IV. L'ACCOMPAGNEMENT PAR L'ETAT DES ENTREPRISES DONT IL EST ACTIONNAIRE
A. LE POIDS DES DÉFAILLANCES PASSÉES : LE SAUVETAGE D'AREVA ET LA REFONDATION DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE
Le 31 décembre 2014, Areva annonçait un résultat net négatif record de 4,8 milliards d'euros, pour un chiffre d'affaires de 8,3 milliards d'euros.
Dans une interview publiée le 18 mai 2015 par le magazine L'Usine nouvelle, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, explique que même si « Fukushima a rebattu les cartes du marché mondial », Areva « paie avant tout des choix stratégiques hasardeux, dans lesquels l'État actionnaire des années 2000 a sa part : le choix d'Areva de porter seul le risque de la construction du premier réacteur EPR à Olkiluoto en Finlande, sa diversification dans les mines sans assurer la profitabilité de son coeur de métier et un dysfonctionnement profond de la filière nucléaire française qui s'est fait concurrence à elle-même à l'international », déclarant également : « Il y a quelques années, EDF a décidé de réorienter massivement son approvisionnement vers Rosatom au moment où Areva investissait fortement dans son outil industriel de conversion de l'uranium... Comment peut-on avoir 83 % ou 85 % du capital dans chacune de ces entreprises et laisser faire cela ? »
La défaillance dans le contrôle qu'exerçait l'État actionnaire sur la stratégie et les choix d'investissement d'Areva a notamment été attribuée par un rapport particulier de la Cour des comptes du 23 mai 2014 à la forme de cette société : « La forme de la société anonyme-mère - directoire et conseil de surveillance - est régulièrement critiquée par les tutelles et l'a été par le contrôle général économique et financier. À la différence du conseil de surveillance, un conseil d'administration déterminerait les orientations stratégiques de la société, se prononcerait sur les grandes offres commerciales, arrêterait les comptes et ne dépendrait pas du directoire pour convoquer l'assemblée générale. Dans le schéma actuel de gouvernance, le directoire a pu prendre seul la décision de signer le contrat de l'EPR finlandais OL3, source d'une perte très importante pour AREVA. Le conseil d'administration permettrait à l'État actionnaire, qui y serait représenté, de se prononcer sur les grandes offres commerciales d'AREVA et d'arrêter les comptes, alors que le conseil de surveillance, où ses représentants siègent, n'a pas les mêmes pouvoirs. »
L'assemblée générale mixte des actionnaires d'Areva réunie le 8 janvier 2015 a adopté le changement de gouvernance d'Areva, pour passer d'une structure à directoire et conseil de surveillance à une structure à conseil d'administration.
Par ailleurs, la Cour des comptes relève que « l'histoire de la relation entre le groupe et l'État actionnaire entre 2006 et mi-2011 est donc bâtie sur une opposition régulière entre la présidente du directoire qui réclame une augmentation de capital pour financer un plan d'investissements correspondant à l'ambition des plans stratégiques validés, et les représentants de l'État qui soit relèvent l'ambition excessive des plans (tout en les validant), soit proposent des modalités de financement passant par des cessions (ce sera le cas de T&D), soit examinent d'autres solutions (rapprochement avec Alstom) ».
L'ambition d'Areva, que l'État n'a su ni freiner ni soutenir, s'appuyait sur une conception extensive du « modèle intégré », qui avait motivé la réunion, en juin 2001, des activités de CEA Industrie, du groupe privé Framatome, constructeur de réacteurs, et du groupe public Cogema, spécialisé l'extraction, la production et le recyclage de l'uranium.
À cet égard, La Cour des comptes note que cette notion de « modèle intégré », « qui revient tout au long de la période sous revue dans les fondements des choix stratégiques du groupe, pourrait constituer une notion intéressante pour l'État actionnaire en ce qu'elle lui permet de justifier ou non les choix industriels, capitalistiques, patrimoniaux voire régaliens (sensibilité du secteur) ayant conduit à la création d'Areva et justifiant son maintien plutôt que son démantèlement. Elle l'est beaucoup moins pour le groupe lui-même dans la construction de sa stratégie propre, et l'a conduit parfois à justifier des choix stratégiques qui reposaient avant tout sur une extension illimitée de la notion d'intégration, conduisant elle-même à une forme de fuite en avant. »
Résumant les écueils auxquels peuvent être confrontés les entreprises publiques lorsque l'État n'assume pas pleinement son rôle d'actionnaire, la Cour des comptes souligne que la manière dont le groupe Areva a été constitué l'a doté « des contraintes et de la culture spécifique d'un acteur très particulier dans sa relation avec l'État » et qu'ainsi il « s'est développé sur des bases qui n'étaient pas toujours favorables à l'élaboration d'une stratégie optimale : transparence limitée, prégnance de considérations extra-économiques, etc. »
Face à la situation dramatique d'Areva, le Président de la République a annoncé le 3 juin dernier un plan de « refondation de la filière nucléaire », consistant en le rapprochement, dans une société dédiée, des activités de conception, de gestion de projets et de commercialisation des réacteurs neufs d'EDF et d'Areva.
Le rapport de l'État actionnaire 2014-2015 indique que « cette opération permettra une politique d'exportation ambitieuse et le renouvellement futur du parc nucléaire français. Le rapprochement s'inscrit dans le cadre d'une vaste réflexion menée sur la refondation de la filière nucléaire, qui doit être marquée par la conclusion d'un accord de partenariat stratégique global entre Areva et EDF, sur le plan industriel et capitalistique. Dans ce cadre, l'État a annoncé qu'il recapitalisera Areva, en investisseur avisé, à la hauteur nécessaire. »
En réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, l'APE précise qu' « à l' occasion de la publication des comptes du premier semestre 2015 le 31 juillet dernier, la direction d'AREVA a annoncé :
« - La signature d'accords préliminaires avec EDF concernant la cession de 75 % d'AREVA NP (« ANP »), ainsi que d'accords sur l'amont et l'aval du cycle permettant de renforcer la solidité des activités éponymes d'AREVA. La sortie du périmètre d'AREVA de AREVA NP a d'ailleurs été entérinée comptablement, puisque la filiale de construction de réacteurs est désormais consolidée par mise en équivalence selon la norme IFRS5 et ne contribue ainsi plus aux principaux indicateurs de gestion que sont le chiffre d'affaires, l'EBITDA ou le cash-flow opérationnel.
« - La poursuite de la mise en oeuvre d'un plan de performance, avec une gestion renforcée des grands projets, des gains attendus sur l'opérationnel (1 milliard d'euros) et une réduction d'ici fin 2017 de 5000 à 6 000 emplois pour l'ensemble du groupe, dans le respect des engagements demandés par le Président de la République sur le dialogue social.
« - La poursuite de la cession de ses activités non stratégiques (projet de vente de sa filiale Canberra, création de la société commune Adwen dans l'éolien off-shore) ainsi que la signature d'accords relatifs à la coopération franco-chinoise dans le nucléaire.
« - Les enjeux et les principales modalités du plan de financement de l'entreprise, avec un besoin de 7 milliards d'euros sur 2015-17 dont environ la moitié seraient couverts par des financements complémentaires (1,2 milliard d'euros) et des cessions d'actifs (2,4 milliards d'euros dont 2 milliards d'euros pour 75 % d'ANP). Le solde d'environ 3,5 milliards d'euros devra être couvert en grande partie par une augmentation de capital, dont le montant exact devra être précisé d'ici mi-novembre 2015 à l'issue anticipée des discussions avec la Commission Européenne.
« Les modalités de mise en oeuvre de cette augmentation de capital sont encore à l'étude par l'entreprise et, ainsi qu'annoncé en juillet dernier, des éléments d'information complémentaires seront apportés d'ici la fin de l'année. »
Jean-Bernard Lévy, président directeur général d'EDF, a annoncé le 18 octobre dernier 7 ( * ) , qu'EDF rachèterait finalement 51 % de la société Areva NP, pour 2,7 milliards d'euros, d'ici fin 2016.
En substance, ce plan consiste donc à mettre fin au « modèle intégré » et à démanteler le groupe Areva pour revenir à la situation d'avant 2001.
La mise à contribution de l'État, sans doute via le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », pourrait être amoindrie, dans une proportion qui reste à déterminer, grâce à l'ouverture du capital d'Areva NP et d'Areva à des investisseurs étrangers.
En particulier, l'hypothèse d'une prise de participation dans Areva NP par des industriels japonais ou chinois a été évoquée.
Le président d'Areva, Philippe Varin, a ainsi expliqué que « La Chine est incontournable pour Areva. C'est maintenant qu'il faut nouer des alliances, car elle est en croissance et a besoin de technologies » 8 ( * ) .
De même, le groupe japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI) a indiqué être en discussion avec Areva. Le Premier ministre a d'ailleurs déclaré le 3 octobre dernier, au cours d'un déplacement au Japon : « Les industries mèneront ces discussions. Tout est envisageable, dès lors que ces alliances entre industriels nous renforcent mutuellement. » Areva et MHI sont déjà liés à travers la coentreprise Atmea qui a développé le réacteur du même nom.
* 7 Émission « Grand Rendez-Vous Europe 1/Le Monde/iTélé » du 18 octobre 2015.
* 8 Journal du dimanche du 2 août 2015.