B. UNE PROCÉDURE PERFECTIBLE AU REGARD DES EXIGENCES DÉMOCRATIQUES
Les délais de mise en place de la nouvelle Commission sont assez longs : cinq mois depuis les élections européennes. Or, force est de constater que, durant ce délai, les parlements nationaux n'ont en aucune manière été associés à la procédure. En particulier, les deux assemblées n'ont pas été consultées avant que le candidat français ne soit proposé.
Cette situation ne paraît pas satisfaisante. L'importance pour le bon fonctionnement de l'Union du contrôle exercé par les parlements nationaux est reconnue par les traités européens. L'article 12 du TUE précise ainsi que « les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union ». Ils doivent en particulier veiller au respect du principe de subsidiarité susceptible d'être mis en cause par la législation européenne. Ils participent aussi à la coopération interparlementaire entre eux et avec le Parlement européen.
Le traité crée un droit à l'information au profit des parlements nationaux. Il les associe par ailleurs à la procédure de révision des traités et au fonctionnement de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
Sur ces bases, la coopération entre parlements nationaux s'est considérablement développée. Elle leur permet d'exercer un suivi collectif des principales politiques de l'Union. Elle renforce aussi l'exercice par chaque parlement de sa fonction de contrôle, grâce à l'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les assemblées.
Le protocole sur le rôle des parlements nationaux a en particulier officialisé le rôle de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, la COSAC, créée en 1989, en matière d'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les parlements.
La vie politique européenne et les vies politiques nationales sont désormais étroitement imbriquées.
De ce fait, l'action de la Commission européenne a des incidences importantes sur les vies politiques nationales. Or, seule la Commission européenne peut soumettre au Parlement européen et au Conseil un texte à vocation législative, conformément à l'article 289 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cette initiative doit respecter la répartition des compétences instituée à l'article 2 du TFUE. Ce monopole de l'initiative législative confère à la Commission européenne une position de force pour inspirer les législations européennes, en particulier les directives qui doivent ensuite être transposées dans le droit national, bien souvent à travers une loi votée par le Parlement.
En outre, le traité de Lisbonne a reconnu à la Commission des compétences pour adopter des actes délégués et des actes d'exécution. La procédure des actes délégués permet au législateur de l'Union européenne de déléguer à la Commission européenne le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui modifient ou complètent des éléments non essentiels de l'acte législatif. Cette procédure est très utilisée notamment dans des domaines susceptibles d'avoir un fort impact sur la vie nationale, par exemple le droit de la consommation, la politique agricole commune, la protection des données personnelles ou encore les fonds structurels. La Commission dispose par ailleurs d'un pouvoir d'exécution lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires.
Parallèlement à son rôle dans la législation européenne, la Commission européenne joue un grand rôle dans la surveillance budgétaire et la coordination des politiques économiques.
On rappellera que, en application des règlements européens, les États membres doivent transmettre à la Commission européenne, avant le 30 avril, leur plan budgétaire à moyen terme et publier leur projet de budget pour l'année suivante, le 15 octobre au plus tard. La Commission examine ensuite chaque projet de budget national et formule un avis pour le 30 novembre au plus tard. Si la Commission constate des manquements graves, elle peut demander au pays concerné de lui présenter un projet de budget révisé. Elle doit également juger de la sincérité des prévisions macroéconomiques retenues dans le budget. Ce faisant, la Commission intervient ainsi au coeur même des compétences des parlements nationaux.
Depuis le début de la crise, c'est le Conseil européen, plus exactement, l'Eurogroupe, qui a joué un rôle central dans la définition de la politique économique de la zone euro. Parce que la Commission était faible, parce que le Parlement européen et les parlements nationaux n'ont pas suffisamment de pouvoir, certains au sein du Conseil ont imposé leurs choix.
Nous devons redonner le primat à la dimension politique. Toute solution économique doit s'inscrire dans un projet politique qui ne saurait être que démocratique, c'est-à-dire compris -parce qu'expliqué- et consenti par les citoyens européens. Cela passe indiscutablement par une implication renforcée des Parlements nationaux.
Enfin, les dernières élections européennes ont été marquées par une forte poussée des partis eurosceptiques ou europhobes. Avant même ces élections, ce climat de défiance avait été mesuré dans les enquêtes d'opinion. Selon l'enquête Eurobaromètre de l'automne 2013, deux tiers des Européens pensaient que leur voix ne comptait pas dans l'Union européenne (59 % en France). Dans plusieurs États membres, le pessimisme l'emportait sur le futur de l'Union européenne. En France, 56 % des personnes interrogées faisaient part de leur pessimisme. La crise de la construction européenne est patente. Si l'Union européenne a su éviter un effondrement général entre 2008 et 2010 en termes économiques, les dégâts sociaux et démocratiques s'approfondissent chaque jour.
Cette défiance de beaucoup de nos concitoyens à l'égard de la construction européenne rend plus que jamais nécessaire de renforcer les procédures pour asseoir la légitimité démocratique des institutions européennes. Il faut plus d'impulsion et de contrôle démocratiques, par le Parlement européen et par les parlements nationaux, c'est l'intérêt de tous. Les impliquer davantage, c'est mieux légitimer le projet européen, dans un contexte où trop souvent et à tort les responsabilités sont rejetées sur Bruxelles.
À l'évidence, les parlements nationaux peuvent jouer un rôle essentiel dans ce sens en contribuant à rapprocher les institutions européennes des citoyens. Le rapport établi au nom de notre commission par notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond sur l'avenir de la construction européenne l'avait parfaitement souligné : « le rôle des parlements nationaux dans le processus de décision et le contrôle de l'action européenne devra être renforcé. » 1 ( * )
Sans alourdir une procédure déjà compliquée, la proposition de résolution européenne qui vous est soumise préconise deux voies pour associer les parlements nationaux :
- d'une part, les parlements nationaux pourraient se voir reconnaître la faculté de s'exprimer collectivement lors du renouvellement de la Commission européenne ; cette expression collective pourrait s'appuyer en particulier sur la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) et sur la Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Les parlements nationaux pourraient ainsi avoir un échange et faire connaître ensuite leurs priorités tant sur le profil des futurs commissaires que sur les orientations que la nouvelle Commission sera appelée à mettre en oeuvre ;
- d'autre part, et dans le même esprit, à l'échelon national, il conviendrait de prévoir une consultation des organes compétents des deux assemblées - à savoir les commissions des affaires européennes - avant de proposer le candidat français. On rappellera que depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les commissions permanentes se prononcent sur certaines nominations et, le cas échéant, peuvent s'y opposer. L'article 13, alinéa 5, de la Constitution prévoit en effet qu'une loi organique doit déterminer les emplois ou fonctions pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à la nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. En vertu de la loi du 23 juillet 2010, les commissions des lois sont par exemple appelées à se prononcer sur la nomination du Défenseur des droits, et de certains membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil constitutionnel. Les commissions en charge de la culture émettent un avis sur la nomination du président du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Compte tenu du rôle important que le commissaire français est appelé à jouer au sein du collège des commissaires, il paraît nécessaire que, dans le même esprit, une procédure de consultation non contraignante des organes compétents des deux assemblées soit prévue avant sa nomination. Cette procédure permettrait au Parlement, notamment dans le cadre d'une audition du candidat, d'évaluer son parcours et son adéquation au poste de commissaire, et d'avoir un échange sur les priorités qu'il entend mettre en oeuvre dans ses nouvelles fonctions. Sans modifier l'équilibre institutionnel, une telle consultation rendrait la procédure plus transparente.
* 1 Rapport de M. Pierre Bernard-Reymond : « L'Union européenne : du crépuscule au nouvel élan » n° 407 (2013-2014) du 26 février 2014.