EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Adoptée par le Sénat le 29 janvier 2015, la proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à Saint-Barthélemy présentée par notre collègue Michel Magras a été adoptée, le 3 juin suivant, par la commission des lois de l'Assemblée nationale sans modification. Après avoir adopté six amendements présentés par son rapporteur, l'Assemblée nationale a adopté, en séance publique, ce texte le 11 juin 2015.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Daniel Gibbes, a respecté l'esprit du travail du Sénat qui avait unanimement approuvé le texte élaboré. Ainsi, au terme de la première lecture dans chaque assemblée, neuf articles ont été adoptés dans les mêmes termes (articles 1 er , 3, 4, 4 bis , 6, 7, 10, 12 et 13) tandis que trois articles font l'objet d'une suppression conforme (articles 2, 5 et 8). Pour trois articles, l'Assemblée nationale s'est tenue à des modifications rédactionnelles ou de coordination (articles 9, 11 et 12 A).
L'Assemblée nationale a donc approuvé l'ensemble des nouvelles mesures relatives au fonctionnement de la collectivité de Saint-Barthélemy, n'apportant des modifications substantielles que pour l'exercice des compétences locales à l'égard de celles de l'État. Cette question avait déjà fait l'objet des discussions les plus approfondies au Sénat car les règles constitutionnelles en ce domaine offrent des possibilités sans équivalent aux collectivités d'outre-mer mais les enserrent dans un cadre strict.
La spécificité des collectivités d'outre-mer se traduit par la faculté, donnée par l'article 74 de la Constitution, au législateur organique de prévoir qu'une collectivité d'outre-mer « peut participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences qu'il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques ». Suivant la procédure fixée par la loi organique, l'assemblée délibérante peut adopter des propositions ou projets d'actes locaux pour fixer des règles dans les domaines de compétence de l'État. Si ces propositions ou projets d'actes locaux sont approuvés par les organes de l'État, ils peuvent être définitivement adoptés par la collectivité et entrer en vigueur sur son territoire. En matière normative dans un domaine de compétence de l'État, la collectivité d'outre-mer peut disposer, sur habilitation expresse du législateur organique, d'un pouvoir de proposition. L'État qui accorde son approbation par décret, éventuellement ratifié par le Parlement lorsque sont en cause des matières législatives, conserve un plein pouvoir d'appréciation en opportunité pour agréer ces actes car l'État reste le seul titulaire de la compétence. Le conseil territorial de Saint-Barthélemy ne peut adopter la délibération que dans les mêmes termes que ceux arrêtés par l'État.
Sur cette partie du texte, l'Assemblée nationale s'est écartée du Sénat sur deux points. Toutefois, ces modifications ne contreviennent pas à la position exprimée par le Sénat en première lecture.
I. LA PROCÉDURE EN CAS D'INACTION GOUVERNEMENTALE POUR APPROUVER OU NON LES PROPOSITIONS OU PROJETS D'ACTES LOCAUX DE LA COLLECTIVITÉ DE SAINT-BARTHÉLEMY
L'Assemblée nationale n'a pas retenu la procédure prévue par le Sénat lorsqu'au-delà du délai imparti, le Gouvernement ne prend aucune décision s'agissant de l'approbation de propositions ou projets d'actes locaux. Actuellement, passé ce délai de deux mois et en l'absence de décision expresse de refus ou d'approbation, même partielle, les actes locaux soumis à approbation ne peuvent entrer en vigueur. L'absence de décision explicite ne fait pas naître, à l'expiration du délai, de décision implicite 1 ( * ) . Cette approbation gouvernementale est, pour les matières législatives, un préalable à la ratification parlementaire, l' inertie gouvernementale empêchant donc le Parlement d'examiner les propositions ou projets d'actes locaux soumis à approbation .
Dans sa rédaction originelle, l'article 2 de la proposition de loi organique souhaitait répondre à cette difficulté par un mécanisme en matière de droit pénal et de procédure pénale qui était apparue à la commission des lois comme soulevant des difficultés d'ordre constitutionnel. Cette disposition ne prévoyait pas un contrôle suffisant de l'État sur la participation de la collectivité, pouvant aboutir à un dessaisissement de facto de l'État de sa compétence, ce qui est interdit par l'article 74 de la Constitution. Votre commission avait donc supprimé cette disposition.
En séance publique, à l'initiative de notre collègue Michel Magras et suivant un sous-amendement de la commission qui avait recueilli un avis favorable du Gouvernement, le Sénat avait retenu un mécanisme différent introduit au sein de l' article 4 ter : lorsqu'au terme d'un délai de trois mois à compter de la transmission à l'État de la proposition ou du projet d'acte local, aucun décret d'approbation ou de refus d'approbation de cet acte n'était intervenu, le Parlement aurait pu approuver totalement ou partiellement la proposition ou le projet d'acte intervenant dans le domaine de la loi.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale a argué, au cours des débats, de la contrariété de ce dispositif avec la Constitution pour lui préférer un mécanisme qui impose au Gouvernement de respecter ses obligations plutôt que de l'en décharger lorsqu'il les méconnaît.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale l'analysait comme « un dessaisissement du Gouvernement du pouvoir de contrôle que lui confère l'article L.O. 6251-3 du code général des collectivités territoriales, alors même que lui seul est destinataire des transmissions de projets d'acte par le président du conseil territorial de Saint-Barthélemy », ajoutant que ce contrôle devait être accru lorsqu'il s'agit de la matière pénale. Le rapporteur notait en effet que le Parlement n'était pas destinataire de la proposition ou du projet d'acte local et que la ratification directe par le Parlement privait le Gouvernement de la faculté de donner son avis.
Si votre rapporteur peut se rallier à la solution retenue par l'Assemblée nationale, il ne peut partager l'analyse faite du dispositif sénatorial. Le Parlement est, au premier rang, appelé à assurer le respect des normes de rang législatif avec les principes constitutionnels et conventionnels régissant le droit pénal. En outre, le juge constitutionnel impose un contrôle de l'État sur les actes locaux intervenant dans les compétences de l'État, sans accorder un monopole au Gouvernement, a fortiori lorsque ces actes interviennent dans une matière que la Constitution a réservée au législateur. L'interprétation que le rapporteur de l'Assemblée nationale donne de l'article 74 de la Constitution aboutirait au paradoxe que le Parlement pourrait adopter, selon la procédure législative ordinaire, une disposition applicable à Saint-Barthélemy mais qu'elle ne pourrait ratifier la même disposition proposée par la collectivité qu'après l'approbation préalable du Gouvernement. Enfin, la ratification directe par la voie d'un amendement permettait, en tout état de cause, au Gouvernement, lors du débat parlementaire, de faire part de son avis.
Cependant, la solution proposée par l'Assemblée nationale poursuit, par une voie différente, le même objectif que celui du Sénat : mettre fin à l'inaction du Gouvernement face aux demandes d'approbation de propositions ou projets d'actes locaux. L'expérience récente a démontré que la décision qui devait, au terme de l'article L.O. 6251-3 du code général des collectivités territoriales, approuver ou non la proposition ou le projet d'acte dans le délai de deux mois à compter de sa transmission n'intervient jamais dans ce délai.
L'Assemblée nationale a opté pour une réponse juridictionnelle à l'inaction gouvernementale . Elle a donc prévu que le Premier ministre devait prendre, dans un délai de trois mois, un décret pour approuver, même partiellement, ou refuser cette approbation. Actuellement, le délai est de deux mois mais porte uniquement sur l'obligation pour le ministre chargé de l'outre-mer et celui de la justice de présenter au Premier ministre un projet de décret. Au prix d'un allongement mineur du délai, cette nouvelle rédaction simplifie la procédure et renforce l'obligation à la charge du Gouvernement puisque le décret devrait, désormais, être pris au terme du délai.
En l'absence de décret, le président du conseil territorial pourrait alors saisir le Conseil d'État par la voie du référé aux fins d'enjoindre, éventuellement sous astreinte, au Premier ministre de prendre ce décret . Le Conseil d'État devrait alors statuer dans un délai de quarante-huit heures. Ce délai bref est logique dans la mesure où le juge serait uniquement appelé à constater qu'un décret aurait dû être pris, sans se prononcer sur le bien-fondé du décret manquant.
Le prononcé d'une injonction, accompagnée au besoin d'une astreinte, est particulièrement dissuasif pour le Gouvernement, permettant de mieux contraindre ce dernier à respecter la loi organique. C'est pourquoi, partageant le même objectif que l'Assemblée nationale, votre commission a accepté cette solution alternative.
* 1 Dans son avis du 22 janvier 2013 (n° 387243) rendu à la demande du président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, le Conseil d'État a rappelé que « la loi organique n'a prévu aucune décision tacite d'approbation ou de refus d'approbation au terme de quelque délai que ce soit . »