B. UN NOUVEAU CODE MONDIAL ANTIDOPAGE QUI NÉCESSITE UNE TRANSCRIPTION PRÉCAUTIONNEUSE

L'annonce de la révision du code mondial antidopage en 2011 a constitué, selon les termes de Bruno Genevois, président de l'AFLD, une « surprise » compte tenu du fait que la précédente version venait à peine d'être intégrée dans notre droit interne.

Pour autant, la nouvelle version du code ne saurait être considérée comme superflue du fait des nombreuses avancées qu'elle comporte parmi lesquelles figurent l'aggravation des sanctions encourues , la volonté de frapper davantage les entourages et l'augmentation du délai de prescription .

Toutefois, même si elles sont peu nombreuses, des interrogations sont apparues concernant la constitutionnalité de certaines dispositions , ce qui appelle l'attention du législateur à l'occasion de l'examen de ce projet de loi d'habilitation.

1. Une révision qui comporte de nombreuses avancées pour mieux lutter contre le dopage

Les principaux changements apportés au code mondial antidopage dans sa version de 2015 par rapport à la version de 2009 peuvent être regroupés en six thèmes.

a) Des périodes de suspension plus longues et une plus grande souplesse pour infliger des sanctions

Concernant tout d'abord les périodes de suspension, un consensus s'est dégagé pour considérer que les tricheurs intentionnels devaient être suspendus pour une période de quatre ans . Ce principe prévu par l'article 10.2 du CMA devient la norme sauf si le sportif peut établir que la violation n'était pas intentionnelle.

Par ailleurs, l'article 10.6.3 exige maintenant l'accord de l'AMA et de l'organisation antidopage responsable de la gestion des résultats afin de réduire la durée de la suspension en cas d'aveux sans délai.

b) Une meilleure prise en compte des principes de proportionnalité et des Droits de l'Homme

Une deuxième catégorie de changement concerne la prise en compte des principes de proportionnalité et des Droits de l'Homme auxquels il est maintenant fait référence dans le nouveau code. Il en est ainsi à l'article 14.3.2 qui prévoit qu'il n'est pas obligatoire de rendre publiques les violations des règles antidopage avant que la décision définitive en appel ne soit entrée en force. Selon le code actuel, cette divulgation était requise après l'audience.

Dans le même ordre d'idée, l'article 14.3.6 prévoit que la divulgation publique obligatoire des violations des règles antidopage n'est pas requise pour les mineurs ou pour les sportifs qui ne sont pas des sportifs de niveau international ou national.

c) La réaffirmation de l'importance croissante des enquêtes et du recours aux renseignements pour lutter contre le dopage

Le nouveau code mondial antidopage met, ensuite, l'accent sur l'importance croissante des enquêtes et sur le recours aux renseignements pour lutter contre le dopage. Plusieurs articles du CMA sont ainsi modifiés pour favoriser la coopération dans l'échange d'information entre les différents acteurs de la lutte antidopage .

Les possibilités de réduction des sanctions pour aide substantielle ont par ailleurs été étendues.

Enfin, l'article 17 a porté à 10 ans, contre 8 ans dans le code actuel, les règles de prescription pour tenir compte du fait qu'il faut beaucoup de temps pour découvrir des programmes de dopage sophistiqués.

d) Une mise en cause renforcée du personnel d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage

Une autre priorité du nouveau code concerne la mise en cause du personnel d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage. Dans ce cadre, l'article 2.10 prévoit, par exemple, une nouvelle disposition concernant la violation des règles antidopage intitulée « Association interdite » qui proscrit le fait pour un sportif de s'associer à des encadrants qui ont été suspendus ou condamnés pour des faits de dopage .

e) Une attention particulière à l'égard des concepts de planification intelligente de répartition des contrôles et des menus intelligents pour l'analyse des échantillons

Les modifications apportées au CMA 2015 mettent également l'accent sur les concepts de planification intelligente de répartition des contrôles et sur les menus intelligents pour l'analyse des échantillons.

Dans ce cadre, les articles 5.4.1 et 5.4.2 prévoient, par exemple, que les organisations antidopage doivent utiliser le « document technique » relatif à l'évaluation des risques comme base pour développer leur plan de répartition des contrôles. L'AMA peut même exiger une copie de ce plan de répartition des contrôles dans le cadre de son activité de surveillance du respect du code.

f) Une meilleure articulation des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage

Un autre point essentiel concerne la recherche d'un meilleur équilibre des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage. C'est sans doute le point qui aurait mérité des développements plus importants pour reprendre, par exemple, les propositions de la commission d'enquête sénatoriale.

Même si les prérogatives des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage ne sont pas significativement modifiées, aux termes de l'article 5.3, la règle stipulant qu'une organisation antidopage ne peut pas effectuer de contrôles durant une manifestation organisée par une fédération internationale ou par une organisation responsable de grandes manifestations sans l'accord de celle-ci, ou à titre de dernier recours, a été limitée aux lieux de la manifestation tels que définis par la fédération internationale ou l'organisation responsable de grandes manifestations. Par ailleurs, si l'AMA, après avoir consulté la fédération internationale ou l'organisation responsable de grandes manifestations, autorise une organisation nationale antidopage à procéder à des contrôles durant une manifestation, la décision de l'AMA ne pourra pas faire l'objet d'un appel.

2. Une ordonnance qui devra se conformer aux principes constitutionnels

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet, ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnel.

C'est pourquoi votre commission s'est intéressée aux trois difficultés posées par la transcription en droit interne du nouveau code mondial antidopage .

a) La disponibilité des sportifs « à tout moment et en tout lieu »

A l'occasion de la procédure de révision du code mondial antidopage, l'Agence mondiale antidopage a prévu d'introduire une règle qui figurait jusqu'alors à l'article 11.1.4 du « Standard international de contrôle » en vertu de laquelle un sportif doit être disponible pour un contrôle « à tout moment ».

Or, le collège de l'AFLD a estimé, lorsqu'il a examiné le projet de loi d'habilitation, que l'affirmation par les articles 5.2 et 21.1.2 du CMA de la disponibilité des sportifs « à tout moment et en tout lieu » pour le prélèvement d'échantillons allait « sensiblement au-delà des obligations pesant sur la généralité des intéressés et même sur ceux d'entre eux astreints à une obligation de localisation destinée à permettre des contrôles inopinés en amont des compétitions, par application des dispositions de l'article L. 232-15 et du premier alinéa de l'article L. 232-14 du code du sport » 7 ( * ) .

En effet, la convention de l'UNESCO comme l'article 2.4 du CMA prévoient déjà des dispositions relatives au contrôle de localisation applicables aux sportifs appartenant au « groupe cible » de l'AFLD qui figurent aux articles L. 232-5 et L. 232-15 du code du sport.

Dans ce cadre, en application de la jurisprudence du Conseil d'État, la désignation du sportif requiert une décision du collège de l'AFLD et a pour effet d'obliger le sportif concerné à fournir à titre prévisionnel un emploi du temps trimestriel ménageant, quotidiennement, un lieu et un créneau horaire de 60 minutes de son choix durant lesquels il est susceptible de faire l'objet d'un contrôle individualisé, créneau compris entre 6 heures et 21 heures.

Le « groupe cible » de l'AFLD comprenait 728 sportifs en 2012, année olympique, et 429 en 2013.

La modification adoptée par l'AMA va plus loin que le dispositif actuellement en vigueur puisque l'affirmation de la disponibilité du sportif à tout moment pour des contrôles ferait peser sur lui une contrainte méconnaissant tant le principe de l'inviolabilité du domicile qui est constitutionnellement garanti ainsi que le droit au respect de la vie privée et du domicile qui figure au paragraphe 1 de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

On peut rappeler qu'une des conséquences de l'inviolabilité du domicile est la prohibition du principe des perquisitions et visites domiciliaires entre 21 heures et 6 heures (art. 59 du code de procédure pénale). Les seules exceptions à cette interdiction des visites domiciliaires concernent des opérations de lutte contre la criminalité et la délinquance organisées sous le contrôle du juge judiciaire qui ne sauraient être placées sur le même plan que la lutte contre le dopage.

Afin d'essayer de concilier le CMA avec le droit français, M. Bruno Genevois, président de l'AFLD, avait proposé lors de la révision du CMA de recourir à un système de gradation dans la disponibilité du sportif pour des contrôles qui aurait compris trois niveaux :


• disponibilité en compétition et à l'entraînement ;


• disponibilité accrue pouvant être exigée des sportifs astreints à fournir des informations sur leur localisation ;


• possibilité de pratiquer au titre de compétitions internationales se déroulant sur une semaine ou plus, un contrôle s'avérant indispensable à la lutte contre le dopage, au lieu d'hébergement du sportif entre 6 heures et 23 heures.

Comme l'a indiqué le président de l'AFLD à votre rapporteur lors de son audition, le 8 juillet 2014, « l'AMA a maintenu son point de vue » , ce qui pose un problème concernant la transcription de ce principe en droit français qui devrait trouver sa solution dans une transcription limitée de cette disposition en droit interne français, selon les recommandations du Conseil d'État 8 ( * ) .

b) Le caractère automatique de certaines sanctions prononcées

L'article 10 du CMA prévoit de conférer un caractère automatique aux sanctions prononcées qui devra être concilié avec le principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui s'applique en matière pénale mais également à toute sanction ayant le caractère de punition.

Le Conseil d'État, lors de son examen du projet de loi, a donc strictement encadré les conditions de la transcription et le Gouvernement, interrogé par votre commission, a déclaré qu'il respecterait ces recommandations 9 ( * ) .

Dans son avis précédemment mentionné, le Conseil d'État a indiqué que « les dispositions de l'article 10 du code mondial antidopage ne peuvent être interprétées comme imposant la création d'un régime de sanctions automatiques en cas de dopage, mais doivent être lues comme permettant d'instaurer un régime de sanction maximale ».

c) La compétence dévolue au Tribunal arbitral du sport

Le code mondial antidopage prévoit également, dans plusieurs de ses articles (articles 13, 13.2.1 et 23.2.2), la compétence du Tribunal arbitral du sport (TAS). Or cette compétence ne saurait être reconnue en droit français ainsi que l'a relevé l'Assemblée générale du Conseil d'État le 12 octobre 2006 à l'occasion de l'examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention de l'UNESCO lorsqu'il a estimé que l'établissement au bénéfice du TAS d'une compétence d'appel exclusive dans les cas de dopage impliquant des sportifs français de niveau international engagés, sur le territoire français, dans des compétitions sportives de niveau national, régional ou départemental, porterait « atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, dans la mesure où elle conduirait à soumettre au contrôle d'une autorité internationale, de surcroît non établie par un accord intergouvernemental, les décisions d'autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique, qu'il s'agisse d'instances disciplinaires des fédérations sportives ou de l'Agence française de lutte contre le dopage » .

Afin de réduire le décalage entre la « lex sportiva » et le droit national , on peut rappeler qu'une solution a été trouvée qui permet d'ouvrir à l'AMA (CE. 1 er décembre 2010, Agence mondiale antidopage) ainsi qu'aux fédérations internationales (art. 20 de la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012) la possibilité de contester devant la juridiction administrative les décisions prises en matière de sanction du dopage par les instances fédérales ou l'AFLD.

Ce droit reconnu à l'AMA et aux fédérations internationales ayant été considéré comme apportant des garanties équivalentes à la reconnaissance de la compétence du TAS, a permis à la France de se dispenser de transcrire cette disposition. Il devrait en être de même à l'occasion de la transcription du nouveau CMA 10 ( * ) .


* 7 Délibération n°2014-28 du 26 mars 2014 du collège de l'AFLD portant avis sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la mise en conformité du droit avec le code mondial antidopage.

* 8 Voir l'examen de l'article unique.

* 9 Voir l'examen de l'article unique.

* 10 Dans son avis du 26 juin 2014, le Conseil d'État a confirmé que « les dispositions de l'article 13.2.1 du CMA ne peuvent être interprétées comme imposant de soumettre au contrôle du TAS les décisions d'autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique (...) ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page