B. DES AMENAGEMENTS DESTINÉS À RENFORCER L'EFFECTIVITÉ DES DROITS ET LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DU DISPOSITIF
1. La suppression d'une disposition tendant à introduire ce critère dans la loi du 29 juillet 1881
Votre rapporteur s'est interrogé sur la pertinence de l'insertion d'un critère de discrimination à raison de la précarité sociale dans le droit de la presse.
Constitue des délits de presse l'injure, qui qualifie « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait » , et la diffamation, définie comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne » , punis d'une amende de 12 000 euros.
Ces délits sont aggravés seulement dans quelques hypothèses restreintes de racisme, de sexisme, d'homophobie et d'handiphobie. Ces mêmes critères sont les seuls à fonder le délit de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination. Ainsi, l'ensemble des critères qui figurent dans l'article L. 225-1 du code pénal ne sont pas reproduits dans la loi sur la presse.
De fait, les propos méprisants ou condescendants prononcés à l'égard d'une personne en situation de pauvreté semblent d'ores et déjà sanctionnés par le délit d'injure , sans qu'il soit nécessaire de l'aggraver. En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a pour objectif premier de protéger la liberté d'expression. En conséquence, ses incriminations comme ses règles procédurales encadrent autant que possible toutes les actions qui auraient pour effet de restreindre cette liberté constitutionnelle.
Enfin, comme l'a souligné le conseiller à la chambre criminelle de la Cour de cassation, M. Jean-Yves Monfort, qui a présidé pendant dix ans la 17 ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, spécialisée dans les affaires de presse, « la multiplication des catégories protégées dans la loi de 1881 risque de faire perdre de vue l'interdit du racisme ».
Par conséquent, votre commission a adopté un amendement COM-2 tendant à supprimer l'introduction de ce critère dans la loi du 29 juillet 1881. Suivant le même argument, votre commission a adopté un amendement COM-4 visant à supprimer l'insertion de ce critère dans le 1° de l'article 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui ne recense pas l'ensemble des critères discriminatoires.
2. Éviter les effets contre-productifs et autoriser la discrimination positive
Votre commission a été attentive aux conséquences d'une incrimination trop large, qui remettrait en cause les différences du traitement en fonction du revenu, pourtant conformes au principe d'égalité.
Nombre de comportements économiques se fondent sur les revenus : le refus d'un banquier d'accorder un prêt ou le refus de louer d'un propriétaire à une personne sans emploi, par exemple. Or, ces comportements apparaissent légitimes au regard du droit de propriété et du principe de liberté du commerce et de l'industrie à valeur constitutionnelle. De plus, comme le prévoit de jurisprudence constante le Conseil constitutionnel, « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».
Votre commission a également été attentive aux mesures qui pourraient être prises en faveur des personnes vulnérables à raison de leur situation économique. Par conséquent, elle a adopté un amendement COM-3 qui complète le chapitre du code du travail relatif aux différences de traitement autorisées afin de ne pas faire obstacle aux actions positives en faveur des personnes précaires.
3. La nécessité de proposer une voie de recours effective
Il est nécessaire que le critère proposé par le présent texte soit suffisamment opérant pour permettre effectivement des voies de recours en justice . Dans son avis de suivi de la loi d'orientation de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, la CNCDH soulignait que cette législation est trop peu connue et trop inégalement appliquée. Comme l'a exprimé le magistrat M. Jean de Maillard, « une loi qui n'est pas appliquée est dangereuse pour elle-même ». Les syndicats de magistrats ont souligné la défiance des citoyens envers la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable : le législateur a certes créé un droit mais sans l'accompagner de moyens permettant aux juridictions de garantir l'accès effectif à ce droit. Ainsi, le législateur doit être tout aussi vigilant à l'accès effectif aux droits qu'il crée, qu'au contenu de ces droits afin de ne pas générer de frustrations supplémentaires.
Enfin, votre commission a invité le Gouvernement à continuer à agir contre la précarité sociale, inscrite dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale : elle a salué les initiatives telles que le « rendez-vous des droits » qui permet une meilleure appropriation de leurs droits par les populations fragilisées.
Votre commission a également encouragé les pouvoirs publics à mener une réflexion afin de combattre les stigmatisations et réhabiliter les valeurs d'assistance et de solidarité. À cette fin, elle salue les travaux de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, qui a publié en 2013 le rapport « Penser l'assistance » afin de changer le regard sur l'assistance et la protection sociale, ainsi que ceux d'ATD Quart Monde, qui a publié en 2015 un ouvrage pédagogique qui met en cause les idées reçues sur la pauvreté.
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Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.