B. 21 MILLIARDS D'EUROS D'ÉCONOMIES POUR OBJECTIF EN 2015
Dans un contexte fortement marqué par l'instabilité des objectifs des finances publiques, soit en raison de leur non-respect, soit de leur modification avant même qu'ils aient pu être votés par le Parlement, demeure un point de stabilité : le programme de 50 milliards d'euros d'économies prévu pour la période 2015-2017 . Celui-ci semble même être devenu une fin en soi, alors même qu'il devait initialement être le levier permettant l'atteinte de nos cibles budgétaires.
L'attachement symbolique et politique au montant de 50 milliards d'euros paraît tel que la Cour des comptes a relevé, dans son rapport sur la situation et les perspectives de juin 2014, que le Gouvernement avait « révisé à la baisse son estimation de la croissance tendancielle des dépenses d'environ 0,1 point de PIB en volume, la ramenant de 1,6 % à 1,5 % » 74 ( * ) lors de l'élaboration du programme de stabilité 2014-2017, examiné par le Parlement en avril dernier, par rapport à l'estimation retenue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 75 ( * ) . Cette révision était implicite et n'apparaissait aucunement dans le programme de stabilité . S'il est possible d'y voir une « amélioration » des hypothèses gouvernementales, dès lors que celles-ci seraient plus proches de la réalité, il n'en demeure pas moins que la modification du « tendanciel » retenu n'a pas entraîné de révision du quantum d'économies annoncé pour la période 2015-2017, alors même que les cibles d'évolution de la dépense publique en volume ont, elles, changé.
Une telle « pudeur » du Gouvernement à afficher ces efforts supplémentaires en dépenses interroge ; faut-il y voir la conséquence de la difficulté qu'il éprouve à assumer les économies qu'il projette de réaliser, ce qui ne laisse pas d'inquiéter quant à sa capacité à les mener à leur terme ? En outre, après l'annonce du programme de 50 milliards d'euros d'économies sont venues s'ajouter des mesures supplémentaires en prélèvements obligatoires, de même que de nouvelles dépenses, sans pour autant que le montant des économies projetées ne soit modifié, ce qui tend à confirmer le caractère intangible de ce « symbole » budgétaire...
Le « flou » qui entoure le programme des 50 milliards d'euros d'économies est d'autant plus problématique qu' il est difficile d'en établir de le détail , y compris pour les économies projetées au titre de 2015 ; d'ailleurs, s'agissant des mesures devant intervenir en 2015, il est intéressant de noter que la Commission européenne, dans ses prévisions d'automne, a jugé que « plusieurs de ces mesures, représentant près de 2 milliards d'euros, demeurent insuffisamment détaillées pour être intégrées à la prévision » 76 ( * ) .
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement semble avoir fait le choix de répartir les efforts d'économies entre les différents sous-secteurs des administrations en fonction de leur « poids » relatif dans la dépense publique , ainsi que le fait apparaître le tableau ci-après.
Ainsi, l' État et ses agences assumeraient, entre 2015 et 2017, une économie totale de près de 19 milliards d'euros. À cela viendrait s'ajouter les économies demandées aux collectivités territoriales , de 11 milliards d'euros, et aux administrations de sécurité sociale (ASSO), de 21 milliards d'euros. Le montant des économies à réaliser s'élèverait à 21 milliards d'euros en 2015 , puis à 15 milliards d'euros en 2016 et à 14 milliards d'euros en 2017 .
Par suite, l'année 2015 porterait une part importante du programme d'économies projeté au titre de la période 2015-2017 . Aussi les développements qui suivent s'attachent-ils à réinscrire l'effort en économies, de 7,7 milliards d'euros pour l'État et ses agences, 3,7 milliards d'euros pour les collectivités territoriales et 9,6 milliards d'euros pour les administrations de sécurité sociale, sur la trajectoire financière de ces différents sous-secteurs des administrations publiques en 2015.
1. L'État et ses opérateurs
L'économie, de 7,7 milliards d'euros, prévue au titre de l'État et de ses agences en 2015 fait l'objet d'un traitement approfondi dans la partie dédiée au budget de l'État du présent rapport. Toutefois, il convient de rappeler brièvement que ce montant intègre 1,4 milliard d'euros d'économies qui résulteraient de la modération des rémunération des agents de l'État , soit essentiellement du « gel » du point d'indice de la fonction publique et la réduction des mesures catégorielles, 2,4 milliards d'euros d'économies sur les dépenses d'intervention , 2,1 milliards d'euros d'économies sur les autres dépenses de l'État , devant provenir de « l'amélioration de la productivité des administrations et [de] l'optimisation des fonctions support » ainsi que de la révision du rythme d'exécution du programme des investissements d'avenir (pour 0,5 milliard d'euros) et, enfin, 1,9 milliard d'euros d'économies sur les concours aux opérateurs , permise par la réduction des taxes affectées et la stabilisation des dotations budgétaires.
Au total, dans le périmètre des dépenses des ministères et de celles des opérateurs dont les recettes fiscales sont plafonnées serait réalisée une économie de 7,2 milliards d'euros par rapport à l'accroissement tendanciel de ces dépenses (+ 5,4 milliards d'euros par an). Aussi, entre la loi de finances pour 2014 et le projet de loi de finances pour 2015, ces dernières reculeraient-elles de près de 1,8 milliard d'euros .
Les baisses des dépenses ajoutées à la
hausse de recettes fiscales de l'État permettraient au solde
budgétaire de l'État de s'établir à
- 75,7 milliards d'euros en 2015, en amélioration de 11,4
milliards d'euros pour rapport à 2014, compte tenu du contrecoup du
deuxième programme des investissements d'avenir (PIA 2). Pour autant,
le solde de l'État en comptabilité nationale, lui, se
dégraderait, passant de 76,9 milliards d'euros à
79,1 milliards d'euros entre 2014 et 2015
. Cette évolution
proviendrait essentiellement de la montée en charge du crédit
d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui, en
application du système européen des comptes nationaux, dit
« SEC 2010 », est comptabilisé dans le solde public
pour le montant de la créance, suivant une logique de « droits
constatés », et non de son coût budgétaire. Par
suite,
le solde public de l'État et des organismes divers
d'administration centrale (ODAC) serait de
- 3,7 % du PIB en
2015, contre - 3,6 % du PIB en 2014
.
2. Les collectivités territoriales
Les collectivités territoriales feraient, quant à elles, l'objet d'une réduction des concours de l'État de 3,67 milliards d'euros en 2015 . L'exposé général du présent projet de loi précise que « la répartition de l'effort entre catégories de collectivités s'effectuera au prorata de la part de chacune d'elles dans les recettes totales, soit 2 071 M€ pour le bloc communal (1 450 M€ pour les communes et 621 M€ pour leurs groupements), 1 148 M€ pour les départements, et 451 M€ pour les régions » 77 ( * ) .
Cela conduirait, selon le Gouvernement, à un ralentissement, pour un montant équivalent à la baisse des concours de l'État, des dépenses de fonctionnement des collectivités . À cela s'ajouterait un recul des dépenses d'investissement de 6 % à rattacher au « cycle électoral » - l'année des élections municipales et la suivante étant généralement marquées par un freinage de la formation brute de capital fixe (FBCF) des communes.
Toutefois, dans son rapport sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 78 ( * ) , votre rapporteur général avait déjà montré la fragilité de la trajectoire financière des collectivités territoriales proposée par le Gouvernement . Tout d'abord, le scénario gouvernemental suppose que les collectivités disposeraient des marges de manoeuvre nécessaires pour traduire la diminution des dotations par des économies d'un montant égal ; pourtant, cette hypothèse paraît précaire eu égard au caractère contraint de nombreuses dépenses des administrations publiques locales. Tout laisse donc penser que, contrairement à ce qu'avance le Gouvernement, la réduction des concours de l'État se traduirait par un recul des dépenses d'investissement des collectivités, plus aisément modulables à court terme que les dépenses de fonctionnement - sans même qu'il soit question des prestations sociales et des transferts sociaux. Ceci invite à considérer avec attention la prévision d'évolution des dépenses locales d'investissement. Le Gouvernement prévoit qu'au cours des années à venir, celles-ci varieraient comme au cours du précédent cycle électoral ; malgré tout, comme le fait apparaître le rapport précité, il existe une grande irrégularité dans les contributions du cycle électoral à la formation brute de capital fixe (FBCF).
Aussi l'ampleur du recul des dépenses d'investissement des collectivités en 2015, de 6 %, que le Gouvernement attribue au cycle électoral, excède ce qui est observé sur longue période ; par suite, il y a lieu de se demander si les anticipations gouvernementales ne tiendraient pas compte des éventuels effets des baisses de concours financiers de l'État sur l'investissement local .
En tout état de cause, le Gouvernement prévoit un fort ralentissement de la dépense locale, qui ne progresserait que de 0,3 % en 2015 , contre 1,2 % en 2014 et 3,4 % en 2013.
En dépit de la diminution des dotations aux collectivités territoriales, les ressources de ces dernières progresseraient de 0,8 %, portées par la hausse des recettes fiscales (+ 3,2 %). Cette évolution serait liée à la croissance spontanée des prélèvements obligatoires revenant aux collectivités territoriales, mais également aux hausses de taux des impositions communales, ainsi que l'indique le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2015.
Par conséquent,
le solde effectif des
administrations publiques locales (APUL) resterait à peu près
stable entre 2014 et 2015, s'élevant à
- 0,3 % du
PIB
.
3. Les administrations de sécurité sociale
Les administrations de sécurité sociale (ASSO), enfin, réaliseraient l'essentiel des économies prévues au titre de l'exercice 2015 , devant modérer la progression de leurs dépenses de 9,6 milliards d'euros . Les économies ainsi projetées porteraient, à hauteur de 3,2 milliards d'euros, sur les dépenses d'assurance maladie - la progression de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) étant ramenée à + 2,1 % -, tandis que les 6,4 milliards d'euros restant résulteraient de mesures relatives aux autres dépenses de protection sociale .
Alors même qu'elles sont à l'origine d'une part conséquente de l'effort en dépenses prévu en 2015, les économies demandées aux administrations de sécurité sociale (ASSO) demeurent difficiles à « matérialiser » . À cet égard, dans son avis relatif au présent projet de loi 79 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques a indiqué que, « s'agissant des dépenses sociales, les mesures d'économies du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'ont pas été portées dans leur totalité à la connaissance du Haut Conseil », rendant douteux l'atteinte des objectifs d'économies arrêtés pour 2015.
Le 21 octobre dernier, le secrétaire d'État au budget, Christian Eckert, s'est attaché, avec un succès toutefois limité, à porter à la connaissance de l'Assemblée nationale le détail des économies devant être opérées dans le champ des dépenses sociales 80 ( * ) . Il a alors précisé que les 9,6 milliards d'euros d'économies annoncés comprenaient 4 milliards d'euros devant provenir de mesures déjà engagées et 5,6 milliards d'euros de mesures nouvelles . En outre, ces économies porteraient, à hauteur de 6,7 milliards d'euros, sur les régimes obligatoires de base (ROBSS), qui entrent dans le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, et pour 2,9 milliards d'euros sur les autres administrations de sécurité sociale . Dans le cadre de son rapport pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2015 81 ( * ) , notre collègue Francis Delattre s'est appliqué à reconstituer l'ensemble des mesures devant permettre la réalisation des économies prévues au titre des administrations de sécurité sociale (ASSO) ; le tableau ci-après est issu de ses travaux.
Malgré les précisions apportées par le secrétaire d'État chargé du budget, le rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi de financement pour 2015 a relevé plusieurs « zones d'ombre » dans le scénario gouvernemental . Aussi celui-ci a-t-il relevé que « sur les 9,6 milliards d'euros d'économies prévues, 1,5 à 3 milliards d'euros apparaissent très hypothétiques, compte tenu du manque d'informations transmises à la représentation nationale » 82 ( * ) . Alors que certaines économies ne sont pas renseignées ou détaillées, d'autres reposent sur des hypothèses à bien des égards discutables.
Selon le Gouvernement, les dépenses des administrations de sécurité sociale progresseraient de 0,8 % en 2015 ; leurs recettes, quant à elles, marqueraient une hausse de 1,5 %, contre 2,3 % en 2014. Ce ralentissement serait imputable à la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité et de solidarité 83 ( * ) , à l'origine d'une perte de recettes de 6,3 milliards d'euros due à des allègements de cotisations sociales et à un abattement de contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), et de son schéma de compensation pour la sécurité sociale 84 ( * ) . Néanmoins, le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au présent projet de loi précise que les « allègements de cotisations supplémentaires masquent une reprise de la croissance spontanée sous l'effet d'une masse salariale privée plus dynamique (+ 2,0 % après + 1,6 % en 2014) », reprise qui participerait donc à l'accroissement des ressources des administrations de sécurité sociale. Une telle hypothèse peut cependant paraître optimiste, dès lors que les créations d'emplois et la hausse du salaire moyen par tête (SMPT) pourraient être plus limitées que prévu (cf. supra ). En particulier, la progression du salaire moyen pourrait être freinée par les effets retardés du ralentissement de l'inflation, le niveau élevé du chômage, un contexte marqué par une relative modération salariale dans certains pays européens et le souci des entreprises de restaurer leurs taux de marge.
Au total, que ce soit du côté de l'évolution des dépenses ou de celui de la progression des recettes, la trajectoire financière des administrations de sécurité sociale (ASSO) paraît fragile , ce qui pourrait compromettre le recul du déficit de ces dernières de 0,5 % à 0,3 % du PIB entre 2014 et 2015 et, plus largement, la consolidation des finances publiques projetée par le Gouvernement.
* 74 Cour des comptes, La situation et les perspectives des finances publiques , juin 2014, p. 124.
* 75 Alors qu'il était prévu que la dépense publique évolue de 0,2 % en volume par an en moyenne entre 2015 et 2017 dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2014, la prévision de progression en volume a été ramenée à un niveau légèrement inférieur à 0,1 % par an en moyenne sur la même période dans le programme de stabilité 2014-2017.
* 76 Commission européenne, op. cit. , novembre 2014, p. 77 [traduction de la commission des finances du Sénat].
* 77 Il est également indiqué qu'« au sein de chaque catégorie de collectivités, cet effort sera réparti au prorata des recettes réelles de fonctionnement pour le bloc communal, de façon "péréquée" pour les départements et au prorata des recettes totales pour les régions ».
* 78 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 60-65.
* 79 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-05 du 26 septembre 2014, op. cit.
* 80 Cf. compte rendu intégral de la première séance de l'Assemblée nationale du 21 octobre 2014.
* 81 Cf. avis n° 84 (2014-2015) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 fait par Francis Delattre au nom de la commission des finances du Sénat.
* 82 Ibid. , p. 22.
* 83 Les mesures du Pacte de responsabilité et de solidarité et leurs effets au cours de la période 2015-2017 sont précisés dans le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019
* 84 La perte de recettes pour la sécurité sociale de la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité et de solidarité est compensée par des recettes supplémentaires et par de moindres dépenses, liées à la re-budgétisation de l'aide personnalisée au logement (APL), pour un montant de 4,8 milliards d'euros.