LES GRANDS ENJEUX DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE
EN 2014 ET 2015

I. LA MODERNISATION DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

La modernisation de l'État actionnaire repose sur trois chantiers distincts. Le premier a consisté à élaborer une nouvelle doctrine d'investissement , qui s'articule notamment avec celle dont s'est dotée la Banque publique d'investissement (BPI), détenue à parité par l'État et la Caisse des dépôts et consignations. Le deuxième a rénové le cadre juridique dans lequel intervient l'État actionnaire. Enfin, le troisième a conduit à réorganiser l'Agence des participations de l'État .

Le 26 février 2014, devant la commission des finances du Sénat, David Azéma, alors commissaire aux participations de l'État, avait longuement explicité les contours de la nouvelle doctrine de l'État actionnaire ( cf. encadré), qui a été actée par une communication en Conseil des ministres de Pierre Moscovici, ministre des finances, et d'Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, le 15 janvier 2014.

Extrait de l'audition de David Azéma, commissaire aux participations de l'État
26 février 2014

« Lorsque je suis entré en fonction, le 1 er septembre 2012, un rapport de l'Inspection générale des finances venait d'être publié en juillet, qui dressait un bilan du fonctionnement de l'Agence qui, sans mettre en cause ni ses finalités ni son fonctionnement, soulignait certaines faiblesses. Nous nous sommes alors livrés à une tâche de réflexion pour améliorer le fonctionnement de l'État actionnaire, et avons cherché à y répondre en trois étapes.

« Il s'agissait, tout d'abord, de clarifier le pourquoi de notre mission. Nous nous sommes rendu compte que la doctrine de l'État actionnaire était plus implicite qu'explicite. Nous gérions ?en bon père de famille?, un portefeuille hérité du passé, sans être très au clair sur nos orientations. D'où la réflexion à laquelle nous nous sommes attelés, et qui a donné lieu aux deux communications en conseil des ministres que vous avez évoquées.

« Nous nous sommes demandé, ensuite, si les textes encadrant notre action étaient adaptés. Il est apparu que ces textes résultent d'une longue et lente stratification de dispositions difficiles à utiliser en pratique et qui consomment beaucoup de temps pour des résultats minimes. Nous avons donc entrepris de procéder à un toilettage.

« Nous nous sommes, enfin, attelés à revoir notre mode d'organisation, nos principes de fonctionnement, nos règles de management, pour plus d'efficacité dans le suivi et le dialogue stratégique avec les entreprises.

« En quoi consiste notre doctrine ? Nous assumons clairement, tout d'abord, qu'il est légitime pour l'État d'intervenir en fonds propres dans les entreprises, selon un niveau de participation et un horizon temporel qui peuvent être variables. Une telle démarche est parfaitement légitime et ne relève pas, pour nous, d'une erreur historique qu'il s'agirait de corriger en vendant tout le plus vite possible.

« Quels motifs peuvent justifier que l'on mobilise une part du patrimoine public pour l'investir dans des entreprises ? Nous avons retenu quatre grands principes.

« Le premier veut que l'État s'ancre au sein des entreprises structurellement stratégiques. Deux domaines répondent, pour nous, à cette définition, étant entendu que ces choix pourront toujours être revisités par le futur comité stratégique de l'État actionnaire : l'industrie nucléaire, d'une part, autour de ses deux acteurs principaux que sont EDF, l'opérateur, qui exploite 58 tranches nucléaires en France et doit en lancer deux nouvelles en Grande Bretagne, et Areva, industriel majeur de la filière ; les industries de défense, d'autre part, dans lesquelles la part du capital détenu par l'État est variable : il est présent dans Airbus Group, Thalès, Safran, DCNS, Nexter, toutes les grandes entreprises de défense à l'exception de Dassault Aviation - dont je rappelle cependant que 46 % du capital est détenu par Airbus Group avec lequel l'État est entré dans un pacte d'actionnaires à ce sujet, suite à l'achat, par l'État, d'une action de Dassault Aviation.

« Le deuxième principe, produit de l'évolution historique de l'actionnariat public, veut que l'État soit présent dans les entreprises qui fournissent au pays des services essentiels - c'est volontairement que je n'use pas du terme de services publics, juridiquement plus restrictif. Il peut arriver que ces entreprises soient issues du secteur public, voire de l'État lui-même, comme Orange et La Poste. Il est légitime que l'État y soit actionnaire, et d'autant plus qu'il s'agit de secteurs peu ouverts à la concurrence, donc où existent peu d'offres alternatives. Le niveau de participation est ainsi variable, allant de 100 % d'actionnariat public pour La Poste à moins de 30 % pour Orange et 36 % pour GDF Suez, le niveau de participation s'appréciant au cas par cas.

« Le troisième principe, le plus novateur, vise à accompagner le développement et la consolidation d'entreprises dans les secteurs et filières déterminants pour la croissance. La participation de l'État peut s'y décliner au niveau de l'APE, mais aussi via Bpifrance participations, qui entre au capital des entreprises, avec un horizon de détention limité, pour accompagner une phase de croissance internationale ou une phase de consolidation avec d'autres acteurs du secteur. Je pense, par exemple, aux entreprises de biotechnologie. Cette logique, qui était au coeur de la création du Fonds stratégique d'investissement, peut aussi exister au niveau de l'État. C'est elle qui a guidé l'opération PSA. L'entreprise était en phase de reconfiguration de son actionnariat qui, jusqu'à présent familial, va devenir ouvert, avec l'entrée d'un partenaire étranger. L'État s'associe à l'opération pour assurer l'ancrage de l'entreprise en France. Vous avez évoqué le précédent d'Alstom, mais pour PSA, l'horizon de sortie ne peut être aujourd'hui déterminé : l'État reverra sa présence quand il sera absolument convaincu que le futur stratégique de l'entreprise est assuré, que son développement est garanti, que son succès est sur les rails. J'ajoute que d'un point de vue strictement patrimonial - mais vous avez compris que ce n'est pas le seul angle d'examen de l'APE - c'est une diversification de portefeuille intéressante, dans un secteur où nous sommes peu présents. Ce n'est donc pas un mauvais calcul.

« Le quatrième principe, enfin, le plus spectaculaire, bien que le moins important en termes d'occurrences, tend à assurer le sauvetage d'entreprises après approbation de la Commission européenne, comme ce fut le cas pour Dexia, dès lors qu'une défaillance comporterait un risque systémique. C'est, certes, un moyen d'action hors norme, mais dont l'État ne saurait se priver dès lors qu'il est conforme aux traités communautaires ».

Du fait de cette nouvelle doctrine, l'État peut désormais mettre en oeuvre une « gestion active des participations », c'est-à-dire la possibilité de céder des titres, qui ne correspondent à la doctrine d'investissement, pour dégager des recettes afin d'investir dans d'autres entreprises ou bien pour financer le désendettement de l'État .

Quant à la rénovation du cadre juridique, elle est effective depuis août 2014 avec la publication d'une ordonnance et d'un décret 2 ( * ) . Un arrêté a également procédé à la réorganisation fonctionnelle de l'Agence des participations de l'État 3 ( * ) .

L'ordonnance est divisée en deux parties principales : la gouvernance et les opérations sur le capital.

S'agissant du volet « gouvernance », elle permet notamment à l'État de nommer avec plus de facilités des administrateurs non fonctionnaires pour le représenter au sein des conseils d'administration. Lors de son audition précitée, David Azéma avait ainsi expliqué que « nous souhaitons ainsi élargir notre capacité de nomination dans les conseils d'administration, en reconnaissant, comme la plupart des États étrangers, qu'il est important d'avoir des administrateurs qui pèsent au sein des conseils par leur expérience et leur capacité intellectuelle . Un choix intuitu personae plutôt que purement ès qualités, de fonctionnaires appelés à la mobilité, peut parfois se révéler utile. [...] Il s'agit de passer d'une approche excessivement juridique à une approche pragmatique et de comprendre que l'on existe en considération des gens que l'on a nommés et que ce sont eux qui font véritablement la décision ».

L'ordonnance régit également le fonctionnement des conseils des sociétés dans lesquelles l'État est actionnaire, mais également les nominations à la présidence et à la direction générale et la représentation des salariés.

S'agissant du volet « opérations sur le capital », l'ordonnance encadre les opérations de cessions. En particulier, elle précise les cas dans lesquelles le recours à la loi est obligatoire, par exemple lorsque l'État envisage de céder plus de la moitié du capital, depuis plus de cinq ans et que les effectifs sont supérieurs à mille personnes (ou que son chiffre d'affaires est supérieur à 150 millions d'euros).


* 2 Ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique ; décret n° 2014-949 du 20 août 2014 portant application de l'ordonnance n° 2014-948.

* 3 Arrêté du 19 août 2014 portant organisation de l'Agence des participations de l'État.

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