EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 3 novembre 2015, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Joël Guerriau et du texte proposé par la commission sur le projet de loi n° 109 (2015-2016) autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications.
M. Joël Guerriau, rapporteur . - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du troisième protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure dite de « présentation de communications ». Concrètement, il s'agit d'ouvrir la faculté de saisir directement le comité des droits de l'enfant.
La convention relative aux droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en novembre 1989 est entrée en vigueur en septembre 1990. Premier texte international juridiquement contraignant qui couvre l'ensemble des droits de l'enfant, cette convention consacre quatre principes directeurs : la non-discrimination ; l'intérêt supérieur de l'enfant ; le droit à la vie, à la survie et au développement ; le respect, enfin, de l'opinion de l'enfant. À ce jour, 195 États en sont partie. Elle a été complétée par deux protocoles facultatifs adoptés en mai 2000 et entrés en vigueur début 2002. Le premier concerne l'interdiction de la vente des enfants et la lutte contre la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants ; le deuxième concerne l'implication d'enfants dans les conflits armés. La Convention et ses deux protocoles ont été ratifiés par la France respectivement en août 1990 et en février 2003.
Le Comité des droits de l'enfant, composé de dix-huit experts indépendants recrutés sur des critères de moralité et de compétences dans le domaine des droits de l'enfant, surveille l'application de ces traités. Pour la petite histoire, sachez qu'étonnamment, depuis sa création en 1990, aucun Français n'y a jamais siégé. Ce comité procède à l'examen des rapports d'évaluation transmis par les Etats membres, tous les cinq ans, mais ne pouvait jusqu'à présent être saisi de recours individuels, contrairement aux sept autres comités onusiens.
Adopté en décembre 2011, puis entré en vigueur en avril 2014, ce troisième protocole a justement pour objet principal la mise en place d'un mécanisme de recours individuel auprès du Comité des droits de l'enfant contre la violation, par un État Partie, des droits protégés par la Convention des droits de l'enfant ou l'un des deux protocoles additionnels précités. Il a été signé par 49 États et ratifiés par 19 d'entre eux. La France l'a ratifié en novembre 2014 à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la convention des droits de l'enfant.
Dans le respect des grands principes onusiens, le Comité des droits de l'enfant doit être guidé par l'intérêt supérieur de l'enfant et prendre en considération les droits et l'opinion de l'enfant, en « accordant à celle-ci le poids voulu en fonction de l'âge et du degré de maturité de l'enfant » - termes qui nous sont familiers, puisqu'ils rejoignent ceux de l'article 371-1 du code civil relatif à l'autorité parentale. Il doit donc adopter un règlement intérieur relatif à la nouvelle saisine organisée par le Protocole, garantissant que les procédures soient adaptées aux enfants et que ceux-ci, conformément à une demande française, ne soient pas manipulés par ceux qui agissent en son nom.
Voyons tout d'abord la procédure dite « de présentation de communications », c'est-à-dire de saisine, devant le Comité des droits de l'enfant
Les recours individuels peuvent être déposés « par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers relevant de la juridiction d'un État Partie, qui affirment être victimes d'une violation par cet État Partie de l'un quelconque des droits énoncés » dans la Convention ou dans les deux premiers protocoles précités. S'il est interdit à une association de soumettre une communication en son nom, rien ne s'oppose à ce qu'elle présente une communication en tant que représentant d'un particulier ou d'un groupe de particuliers, victimes d'une violation.
Avant même de statuer sur le fond, le Comité peut demander à l'État partie intéressé de prendre des mesures provisoires « qui s'avèrent nécessaires dans des circonstances exceptionnelles pour éviter un préjudice irréparable ». J'attire votre attention sur ce point, qui fait débat. Cette procédure dite de mesures provisoires est assez classique, elle existe déjà pour d'autres comités onusiens.
Jusqu'à présent, la France a surtout été confrontée à des mesures provisoires prononcées par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour empêcher l'éloignement du territoire national de mineurs étrangers isolés ou de mineurs étrangers retenus en zone d'attente avant la fin de la procédure. Parmi les comités onusiens qui peuvent déjà prononcer des mesures provisoires contre la France, seul le Comité contre la torture l'a fait, dans trois affaires concernant également l'éloignement du territoire national de ressortissants étrangers. Dans un des trois cas évoqués, la France a suspendu la mesure d'éloignement.
Comme on le voit, les cas de recours à cette procédure restent assez rares.
La force juridique des mesures provisoires a toutefois fait l'objet de discussions. Pendant les négociations, les comités onusiens, comme le Comité contre la torture par exemple, ont souhaité se voir reconnaître, à l'instar de la Cour européenne de droits de l'homme, la faculté d'imposer à l'État concerné les mesures provisoires qu'ils adoptent. Afin de lever toute équivoque à ce sujet, la France a prévu de procéder à une déclaration interprétative sur ce point, pour indiquer que cette disposition « ne peut pas être interprétée comme impliquant une obligation pour l'État partie intéressé d'accéder à la demande du Comité tendant à ce qu'il prenne des mesures provisoires » . Le Défenseur des droits s'est saisi de la question et a fait observer que les États parties devraient selon lui avoir l'obligation de déférer à une demande de mesures provisoires émanant du Comité des droits de l'enfant, et qu'il faudrait donc aller au-delà de la stricte lettre du protocole.
J'ai naturellement examiné très attentivement ce point avec le Quai d'Orsay. Tout d'abord, la déclaration interprétative est rigoureusement conforme à la lettre du texte de l'article 6 paragraphe 1 du troisième protocole relatif aux mesures provisoires. Elle ne contredit évidemment pas la position constante de la France en faveur des droits de l'enfant. Mais la France refuse inconditionnellement toute automaticité, et choisit de se prononcer au cas par cas, après examen au fond de chaque affaire, comme elle l'a toujours fait jusqu'à présent. On peut ajouter qu'à la différence de la CEDH, le comité des droits de l'enfant n'est pas une juridiction de plein exercice et que les décisions qu'il adopte ne sont pas juridiquement contraignantes puisqu'il s'agit de simples recommandations. Je pense donc que l'équilibre atteint à l'issue de mois de négociations et repris par la déclaration interprétative est satisfaisant.
Passons maintenant aux conditions de recevabilité et à l'examen des communications, c'est-à-dire des saisines directes du comité des droits de l'enfant.
Au préalable, je vous indique que la France reconnaît la compétence du comité des droits de l'enfant sur les violations « résultant d'actes, omissions, faits ou événements postérieurs à la date d'entrée en vigueur (à son égard) du présent Protocole ». Il ne sera donc pas possible d'examiner rétroactivement des faits antérieurs à l'entrée en vigueur du Protocole à l'égard de la France, donc à sa ratification par notre pays.
De forme écrite, la communication ou saisine ne doit être ni anonyme, ni infondée, ni constituer un abus de droit. La même question ne doit pas avoir été ou être examinée au titre d'une autre procédure internationale d'enquête ou de règlement. Là encore, la France déposera une déclaration interprétative sur ce qu'est une « autre procédure internationale » afin de s'assurer de la prise en considération des procédures achevées ou en cours devant la CEDH, devant les organes d'enquête ou de règlement du Conseil de l'Europe ainsi que devant le Comité européen des droits sociaux. Il s'agit de s'assurer que le comité des droits de l'enfant ne se prononce pas sur des faits déjà jugés ou en passe de l'être par une autre instance, en particulier européenne.
La communication n'est recevable qu'une fois tous les recours internes épuisés, et dans un délai de douze mois suivant la fin de la dernière procédure interne. La France précisera dans une déclaration interprétative, afin de mieux protéger les droits de l'enfant, que pour que les voies de recours internes françaises soient considérées comme épuisées, il faut prendre en compte non seulement celles exercées à l'encontre des décisions rendues dans les procédures où l'enfant a été entendu mais aussi dans celles où il a été représenté. Comme vous le savez en effet, dans la plupart des procédures françaises, l'enfant agit par l'intermédiaire de son représentant légal et non pas en son nom propre.
La communication ou saisine est ensuite transmise, confidentiellement et dans les meilleurs délais, à l'Etat Partie concerné, qui dispose d'un délai de six mois pour adresser une réponse écrite au comité des droits de l'enfant.
Se fondant sur l'ensemble de la documentation soumise, puisqu'il s'agit d'une procédure écrite, le comité des droits de l'enfant procède ensuite à l'examen de la communication. Il tient ses séances à huis clos, puis transmet ses constatations, éventuellement accompagnées de recommandations, à l'État concerné, lequel doit l'informer, par écrit et dans un délai de six mois, de toute mesure prise ou envisagée à la suite de ces recommandations.
Si la ratification du protocole par un État partie confère automatiquement compétence au comité des droits de l'enfant pour recevoir des communications individuelles le concernant, il n'en va pas de même des deux autres mécanismes prévus par le Protocole que sont les « communications interétatiques » et la « procédure d'enquête », sur lesquels l'Etat Partie doit obligatoirement se prononcer.
La « communication interétatique » est une communication adressée au comité des droits de l'enfant par un Etat Partie qui affirme qu'un autre Etat Partie ne s'acquitte pas de ses obligations au titre de la convention relative aux droits de l'enfant ou de l'un de ses protocoles. Elle n'est recevable que si les deux Etats parties ont déclaré expressément reconnaître la compétence du comité des droits de l'enfant pour recevoir et examiner cette catégorie de communications les concernant.
À la mi-octobre 2015, sur les 19 Etats ayant ratifié le protocole, six avaient accepté la compétence du comité des droits de l'enfant pour recevoir des « communications interétatiques » : l'Albanie, l'Allemagne, la Belgique, le Chili, le Portugal et la Slovaquie. Il faut savoir que ce dispositif, lorsqu'il est déjà prévu devant d'autres comités onusiens, est de fait très peu utilisé. La France attend de connaître la pratique du comité des droits de l'enfant avant de se prononcer sur la question.
La « procédure d'enquête » , quant à elle, permet au comité des droits de l'enfant de « charger un ou plusieurs de ses membres d'effectuer une enquête » lorsqu'il « reçoit des renseignements crédibles indiquant qu'un État partie porte gravement ou systématiquement atteinte aux droits énoncés dans la convention (des droits de l'enfant) ou l'un de ses protocoles facultatifs », après avoir demandé à l'Etat concerné de présenter des observations. Cette enquête est confidentielle et toute éventuelle visite sur le territoire de l'Etat concerné est subordonnée à son accord. Les Etats parties peuvent déclarer au moment où ils signent, ratifient, ou adhèrent qu'ils ne reconnaissent pas cette compétence du comité des droits de l'enfant à l'égard des droits énoncés dans l'un ou dans la totalité des traités. Cette déclaration peut être retirée à tout moment.
À la mi-octobre 2015, parmi les 19 Etats ayant ratifié le protocole, seul Monaco a déclaré ne pas reconnaître la compétence du comité des droits de l'enfant pour conduire des procédures d'enquête à son encontre. A ce stade et suivant mes informations, la France n'envisage pas d'engager une démarche spécifique pour exclure l'application de la procédure d'enquête à son encontre - ce que j'estime justifié.
En conclusion et sous le bénéfice de ces observations, compte tenu de l'engagement de la France en faveur de la défense des droits des enfants, et en particulier son soutien important à l'UNICEF, je recommande naturellement l'adoption de ce projet de loi, qui améliore la protection des droits de l'enfant et qui comble une lacune dans le système onusien. En effet, la convention des droits de l'enfant était la dernière grande convention relative aux droits de l'homme de l'ONU à ne pas être assortie d'un mécanisme de recours individuel. Cette lacune est désormais comblée. En France, ce dispositif, qui complète l'institution du Défenseur des Droits et celle du Défenseur des enfants n'entraînera pas de modification du droit interne, déjà protecteur du droit des enfants. Il pourra en revanche constituer un levier d'action dans les États où les procédures internes de défense des droits de l'enfant sont encore trop faibles, voire inexistantes.
L'examen en séance publique est fixé au jeudi 5 novembre 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée. Je vous suggère de ne pas vous y opposer afin de favoriser l'adoption rapide de ce texte.
Je vous propose, quant à moi, un rapport publié en forme synthétique, puisque l'Assemblée nationale a déjà adopté, le 22 octobre 2015, le projet de loi autorisant la ratification de ce Protocole.
À la fin de la présentation du rapporteur, un court débat s'est engagé.
Mme Bariza Khiari . - Je vous remercie de ces éclaircissements.
Lors de la création du Défenseur des droits, nombre de nos collègues s'étaient émus de la disparition de l'institution du Défenseur des enfants, absorbée par cette grosse machine. Avec le recul, estimez-vous que les droits des enfants sont mieux pris en compte, ou faut-il regretter la disparition, comme telle, de cette autorité administrative indépendante ?
Mme Leila Aïchi . - La France est souvent pointée du doigt pour la manière dont elle prend en compte la situation des enfants handicapés et des mineurs délinquants. Ce texte est-il susceptible d'apporter, de ce point de vue, une amélioration ?
M. Joël Guerriau, rapporteur . - L'institution du Défenseur des droits préserve la spécificité du droit des enfants. L'existence d'une fonction spécifique au sein de l'organisation garantit que le regard est resté attentif.
Sur la question particulière du handicap, la force de ce protocole additionnel est qu'il exposera la France à un recours en cas de dérive. Tout particulier pourra saisir le comité des droits de l'enfant. J'ajoute que ce comité doit rendre un rapport sur chaque Etat : nous verrons quelle appréciation il portera sur la situation française.
Mme Leila Aïchi . - Les réserves d'interprétation introduites par la France ne fragilisent-elles pas le dispositif ?
M. Joël Guerriau, rapporteur . - Elles portent, pour l'essentiel, sur les mesures provisoires, ainsi que l'a souligné le Défenseur des droits. Le texte peut être interprété de deux manières : on peut considérer que ces mesures provisoires s'imposent ou qu'elles ne constituent que des recommandations. La France, qui n'accepte pas que des mesures provisoires lui soient imposées, a tranché dans ce dernier sens.
Ce protocole garantit plus de protection, sans bouleverser notre droit interne. Si la France le ratifiait, elle serait le vingtième pays à le faire. Nous irions dans le bon sens.
Mme Christiane Kammermann . - Avez-vous pensé, au cours de vos travaux préparatoires, aux enfants enlevés. Ils sont, hélas, nombreux. Comme sénateur des Français hors de France, j'ai été confrontée à de nombreux cas.
M. Joël Guerriau, rapporteur . - Vous visez là un cas très particulier. Cela fait partie des éléments qui peuvent être soulevés dans le cadre de la procédure introduite par ce protocole. J'ajoute que le comité des disparitions forcées s'attache de près à ces questions.
Mme Christiane Kammermann . - Les cas sont, malheureusement, de plus en plus nombreux.
À l'issue de cette présentation, la commission, suivant la proposition du rapporteur a adopté, sans modification et à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.