III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : RENFORCER LES OBJECTIFS INITIAUX DU TEXTE TOUT EN PRÉSERVANT LES POUVOIRS DU PARLEMENT

Votre commission a toujours été attentive à la simplification du droit et à l'allègement des normes imposées à l'ensemble des acteurs publics et privé, à l'occasion notamment de l'examen de nombreuses lois de simplification depuis une quinzaine d'années.

L'introduction au sein de notre Constitution de nouvelles règles contraignantes pour le législateur ne doit pas conduire à une négation du débat parlementaire mais à une meilleure appréciation de la pertinence et de l'utilité de toute nouvelle mesure qui pèserait sur les collectivités territoriales. Il s'agit pour le législateur de s'astreindre à plus de rigueur dans l'analyse des mesures qu'il adopte et leur mise en oeuvre par les collectivités territoriales.

Les dispositions proposées seraient contraignantes pour le seul législateur tandis qu'aucune règle n'encadrerait l'action des autres responsables de l'emballement normatif, telles que le pouvoir réglementaire dérivé ou autonome, les fédérations sportives ou encore les organismes publics ou privés émetteurs de normes de qualité. Par conséquent, la nouvelle démarche initiée par la proposition de loi constitutionnelle mériterait également de s'appliquer aux autres responsables de la production normative.

L'allègement normatif relève avant tout d'une volonté politique. Il ne s'agit donc pas, pour votre commission, de s'opposer à la lutte contre l'inflation normative, chantier indispensable pour la sécurité juridique et le dynamisme de nos territoires. Elle a toutefois estimé que la volonté légitime de lutter contre la prolifération des normes ne devait pas s'accompagner du sacrifice du débat parlementaire ni d'une restriction excessive de l'initiative parlementaire.

En outre, ainsi que l'avait relevé M. Jean-Luc Warsmann en 2008 29 ( * ) , « tout n'est pas simplifiable, la complexité étant inhérente au fonctionnement de notre société, le droit semble contraint d'en rendre compte [...] la norme cherchant toujours à mieux appréhender la réalité qui se présente à elle ». Et il avait indiqué que « la volonté de simplifier à tous crins conduit parfois à des «solutions qui n'apparaissent satisfaisantes que dans l'immédiat» ».

Toute politique de simplification doit répondre à une question simple : simplifier quoi, pour qui et dans quel but ? La simplification ne saurait être conduite au détriment d'autres objectifs d'intérêt général.

C'est à l'aune de ces réserves que votre commission, sur la proposition de son rapporteur, a adopté trois amendements qui visent à répondre aux questions soulevées par la rédaction initiale tout en conciliant objectif de lutte contre l'inflation normative et maintien de la libre appréciation du législateur et en poursuivant l'objectif des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle.

Ainsi, votre commission a adopté l' amendement COM-1 proposant une nouvelle rédaction de l'article 1 er . Il tend à insérer dans la Constitution un nouvel article 39-1 composé de deux alinéas.

Le premier alinéa soumettrait le législateur et le pouvoir réglementaire au respect des principes de simplification et de clarification du droit sans préjudice des conditions d'exercice des libertés publiques ou des droits constitutionnellement garantis. Le pouvoir législatif comme le pouvoir réglementaire seraient tenus de respecter ces principes dans le cadre de leur mission respective.

Le second alinéa prévoit, dans les conditions fixées par une loi organique, que toute mesure nouvelle ou toute aggravation d'une mesure nouvelle qui porterait sur les compétences exercées par une ou plusieurs collectivités territoriales ne pourrait être adoptée si elle n'a fait l'objet d'une évaluation préalable sérieuse et d'une réflexion sur la compensation financière. L'objectif de cette rédaction est, outre le recours à des termes juridiques plus précis et plus appropriés, d'obliger le législateur, dans sa volonté de créer ou d'aggraver une charge pesant sur les collectivités territoriales, à réfléchir aux conséquences techniques et budgétaires d'une telle proposition. En effet, une compensation financière n'est pertinente que si elle repose sur une évaluation sincère et aussi précise que possible. Le législateur pourrait proposer l'adoption de charges dont l'évaluation serait minorée si bien que sa compensation budgétaire ne permettrait pas de couvrir les dépenses imposées aux collectivités territoriales.

Par ailleurs, une loi organique préciserait les éléments devant figurer dans l'évaluation, les règles encadrant la compensation, et les conditions de recevabilité des textes qui s'inscriraient dans cette disposition. Ainsi, il est proposé d'élever au niveau constitutionnel l'obligation, de niveau organique, d'une évaluation préalable qui s'imposerait aux propositions de loi. Aujourd'hui, sur le fondement du troisième alinéa de l'article 39 de la Constitution et en application de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, seuls les projets de loi sont obligatoirement accompagnés d'une étude d'impact qui définit « les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation ». Le Gouvernement est donc déjà soumis à une obligation d'évaluation, dont on peut parfois déplorer le manque de qualité et de sincérité. À cet égard, votre rapporteur regrette que le Conseil constitutionnel ait exercé un contrôle trop limité sur le contenu des études d'impact dont le rôle est pourtant indispensable au regard du principe constitutionnel de sincérité du débat parlementaire, dans sa décision sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral 30 ( * ) . Le nouveau fondement constitutionnel à l'évaluation permettrait de densifier le contrôle du Conseil constitutionnel sur le contenu des études d'impact qui apparaît à ce jour trop évanescent.

Une réflexion doit en revanche être menée sur son extension aux amendements, aussi bien d'origine gouvernementale et parlementaire.

Ainsi, aux yeux de votre rapporteur, une évaluation préalable permettrait au législateur de disposer des éléments nécessaires à un débat parlementaire sincère et éviter tout risque de compensation insuffisante des charges incombant aux collectivités territoriales.

Par l' amendement COM-2 , elle a adopté une nouvelle rédaction de l'article 2 selon laquelle les mesures assurant la transposition d'un acte législatif européen ne devraient pas excéder les objectifs poursuivis par cet acte. Cette rédaction permet, aux yeux de votre commission, de s'appliquer aussi bien au législateur qu'au pouvoir réglementaire mais introduit implicitement la notion de proportionnalité qui fait l'objet d'une jurisprudence ancienne et claire du Conseil constitutionnel.

Ce contrôle impose de rechercher un équilibre entre les atteintes portées aux droits et libertés constitutionnels et les objectifs poursuivis. Le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel repose sur une double exigence :

- un contrôle de l' adéquation : il s'assure qu'une mesure soit appropriée, c'est-à-dire susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation de ou des objectifs recherchés ;

- un contrôle de la nécessité : il veille à ce que la mesure adoptée n'excède pas ce qu'exige la réalisation du but poursuivi.

Ainsi, la rédaction proposée permettrait au Conseil constitutionnel de veiller à ce que toute mesure de transposition soit proportionnée aux objectifs poursuivis, sans pour autant interdire au législateur, pour des raisons d'opportunité politique ou juridique, d'aller au-delà d'une stricte transposition, sous réserve de prévoir des mesures adaptées et nécessaires.

En outre, la rédaction ainsi modifiée de l'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle préserverait le droit d'amendement des parlementaires et ne serait pas source d'un encombrement de l'ordre du jour des assemblées.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel
en matière de transposition de directives européennes.

L'article 88-1 de la Constitution dispose que « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences. »

Il résulte de cet article que la transposition, en droit interne, d'une directive communautaire relève d'une exigence constitutionnelle. Sur le fondement de l'article 61 de la Constitution, il appartient ainsi au Conseil constitutionnel de veiller au respect de cette exigence, lorsqu'il est saisi d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire.

Ce contrôle est toutefois soumis à une double limite.

La première est que la transposition d'une directive ne peut aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l'absence de la mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France et d'un consentement du constituant, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droit et libertés que la Constitution garantit, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, de dispositions législatives se bornant à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne. Il appartient dans ce cas au juge communautaire et à lui-seul, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du Traité sur l'Union européenne.

La seconde est liée au fait que, en vertu de l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel devant statuer avant la promulgation de la loi, il ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne. Par conséquent, le Conseil constitutionnel ne pourrait déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer.

On rappellera qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi à une directive européenne.

Enfin, elle a adopté l' amendement COM-3 pour modifier l'intitulé de la proposition de loi constitutionnelle, afin de mieux assurer sa cohérence avec le contenu ainsi modifié de la proposition de loi constitutionnelle.

Toute entreprise de simplification du droit ne saurait reposer sur la seule mise en oeuvre de principes généraux ou de dispositions contraignantes, fussent-elles de niveau constitutionnel. C'est en réalité par une vigilance permanente de l'ensemble de la représentation nationale, attentifs à l'intérêt général, qu'elle s'accomplit utilement et sûrement.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle ainsi modifiée.


* 29 Rapport sur la qualité et la simplification du droit de M. Jean-Luc Warsmann, décembre 2008.

* 30 DC n° 2014-12 FNR du 1 er juillet 2014, Présentation du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, considérant 3.

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