E. AUDITION DE M. M. THOMAS FATOME, DIRECTEUR DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (10 JUIN 2015)

Réunie le mercredi 10 juin 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, puis de M. Yvon Collin, vice-président, la commission a procédé à l'audition de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, responsable du programme 183 « Protection maladie », sur l'aide médicale d'État.

Mme Michèle André , présidente . - Je vous propose de poursuivre cette matinée d'auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de règlement en entendant le directeur de la sécurité sociale, Thomas Fatome, qui a participé à notre audition de la semaine dernière consacrée au fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (fonds CMU), et que nous recevons ce matin en sa qualité de responsable du programme 183 « Protection maladie » de la mission « Santé ». Comme précédemment, cette audition est ouverte à la presse.

Ce programme regroupe quasi-exclusivement les crédits finançant l'aide médicale d'État (AME). Comme vous le savez tous, l'AME apporte une couverture médicale gratuite aux étrangers qui se trouvent de façon irrégulière sur le sol français depuis plus de trois mois et qui sont sans ressources. Cette dépense a très fortement augmenté ces dernières années, et pose des problèmes récurrents de dépassement des crédits prévus en loi de finances initiale. L'année passée, nous avions d'ailleurs entendu la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, sur l'exécution des crédits de la mission « Santé » et plus particulièrement de ceux relatifs à l'AME. Constatant une nouvelle sur-exécution - de plus de 25 % - des crédits du programme 183 dédiés à l'AME, nous avons souhaité inviter le responsable du programme, Thomas Fatome, afin qu'il nous explique plus en détails les causes de cette augmentation.

Je salue la présence parmi nous de notre collègue René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur la mission « Santé ». Sans plus attendre, je donne la parole au rapporteur spécial de la mission « Santé », Francis Delattre.

M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Santé » . - Nos questions seront ciblées sur le programme 183 qui regroupe les crédits de l'AME.

L'AME comporte trois volets. Premièrement, l'AME de droit commun, financée en intégralité sur les crédits du programme 183, et ouverte à tous les étrangers en situation irrégulière, résidant depuis au moins trois mois en France, et possédant des ressources inférieures au plafond d'éligibilité à la couverture maladie universelle (CMU). Deuxièmement, l'AME pour soins urgents, qui est financée à hauteur de 40 millions d'euros par l'État et ne pose pas de véritables problèmes. Troisièmement, l'AME dite « humanitaire », dont le ministre chargé de la santé dispose en fonction de critères laissés à leur appréciation.

Ma première question porte sur les crédits du programme 183 : le projet de loi de finances pour 2014 avait prévu une dépense de 560 millions d'euros pour l'AME de droit commun, alors que l'exécution constatée en 2013 s'élevait à 702 millions d'euros. Quels sont les éléments qui expliquent cette prévision ? Nous n'avions pas obtenu d'explication en première lecture du projet de loi de finances. Cela est d'autant plus gênant que ce sont les crédits du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » qui sont de ce fait sollicités, et notamment les crédits des agences sanitaires.

Ma deuxième question porte sur les causes de la hausse des dépenses de l'AME. Au-delà de l'augmentation du nombre de bénéficiaires, avez-vous observé une évolution du profil des bénéficiaires en 2014 ? Quelle est la proportion des jeunes mineurs ? Quelles sont les pathologies les plus souvent relevées ?

Ma troisième question porte sur le délai moyen d'instruction des dossiers : l'un des indicateurs de performances fait apparaître une nette hausse de ce délai moyen, qui passe de 31 jours en 2012, à 40 jours en 2013, puis 50 jours en 2014. Cette hausse est-elle liée à l'augmentation du nombre de demandeurs ? Ou aux difficultés à instruire les dossiers, notamment dans certains départements ?

Enfin, les comparaisons européennes font apparaître la grande générosité de l'AME française. Elle offre un accès gratuit à un panier de soins très large. En Allemagne, où un système comparable mais moins coûteux existe, la situation ne me semble pas être aussi difficile. Avez-vous réfléchi à un éventuelle modification du panier de soins, afin de le rapprocher de celui utilisé en Allemagne ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - La prévision des dépenses de l'AME est un exercice délicat, et ceci de longue date puisque les ouvertures de crédits en loi de finances rectificative sont récurrentes. Nos difficultés à anticiper précisément les dépenses de l'année à venir au moment de l'élaboration de la loi de finances initiale s'expliquent par le fait que nous ne disposons, à ce moment-là, que des résultats du premier semestre de l'année en cours. L'année 2014 n'a pas échappé à la règle et des ouvertures de crédits relativement importantes - 155 millions d'euros - sont intervenues.

Pour autant, la dépense d'AME effectivement supportée par l'Assurance maladie, soit 722 millions d'euros, n'a augmenté que de 1,1 % par rapport à l'année 2013. C'est l'indicateur qui permet d'appréhender l'évolution de la dépense de la manière la plus fine possible. Ce résultat est le fruit de deux tendances contraires. D'une part, une augmentation du nombre de bénéficiaires de 4 % sur l'année 2014, et plus précisément une augmentation de 5,6 % du nombre de bénéficiaires qui consomment des soins. D'autre part, et dans le sens inverse, une meilleure maîtrise de la dépense du fait de la modification de la tarification hospitalière. Nous avons depuis trois ans adapté les règles de la tarification hospitalière, qui étaient auparavant assise sur 100 % des tarifs journaliers de prestation, pour les aligner sur les tarifs du régime général - c'est-à-dire 80 % pour les groupes homogènes de séjour et 20 % pour le tarif journalier de prestation. Nous avons également supprimé progressivement les coefficients de majoration pérennes et transitoires, qui avaient été mis en place pour accompagner cette réforme. Ces différentes mesures ont permis, sur l'année 2014, des économies à hauteur de 95 millions d'euros liées à la pleine montée en charge de la réforme de la tarification, auxquelles s'ajoutent 26 millions d'euros d'économies liées à la suppression des coefficients de majorations - en année pleine, à partir de 2015, cette suppression permettra d'économiser 55 millions d'euros. Ces mesures permettent de baisser la dépense hospitalière, et donc de maîtriser l'augmentation des dépenses d'AME aux alentours de 1 % sur l'année 2014.

M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Santé » . - Ce n'était pas ma question ; pourquoi avoir inscrit 560 millions d'euros en loi de finances initiale, pour l'AME de droit commun, et non pas un montant plus proche de 700 millions d'euros ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Il est difficile d'estimer la réalité de la dynamique de la dépense sur l'année à venir, dans la mesure où, au moment de la construction budgétaire, nous ne disposons que des six premiers mois de l'année en cours.

M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Santé » . - L'écart est tout de même considérable entre le montant inscrit en loi de finances initiale et la dépense réelle constatée... Mais au moins peut-on se réjouir que la dépense globale soit presque stabilisée en 2014 par rapport à 2013.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - En ce qui concerne le profil des bénéficiaires de l'AME, nous n'observons pas d'évolution. Les bénéficiaires sont à plus de 60 % des hommes, plutôt jeunes. Un sixième d'entre eux sont des enfants. En ce qui concerne les profils de dépense, le recours à l'hôpital représente les deux tiers des dépenses pour un peu moins d'un tiers de soins de ville ; le recours à l'hôpital est donc beaucoup plus important que pour la population générale. Par ailleurs, les dépenses d'AME sont très concentrées sur quelques caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), l'essentiel des bénéficiaires relevant de Paris, Bobigny et Marseille.

Je signale que la hausse des bénéficiaires de l'AME que j'évoquais tout à l'heure, soit 4 % pour les bénéficiaires de l'AME et 5,6 % pour les bénéficiaires « consommants », est en nette décélération par rapport à 2013. Nous retrouvons maintenant le rythme moyen d'augmentation des années 2008-2013.

S'agissant des comparaisons européennes effectuées régulièrement, à la fois par les travaux des deux assemblées et les inspections, elles me semblent devoir être prises avec beaucoup de prudence. Il importe de distinguer entre ce qui relève des règles nationales et de la pratique. L'Espagne, par exemple, a introduit des dispositions très restrictives en 2012, qu'elle est aujourd'hui en train de modifier. En Allemagne, nos travaux montrent que, dans la plupart des cas, les municipalités complètent les dispositifs d'accès aux soins, pour des raisons de santé publique. Par rapport à la Belgique, à l'Italie ou aux Pays-Bas, le panier de soins offert par la France est sans doute dans la moyenne supérieure, mais tout de même proche de la moyenne.

Nous ne sommes pas restés inactifs pour autant. Ces dernières années, nous avons procédé à quelques ajustements du panier de soins. En 2011, les cures thermales et la procréation médicalement assistée (PMA) en ont été retirées. En 2015, nous avons supprimé de la liste, pour les bénéficiaires majeurs de l'AME, les médicaments à service médical rendu faible, remboursés à 15 %.

Faut-il aller plus loin ? Il s'agit avant tout d'une question politique. Toutefois, nous observons qu'un resserrement supplémentaire du panier de soins risquerait de retarder la prévention et la prise en charge de proximité dans le cadre des soins de ville, et donc d'aboutir à un transfert des dépenses de cette population vers des soins hospitaliers plus coûteux. Il faut également regarder avec attention les effets de bord entre l'AME et les dépenses au titre des soins urgents. Quoi qu'il en soit, au niveau technique, nous n'avons pas, à ce stade, instruit de nouvelles hypothèses d'évolution du panier de soins pour les bénéficiaires de l'AME.

M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Santé » . - Il pourrait être opportun d'étudier la possibilité d'un recours aux assurances privées, pour les personnes étrangères en situation irrégulière qui disposent de ressources.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - L'AME est placée sous condition de ressource : en théorie, une personne dont les revenus dépasseraient le plafond de la CMU de base, soit environ 9 600 euros, par an n'a pas accès à l'AME et doit souscrire une assurance privée.

M. Francis Delattre, rapporteur spécial de la mission « Santé » . - Ce plafond est impossible à vérifier en pratique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général . - Vous faisiez allusion aux éléments permettant de vérifier l'admission à l'AME. J'ai un doute à ce sujet. Il me semble que la loi de finances rectificative pour 2003 avait prévu une obligation de produire certains documents justificatifs, dont la liste devait être fixée par décret. Pouvez-vous me confirmer que le décret n'est jamais sorti, et que le système est par défaut déclaratif ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Ce que prévoit la loi depuis 2002 ou 2003, c'est la possibilité pour le pouvoir réglementaire de mettre à la charge des bénéficiaires de l'AME un ticket modérateur. Ce décret n'a effectivement pas été pris depuis maintenant plus de douze ans, les gouvernements successifs étant attachés à ce que les bénéficiaires de l'AME continuent à bénéficier de soins gratuits.

J'ajoute que les CPAM vérifient bien la réalité des ressources des bénéficiaires de l'AME, sur le fondement du décret du 28 juillet 2005 qui fixe la liste des pièces justificatives nécessaires. Celles-ci sont contrôlées de manière semblable à ce qui se fait pour d'autres prestations placées sous condition de ressources.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général . - Le décret de 2011, que vous avez évoqué, restreint quant à lui l'accès à un certain nombre de soins, dont le plus choquant était sans doute le thermalisme. Lors de son audition devant la commission des affaires sociales l'année dernière, la ministre avait affirmé qu'il existait encore des abus et des fraudes. Par exemple, des sites étrangers continuent à vendre des cartes d'AME, des publicités proposent des « packs » de tourisme médical, des personnes qui ne sont pas résidentes en France font des allers retours pour bénéficier de soins, etc. Ces cas existent-ils toujours ? Pourquoi le décret de 2011 a-t-il fixé un seuil d'accord préalable aux soins coûteux hospitaliers, à 15 000 euros ? Ce seuil n'est-il pas trop élevé, au regard du risque de tourisme médical sur des soins lourds ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Je ne m'aventurerais pas à nier la réalité de tentatives de fraudes, mais celles-ci sont largement à mettre en relation avec la politique migratoire, qui ne relève pas du ministère de la santé. Quoi qu'il en soit, depuis 2010, les titres d'admission à l'AME sont sécurisés, comportent une photo d'identité pour les adultes, et sont systématiquement remis en main propre par les agents des CPAM.

Des contrôles réguliers sont menés sur l'activité de certains professionnels de santé qui peuvent éventuellement s'inscrire dans une logique de filière ou de consommation excessive ou anormale de soins pour les bénéficiaires de l'AME. Ces contrôles ont abouti en 2014 à près d'une dizaine de procédures pénales engagées par les CPAM - on peut juger que c'est peu mais c'est l'aboutissement de procédures de contrôle qui sont relativement lourdes.

S'agissant du dispositif d'accord préalable que vous avez évoqué, il a été abrogé en même temps que le droit de timbre en 2012, le gouvernement considérant qu'il était en réalité inopérant et difficile à mettre en oeuvre, et qu'il ne répondait pas à son objectif. Par ailleurs, depuis 2011, le bénéfice de l'AME est subordonné à la vérification de la stabilité de la condition de résidence, ce qui entraîne également des contrôles menés par les CPAM.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général . - Existe-t-il un seuil d'accord préalable pour les soins hospitaliers coûteux des assurés du régime général ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Non, il n'en existe pas pour les soins hospitaliers, mais des seuils existent pour certains types de soins, par exemple les soins dentaires ou de kinésithérapie. Les procédures d'accord préalable pour ces soins s'appliquent de la même façon pour les assurés du régime général que pour les bénéficiaires de l'AME.

M. René-Paul Savary , rapporteur pour avis de la mission « Santé » . - Je comprends que l'effet de la hausse des bénéficiaires de 4 % en 2014 soit estompé par l'impact de la réforme de la tarification hospitalière. Mais si le rythme de progression des bénéficiaires se maintient et que les mesures d'économies cessent de produire leurs effets, les crédits de l'AME augmenteront nécessairement après 2015.

J'ai une question concernant l'AME pour soins urgents. L'État finance ce dispositif à hauteur de 40 millions d'euros. Quel est le montant des dépenses prises en charge par l'assurance maladie en 2014 ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Nous sommes attentifs à l'évolution de la dépense sur l'année 2015, même si l'exercice est difficile. Je souhaiterais préciser que la réforme de la tarification hospitalière finira de produire ses effets en 2015, ce qui représentera une économie de 55 millions d'euros. L'hypothèse sous-jacente d'évolution du nombre de bénéficiaires est d'un peu moins de 4 % en 2015. Par ailleurs, nous estimons que l'évolution des règles en matière de droit d'asile, et l'accélération du traitement des demandes, pourrait permettre de limiter la progression du nombre de demandeurs d'AME.

Concernant les soins urgents, le montant total de la dépense d'AME dépasse un effet le forfait de 40 millions d'euros pris en charge par l'État. Le total de la dépense s'est élevé à 129 millions d'euros en 2013 et à 105 millions d'euros en 2014. L'assurance maladie a donc financé le différentiel, soit près de 90 millions d'euros en 2013 et 65 millions d'euros en 2014.

M. Roger Karoutchi . - La commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la réforme du droit d'asile se tiendra au Sénat ce jour-même. Monsieur le directeur, vous dites que la situation actuelle concernant l'AME est une conséquence de la politique migratoire, qui ne dépend pas de votre ministère, et que l'accélération des procédures de demande d'asile devrait réduire la progression des demandes - alors qu'en réalité la durée des procédures s'allongera, du fait de la création de nouvelles possibilités de recours. Cela signifie, qu'en réalité, nous allons continuer de voir les dépenses d'AME progresser. Comme l'a dit le rapporteur général, nous savons bien qu'il existe, dans un certain nombre de pays, et pas seulement en Chine, des réseaux et des filières proposant d'aller en France pour se faire soigner. Les hôpitaux franciliens sont submergés. D'ailleurs, il y a quelques années, certains grands médecins hospitaliers avaient lancé une pétition contre le tourisme médical en Île-de-France. La seule chose que l'on nous dit est, qu'en effet, le nombre de bénéficiaires de l'AME augmente de 4 % à 5 % par an, qu'en effet, les dépenses sont sous-évaluées chaque année, que si une autre politique migratoire était mise en place, les choses changeraient... Et le système continue de tourner, tout en sachant pertinemment qu'il implosera tôt ou tard. Pourquoi n'y a-t-il pas de réflexion, au sein du ministère des affaires sociales et de la santé, sur la définition de l'AME et les possibilités de la recentrer sur une aide pour les cas urgents et non pas un système général et générique, qui attire un nombre croissant de personnes.

M. Serge Dassault . - La France n'a plus les moyens d'assurer une politique sociale, vis-à-vis de qui que ce soit, y compris des étrangers. Nous dépensons trop ; les déficits budgétaires augmentent. Le jour où les taux d'intérêt augmenteront, nous ne pourrons plus rembourser - comme les Grecs ! Je suis contre le dispositif de l'AME tel qu'il existe et je suis très inquiet de la progression des dépenses des hôpitaux.

M. André Gattolin . - Nous connaissons le coût de l'AME. Il est possible de la présenter, à l'instar de certains collègues, comme une aide indue aux étrangers en situation irrégulière. Mais on oublie souvent qu'il s'agit d'un instrument de santé publique, qui met en oeuvre des mesures de prophylaxie. Disposez-vous d'une évaluation des conséquences financières et sanitaires d'une suppression ou d'une réduction du périmètre de l'AME ? Il faut en effet tenir compte des bénéfices que l'AME procure à la société dans son ensemble, en termes de prévention et de prophylaxie.

M. Éric Doligé . - Peut-être avez-vous déjà donné ces chiffres, mais je souhaiterais connaître la progression du nombre de demandeurs d'AME ainsi que la situation dans d'autres pays européens - ont-ils une AME ou un équivalent ? Aura-t-on encore longtemps les capacités d'assumer une dépense sociale d'une telle ampleur sans surcroît de recettes ?

M. Michel Bouvard . - Je souhaiterais que vous nous éclairiez sur la façon dont se déroule la conférence budgétaire pour déterminer le montant des crédits dévolus à l'AME. Il y a une sous-budgétisation chronique du programme 183 ; ceci n'est pas une nouveauté et remonte à avant 2012. Quels chiffres fournissez-vous et comment s'opère l'arbitrage lors de la conférence budgétaire ? Tenez-vous compte de l'exécution des crédits de l'année précédente ? La sous-budgétisation est-elle délibérée ?

M. Richard Yung . - Tout d'abord, je souhaiterais poser la même question qu'André Gattolin sur l'incidence, en termes sanitaire et financier, d'une suppression de l'AME. Ensuite, j'aimerais avoir des explications complémentaires concernant l'évolution des dépenses : les conséquences financières de la progression des bénéficiaires semblent avoir été en partie compensées par des mesures d'économies importantes. Ces mesures ont-elles seulement un effet ponctuel ? Avez-vous d'autres mesures d'économies dans votre besace ? Comment devrait évoluer la dépense dans les trois à quatre prochaines années ?

Mme Marie-France Beaufils . - Je ne reviendrai pas sur les propos d'André Gattolin, que je partage pleinement. Nous entendons beaucoup parler d'un soi-disant tourisme médical, lié à l'AME. Avez-vous des outils pour mesure ce phénomène ? Je souhaite également rappeler que, de temps à autres, lorsque l'AME ne peut pas être utilisée, ce sont les collectivités territoriales et leurs centres communaux d'action sociale qui sont sollicités. Il faut donc être vigilant. Nous avons besoin de l'AME au niveau national pour éviter des répercussions très lourdes au niveau local.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Tout d'abord, l'année 2014 ne marque pas une dérive des dépenses d'AME. La progression de 1,1 % est inférieure au rythme d'accroissement des dépenses de l'assurance maladie. Il n'y a donc pas de dérapage de l'AME de ce point de vue.

Cela résulte des mesures mises en oeuvre par le ministère des affaires sociales et de la santé, qui ne reste pas inactif face à cette situation. Ces mesures ont concerné le panier de soins, la tarification à l'activité à l'hôpital... À l'issue de leur montée en charge, fin 2015, l'ensemble de ces mesures représenteront au total près de 155 millions d'euros d'économies. Ceci n'est pas négligeable pour le programme 183 « Protection maladie ». Je rappelle également, compte tenu de la nature des dépenses en cause, que nous attachons une attention particulière à la vérification des droits et à la juste dépense. Néanmoins, 722 millions d'euros représentent moins de 0,5 % de la dépense publique de santé, qui est supérieure à 180 milliards d'euros. Par ailleurs, l'ensemble des actions que nous menons en matière de maîtrise des dépenses de santé ont un effet sur l'AME. Lorsque nous baissons les prix de médicaments, que nous encourageons l'utilisation des génériques, ceci a un effet sur l'ensemble des utilisateurs du système de santé, qu'ils bénéficient ou non de l'AME.

S'agissant des éventuelles conséquences sanitaires et financières d'une suppression de l'AME, les deux rapports successifs de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), rendus il y a plus de cinq ans, indiquent qu'une restriction importante du panier de soins de l'AME pourrait créer des risques en matière de santé publique. Ceux-ci ne sont pas quantifiés mais ils sont néanmoins soulignés, à la fois par l'IGAS et par l'IGF.

Je souhaiterais compléter les éléments chiffrés : à la fin de l'année 2014, il y avait 294 000 bénéficiaires de l'AME. Ce chiffre était de 215 000 en décembre 2010 et de 155 000 en décembre 2004. La hausse n'est donc pas nouvelle.

Les économies annoncées ne sont pas « one shot » mais viennent bien minorer de façon pérenne l'évolution de la dépense.

Comme toutes les conférences budgétaires concernant des dépenses de guichet telles que le revenu de solidarité active (RSA) « activité » ou l'allocation pour adulte handicapé (AAH), celle concernant l'AME est compliquée. Nous échangeons avec les services de la direction du budget, de l'assurance maladie et les équipes statistiques de la direction de la sécurité sociale, pour évaluer le tendanciel des dépenses, et nous discutons de la faisabilité des mesures d'économie. Ces réunions préparatoires se traduisent ensuite par des réunions entre les ministres en charge du budget et de la santé - je suis d'ailleurs sous l'autorité des deux ministres concernés.

La réalité est simple : nous sommes incapables d'anticiper quel sera le nombre réel de bénéficiaires de l'AME car il s'agit d'une population en situation irrégulière et dont l'évolution dépend de multiples facteurs ! À titre d'exemple, en 2010, nous avons enregistré une hausse de 8 % des bénéficiaires et en 2011, une baisse de 5 %. Il est effectivement difficile de déterminer le tendanciel d'évolution de la dépense, en raison de l'évolution très erratique du nombre de bénéficiaires. Par ailleurs, je rappelle que les hypothèses techniques de budgétisation sont fournies au Parlement dans les projets annuels de performances.

Je souhaiterais également compléter mon propos concernant la situation en Allemagne. Les personnes en situation irrégulière se voient appliquer la législation relative aux demandeurs d'asile, ce qui signifie qu'elles ont droit à des prestations médicales dites « de base », en cas de grossesse, de maladie grave et lorsque leur état nécessite une intervention urgente. Nous avons interrogé les services de l'ambassade de France à Berlin. Il s'avère que les professionnels de santé ont, dans la plupart des cas, des difficultés à différencier les différents types de soins, notamment pour des raisons éthiques et déontologiques. Par ailleurs, un certain nombre de municipalités - Munich, Berlin, Francfort, Cologne - mettent en place des dispositifs complémentaires à travers des centres de santé ou des aides financières.

Enfin, concernant l'éventuel tourisme médical lié à l'AME, par définition, face à une population en situation irrégulière, nos outils statistiques sont limités. Nous menons beaucoup d'enquêtes sur la population du régime général mais ceci est nettement plus compliqué pour les bénéficiaires de l'AME. Il n'y a pas de fichier national, vous comprendrez bien pourquoi... Même si les échanges que nous avons avec les hôpitaux, y compris avec l'assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), confirment qu'il existe des filières d'accès aux soins, qui peuvent entraîner des arrivées sur le territoire français.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le rapporteur spécial vous a adressé un questionnaire récemment, dans lequel il était demandé de fournir des éléments de comparaison avec les autres pays européens. Je constate que vous avez cité une note préparée par les services des ambassades. Pourriez-vous nous transmettre ces éléments afin d'éviter d'avoir, à notre tour, à solliciter ces services ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Bien entendu. Je vous transmettrai ces éléments par écrit.

M. Francis Delattre , rapporteur spécial de la mission « Santé » . - J'avais cru comprendre que, dès lors qu'un demandeur d'asile déposait son dossier, il avait droit à la CMU de base et complémentaire. L'augmentation du nombre de demandeurs d'asile ne peut donc pas avoir un impact sur l'AME. Je ne comprends pas le lien que vous faites avec la réforme du droit d'asile.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Vous avez raison sur le fait que les demandeurs d'asile se voient attribuer le droit à la CMU.

M. Francis Delattre , rapporteur spécial de la mission « Santé » . - Ce que je ne conteste pas !

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - Mais à partir du moment où le demandeur d'asile est débouté, il peut recourir à l'AME. C'est le lien entre la gestion du droit d'asile et la reconduite à la frontière des déboutés qui joue sur le flux de bénéficiaires potentiels de l'AME.

- Présidence de M. Yvon Collin, vice-président -

M. Daniel Raoul . - Monsieur le directeur, je sais que vous ne disposez pas d'outil statistique très performant. Je souhaiterais rebondir sur la question d'André Gattolin : a-t-on une estimation du rôle de prophylaxie de l'AME, bénéficiant à l'ensemble de la population ? Nous constatons en ce moment des épidémies de rougeole en Alsace, ce qui entraîne la fermeture de certaines écoles. Grâce à l'AME, ne protège-t-on pas aussi notre population des maladies infectieuses ? Certains spécialistes d'épidémiologie seraient peut-être capable de concevoir un modèle de développement de certaines maladies en l'absence d'AME.

M. Michel Canevet . - Vous avez évoqué le fait que l'assurance maladie supportait un « reste à charge » important au titre des dépenses d'AME pour soins urgents. N'est-il pas envisagé que l'État finance l'intégralité des dépenses effectivement constatées ? Sinon, ce seront les entreprises, par le biais des cotisations sociales, qui devront financer cette dépense.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale . - À ma connaissance, aucun travail n'a été engagé pour développer un modèle de prévision du coût, notamment en termes de dépenses de santé, de la suppression ou de la réduction du champ de l'AME. Nous allons tout de même vous transmettre les extraits des rapports de l'IGAS et de l'IGF sur un certain nombre de pathologies. Si l'on analyse de plus près les pathologies au titre desquelles les bénéficiaires utilisent l'AME, on constate que 20 % des cas concernent des accouchements. Il existe également de nombreux cas d'infections, hépatiques, de l'appareil respiratoire ou de l'appareil circulatoire, dont certaines peuvent être contagieuses, parmi les dépenses hospitalières des bénéficiaires de l'AME. Nous compléterons notre réponse sur ce point par écrit.

S'agissant de l'AME pour soins urgents et de son financement forfaitaire par l'État, cette situation résulte d'une décision prise en 2008. On peut s'interroger sur la logique consistant à mettre une partie de ces dépenses à la charge de l'assurance maladie. Pour autant, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a transposé les mesures de réforme de la tarification hospitalière, prises précédemment pour l'AME de droit commun, à l'AME pour soins urgents. Ceci se traduira par une économie substantielle en 2015, estimée à 50 millions d'euros, ce qui devrait permettre de diminuer très fortement le reste à charge de l'assurance maladie.

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