte. Aujourd'hui, les marchés publics sont conclus pour une période de trois à quatre ans. Cette durée semble suffisante pour que les acteurs puissent s'adapter au mieux pour les exécuter.
- Développer et rationaliser l'information sur l'offre locale
La connaissance de l'offre locale par les acheteurs publics est nécessaire pour que ceux-ci établissent leurs marchés d'approvisionnement en denrées alimentaires au vu des produits disponibles localement. Cette connaissance du terrain permettra ainsi de mieux calibrer les demandes et assurera une meilleure réponse aux appels d'offre.
Mais, dans ce cadre, il convient que les multiples sources d'informations déjà disponibles çà et là dans les territoires fassent l'objet d'une véritable mutualisation et mise en réseaux . C'est pourquoi, incontestablement, les missions dévolues par la proposition de loi à l'observatoire de l'alimentation ainsi qu'aux chambres régionales d'agriculture vont dans le bon sens.
- Prendre en compte davantage la saisonnalité des produits
Enfin, plus généralement, privilégier, dans les marchés publics, les produits de saison reste le moyen le plus efficace de rapprocher les repas servis dans les restaurants collectifs des territoires dans lesquels ils sont implantés. Il faut rappeler ainsi que le nécessaire équilibre nutritionnel d'un repas servi dans un restaurant collectif métropolitain n'implique pas la présence, en hiver, de tomates ou de fruits rouges...
b) Mieux former les personnels de cuisines collectives
Les auditions conduites par votre rapporteur ont fait apparaître que, bien souvent, les personnels de cuisine employés dans les services de restauration collective, qu'ils soient publics ou privés, ont perdu l'habitude de... cuisiner. Leur rôle peut se limiter à des opérations de simple réchauffage et de service, sans véritablement travailler les produits qui leurs sont livrés. De fait, une véritable compétence en matière de préparation des repas a été perdue avec le développement de l'utilisation de plats déjà transformés et livrés prêts à l'emploi.
Ainsi que l'a souligné lors de son audition M. Xavier Denamur, restaurateur engagé, il faut donc réapprendre aux cuisiniers à utiliser des produits bruts . Du reste, des associations se sont données pour mission de (re)former les personnels des restaurants collectifs au travail de ces produits, comme le collectif « Les pieds dans le plat », qui regroupe des cuisiniers et des diététiciens.
2. Développer les synergies
Ainsi qu'il ressort des auditions menées par votre rapporteur, l'approvisionnement des restaurants collectifs en produits locaux, issus de l'agriculture biologique ou sous mentions d'origine ou de qualité, n'implique pas nécessairement un surcoût pour les collectivités concernées.
D'une part, les légumes bio locaux, qui sont donc de saison, ne sont pas toujours plus chers que les légumes conventionnels provenant de grossistes. Et, compte tenu de leur meilleure tenue en cuisson ou lors de la préparation en cuisine, le volume d'achat est souvent plus réduit que pour des produits conventionnels.
D'autre part, l'achat de produits bios et de produits sous signe de qualité ou sous mention valorisante doit être regardé dans le contexte plus général de la préparation des repas en restauration collective. Ainsi, divers leviers peuvent être utilisés afin de faire baisser le coût global de la préparation des repas, qui permet ainsi d'envisager la mise en place à budget constant de l'obligation prévue par l'article 1 er de la proposition de loi. Il en est ainsi :
- de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Selon les indications recueillies lors des auditions, le volume moyen de déchets par repas en restauration scolaire avoisine 200 grammes, mais certains restaurants collectifs, par exemple à Lons-le-Saunier, ont réussi à réduire ce volume à 50 grammes, en offrant notamment des plats plus savoureux ;
- de la p romotion des produits en vrac , qui permet un approvisionnement moins coûteux parce qu'il n'a pas fait l'objet d'opérations d'emballage qui parfois renchérissent notablement le coût des produits ;
- de limiter la diversité des produits proposées , sans pour autant obérer la qualité nutritionnelle des repas ;
- d'adapter davantage les grammages et les menus . Sur ce dernier point, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont regretté le manque de souplesse induit par l'adoption par la quasi-totalité des acteurs de la restauration collective publique des recommandations du Groupement d'étude des marchés de restauration collective et nutrition (GEM-RCN). Ce groupe, placé sous l'égide de l'Observatoire de l'achat public au ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique, définit, en lien avec les objectifs de la politique nationale de l'alimentation, les meilleures pratiques en matière nutritionnelle dans les restaurants collectifs afin qu'elles soient prises en compte dans la rédaction des marchés publics.
Votre rapporteur estime qu'il est essentiel que les recommandations du GEM-RCN - notamment celles relatives au grammage - n'entravent pas le retour à un meilleur ancrage territorial de l'alimentation par des rigidités qui empêchent certaines substitutions de produits alimentaires de s'opérer, alors qu'elles ne sont pas de nature à remettre en cause la qualité nutritionnelle des repas . A cet égard, on doit se féliciter, par exemple, que la dernière version des recommandations, datant de septembre 2015, fasse désormais une meilleure place au recours à des légumineuses. Plus généralement, les recommandations du GEM-RCN doivent pleinement prendre en considération et faciliter la bonne réalisation de l'obligation prévue par l'article 1 er de la présente proposition de loi.
3. Jouer sur les complémentarités
L'approvisionnement des services de restauration collective fait intervenir de nombreux acteurs, à des stades différents. La bonne réalisation de l'obligation prescrite à l'article 1 er implique que ces différents acteurs jouent chacun de leurs complémentarités, pour stimuler l'offre en produits d'une alimentation plus durable, pour assurer son adéquation avec la demande, et pour permettre un fonctionnement efficient de la filière.
Cette nécessité est d'autant plus prégnante sur le plan logistique. Car la logistique du « dernier kilomètre » peut, dans certains territoires, s'avérer difficile à mettre en place pour assurer l'approvisionnement en temps, heure et qualité des produits issus des circuits courts ou de la proximité. Là encore, des initiatives complémentaires des acteurs doivent pouvoir se développer.
* 4 Étude réalisée du 4 au 7 janvier 2016 sur un échantillon représentatif de 1 006 personnes, pour le compte de l'association Agir pour l'environnement.