CHAPITRE V - Assurer la continuité de la vie des entreprises
Section 1 -
Spécialisation de certains tribunaux de commerce
Article 65 (art. L. 721-1 à L. 721-7 du code de commerce) - Codification des articles du code de commerce relatifs à l'institution et à la compétence des tribunaux de commerce
Objet : cet article vise à créer une section au sein du code de commerce pour distinguer les dispositions relatives à l'institution et à la compétence des tribunaux de commerce non spécialisés de celles relatives aux tribunaux de commerce spécialisés.
I - Le dispositif proposé
L'article 65 du projet de loi est le premier d'une série concernant la réforme de la justice commerciale.
Au sein du chapitre I er , relatif à l'institution et à la compétence, du titre II, relatif au tribunal de commerce, du livre VII du code de commerce, il vise à regrouper au sein d'une nouvelle section les articles L. 721-1 à L. 721-7 actuels, relatifs à l'institution et à la compétence des tribunaux de commerce, de façon à créer au sein du même chapitre une nouvelle section, relative aux tribunaux de commerce spécialisés.
II - La réforme de la justice commerciale
Votre commission souscrit pleinement à l'analyse, qui sous-tend le projet de loi, selon laquelle l'efficacité de la justice commerciale contribue au bon fonctionnement de l'économie, au titre de la sécurité juridique des relations commerciales, ainsi qu'à la compétitivité et au développement des entreprises. En revanche, pour cette même raison, elle déplore que la réforme des tribunaux de commerce, qui vise à renforcer l'efficacité de la justice commerciale, soit partagée entre plusieurs textes, empêchant le Parlement d'avoir une vision d'ensemble et une approche globale de la question.
Ainsi, le présent projet de loi traite de la spécialisation de certains tribunaux de commerce , qui seraient chargés des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises les plus importantes , et comporte certaines dispositions relatives aux procédures collectives et aux professions d'administrateur judiciaire et mandataire judiciaire (accès à la profession et exercice salarié), tandis que le futur projet de loi annoncé par le Gouvernement sur la « justice du XXI ème siècle » devrait aborder, entre autres aspects de la justice commerciale, le statut des juges consulaires (obligation de formation, déontologie...). À cet égard, votre rapporteur insiste sur la nécessité de renforcer les exigences statutaires propres aux juges consulaires, à l'instar de ce que fait le projet de loi pour les conseillers prud'homaux, de façon à les rapprocher du régime de droit commun des juges judiciaires.
Entendue par votre commission, la garde des sceaux a confirmé que le futur projet de loi sur la « justice du XXI ème siècle » aborderait le reste de la réforme de la justice commerciale.
Au surplus, votre rapporteur indique que plusieurs propositions, qui ne sauraient être prises en compte à ce stade dans le présent projet de loi, compte tenu de sa nature et de ses conditions d'examen, pourraient l'être dans la réforme des tribunaux de commerce.
D'une part, pour assurer la cohérence de la juridiction commerciale, la compétence rationae personae des tribunaux de commerce, pour toutes leurs attributions, pourrait être étendue à l'ensemble des entreprises , c'est-à-dire y compris les artisans, les agriculteurs et les professions libérales et, éventuellement, les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique 363 ( * ) , lesquels relèvent dans la plupart des cas de la compétence des tribunaux de grande instance (TGI).
Actuellement, s'agissant du contentieux commercial, le tribunal de commerce est compétent, pour l'essentiel, pour les litiges entre commerçants et entre sociétés commerciales.
S'agissant des procédures collectives, le code de commerce dispose qu'elles peuvent être ouvertes à l'encontre de toute personne exerçant une activité commerciale, artisanale ou agricole, de toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession réglementée, ainsi que de toute personne morale de droit privé. Le tribunal de commerce est compétent pour les entreprises artisanales et commerciales, tandis que le tribunal de grande instance est compétent pour les personnes morales de droit privé non commerçantes et pour les entreprises agricoles ou indépendantes, y compris les professions réglementées.
Une extension de la compétence des tribunaux de commerce à toutes les entreprises permettrait d'en faire de véritables tribunaux économiques ou tribunaux de l'entreprise , avec un contentieux plus étendu et donc une pratique plus soutenue pour les juges consulaires. Dès lors, la question de la spécialisation des tribunaux de commerce se poserait peut-être d'une autre manière.
D'autre part, à titre d'illustration, au titre de la compétence rationae materiae , M. Frank Gentin, président du tribunal de commerce de Paris, a suggéré, lors de l'audience solennelle de rentrée du 15 janvier 2015, d'élargir la compétence des tribunaux de commerce aux baux commerciaux , ce qui peut apparaître tout à fait cohérent. Là encore, une réflexion mérite d'être conduite. De plus, il a également souhaité une évolution de la procédure, de façon à réduire les délais de traitement des affaires.
Enfin, un élargissement du corps électoral comme de la composition des tribunaux de commerce doit être étudié, en complément de l'extension de leurs compétences à toutes les entreprises. À tout le moins faudrait-il que tous les artisans puissent être électeurs et éligibles, dès lors qu'ils relèvent du tribunal de commerce en matière de procédures collectives même lorsqu'ils ne sont pas constitués sous forme de société commerciale.
Actuellement, les juges consulaires sont élus par un collège électoral composé, d'une part, des juges en exercice et des anciens juges et, d'autre part, des délégués consulaires, eux-mêmes élus dans la circonscription de chaque chambre de commerce et d'industrie par un corps électoral composé, pour l'essentiel, des personnes physiques et morales inscrites au registre du commerce et des sociétés, commerçants et sociétés commerciales, ainsi que des cadres dirigeants des sociétés commerciales. Sont éligibles aux fonctions de juge consulaire, les membres du corps électoral des délégués consulaires de nationalité française, âgés d'au moins trente ans, exerçant leurs fonctions depuis au moins cinq ans et n'ayant pas connu de procédure collective.
Par ailleurs, sans nécessairement en partager toutes les conclusions, votre rapporteur tient à signaler que la Cour des comptes, dans le bilan de la réforme de la carte judiciaire figurant dans son rapport annuel pour 2015 364 ( * ) , a appelé à une nouvelle réforme de la carte des tribunaux de commerce, en vue d'en réduire le nombre :
« S'agissant tout d'abord des tribunaux de commerce, plus de la moitié des juridictions commerciales n'atteignent pas les 400 procédures contentieuses par an. Certains tribunaux ont une activité réduite, alors qu'ils sont implantés près d'un tribunal plus important. À cet égard, de nouveaux regroupements de tribunaux de commerce, qui permettraient de garantir une spécialisation adéquate pour les affaires les plus complexes, apparaissent souhaitables du point de vue de l'ordre public économique et de l'efficacité de la justice commerciale. Aussi la Cour réitère la recommandation qu'elle a formulée dans un référé du 13 mai 2013 d'approfondir la réforme de la carte des tribunaux de commerce. »
Cette recommandation reprend les conclusions formulées par la Cour dans son référé de mai 2013 sur l'organisation et le fonctionnement de la justice commerciale 365 ( * ) , portant notamment sur la carte des tribunaux :
« La France comptait 227 tribunaux de commerce en 1998. Il en existe aujourd'hui 134. Malgré cette réduction, plus de la moitié n'atteignent pas les 400 nouvelles procédures contentieuses par an (seuil minimum retenu en 2007 à l'occasion de la réforme de la carte judiciaire). Certains tribunaux ont une activité très réduite, alors qu'ils sont implantés à proximité d'un tribunal plus important. Enfin, dans 60 des 134 tribunaux de commerce, chaque juge traite moins de 15 affaires contentieuses par an. À cet égard, la Cour considère que de nouveaux regroupements de tribunaux sont souhaitables, du point de vue de l'ordre public économique et de l'efficacité de la justice commerciale. Elle recommande en ce sens un approfondissement de la réforme de la carte des tribunaux de commerce concentré sur les zones dotées de plusieurs tribunaux et dont un au moins n'atteint pas la taille critique. »
Dans son référé, la Cour avait également suggéré une « spécialisation adéquate dans les affaires les plus complexes », par la création de pôles régionaux spécialisés pour le traitement de certains types de contentieux particuliers, selon différentes formules envisageables, et par la création de chambres mixtes communes aux tribunaux d'un même ressort de cour d'appel, sans remise de la faculté de « dépaysement des dossiers à fort enjeu ». À cet égard, votre rapporteur rappelle que des tribunaux de commerce ont été spécialisés en matière de concurrence 366 ( * ) - c'est-à-dire un contentieux précis présentant une technicité particulière, à l'instar de la spécialisation opérée pour certains TGI dans certains types de contentieux -, indépendamment de la taille des entreprises concernées.
En revanche, la Cour n'avait pas recommandé une spécialisation des tribunaux de commerce en fonction de la taille des entreprises concernées ou en matière de procédures collectives.
Dans ce référé, la Cour des comptes avait également plaidé en faveur d'une obligation de formation des juges consulaires et d'un renforcement de leurs règles déontologiques, pour garantir leur impartialité, notamment par une déclaration d'intérêts, tout en jugeant « prioritaire » la révision de la carte des tribunaux de commerce.
Ainsi, telle qu'elle est traitée par le présent projet de loi, la question de la spécialisation des tribunaux de commerce peut être perçue comme une façon d'écarter la question d'une nouvelle rationalisation de la carte des tribunaux , laquelle conduirait à leur donner une taille critique permettant aux juges de traiter un nombre suffisant d'affaires, afin de soutenir leur compétence juridictionnelle et de renforcer leur professionnalisation. La compétence se développe et se maintient grâce au traitement d'un nombre suffisamment important d'affaires. En tout état de cause, la spécialisation ne permet pas à elle seule de répondre aux critiques formulées par la Cour des comptes, qui reposent sur l'idée que le bon fonctionnement de la justice doit permettre à chaque justiciable, lorsqu'il s'adresse à son juge naturel, d'avoir affaire à des juges compétents et suffisamment expérimentés.
Enfin, pour être complet, votre rapporteur tient à rappeler le débat récurrent sur l' échevinage , c'est-à-dire la présence au sein des tribunaux de commerce de magistrats professionnels, perspective à laquelle les juges consulaires ont toujours été particulièrement hostiles. Pour contourner cette hostilité, ainsi que la difficulté à créer des postes de magistrats à cet effet dans un contexte budgétaire difficile, il a été envisagé par le Gouvernement un échevinage en appel, dans le cadre des chambres commerciales des cours d'appel, formule également contestée par les juges consulaires.
Votre rapporteur tient cependant à rappeler qu'il existe aujourd'hui des juridictions commerciales échevinées, dont l'efficacité n'est pas remise en cause ni l'existence contestée. D'une part, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, plusieurs chambres commerciales du TGI exercent les compétences du tribunal de commerce. Ces chambres sont présidées par un magistrat du TGI, assisté de deux assesseurs élus comme les juges consulaires. D'autre part, dans les départements et régions d'outre-mer, un tribunal mixte de commerce (TMC) exerce les compétences du tribunal de commerce. Le TMC est présidé par le président du TGI et il est composé de juges élus comme les juges consulaires.
Ainsi, le projet de loi est loin d'épuiser la question de la réforme et de la modernisation des tribunaux de commerce, même si la spécialisation en constitue un aspect important. Votre commission ne peut que déplorer qu'il ne permette pas d'en avoir une approche globale et cohérente.
II - La position de votre commission
Compte tenu des modifications apportées à l'article 66 du projet de loi, rectifiant les modalités de la spécialisation des tribunaux de commerce tout en confirmant l'objectif poursuivi, et modifiant différents aspects du chapitre du code de commerce relatif à l'institution et à la compétence du tribunal de commerce, l'article 65 du projet de loi n'a plus lieu d'être. Aussi votre commission a-t-elle adopté, sur la proposition de son rapporteur, un amendement visant à supprimer cet article par coordination.
Votre commission spéciale a supprimé cet article.
Article 66 (art. L. 721-8 [nouveau] du code de commerce) - Instauration de tribunaux de commerce spécialisés compétents pour traiter des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises les plus importantes
Objet : cet article vise à instaurer des tribunaux de commerce spécialisés, avec compétence exclusive pour traiter des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises dont le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires seraient supérieurs à des seuils fixés par décret, ainsi que des procédures transfrontalières.
I - Le dispositif proposé
Au sein du chapitre I er , relatif à l'institution et à la compétence, du titre II, relatif au tribunal de commerce, du livre VII du code de commerce, l'article 66 du projet de loi crée une nouvelle section consacrée à l'institution et à la compétence de tribunaux de commerce spécialisés, comprenant un unique article L. 721-8. Il propose d'attribuer à cette catégorie particulière de tribunaux de commerce les procédures les plus importantes en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises.
Cet article prévoit une entrée en vigueur selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, au plus tard six mois après la publication de la loi, étant précisé que les procédures déjà engagées lors de l'entrée en vigueur demeureraient de la compétence des tribunaux déjà saisis.
A. La spécialisation de certains tribunaux de commerce pour traiter des procédures collectives concernant les entreprises les plus importantes
Actuellement, chaque tribunal de commerce 367 ( * ) , quel que soit l'effectif des juges consulaires, est compétent pour connaître des procédures et autres dispositifs prévus au livre VI du code de commerce, pour toute entreprise dont le siège se situe dans son ressort, quelle que soit sa taille : des mesures de prévention des difficultés des entreprises, que sont la procédure d'alerte et de détection à l'initiative du président du tribunal, le mandat ad hoc et la procédure de conciliation, ainsi que des procédures dites « collectives » de traitement des difficultés des entreprises, que sont les différentes variantes de la sauvegarde, le redressement judiciaire, la liquidation judiciaire et le rétablissement professionnel.
Il existe toutefois une spécialisation de certains tribunaux en matière de concurrence, comme le précise l'encadré ci-après.
Les tribunaux de commerce spécialisés en matière de concurrence La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a créé un article L. 420-7 dans le code de commerce pour prévoir que les litiges concernant les pratiques anticoncurrentielles, dites « PAC » (entente, abus de position dominante, prix abusivement bas...), « sont attribués, selon le cas, aux tribunaux de grande instance ou aux tribunaux de commerce dont la liste est fixée par décret ». En outre, l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 a prévu la compétence d'une cour d'appel unique pour connaître des décisions de ces juridictions spécialisées. Huit tribunaux de commerce ont été spécialisés en matière de PAC, compétents pour les commerçants et artisans, par le décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005 : Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France 368 ( * ) , Lyon, Nancy, Paris et Rennes. Le même décret a prévu en appel la compétence de la seule cour d'appel de Paris. Par la suite, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a modifié l'article L. 442-6 du code de commerce pour prévoir que les litiges concernant les pratiques restrictives de concurrence, dites « PRC » (obtention d'un avantage commercial sans contrepartie, aussi appelée « fausse coopération commerciale », rupture brutale des relations commerciales établies, déséquilibre significatif dans les obligations des parties...), « sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ». Huit tribunaux de commerce ont été spécialisés en matière de PRC, compétents pour les commerçants et artisans, par le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 : Marseille, Bordeaux, Tourcoing 369 ( * ) , Fort-de-France 1 , Lyon, Nancy, Paris et Rennes. Le même décret a également prévu en appel la compétence de la seule cour d'appel de Paris. La spécialisation de certains tribunaux de commerce en matière de concurrence a suivi la même logique que la spécialisation de certains tribunaux de grande instance dans certains contentieux, par exemple en matière de propriété intellectuelle : la spécificité et la technicité de ces contentieux appelaient un traitement plus unifié par des juridictions, et donc par des magistrats qui auraient l'habitude de les traiter, permettant une efficacité plus grande dans le fonctionnement de la justice. Source : commission spéciale du Sénat |
Or, il peut arriver des situations dans lesquelles un petit tribunal de commerce, composé d'un faible nombre de juges consulaires et traitant un nombre limité d'affaires, se trouve saisi d'une procédure de redressement judiciaire pour une entreprise de plusieurs centaines de salariés dont le siège est situé dans son ressort. Cette procédure sera nécessairement complexe, pour le tribunal chargé de la conduire, pour le juge-commissaire désigné par le tribunal pour veiller à son bon déroulement et autoriser certains actes, et pour l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire désignés par le tribunal, s'ils n'ont pas l'habitude de traiter des procédures lourdes avec de nombreux salariés et créanciers. La complexité pourra aussi s'accroître en raison des répercussions économiques et sociales locales importantes de la procédure, rendant plus délicate l'intervention du tribunal. Dans un tel cas de figure, il ne serait sans doute pas aisé pour le tribunal d'arrêter, dans des délais compatibles avec la situation économique de l'entreprise, un plan de nature à permettre effectivement la poursuite de son activité, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif, objectifs de la procédure. Un tribunal plus important, dont les juges sont habitués à traiter plus souvent des procédures plus nombreuses et impliquant des entreprises de plus grande taille, pourrait dans certains cas intervenir de façon plus efficace pour permettre le succès de la procédure de redressement judiciaire.
Aussi votre commission approuve-t-elle l'objectif du Gouvernement visant à assurer un traitement plus efficace des procédures les plus lourdes , en les confiant à des tribunaux de commerce plus importants, plus habitués à traiter ce type de procédure complexe comportant des enjeux économiques et sociaux plus forts, susceptibles de désigner des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires dans leur ressort eux-mêmes plus habitués au traitement des dossiers complexes.
L'article 66 du projet de loi prévoit ainsi d'instituer des tribunaux de commerce spécialisés (TCS) pour connaître de toutes les procédures prévues au livre VI du code de commerce concernant les entreprises dont le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires seraient supérieurs à des seuils fixés par décret, ainsi que les procédures d'insolvabilité transfrontalières, notamment en application du droit de l'Union européenne. Un TCS serait désigné dans le ressort d'une ou de plusieurs cours d'appel, lesquelles sont aujourd'hui au nombre de 30 à avoir des tribunaux de commerce dans leur ressort 370 ( * ) . Entendu par votre commission, le ministre de l'économie a évoqué une hypothèse de huit ou neuf TCS au total.
Outre le fait que la taille et la complexité d'une affaire ne coïncident pas toujours, votre rapporteur s'est interrogé sur la portée réelle d'une telle spécialisation, conçue comme une attribution automatique de compétence des plus grosses affaires aux tribunaux les plus importants.
D'une part, en pratique, la grande majorité des procédures les plus lourdes et complexes est déjà traitée par les tribunaux de commerce les plus importants, du simple fait de la présence dans leur ressort du siège de la plupart des grandes entreprises. Sont notamment concernés les tribunaux de commerce de Paris et de la petite couronne.
D'autre part, il existe une procédure de délocalisation des dossiers de mandat ad hoc , de conciliation ou de procédure collective, déjà prévue par les articles L. 662-2 et R. 662-7 du code de commerce, « lorsque les intérêts en présence le justifient ». La taille et la complexité d'une affaire peuvent justifier, avec d'autres motifs, un renvoi. Le renvoi à un autre tribunal du ressort de la cour d'appel est à l'appréciation du premier président de la cour d'appel 371 ( * ) , sur la demande du président du tribunal saisi, du débiteur lui-même, du créancier poursuivant ou du parquet. Selon les informations communiquées à votre rapporteur, cette procédure de délocalisation est utilisée de plus en plus fréquemment, à l'initiative du parquet en particulier.
Dans ces conditions, le nombre de procédures actuellement traitées par le tribunal de commerce du siège et qui, en application de la présente loi, devraient être traitées par un TCS distinct s'avérerait sans doute assez limité. Ainsi estimé, l'impact réel de cette réforme conduit à votre rapporteur à en relativiser la portée, tant pour les tribunaux de commerce qui resteraient non spécialisés qu'au regard des objectifs poursuivis par le Gouvernement.
À titre d'illustration, selon les statistiques fournies par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), qui intervient dans les procédures collectives, pour les années 2011 à 2014 372 ( * ) :
- sur 559 affaires concernant des entreprises d'au moins 100 salariés, 269, soit près de la moitié, ont été traitées par quinze tribunaux seulement, qui ont jugé au moins 10 affaires chacun : Bordeaux, Créteil, Épinal, Lille, Lyon, Le Mans, Marseille, Meaux, Nanterre, Nantes, Orléans, Paris, Pontoise, Toulouse et Versailles ;
- sur 90 affaires concernant des entreprises d'au moins 300 salariés, 36 ont été traitées par six tribunaux seulement, qui ont jugé au moins trois affaires chacun : Lyon, Montpellier, Nanterre, Paris, Quimper et Rouen ;
- seulement 45 tribunaux ont connu au moins une affaire concernant 300 salariés ou plus, dont 39 seulement une ou deux affaires ;
- les cinq tribunaux de Bobigny, Créteil, Lyon, Nanterre et Paris ont jugé au moins 14 affaires concernant 100 salariés ou plus et ont jugé au total 141 affaires de ce type, soit le quart du total, dont 68 pour Paris et 33 pour Nanterre.
Par ailleurs, entendue par votre rapporteur, la conférence générale des juges consulaires de France a fait état de l'argument de la proximité . Si une affaire relève d'un TCS, dans certains cas le siège du tribunal pourra être très éloigné du lieu d'implantation de l'entreprise, donc du lieu de résidence de ses dirigeants et de ses salariés, rendant plus difficile leur participation à la procédure, compte tenu du coût et des délais résultant de l'éloignement.
Cependant, il semble à votre rapporteur que cet argument doive être relativisé. En effet, il n'y a pas lieu pour les dirigeants ou les représentants des salariés de se rendre fréquemment au tribunal. En tout état de cause, cette difficulté est moindre pour de grandes entreprises.
S'agissant plus spécialement des divers dispositifs de prévention des difficultés des entreprises, qui présentent l'avantage de la confidentialité par rapport aux procédures collectives, l'argument de la proximité apparaît en revanche ambivalent. En effet, dans certains cas, le chef d'entreprise pourra trouver intérêt à s'adresser au président d'un tribunal éloigné du siège de son entreprise, dans un souci de plus grande discrétion, tandis que dans d'autres cas, la proximité et la simplicité d'accès pourront être préférées. Il faut sans doute aussi distinguer selon les mesures de prévention entre elles : la procédure à l'initiative du président du tribunal, qui peut convoquer le chef d'entreprise s'il a connaissance de difficultés, pour envisager avec lui des mesures de nature à redresser la situation, ou la désignation par le président du tribunal d'un mandataire ad hoc , chargé d'une mission particulière d'accompagnement du chef d'entreprise, sont plus souples et moins formalisées qu'une procédure de conciliation, ouverte par le président du tribunal pour permettre de trouver de façon organisée un accord avec les principaux créanciers, avec l'aide d'un conciliateur désigné par le président.
En conséquence, votre commission considère que, s'il est pertinent de spécialiser certains tribunaux de commerce, il convient de conserver une relative souplesse en pratique tant dans leur champ de compétence que dans leurs modalités de désignation et de saisine, tout en veillant à maintenir un maillage territorial suffisant.
B. Le nombre et la localisation des tribunaux de commerce spécialisés
L'article 66 du projet de loi dispose que, dans le ressort d'une ou de plusieurs cours d'appel, un TCS a « compétence exclusive » pour connaître de certaines procédures plus importantes. Ces tribunaux seraient désignés par décret, qui fixerait également leur ressort et serait pris après avis du conseil national des tribunaux de commerce 373 ( * ) (CNTC).
En premier lieu, votre rapporteur note une ambiguïté de rédaction . Évoquer une « compétence exclusive » peut avoir un double sens : d'une part, cela signifie que seul le TCS connaît de ces procédures importantes, mais, d'autre part, cela pourrait également signifier qu'il ne peut connaître que de ces procédures importantes sans exercer la compétence de droit commun des tribunaux de commerce. Telle n'est pas l'intention du Gouvernement, qui souhaite attribuer aux actuels tribunaux de commerce les plus importants, en plus de leur compétence de droit commun, une compétence spécialisée sur ces procédures les plus importantes.
Tel qu'il est rédigé, le texte permet au Gouvernement de désigner un TCS pour le ressort de plusieurs cours d'appel, permettant ainsi d'aboutir à un nombre de huit ou neuf comme annoncé, sur un total de 134 tribunaux de commerce 374 ( * ) , sans compter les 7 tribunaux mixtes de commerce dans les départements outre-mer et les 7 tribunaux de grande instance à compétence commerciale en Alsace et Moselle 375 ( * ) .
Deux arguments plaident pour une autre règle de désignation, en vue d'un nombre plus significatif de juridictions spécialisées .
D'une part, compte tenu de la réforme que représente la création des TCS pour les entreprises concernées par une procédure collective, dont les dirigeants et les représentants des salariés devraient se déplacer au siège du TCS, lequel n'aurait en outre qu'une connaissance assez lointaine des réalités économiques locales, il semble préférable d'assurer un maillage territorial de plus grande proximité, dans l'intérêt même des entreprises qui devraient relever de la compétence de ces juridictions.
D'autre part, il peut parfois exister dans le ressort d'une même cour d'appel plusieurs tribunaux de commerce ayant l'habitude et la capacité de traiter des affaires complexes . Il en est ainsi, en particulier, dans le ressort de la cour d'appel de Versailles, avec les importants tribunaux de commerce de Nanterre, Pontoise et Versailles. Il en est de même dans le ressort de la cour d'appel de Paris, avec les tribunaux de Paris, Créteil, Bobigny et Meaux. Il en est encore ainsi, par exemple, dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, avec les tribunaux de Nice, Toulon et Marseille.
Votre rapporteur juge qu'il ne serait en rien pertinent de dessaisir, par exemple, le tribunal de Créteil pour confier l'ensemble des procédures les plus importantes de son ressort au tribunal de Paris. Il ne s'agirait pas d'une garantie de meilleur déroulement de la procédure pour les entreprises concernées, mais d'une complication inutile.
Dans ces conditions, puisqu'il n'est guère envisageable de prévoir, d'un point de vue juridique, la désignation d'un ou plusieurs tribunaux dans le ressort d'une ou plusieurs cours d'appel, comme certains de nos collègues le proposent, ce qui reviendrait à permettre au pouvoir réglementaire s'il le souhaite de désigner dans tous les cas un seul tribunal pour le ressort de plusieurs cours d'appel, votre commission a donc considéré qu'il convenait de prévoir la désignation d'au moins un tribunal spécialisé dans le ressort de chaque cour d'appel. Cette règle permettrait la désignation dans certains cas de deux tribunaux, voire plus, et assurerait un maillage territorial suffisant, sans préjudice d'évolutions ultérieures, en fonction de l'évolution de la carte des cours d'appel par exemple.
Votre commission a adopté un amendement en ce sens à l'initiative de son rapporteur. Serait ainsi possible la désignation d'une quarantaine de TCS au plus, soit moins du tiers du nombre total de tribunaux de commerce.
Par ce même amendement, elle a également clarifié l'organisation du chapitre I er du titre II du livre VII du code de commerce, relatif au tribunal de commerce, en s'inspirant de ce qui figure dans le code de l'organisation judiciaire pour la spécialisation des tribunaux de grande instance (TGI) 376 ( * ) . Elle a ainsi distingué une section 1 concernant la compétence commune à tous les tribunaux de commerce, regroupant les articles actuels L. 721-3 à L. 721-7, et une section 2 concernant la compétence particulière à certains tribunaux de commerce, comportant le nouvel article L. 721-8, levant ainsi toute ambiguïté sur la nature de la spécialisation, qui s'ajoute bien à la compétence de droit commun pour les tribunaux concernés. Une erreur matérielle dans l'intitulé du chapitre du code a aussi pu être corrigée.
L'ensemble des modifications apportées à l'article 66 du projet de loi par votre commission figure de façon cohérente dans ce même amendement.
C. Le champ des procédures et des entreprises concernées
L'article 66 du projet de loi prévoit l'attribution exclusive aux TCS de quatre catégories de procédures :
- les procédures prévues au livre VI du code de commerce lorsque le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires du débiteur sont supérieurs à des seuils fixés par décret en Conseil d'État ;
- les procédures prévues au livre VI du code de commerce lorsque le débiteur est une personne morale qui dispose d'établissements dans le ressort de plusieurs tribunaux de commerce ou cours d'appel et dont le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires sont supérieurs à des seuils fixés par décret en Conseil d'État ;
- les procédures pour lesquelles le tribunal est compétent en vertu des textes européens, en l'espèce le règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, actuellement en cours de révision à la suite d'une proposition de la Commission européenne en décembre 2012, mais également les textes européens relative à la défaillance des établissements de crédit, des entreprises d'assurance et des entreprises d'investissement ;
- les autres procédures internationales pour lesquelles le tribunal est compétent du fait de la localisation du centre des intérêts principaux du débiteur en France, c'est-à-dire celles relevant du droit international privé.
Outre que les deux premières catégories sont en partie redondantes et introduisent une certaine complexité, l'expression même de « procédures prévues au livre VI » semble imprécise à votre rapporteur, à un double titre.
D'une part, le livre VI du code de commerce est applicable à des entreprises, personnes physiques ou morales, qui ne relèvent pas toutes du tribunal de commerce. Seules les procédures concernant les entreprises commerciales et artisanales relèvent du tribunal de commerce, les autres relevant du TGI (agriculteurs, professions libérales, associations). Il serait pour le moins paradoxal que les TCS soient compétents pour connaître des procédures concernant des entreprises qui, si elles n'atteignaient pas le seuil de compétence des TCS, relèveraient du TGI...
L'amendement évoqué supra clarifie cette question, en précisant que les TCS sont compétents lorsque le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, reprenant une formulation déjà utilisée dans le livre VI 377 ( * ) .
D'autre part, le livre VI ne comporte pas seulement des procédures, mais aussi plusieurs dispositifs de prévention , qui ne sont pas qualifiés de procédure par le code : rôle de détection des difficultés des entreprises du président du tribunal et mandat ad hoc . En revanche, sont bien expressément qualifiés de procédures la conciliation, dans le cadre de la prévention, et la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire, dans le cadre du traitement des difficultés. Tel qu'il est rédigé, le texte comporte une incertitude sur l'étendue exacte des procédures concernées.
L'amendement évoqué supra clarifie aussi cette question, en prenant en considération que les mesures de prévention, de par leur nature même et leur caractère confidentiel, ne peuvent se traiter que dans la plus grande proximité. On n'imagine guère un chef d'entreprise se rendre à une grande distance au siège du TCS pour évoquer ses difficultés avec le président du tribunal, alors que ce dernier ne connaît pas le tissu économique dans lequel évolue l'entreprise. Il en est de même pour le mandat ad hoc , qui relève d'une logique à peine plus formalisée.
En revanche, s'agissant de la procédure de conciliation , qui est une véritable procédure organisée par le livre VI, faisant intervenir directement les créanciers, même si elle relève encore de la prévention, votre rapporteur estime que la compétence du TCS pourrait être envisagée. Elle pourrait l'être d'autant plus du fait de l'existence de la procédure de sauvegarde financière accélérée (SFA), créée en 2010 à l'initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest, et de la procédure de sauvegarde accélérée, créée en 2014. Ce sont des formes particulières de sauvegarde visant à succéder à une conciliation qui ne parvient pas à aboutir en raison de l'opposition de certains créanciers. Cette imbrication entre la conciliation et la sauvegarde pourrait exiger qu'un même tribunal soit compétent pour les deux, car l'ouverture de la seconde peut suivre l'échec de la première.
Cependant, il pourrait s'avérer préjudiciable de scinder entre deux tribunaux les différents dispositifs de prévention, dont le caractère commun est d'être confidentiels et de relever de la compétence du président du tribunal. Votre commission a donc considéré que devaient seules relever de la compétence des TCS les procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire .
En outre, s'agissant de la deuxième catégorie de procédures visées par l'article 66 du projet de loi, qui ne concernerait, de façon restrictive, que les personnes morales, contrairement à la première, il apparaît que les seuils pourraient ne pas être les mêmes que pour la première catégorie. De plus, le critère de la pluralité d'établissements ne constitue pas en soi un élément de complexité de la procédure : une société peut avoir deux établissements à quelques kilomètres de distance, mais dans le ressort de deux tribunaux. Il est également tautologique de retenir la localisation d'établissements dans le ressort de plusieurs cours d'appel comme critère si l'on retient déjà un critère de localisation dans le ressort de plusieurs tribunaux de commerce : si les établissements relèvent de plusieurs cours d'appel, ils relèvent a fortiori de plusieurs tribunaux de commerce.
Sauf à viser des cas particuliers récents, cette deuxième catégorie ne semble guère pertinente à votre rapporteur. Par sa simplicité et sa généralité, la première catégorie semble pouvoir englober l'essentiel de la seconde, sauf à ce que les seuils prévus pour la seconde soient significativement plus bas, ce qui serait discutable au regard de l'économie générale du texte, qui vise à faire traiter les plus grosses affaires par les TCS et pas les affaires moyennes 378 ( * ) . Votre commission a donc écarté cette seconde catégorie.
S'agissant des deux dernières catégories de procédures, concernant les procédures ouvertes en application d'un texte européen ou international , il apparaît à votre rapporteur qu'elles peuvent effectivement relever d'un TCS, dans la mesure où elles se caractérisent par un élément d'extranéité qui peut être source de complexité pour le tribunal, par l'appréhension du droit européen ou d'un droit étranger, et requérir une expertise particulière.
Pour autant, une procédure concernant une petite entreprise devrait-elle relever d'un TCS sous prétexte, par exemple, qu'un de ses créanciers réside dans un autre État de l'Union européenne ? Un tel cas de figure ne présente en réalité aucune difficulté. En revanche, la procédure est bien plus complexe dans l'hypothèse où le débiteur possède des actifs dans plusieurs États. L'application du règlement européen est en réalité prévue lorsque le débiteur possède des actifs ou établissements dans plusieurs États membres.
D. Les seuils de compétence des tribunaux de commerce spécialisés
L'article 66 du projet de loi prévoit que la compétence des TCS serait de droit lorsque le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires du débiteur seraient supérieurs à des seuils fixés par décret en Conseil d'État. L'étude d'impact évoque les seuils de 150 salariés et de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, lesquels correspondent aux seuils au-delà desquels doivent être constitués des comités de créanciers en application des articles L. 626-29 et R. 626-52 du code de commerce 379 ( * ) . Constituant un élément de complexité de la procédure, ces comités ont pour vocation de contribuer à élaborer le projet de plan dans le cadre d'une sauvegarde ou d'un redressement judiciaire.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur, il y aurait de l'ordre de 150 à 200 procédures par an correspondant à ces seuils, dont la plupart sont déjà traitées par les tribunaux de commerce les plus importants en raison de l'implantation du siège des grandes entreprises concernées dans le ressort de ces tribunaux (Paris et Nanterre en premier lieu, mais également Lyon, Bobigny, Créteil...). Seules quelques procédures seraient délocalisées d'office chaque année du fait de la spécialisation. Votre rapporteur souligne toutefois que, dans des petits bassins d'emploi locaux, ces seuils pourraient faire systématiquement relever les entreprises les plus importantes du TCS.
Pour autant, la conférence générale des juges consulaires de France, entendue par votre rapporteur a déploré le caractère symbolique d'une telle spécialisation, qui traduirait l'incompétence des juges consulaires élus dans les tribunaux non spécialisés, alors qu'elle ne concernerait en pratique qu'un nombre restreint de procédures chaque année. Plus largement, un certain nombre de personnes entendues par votre rapporteur - représentants des entreprises, praticiens des procédures collectives ou universitaires - ont douté voire remis en cause l'utilité d'une telle spécialisation, compte tenu de son impact concret limité et de son impact symbolique négatif , y compris pour les petites entreprises qui n'auraient pas accès au TCS.
Lors des auditions de votre rapporteur, deux autres seuils ont été évoqués : d'une part, le seuil de 400 salariés, qui déclenche la compétence du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) 380 ( * ) , et, d'autre part, le seuil des entreprises de taille intermédiaire (ETI) puis des grandes entreprises, à partir de 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 43 millions d'euros de total de bilan. Issu du droit européen, ce second seuil a été intégré en droit français par l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, lequel a fixé quatre catégories statistiques d'entreprises 381 ( * ) , dont les différents seuils en termes de nombre de salariés, de chiffre d'affaires et de total de bilan ont été précisés par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, reprenant les dispositions européennes.
S'il est vrai que la détermination de seuils de cette nature dans le code de commerce appartient en principe au pouvoir réglementaire, votre rapporteur estime qu'ils pourraient être fixés dans la loi par renvoi, par exemple, à des seuils existants dans d'autres articles législatifs du code, pour lesquels le montant a déjà été fixé par décret, ou aux catégories des ETI et des grandes entreprises, mentionnées au niveau législatif depuis 2008.
E. Le caractère automatique ou non de la compétence des tribunaux de commerce spécialisés
Outre la question des seuils de compétence, celle - qui lui est étroitement liée - du caractère automatique ou non de la compétence du TCS fait l'objet d'appréciations contrastées.
En effet, tel qu'il est rédigé, l'article 66 du projet de loi instaure des TCS pour qu'ils connaissent seuls des procédures importantes. En d'autres termes, cette compétence spécialisée revêt un caractère automatique : dès qu'un débiteur présente les caractéristiques correspondant au champ de la compétence spécialisée du TCS, celui-ci est automatiquement compétent pour connaître de la procédure ouverte à l'égard de ce débiteur, sans appréciation possible de l'opportunité que l'affaire puisse être traitée par le tribunal local du siège.
Les critères de nombre de salariés et de montant de chiffre d'affaires prévus pour déclencher la compétence des TCS ne semblent pourtant pas caractériser de façon absolue les affaires plus complexes. Il peut exister des procédures assez simples concernant des entreprises de plus de 150 salariés, avec un seul site, n'appelant pas de difficultés particulières de suivi de la procédure par le tribunal et les organes de la procédure, alors que des procédures concernant des entreprises de moins de 150 salariés peuvent être complexes, en raison par exemple des particularités des créances financières, issues de montages financiers complexes et nécessitant de faire appel à un comité des créanciers financiers (hypothèse de l'ancienne sauvegarde financière accélérée, conçue pour pouvoir traiter en particulier l'endettement des « LBO » 382 ( * ) ).
Ainsi, le critère de la taille de l'entreprise ne semble rendre compte que de façon imparfaite de la complexité d'une procédure . Dès lors, votre commission s'interroge sur le caractère automatique de la compétence des TCS dès lors que sont franchis les seuils, tels qu'ils sont envisagés par l'étude d'impact. Pour autant, s'en tenir simplement au mécanisme de délocalisation de l'article L. 662-2 du code de commerce, sur décision de la cour d'appel « lorsque les intérêts en présence le justifient », pour appréhender les procédures complexes ne paraît pas suffisant si l'on approuve l'objectif de spécialisation de certains tribunaux de commerce afin de traiter les affaires importantes et complexes. Les affaires les plus importantes s'appréhendent facilement à l'aide de seuils élevés, mais la complexité ne peut s'apprécier qu'au cas par cas, tant il serait difficile d'instaurer dans la loi des critères objectifs et exhaustifs de complexité d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
Dès lors, la combinaison de critères de taille prévus par le texte et d'une appréciation au cas par cas prévue par la procédure de délocalisation devrait permettre d'identifier plus efficacement les procédures qui devraient relever de la compétence des TCS.
Ainsi, sans remettre en cause l'objectif de spécialisation porté par le projet de loi, votre commission a considéré plus pertinent de prévoir deux niveaux de compétence des tribunaux spécialisés :
- en premier lieu, les TCS seraient compétents de droit - c'est-à-dire de façon automatique - pour les procédures qui sont réellement les plus importantes, c'est-à-dire celles impliquant qui sont au moins des entreprises de taille intermédiaire (ETI), lesquelles emploient au moins 250 salariés ;
- en second lieu, les TCS seraient compétents par renvoi de la cour d'appel - c'est-à-dire de façon facultative , mais la cour étant obligatoirement saisie pour statuer - pour les procédures d'importance plus relative appelant une appréciation au cas par cas, mais présentant une certaine complexité du fait de l'obligation de mettre en place des comités de créanciers, obligation concernant les entreprises qui emploient plus de 150 salariés.
En outre, votre rapporteur précise que l'article 67 modifie l'actuelle procédure de délocalisation « lorsque les intérêts en présence le justifient », pour permettre à la cour d'appel de renvoyer une affaire au TCS en dehors de tout seuil. Cette procédure est à la disposition, notamment, du président du tribunal, du débiteur ou du ministère public. Cette modification paraît tout à fait pertinente, dans la mesure où une petite affaire peut parfois receler un niveau élevé de complexité, ainsi que cela a été évoqué supra . La procédure de délocalisation créerait ainsi un troisième niveau de compétence des TCS.
Selon les informations fournies à votre rapporteur, seraient ouvertes de l'ordre d'une soixantaine de procédures collectives par an impliquant une ETI ou une grande entreprise.
L'amendement évoqué supra prévoit donc, outre la compétence de droit pour les procédures transfrontalières qu'il ne remet pas en cause, une compétence de droit pour les procédures collectives impliquant un débiteur entrant dans la catégorie des ETI ou des grandes entreprises, ainsi qu'une compétence pour les procédures collectives renvoyées par la cour d'appel par l'effet de la procédure de délocalisation. Ces renvois peuvent concerner toute procédure lorsque les intérêts en présence le justifient, ainsi que les procédures exigeant la mise en place de comités de créanciers, sur le renvoi desquelles la cour d'appel devrait obligatoirement statuer. Ainsi, un défaut d'articulation entre les articles 66 et 67 du projet de loi serait corrigé car, tel qu'il est rédigé, le nouvel article L. 721-8 du code de commerce relatif à la compétence des TCS ne fait pas expressément référence aux procédures qui seraient renvoyées en application de l'actuelle procédure de délocalisation.
Pour la cohérence du projet de loi, comme l'article L. 662-2 du code de commerce relatif à la procédure actuelle de délocalisation est modifié par l'article 67 du projet de loi, la mise en place d'une nouvelle procédure de renvoi des affaires vers un TCS, fondée sur une saisine automatique de la cour d'appel au-delà des seuils des comités de créanciers, est prévue par un amendement adopté à l'article 67 par votre commission, à l'initiative de son rapporteur.
Sans remettre en cause la procédure actuelle de délocalisation, qui garde son entière utilité, cette procédure complémentaire consisterait à ce la cour d'appel soit automatiquement saisie lorsqu'une procédure est ouverte à l'égard d'un débiteur ayant un nombre de salariés et un montant de chiffre d'affaires supérieurs aux seuils prévus pour la mise en place obligatoire des comités de créanciers (150 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires), de façon à ce que le premier président de la cour d'appel puisse dans tous les cas se prononcer sur l'opportunité de renvoyer l'affaire devant un TCS. Il appartiendra au premier président de se prononcer rapidement, comme il le fait déjà lorsqu'il est saisi d'une demande de délocalisation. De façon à éclairer sa décision, un avis du ministère public sur l'opportunité du renvoi au TCS serait expressément prévu.
F. La compétence territoriale des tribunaux de commerce spécialisés
L'article 66 du projet de loi dispose que le TCS territorialement compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le centre des intérêts principaux du débiteur . Il ajoute que le lieu d'immatriculation ou, pour les personnes morales, le lieu du siège est présumé être le centre des intérêts principaux.
Cette règle de compétence reprend, en large partie, la règle fixée par l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, applicable aux procédures transfrontalières, sans toutefois la reprendre complètement, s'agissant en particulier de la présomption du lieu du siège comme étant le centre des intérêts principaux jusqu'à preuve contraire. Cet article dispose :
« Les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »
Or, cette règle n'existe pas à ce jour en droit français pour établir la compétence territoriale des tribunaux de commerce. Selon l'article R. 600-1 du code, « le tribunal territorialement compétent pour connaître des procédures prévues par le livre VI (...) est celui dans le ressort duquel le débiteur, personne morale, a son siège ou le débiteur, personne physique, a déclaré l'adresse de son entreprise ou de son activité ».
Ainsi coexisteraient deux règles de compétence différentes selon que seraient concernés les tribunaux de commerce de droit commun ou les TCS. Une telle disparité n'apparaît pas pertinente à votre rapporteur, alors qu'il n'existe aucune obligation de reprendre la définition du règlement européen dans des cas autres que ceux qu'il régit. De plus, dans les cas relevant du règlement européen, il paraît préférable de retenir une rédaction identique à celle établie précisément par le règlement.
Par ailleurs, la notion de lieu d'immatriculation utilisée par le projet de loi ne saurait renvoyer à tous les entrepreneurs individuels, puisque tous ne sont pas soumis à une obligation d'immatriculation, raison pour laquelle l'article R. 600-1 précité évoque tout simplement l'adresse de l'entreprise. Si toutefois l'on ne vise que les entreprises artisanales et commerciales, incluant les sociétés commerciales - seules entreprises à relever de la compétence du tribunal de commerce au titre des procédures collectives -, il est vrai que celles-ci sont tenues de s'immatriculer, les unes au répertoire des métiers et, le cas échéant, au registre du commerce et des sociétés (RCS), et les autres au RCS uniquement.
Afin de préserver la clarté et la cohérence des règles de compétence territoriale, l'amendement évoqué supra retient la règle fixée par le règlement européen, telle qu'elle y est rédigée, pour les procédures transfrontalières entrant dans le champ du droit européen. La règle de compétence territoriale actuelle prévue par le code, reposant sur le siège pour une personne morale ou l'adresse pour une personne physique, serait conservée dans les autres cas, y compris dans le cas des procédures ouvertes en application du droit international privé, lequel renvoie en principe aux règles de compétence juridictionnelle nationales. Rien n'exige sa remise en cause.
Votre rapporteur s'est interrogé sur une harmonisation inverse, qui consisterait à retenir la règle du centre des intérêts principaux du débiteur pour l'ensemble des tribunaux de commerce, pour les procédures collectives comme pour le contentieux commercial. Une telle harmonisation présenterait l'avantage d'une simplification, mais elle pourrait susciter un contentieux nouveau sur la réalité du centre des intérêts principaux et sa distinction avec le lieu du siège, de nature à ralentir les procédures. Au demeurant, selon les informations fournies à votre rapporteur, il ressort de la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation que la compétence du tribunal du lieu du siège peut être écartée lorsque le centre des intérêts principaux s'en écarte manifestement, pour fictivité du siège.
G. Un traitement plus unifié des procédures collectives concernant les groupes de sociétés
L'article 66 du projet de loi amorce une véritable et nécessaire prise en compte des groupes de sociétés dans le droit des entreprises en difficulté. Ainsi, dans le cas où une procédure est ouverte à l'égard d'une entreprise devant un TCS, celui-ci serait ensuite compétent pour connaître de toute procédure ouverte ultérieurement à l'égard des entreprises - il conviendrait de parler de sociétés pour être juridiquement exact - détenues ou contrôlées par la première entreprise au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 du code de commerce 383 ( * ) , c'est-à-dire des filiales lato sensu de cette entreprise.
Un traitement plus unifié des groupes de sociétés est attendu depuis longtemps par les praticiens des procédures collectives. Il s'agit de permettre au tribunal saisi de l'ensemble des procédures concernant les sociétés d'un même groupe d'avoir une vision économique et financière de l'ensemble du groupe, pour pouvoir prendre les décisions les plus appropriées au regard de l'ensemble du groupe, en vue de la poursuite de l'activité de l'entreprise, du maintien de l'emploi et la satisfaction des créanciers.
En dehors d'imperfections rédactionnelles, votre rapporteur relève deux limites dans le dispositif ainsi envisagé.
D'une part, il prévoit la compétence du tribunal uniquement pour les procédures ouvertes à l'égard des sociétés détenues ou contrôlées, mais ne prend pas en compte l'hypothèse où une procédure serait d'abord ouverte pour une filiale, avant l'ouverture d'une procédure pour la société-mère. On ne peut écarter une chronologie dans laquelle une procédure collective serait ouverte en premier lieu pour une ou plusieurs filiales opérationnelles, qui regrouperaient les activités de production et l'essentiel des salariés, tandis que la holding ne verrait l'ouverture d'une procédure que plus tard. Dans ce cas, le traitement unifié de l'ensemble des procédures par le même tribunal s'avérerait aussi nécessaire que dans le cas prévu par le projet de loi.
D'autre part, ce nouveau dispositif ne trouverait à s'appliquer que devant le TCS, dans l'hypothèse où la première entreprise entrant dans une procédure relèverait de la compétence du TCS en raison notamment de sa taille. L'effectif salarié et le chiffre d'affaires à l'échelle d'un groupe peuvent être bien supérieurs aux seuils de compétence du TCS, quand bien même ils ne les franchiraient pas au niveau de chaque société du groupe. Dans pareil cas, on peut supposer que pourrait trouver à s'appliquer l'actuelle procédure de délocalisation : l'article 67 du projet de loi prévoit d'ailleurs qu'elle peut se conclure par le renvoi d'une affaire auprès d'un TCS. Au-delà de ce cas, il n'y a pas lieu de considérer que la prise en charge unifiée des groupes serait utile devant les TCS, et non devant les tribunaux de commerce de droit commun. À l'évidence, l'exigence de cohérence économique et procédurale vaut pour tous les groupes concernés par des procédures collectives.
Dans ces conditions, plutôt que de prévoir un dispositif partiel qui ne s'appliquerait que devant les TCS, votre commission a considéré pertinent d'instituer un dispositif procédural complet qui trouverait à s'appliquer dans toutes les procédures collectives. Par cohérence, elle a instauré ce dispositif au sein du livre VI du code de commerce, en adoptant un amendement de son rapporteur tendant à créer à cette fin un article additionnel 67 bis au sein du projet de loi, présenté infra . Aussi a-t-elle supprimé par coordination le dispositif propre aux TCS figurant à l'article 66 du projet de loi.
H. L'entrée en vigueur et les dispositions transitoires
L'article 66 du projet de loi prévoit une entrée en vigueur selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, et au plus tard six mois après la publication de la présente loi. Compte tenu de l'impact de la réforme, cette entrée en vigueur différée semble pertinente.
Est également prévu que les tribunaux initialement saisis demeurent compétents pour statuer les procédures déjà ouvertes devant eux
Si votre rapporteur approuve cette disposition transitoire, conforme au principe de bonne administration de la justice car destinée à éviter de rallonger les procédures en cours par un transfert vers une autre juridiction, il estime que sa rédaction mériterait d'être clarifiée, en reprenant la rédaction habituelle en matière d'application dans le temps des réformes du droit des procédures collectives.
L'amendement évoqué supra clarifie cette formulation, en disposant que l'article 66 du projet de loi est applicable aux procédures ouvertes dans les six mois de la publication de la loi, par cohérence avec l'entrée en vigueur différée.
II - La position de votre commission
À l'initiative de son rapporteur, par un seul amendement adopté à l'article 66 du projet de loi, combiné à un amendement à l'article 67 ainsi qu'à un amendement insérant un article additionnel 67 bis , votre commission a maintenu le principe de spécialisation de certains tribunaux de commerce, tout en adaptant et en clarifiant ses modalités de mise en oeuvre, tant sur l'implantation des futurs tribunaux de commerce spécialisés (TCS) que sur les conditions de leur saisine. Il devrait être désigné au moins un TCS dans le ressort de chaque cour d'appel, compétent de plein droit pour les procédures transfrontalières et pour les procédures impliquant des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises, et compétent sur renvoi de la cour d'appel pour les procédures complexes, la cour d'appel devant statuer sur l'opportunité d'un tel renvoi pour toutes les procédures exigeant la mise en place de comité de créanciers.
Votre commission spéciale a adopté cet article ainsi modifié.
Article 67 (art. L. 662-2 du code de commerce) - Prise en compte de la création des tribunaux de commerce spécialisés dans la procédure de délocalisation des affaires devant les tribunaux de commerce
Objet : cet article vise à assurer une coordination entre la procédure de délocalisation des affaires existant pour les tribunaux de commerce, relevant de la cour d'appel, lorsque les intérêts en présence le justifient, et la création des tribunaux de commerce spécialisés.
I - Le dispositif proposé
L'article 67 du projet de loi vise à modifier l'article L. 662-2 du code de commerce, relatif à la procédure de renvoi des affaires d'un tribunal de commerce vers un autre, « lorsque les intérêts en présence le justifient », par la cour d'appel, en l'espèce par son premier président selon l'article R. 662-7 qui précise le déroulement de la procédure. Il s'agirait d'ouvrir la possibilité à la cour d'appel de délocaliser une affaire vers un tribunal de commerce spécialisé (TCS), indépendamment de la taille de l'affaire par rapport aux seuils de compétence des TCS.
Ainsi que cela a été précisé supra à l'article 66 du projet de loi, votre commission approuve cette faculté, qui permettrait de transférer à un TCS une affaire complexe - ou suscitant des difficultés locales particulières, en raison par exemple de conflits d'intérêts - qui n'atteindrait pas les seuils de compétence du TCS.
Tel que modifié par l'Assemblée nationale, l'article 67 prévoit aussi une procédure particulière de renvoi automatique vers le TCS, lorsque les critères de compétence du TCS sont remplis alors que le tribunal saisi n'est pas un TCS. Le président du tribunal saisi devrait saisir immédiatement le premier président de la cour d'appel, lequel aurait ensuite compétence liée, après avis du ministère public cependant, pour transférer l'affaire au TCS.
II - La position de votre commission
Outre son caractère quelque peu réglementaire, en reprenant des dispositions figurant à l'article R. 662-7 précité, votre rapporteur doute de la pertinence d'une telle procédure, applicable dans le cas où un tribunal de commerce de droit commun est saisi à tort d'une affaire relevant d'un TCS.
En effet, les règles actuelles de procédure civile permettent déjà de résoudre ce type de situation, sans qu'il soit besoin de dispositions spéciales.
Par l'adoption d'un amendement présenté par son rapporteur, votre commission a donc supprimé cette procédure inutilement complexe. Par ce même amendement, elle a introduit une procédure complémentaire déjà présentée à l'article 66 du projet de loi.
Cette nouvelle procédure tend à prévoir la saisine automatique de la cour d'appel, afin qu'elle statue, après avis du parquet, pour savoir s'il y a lieu de saisir un TCS en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire concernant un débiteur dont le nombre de salariés et le chiffre d'affaires exigent la constitution des comités de créanciers, soit 150 salariés et 20 millions d'euros.
Il s'agit ainsi de mettre en place un dispositif permettant de vérifier s'il y a lieu de faire traiter la procédure par le tribunal territorialement compétent du siège de l'entreprise ou si, en raison de la complexité de l'affaire et des enjeux économiques et sociaux locaux, il y a lieu de la transférer à un tribunal spécialisé, plus à même de la traiter.
Votre commission spéciale a adopté cet article ainsi modifié.
Article 67 bis (nouveau) (art. L. 662-8 du code de commerce) - Instauration d'un dispositif procédural permettant de faire traiter par un même tribunal l'ensemble des procédures collectives concernant les sociétés d'un même groupe
Objet : cet article vise à instaurer un mécanisme prenant en compte de façon adaptée les groupes de sociétés dans le cadre des procédures collectives, en permettant un traitement unifié par le même tribunal, saisi de l'ouverture de la première procédure, de l'ensemble des procédures concernant les sociétés d'un même groupe.
I - Une prise en compte insuffisante des groupes de sociétés par le droit des procédures collectives
Introduit par votre commission par l'adoption d'un amendement présenté par son rapporteur, l'article 67 bis du projet de loi vise à mettre en place un nouveau mécanisme procédural permettant de prendre en compte les groupes de sociétés, au-delà du mécanisme partiel et limité aux tribunaux de commerce spécialisés (TCS) prévu à l'article 66 du projet de loi.
En l'état du droit des procédures collectives, les groupes de sociétés sont très peu pris en compte. Issu de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, l'article L. 662-8 du code de commerce dispose qu'un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire commun à l'ensemble des procédures peuvent être désignés, le cas échéant pour exercer une mission de coordination, lorsque plusieurs tribunaux sont simultanément saisis de procédures concernant des sociétés contrôlées par la même société ou contrôlant les mêmes sociétés.
Votre commission a approuvé la disposition prenant en compte les groupes dans le cadre de la compétence des TCS, tout en souhaitant son extension et sa systématisation devant tous les tribunaux, d'autant que la jurisprudence n'a pas permis, jusqu'à présent, de pallier le silence du livre VI du code de commerce sur cette problématique.
À titre d'illustration, dans un arrêt du 16 décembre 2014 384 ( * ) , la chambre commerciale de la Cour de cassation a refusé d'admettre l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire commune à trois sociétés, pourtant très intégrées d'un point de vue juridique, économique et financier, considérant que les éléments présentés ne démontraient pas « la confusion des patrimoines des sociétés ou la fictivité de certaines d'entre elles, seules de nature à justifier l'existence, par voie d'extension, d'une procédure collective unique ».
Dès lors que la jurisprudence ne permet pas d'appréhender dans une même procédure les sociétés d'un même groupe, puisque chacune constitue une personne morale distincte, seuls des dispositifs procéduraux appropriés permettraient de traiter de façon cohérente les groupes de sociétés, en faisant en sorte que les procédures différentes concernant les différentes sociétés d'un même groupe soient jugées par un même tribunal.
Or, un traitement unifié par un même tribunal et, le cas échéant, par les mêmes organes de la procédure des groupes présente non seulement un avantage de cohérence procédurale, mais constitue également un gage de plus grande efficacité économique des procédures collectives, par l'approche économique globale qu'elle donne au tribunal.
Un tel regroupement de toutes les procédures concernant les sociétés d'un même groupe devant un même tribunal est une réforme attendue de longue date par les praticiens.
II - La position de votre commission
Dans ces conditions, votre commission a adopté un amendement , à l'initiative de son rapporteur, visant à réécrire l'article L. 662-8 précité, pour que soient traitées par un même tribunal les sociétés d'un même groupe. Cet amendement reprend, en l'étendant à tous les tribunaux, la solution partielle envisagée devant les seuls tribunaux spécialisés.
Le dispositif ainsi adopté prévoit que le tribunal est compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui détient ou contrôle une société pour laquelle a déjà été ouverte une procédure devant lui ou concernant une société qui est détenue ou contrôlée par une société pour laquelle a déjà été ouverte une procédure devant lui.
Habituelles en droit des sociétés, les deux notions de détention et de contrôle sont précisées par les deux articles L. 233-1 et L. 233-3 du code de commerce :
- une société en détient une autre, en qualité de filiale, lorsqu'elle possède plus de la moitié de son capital (article L. 233-1) ;
- une société en contrôle une autre lorsqu'elle détient, directement ou indirectement, une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote, lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord avec d'autres associés, lorsqu'elle détermine seule les décisions, par ses droits de vote, ou lorsqu'elle dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des dirigeants (article L. 233-3).
Le tribunal aurait la faculté de désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire commun à l'ensemble des procédures, sans que cela soit obligatoire, dans l'hypothèse où il aurait désigné un administrateur et un mandataire différent pour chaque procédure. En application du droit commun, il pourrait, en tout état de cause, désigner le même administrateur et le même mandataire.
Ce dispositif réserverait également le cas où une procédure ouverte ultérieurement au sein du groupe devrait relever de la compétence du TCS, en prévoyant que la cour d'appel statuerait sur le renvoi de l'ensemble des procédures devant la juridiction spécialisée.
Votre commission spéciale a adopté cet article additionnel.
Article 68 - Application outre-mer de la spécialisation des tribunaux de commerce
Objet : cet article vise à exclure les départements d'outre-mer ainsi que les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon de la réforme instituant des tribunaux de commerce spécialisés.
I - Le dispositif proposé
L'article 68 du projet de loi dispose que ses articles 65 à 67, relatifs à la spécialisation des tribunaux de commerce, ne sont pas applicables dans les collectivités territoriales régies par l'article 73 de la Constitution - c'est-à-dire les départements et régions d'outre-mer ainsi que les collectivités à statut particulier exerçant les compétences d'un département et d'une région d'outre-mer, soit la Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, Mayotte et la Martinique - et dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Selon les informations communiquées par le Gouvernement à votre rapporteur, il s'agit de prendre en compte l'insularité et l'éloignement, plus important qu'en métropole, considérant qu'il ne serait pas envisageable de faire relever d'un tribunal de commerce spécialisé (TCS) les principales entreprises situées outre-mer, quand bien même s'agirait-il d'un tribunal situé outre-mer, comme c'est le cas pour le tribunal mixte de commerce de Fort-de-France, spécialisé en matière de concurrence.
En tout état de cause, votre rapporteur relève que la procédure de délocalisation actuellement prévue à l'article L. 662-2 du code de commerce est applicable pour les affaires relevant des tribunaux mixtes de commerce, s'il apparaît qu'une affaire le mériterait.
Un tel choix d'exclusion des entreprises ultramarines du dispositif des TCS s'avère cependant discutable. Si des entreprises d'une certaine taille seulement sont concernées, il pourrait paraître raisonnable, voire très utile dans certains cas compte tenu du poids de ces entreprises dans l'économie insulaire, que l'affaire soit jugée par un tribunal extérieur.
Pour autant, à ce stade, votre commission n'a pas souhaité remettre en cause cette exclusion, n'étant pas en mesure d'en apprécier l'ensemble des conséquences, les avantages comme les inconvénients.
Par ailleurs, tel qu'il est rédigé, l'article 68 du présent projet de loi prévoit que les dispositions de ce texte relatives aux TCS ne sont pas applicables outre-mer. Il serait plus correct juridiquement de prévoir, au sein même du code de commerce, que le nouvel article L. 721-8 du code, qui fixe la compétence des TCS, ne s'applique pas dans les départements d'outre-mer et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
II - La position de votre commission
Si votre commission admet que les procédures ouvertes à l'encontre de grandes entreprises dans les départements d'outre-mer puissent ne pas relever de la compétence des TCS, pour des raisons de commodité pratique, encore faudrait-il que cette exclusion soit codifiée dans le code de commerce. Sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté en ce sens un amendement de codification de ces dispositions au sein de la partie du code de commerce relative à l'outre-mer.
Votre commission spéciale a adopté cet article ainsi modifié.
* 363 Sont notamment concernées les associations ayant une activité économique.
* 364 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2015 .
* 365 Ce référé est consultable à l'adresse suivante :
* 366 La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, s'agissant des pratiques anticoncurrentielles, et la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, s'agissant des pratiques restrictives de concurrence.
* 367 En application de l'article L. 610-1 du code de commerce, issu de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, un décret en Conseil d'État détermine la liste des tribunaux, notamment des tribunaux de commerce, compétents pour connaître des procédures du livre VI du code de commerce. Avant la réforme de la carte judiciaire, s'agissant des tribunaux de commerce, la liste prévue à l'article L. 610-1, telle qu'elle résultait du décret n° 2006-185 du 20 février 2006, n'avait écarté que quelques très petits tribunaux de commerce, de sorte que presque tous pouvaient connaître des procédures du livre VI. Depuis la réforme de la carte judiciaire, par le décret n° 2008-146 du 15 février 2008 pour les tribunaux de commerce, tous les tribunaux sont compétents.
* 368 Il s'agit à Fort-de-France d'un tribunal mixte de commerce.
* 369 Le tribunal de commerce de Lille ayant déménagé à Tourcoing, il s'agit du même tribunal.
* 370 Sur un total de 36, incluant l'Alsace et la Moselle ainsi que l'ensemble de l'outre-mer. Le débat sur la révision de la carte des cours d'appel n'a pas été ouvert à ce jour, depuis la réforme de la carte judiciaire, laquelle a concerné les juridictions de première instance.
* 371 Au besoin, le premier président de la cour d'appel peut également transmettre l'affaire au premier président de la Cour de cassation, pour renvoi dans le ressort d'une autre cour d'appel.
* 372 Ces statistiques sont établies sur les seules affaires dans lesquelles intervient l'AGS, devant un tribunal de commerce, pour les commerçants et artisans, ou un tribunal de grande instance, pour les autres. Elles concernent les années 2011 à 2013, ainsi que l'année 2014 jusqu'au 20 novembre.
* 373 Créé en 2005, le conseil national des tribunaux de commerce est un organe consultatif placé auprès du ministre de la justice et présidé par lui.
* 374 La réforme de la carte judiciaire a réduit le nombre de tribunaux de commerce de 191 à 134, avec la suppression de nombreux petits tribunaux et la création de quelques nouveaux tribunaux.
* 375 Les juridictions de Nouvelle-Calédonie et des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution ne sont pas prises en compte.
* 376 À titre de comparaison, pour les juridictions spécialisées de premier degré, le code de l'organisation judiciaire distingue la compétence commune à tous les tribunaux de grande instance (TGI) et la compétence particulière à certains TGI, dans le cadre de laquelle des TGI spécialement désignés, par décret, sont compétents pour connaître de tel ou tel type d'action, par exemple en matière de propriété intellectuelle (articles L. 211-10 et suivants du code l'organisation judiciaire).
* 377 Article L. 620-2 du code de commerce, par exemple.
* 378 L'étude d'impact ne comporte aucune indication de seuils pour cette catégorie de procédures.
* 379 En deçà de ces seuils, la constitution des comités est possible sans être obligatoire. Il existe un comité des créanciers financiers et un comité des principaux fournisseurs. S'il y a lieu, une assemblée des obligataires est également réunie.
* 380 Le CIRI est chargé d'accompagner les entreprises en difficulté de plus de 400 salariés, en vue d'assurer leur pérennité économique. Le secrétariat du CIRI est assuré par la direction générale du Trésor. Lorsqu'elle emploie moins de 400 salariés, une entreprise relève du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI), placé sous l'autorité du préfet.
* 381 Microentreprises, petites et moyennes entreprises (PME), entreprises de taille intermédiaire (ETI) et grandes entreprises. Il existe également en droit européen une catégorie particulière des petites entreprises.
* 382 « Leveraged buy-out » ou rachat d'entreprise par emprunt.
* 383 L'article L. 233-1 dispose qu'une société est la filiale d'une autre lorsque plus de la moitié de son capital est détenu par cette autre société. L'article L. 233-3 énumère plusieurs critères en application desquels une société est considérée comme en contrôlant une autre : détention directe ou indirecte d'une part du capital conférant la majorité des droits de vote, détention de la majorité des droits de vote du fait d'un accord avec d'autres actionnaires, pouvoir de déterminer par ses seuls droits de vote les décisions de l'assemblée des actionnaires et pouvoir de révoquer la majorité des dirigeants et administrateurs.
* 384 Affaire n° 13-24161.