II. L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT (AME) : UNE DÉPENSE DE GUICHET HORS DE CONTRÔLE

Depuis la disparition de la subvention versée par l'État au fonds CMU-C, les dépenses relatives à l'aide médicale d'État (AME) représentent quasiment la totalité des crédits du programme 183 « Protection maladie ». Ainsi, en 2015, sur les 687,5 millions d'euros du programme, 678 millions d'euros sont destinés au financement de l'AME , les 10 millions d'euros restants correspondant à la subvention de l'État au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) 16 ( * ) .

A. UN DISPOSITIF PARMI LES PLUS GÉNÉREUX EN EUROPE

1. Les trois types d'aide médicale d'État

Souvent désignée au singulier, l'aide médicale d'État (AME) recouvre en réalité les dispositifs suivants :

- l' AME de droit commun, qui assure la couverture des soins des personnes étrangères en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois de façon ininterrompue et remplissant des conditions de ressources identiques à celles fixées pour l'attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) 17 ( * ) . Financièrement à la charge de l'État, l'AME de droit commun est gérée par l'assurance maladie . Il convient de préciser que l'AME de droit commun ne concerne pas les demandeurs d'asile qui ont accès à la CMU de base et complémentaire sur présentation de leur récépissé de demande d'asile 18 ( * ) ;

- l' AME pour soins urgents concerne les étrangers en situation irrégulière ne justifiant pas de la condition de résidence nécessaire pour bénéficier de l'AME de droit commun et nécessitant des soins urgents « dont l'absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l'état de santé de la personne ou d'un enfant à naître » 19 ( * ) . Ces soins sont pris en charge par l'assurance maladie , qui reçoit une subvention forfaitaire de l'État fixée à 40 millions d'euros depuis plusieurs années ;

- l' AME dite « humanitaire », accordée au cas par cas pour les personnes ne résidant pas habituellement sur le territoire français (personnes étrangères en situation régulière ou françaises) par décision individuelle du ministre compétent. Ce dispositif de prise en charge, qui n'a pas le caractère d'un droit pour les personnes soignées, représente chaque année moins d'une centaine d'admissions pour soins hospitaliers.

Graphique n° 2 : Répartition des dépenses d'AME entre 2009 et 2013 (1)

(en millions d'euros)

(1) Données relatives à l'exécution des dépenses.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données des RAP de la mission « Santé » pour 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013)

Par ailleurs, l'action n° 02 « Aide médicale d'État » du programme 183 « Protection maladie » recouvre également d'autres dispositifs connexes tels que les évacuations sanitaires d'étrangers résidant à Mayotte vers des hôpitaux de la Réunion ou de la métropole et les frais pharmaceutiques et soins infirmiers des personnes gardées à vue .

Au total, les dépenses publiques - prises en charge par l'État et l'assurance maladie - relatives aux différents dispositifs d'AME ont atteint 846 millions d'euros en 2013 20 ( * ) , soit une progression de 20,3 % par rapport à 2012 .

2. Un accès gratuit aux soins très large, comparativement aux dispositifs existants dans d'autres pays européens

La question de l'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière et de leur prise en charge financière est assez peu documentée ; il n'existe pas d'étude exhaustive sur ce sujet. Pourtant, la plupart des États de l'Union européenne (UE) permettent l'accès aux soins des personnes dépourvues de titre de séjour régulier sur le territoire, gratuitement ou non .

Selon les informations transmises par le ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et les informations collectées par l'Agence des droits fondamentaux de l'UE 21 ( * ) , sur une sélection de douze pays seuls trois (France, Belgique et Italie) autorisent l'accès à des soins de santé sans frais au-delà des services d'urgence, sous certaines conditions . L'Agence des droits fondamentaux de l'UE souligne toutefois qu'il existe parfois un décalage entre les législations nationales et la pratique, avec certains obstacles à l'accès, telle que la condition de résidence.

Il ressort de l'analyse des dispositifs existants à l'étranger que l'AME en vigueur en France se distingue par le caractère très large de l'accès aux soins gratuits qu'elle garantit pour les étrangers en situation irrégulière. L' Espagne , qui disposait jusqu'à il y a peu d'un dispositif proche de celui existant en France, a revu drastiquement les conditions d'accès aux soins gratuits pour ces populations en 2012, principalement en réponse à la crise financière affectant le pays .

L'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière
dans quelques pays de l'UE

- Allemagne

Les étrangers en situation irrégulière se voient appliquer la législation relative aux demandeurs d'asile. Ces personnes ont droit, en cas de grossesse, de maladie grave ou lorsque l'état de la personne nécessite une intervention médicale urgente , à des « prestations médicale de base » (consultations médicales, soins dentaires, approvisionnement en médicaments et vaccins, examens et traitement préventifs).

Ces soins peuvent, dans certains cas, être réalisés gratuitement mais à la condition que les personnes dépourvues de titre de séjour se signalent ensuite aux autorités. Certaines initiatives locales ont toutefois vu le jour pour créer un titre d'accès aux soins anonymisé. De plus, certains Länder étudient la mise en place de fonds spécifiques, financés par des taxes ou des dons, afin de prendre en charge les frais médicaux des étrangers en situation irrégulière.

- Belgique

Les personnes en situation irrégulière considérées comme « indigentes » peuvent bénéficier de l' aide médicale urgente (AMU) auprès du centre public d'action sociale (CPAS) dont ils relèvent. Les soins sont alors dispensés gratuitement , l'État fédéral remboursant aux CPAS les dépenses engagées. Chaque CPAS possède toutefois ses propres procédures et définitions du degré d'indigence (ressources etc.).

Par ailleurs, les enfants âgés de six ans ou moins ont droit à un accès gratuit aux soins préventifs (dont les vaccinations) auprès de l'Office de la naissance et de l'enfance, tandis que le reste des mineurs étrangers non accompagnés peuvent bénéficier des mêmes droits à l'assurance maladie que les nationaux , à condition d'être inscrits dans un établissement scolaire depuis au moins trois mois.

- Danemark

Toute personne résidant de manière irrégulière au Danemark n'a en principe pas droit d'accéder au système de santé . Toutefois, les ambiguïtés des différentes législations applicables peuvent conduire de fait à la délivrance de soins, notamment pour les soins d'urgence. Le paiement des soins d'urgence concernant les étrangers, quel que soit leur statut est pris en charge par l'État . Par ailleurs, la médecine préventive et sa prise en charge sont étendues aux mineurs résidant de façon irrégulière sur le territoire (soins courants, vaccinations, examens préventifs etc.).

- Espagne

Il existait un dispositif d'accès aux soins gratuit pour les étrangers en situation irrégulière sur le territoire espagnol jusqu'en 2012. Le décret royal de réforme du système sanitaire, entré en vigueur le 24 avril 2012, a toutefois exclu de l'assistance sanitaire gratuite et publique les étrangers en situation irrégulière , dans le but d'empêcher le tourisme sanitaire et de réaliser des économies. La Cour des comptes espagnole a évalué les dépenses de santé en faveur des étrangers en situation irrégulière à 451 millions d'euros en 2009.

Désormais, les personnes souhaitant avoir accès au système de soins public doivent s'acquitter au préalable d'une somme d'environ 700 euros par an pour les moins de 65 ans et de 1 850 euros pour les plus de 65 ans. L' accès gratuit au système sanitaire reste toutefois complet pour les mineurs, les femmes enceintes et pour les soins urgents . Face aux critiques concernant la prise en charge des malades chroniques (maladies infectieuses, insuffisance rénale etc.), le gouvernement espagnol a récemment annoncé que ces personnes pourraient, dans certaines conditions, continuer de recevoir des soins dans le système public mais selon des modalités propres à chaque communauté autonome.

- Italie

Les étrangers en situation irrégulière peuvent solliciter un « code d'étranger temporairement présent » (STP), valable six mois et renouvelable permettant l' accès aux soins urgents ou « essentiels » (définition beaucoup plus large, comprenant la médecine préventive, les soins prénataux, les accouchements, les soins pour les enfants, les vaccinations et le traitement des maladies infectieuses). Les enfants, inclus dans la carte STP de leurs parents, ont quant à eux accès aux mêmes soins que les enfants de nationaux.

S'agissant des frais médicaux, le titulaire du code STP ne paie que le reste à charge . Toutefois, en cas d'absence de ressources, la personne est considérée comme « indigente » ; les dépenses sont alors prises en charge par le ministère de l'Intérieur et par le Fonds sanitaire national ou régional pour les soins urgents et essentiels.

- Royaume-Uni

Après une première restriction, en 2004, des soins fournis gratuitement aux étrangers en situation irrégulière par le National Health Service (NHS) aux soins hospitaliers urgents, la loi sur l'immigration du 10 octobre 2013 a introduit une condition de preuve de résidence sur le territoire britannique avant de pouvoir accéder au système de santé public ainsi que le paiement d'un droit d'accès spécifique ( Health Surcharge ). Ainsi, pour tous les étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou non , le principe est aujourd'hui celui d'un accès payant au NHS .

Source : ministère de la santé, des affaires sociales et des droits des femmes ; House of Commons library, NHS charges for overseas visitors , octobre 2013


* 16 Le FIVA est principalement financé par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

* 17 Soit 720 euros par mois pour une personne seule en métropole au 1 er juillet 2014 et 801 euros dans les départements d'outre-mer (DOM).

* 18 À l'exception des demandeurs d'asile en procédure prioritaire ou en procédure « Dublin » qui ne peuvent être affiliés à un régime de sécurité sociale et peuvent donc bénéficier de l'AME de droit commun.

* 19 Article L. 254-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 20 Montant relatif à l'exécution 2013.

* 21 Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, L'accès aux soins de santé des migrants en situation irrégulière dans dix pays de l'Union européenne, 2011 .

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