E. LE PARI SUR L'ÉVOLUTION DES INDICES ÉCONOMIQUES ET DU COÛT DES FACTEURS
La LPM 2014-2019 est la première à avoir été construite en euros courants. De ce fait, le ministère de la défense a assumé le risque des hausses des indices économiques dans une logique d'auto-assurance.
Les conséquences budgétaires de l'évolution de ces indices résultent notamment du fait que les marchés d'opérations d'équipement incluent à une formule de révision de prix, en raison de la durée de réalisation des marchés d'équipement et afin de ne pas faire porter sur les seuls fournisseurs le risque exogène de volatilité des coûts concourant à l'établissement des prix.
Or les indices économiques ont enregistré une hausse plus faible que celle prévue lors de la construction de la LPM.
Ce phénomène a été mesuré par une mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et du contrôle général des armées (CGA).
Selon les indications du ministère de la défense, cette mission a évalué à 2,9 milliards d'euros sur la période 2014-2019 les gains dégagés par l'évolution des indices.
Le ministère de la défense a expliqué à votre rapporteur spécial « avoir pris en compte d'emblée, dans des travaux internes antérieurs à l'actualisation, un impact positif de 1,45 milliard d'euros, qui a permis de compenser certaines charges additionnelles à la LPM qui n'avaient pu être évaluées lors de la construction, soit parce qu'elles n'étaient pas identifiées alors, soit parce qu'elles avaient été évaluées sommairement (impact de l'évolution réglementaire, aléas sur les programmes, charges fiscales, conséquences des exportations, etc.) ».
Ce gain de 1,45 milliard d'euros a ainsi déjà été « consommé » ou affecté à des charges imprévues subies par le ministère de la défense.
À partir des marges de manoeuvre restantes, la loi actualisant la programmation militaire affecte un milliard d'euros à des opérations d'armement prioritaires (cf. supra ).
Questionné par votre rapporteur spécial, le ministère de la défense affirme que « le solde est laissé au bénéfice de certains agrégats, comme les études, afin de contribuer à financer les besoins existants dans ces domaines essentiels pour la LPM et particulièrement stratégiques ».
On observe donc que le risque supplémentaire porté par le ministère de la défense par rapport à la LPM 2014-2019 excède le milliard d'euros mis en avant par le Gouvernement à l'occasion de l'actualisation de la programmation militaire.
Or, comme l'a expliqué Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, lors de son audition par la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale sur l'actualisation de la loi de programmation militaire 19 ( * ) : « La décision de redéployer ces crédits ne laisse aucune marge en cas de reprise de la progression des indices économiques : à défaut d'obtenir dans ce cas un abondement des crédits du programme 146, il faudrait inévitablement redéfinir une partie du contenu physique de la LPM. En outre, ces redéploiements constituent une prise de risque sur les conditions de lancement des opérations puisque, pour une part significative, ils reposent sur les enveloppes financières des programmes futurs, lesquels n'ont pas encore de contenu précis et ne font donc pas l'objet de devis. »
Il y a donc lieu d'exercer une vigilance particulière quant à l'évolution effective des indices économiques qui entrent dans la structure de coût du ministère de la défense.
De fait, lors de son audition par la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale sur le présent projet de loi de finances le 15 octobre dernier, le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées, a indiqué que cette question du coût des facteurs constitue pour lui une « préoccupation » : « Nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées. Si l'effet ?coût des facteurs? est indiscutable, je rappelle que nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes, notamment sur le fonctionnement. Dès lors, nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d'achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités. Par ailleurs, le ministère doit faire face à des dépenses non prévues au moment du vote de la LPM. Ces charges nouvelles liées à l'application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique, réduisent d'autant l'effet positif du coût des facteurs. La différence entre les économies liées à l'évolution du coût des facteurs et ces charges additionnelles constituera le bénéfice net qui, je l'espère, s'élèvera à hauteur d'un milliard d'euros sur la période. Ce sujet fait l'objet actuellement d'une nouvelle mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et du contrôle général des armées (CGA), dont les conclusions sont attendues pour la fin de l'année. »
* 19 Audition du 26 mai 2015, compte rendu de réunion n° 63, session 2014 - 2015.