Rapport n° 737 (2013-2014) de M. Jean-Jacques LOZACH , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 16 juillet 2014
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SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA COMMISSION
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AVANT-PROPOS
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I. UNE LUTTE ANTIDOPAGE QUI S'INSCRIT
NÉCESSAIREMENT DANS UN CADRE INTERNATIONAL
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II. UNE NOUVELLE ÉTAPE POUR CONSTRUIRE UN
DISPOSITIF MONDIAL ANTIDOPAGE TOUJOURS PLUS EFFICACE
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A. LA NÉCESSITÉ DE CONDUIRE UNE LUTTE
UNIVERSELLE CONTRE LE DOPAGE
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B. UN NOUVEAU CODE MONDIAL ANTIDOPAGE QUI
NÉCESSITE UNE TRANSCRIPTION PRÉCAUTIONNEUSE
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1. Une révision qui comporte de nombreuses
avancées pour mieux lutter contre le dopage
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a) Des périodes de suspension plus longues
et une plus grande souplesse pour infliger des sanctions
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b) Une meilleure prise en compte des principes de
proportionnalité et des Droits de l'Homme
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c) La réaffirmation de l'importance
croissante des enquêtes et du recours aux renseignements pour lutter
contre le dopage
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d) Une mise en cause renforcée du personnel
d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage
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e) Une attention particulière à
l'égard des concepts de planification intelligente de répartition
des contrôles et des menus intelligents pour l'analyse des
échantillons
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f) Une meilleure articulation des
fédérations internationales et des organisations nationales
antidopage
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a) Des périodes de suspension plus longues
et une plus grande souplesse pour infliger des sanctions
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2. Une ordonnance qui devra se conformer aux
principes constitutionnels
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1. Une révision qui comporte de nombreuses
avancées pour mieux lutter contre le dopage
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A. LA NÉCESSITÉ DE CONDUIRE UNE LUTTE
UNIVERSELLE CONTRE LE DOPAGE
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I. UNE LUTTE ANTIDOPAGE QUI S'INSCRIT
NÉCESSAIREMENT DANS UN CADRE INTERNATIONAL
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EXAMEN DES ARTICLES
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EXAMEN EN COMMISSION
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ANNEXES
N° 737
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 juillet 2014 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE),
Par M. Jean-Jacques LOZACH,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mme Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Didier Marie, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
677 et 738 (2013-2014) |
SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA COMMISSIONRéunie le mercredi 16 juillet 2014, sous la présidence de Mme Marie-Christine Blandin (Ecolo - Nord), la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné, sur le rapport de M. Jean-Jacques Lozach (Soc - Creuse), rapporteur, le texte du projet de loi n° 677 (2013 2014) habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage . À cette occasion, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a pris acte de ce que la nouvelle version du code mondial antidopage comportait de nombreuses avancées concernant, notamment, les modalités de contrôle des organisations nationales antidopage en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales et une meilleure prise en compte du rôle des entourages dans les systèmes organisés de dopage. La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a également considéré que les difficultés d'ordre constitutionnel que pouvait soulever la transcription en droit interne du nouveau code mondial antidopage avaient été clairement identifiées par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et le Conseil d'État et que, selon les indications fournies par le Gouvernement, des réponses appropriées devraient y être apportées dans le cadre de l'ordonnance, notamment concernant les contrôles en tout lieu et à tout moment auxquels les sportifs seraient tenus de se soumettre. En conséquence, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a adopté à l'unanimité l'article unique du projet de loi autorisant le gouvernement à transcrire par ordonnance la nouvelle version du code mondial antidopage . |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La lutte contre le dopage a toujours fait l'objet d'une grande attention et d'un large consensus de la part de votre haute assemblée. La grande constance du Sénat sur ce sujet lui a permis d'apporter sa contribution pour accompagner les pratiques des sportifs, se conformer aux dispositions du code mondial antidopage et améliorer, sans cesse, notre arsenal législatif et réglementaire.
Les membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication partagent tous la conviction éthique qu'il est nécessaire de préserver les valeurs du sport et la vérité de l'effort. Ils sont également convaincus d'exercer une responsabilité essentielle au regard de l'impératif de santé publique qui appelle à la plus grande rigueur pour prévenir les dommages que le dopage fait encourir aux sportifs avec ou sans leur consentement. Le dopage est à la fois un poison moral et physique et rien ne doit nous amener à transiger sur les moyens à lui opposer pour l'exclure des podiums comme des terrains et des salles de sport.
Depuis quelques années, le débat sur le dopage est devenu public à mesure que la traque contre les tricheurs s'accentuait. Les comportements ont commencé à évoluer tandis qu'une prise de conscience s'affirmait et que la détermination des pouvoirs publics se renforçait.
Afin de mesurer le chemin parcouru comme les nouveaux défis à relever, le Sénat a créé, en 2013, une commission d'enquête chargée à la fois de réaliser un état des lieux du dopage, de faire le bilan de la lutte antidopage et de formuler des propositions. Cette commission présidée par notre collègue Jean-François Humbert et dont votre rapporteur a eu l'honneur de conduire les travaux a rendu son rapport 1 ( * ) assorti de 60 propositions, le 17 juillet 2013.
Ce rapport a mis en évidence la réalité du dopage et sa persistance. Il a également dessiné les contours d'une réforme globale permettant d'améliorer sensiblement notre dispositif de lutte antidopage sans pour autant le révolutionner. De par leur nombre et leur diversité, ses recommandations devaient permettre d'enrichir le projet de loi-cadre sur le sport qui était attendu pour la fin 2013. Le 4 juin dernier, M. Thierry Braillard, secrétaire d'État aux sports, a indiqué lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication 2 ( * ) , que ce texte devrait finalement être présenté au Parlement en 2015 dans une configuration repensée, déchargé en particulier de la question des compétences des collectivités territoriales qui doit être examinée dans le cadre d'un des volets de la réforme des collectivités territoriales.
Le report de ce projet de loi a amené le Gouvernement à déposer au Parlement un projet de loi distinct relatif à la transposition du code mondial antidopage (CMA) qui doit entrer en vigueur au 1 er janvier 2015. Comme l'avait indiqué le secrétaire d'État aux sports lors de son audition, le dépôt de ce projet de loi était devenu d'autant plus nécessaire que la France devrait accueillir au mois de novembre 2014 le comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage (AMA) et qu'il était donc indispensable que le processus législatif soit engagé à ce moment-là.
C'est ainsi que le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage a été déposé au Sénat le 2 juillet 2014 dans le cadre d'une procédure accélérée.
Ce texte vise à mettre notre droit en conformité avec la troisième version du code mondial antidopage, adoptée lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s'est tenue à Johannesburg du 12 au 15 novembre 2013.
Les modifications apportées au code mondial ne modifient pas l'économie générale du dispositif, mais visent , selon l'exposé des motifs du projet de loi, à « renforcer l'efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité » . Il s'agit ainsi de mieux permettre la prise en compte de preuves indirectes , de développer le partage d'informations, d'améliorer la coopération entre les fédérations sportives et les institutions intervenant dans la lutte contre le dopage et de conférer un pouvoir d'enquête propre à l'Agence mondiale antidopage .
Par ailleurs, le délai de prescription des sanctions disciplinaires est porté de huit à dix ans . Les organisations nationales antidopage pourront effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales . Le nouveau code vise également à pouvoir appréhender les complicités ou les systèmes organisés de dopage en prenant en considération l'entourage des sportifs. L'échelle des sanctions est élargie , avec une exclusion pouvant aller jusqu'à quatre années contre deux actuellement. Des garanties supplémentaires sont enfin apportées quant au respect des droits des sportifs .
Le Gouvernement justifie le recours à une ordonnance, d'une part, du fait de l'urgence à légiférer et, d'autre part, du fait de la technicité particulière des modifications à effectuer et de la nécessité de prévoir une articulation adéquate avec les règles générales ou principes applicables en matière pénale ou disciplinaire.
Si le projet de loi prévoit un délai de neuf mois pour la publication de l'ordonnance, celle-ci devrait en réalité être effective avant la fin de l'année et un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa publication.
Votre commission a adopté ce projet de loi sans modification, après s'être assurée, à l'occasion d'une consultation des principales fédérations sportives et de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) 3 ( * ) que le champ d'habilitation était proportionné aux objectifs recherchés et que les interrogations, apparues sur la constitutionnalité de certaines dispositions, avaient été levées.
I. UNE LUTTE ANTIDOPAGE QUI S'INSCRIT NÉCESSAIREMENT DANS UN CADRE INTERNATIONAL
A. DES PRATIQUES QUI CONTINUENT À JETER L'OPPROBRE SUR LE SPORT ET À METTRE EN DANGER LES SPORTIFS
1. Une réalité enfin reconnue mais encore mal mesurée
L'un des objectifs de la commission d'enquête du Sénat sur l'efficacité de la lutte contre le dopage consistait précisément à réaliser un état des lieux des pratiques dopantes. Cet état des lieux n'était pas évident à réaliser car les « tricheurs » ne sont évidemment pas légion à vouloir se confesser spontanément et publiquement.
Toutefois, les tables rondes, les témoignages publics et à huis clos ainsi que l'examen des données chiffrées à la disposition des agences antidopage ont permis d'établir que le dopage était une réalité qui traversait toutes les disciplines, et ceci à tous les niveaux de performance.
Des faits tragiques ont depuis longtemps attiré les soupçons et confirmé les doutes. La liste des victimes du dopage est déjà trop longue depuis la mort du coureur britannique Tom Simpson sur les pentes du mont Ventoux le 13 juillet 1967. Cet événement tragique « fondateur » a été à l'origine de la création de la commission médicale du Comité international olympique (CIO) et de l'introduction, en 1968, des premiers contrôles antidopage à l'arrivée des étapes du tour de France.
Mais il serait injuste de ne garder que le cyclisme dans le viseur. La condamnation de Ben Johnson après les Jeux olympiques de Séoul en 1988 et le scandale de la Juventus de Turin dans les années 1990 sont venus nous rappeler que le mal était largement répandu et néc essitait une politique globale.
2. La levée de l'omerta ouvre la voie à une réhabilitation de certains sports et des sportifs
Pendant trop longtemps le dopage a prospéré sur un terreau composé d'un large silence, de nombreux tabous et d'une certaine dose de complaisance. Les sportifs savaient, les fédérations ne pouvaient ignorer, les journalistes se taisaient, les responsables politiques et judiciaires détournaient le regard... Il ne fallait pas stigmatiser des héros, il n'était pas envisageable de mettre en péril des épreuves de légende...
Ce faisant, les spectateurs étaient trompés et les sportifs livrés à eux-mêmes, sommés de choisir entre deux positions intenables : refuser le dopage et passer à côté d'une carrière prometteuse ou entrer dans le système sans espoir de rédemption, mais avec l'illusion de pouvoir accéder un jour - ou plutôt une nuit - au sommet.
Si l'omerta a duré, c'est qu'une crainte existait que la vérité, une fois connue, détourne du sport les médias, les sponsors et les spectateurs, précipitant la disparition de certaines épreuves et mettant en danger la pérennité même de plusieurs disciplines. C'est pour cette raison inacceptable, même si elle est compréhensible, que le mal a prospéré avant de devenir tellement prégnant qu'il ne pouvait plus être nié, ni toléré.
Or qu'est-il advenu à l'issue de ces différentes crises consécutives à la multiplication des contrôles positifs ? L'amour des Français pour le sport ne s'est pas démenti, bien au contraire. Un malaise s'est dissipé, un débat a pu s'ouvrir, une remise à plat a été engagée. La faute de quelques-uns n'a pu avoir raison de pratiques sportives qui bénéficient d'un fort soutien populaire et constituent un élément de notre identité. Et on ne peut que regretter que d'aucuns n'aient pas eu davantage confiance dans leur sport - et en eux-mêmes - pour dénoncer et proscrire plus tôt des pratiques détestables.
Au final, force est de constater que l'opération vérité sur le dopage dans le sport s'est avérée plutôt salutaire pour les disciplines concernées. Même si le chemin de la confiance est encore long à gravir, les jeunes sportifs sont nombreux à se féliciter que les comportements exemplaires puissent être à nouveau récompensés par des résultats justes.
De la même façon, les travaux de la commission d'enquête sénatoriale ont démontré qu'il était bénéfique de parler du dopage et ainsi de participer à lever la chape de plomb qui pesait sur les esprits, et à permettre de réhabiliter, dans la durée, certaines disciplines. Comme votre rapporteur l'avait alors expliqué, « ce sont les révélations qui vont faire avancer la lutte, car on traite pas un problème que l'on ne connaît pas » 4 ( * ) .
Bref historique de l'antidopage Le mot « dopage » vient sans doute du néerlandais « dop », qui désigne une boisson alcoolisée à base de peaux de raisin que les guerriers zoulous consommaient pour augmenter leurs prouesses au combat. L'utilisation du terme s'est répandue au début du XX e siècle, d'abord pour faire référence au dopage illicite des chevaux de course. Toutefois, la pratique consistant à améliorer les performances en recourant à des substances ou à d'autres moyens artificiels est aussi ancienne que le sport de compétition lui-même. Les débuts du dopage et de l'antidopage La nécessité de réglementer le dopage dans le sport s'est imposée dès les années 1920. Les athlètes de la Grèce antique usaient de régimes spéciaux et de potions fortifiantes pour se donner des forces. Au XIX e siècle, la consommation de strychnine, de caféine, de cocaïne et d'alcool était répandue parmi les cyclistes et autres athlètes d'endurance. Thomas Hicks a remporté le marathon olympique de 1904 à Saint-Louis grâce à l'oeuf cru, aux injections de strychnine et au brandy qu'on lui a donné pendant la course... En 1928, l'IAAF (athlétisme) a été la première fédération sportive internationale à interdire le recours à des substances stimulantes. Beaucoup d'autres fédérations ont suivi son exemple, mais les restrictions sont demeurées sans effet faute de tests. Le problème s'est aggravé entre-temps avec l'apparition des hormones synthétiques dans les années 1930 et leur utilisation grandissante à des fins de dopage dans les années 1950. Le décès du cycliste danois Knud Enemark Jensen pendant les Jeux Olympiques de Rome en 1960 - l'autopsie avait révélé des traces d'amphétamine - a accentué les pressions exercées sur les autorités sportives pour introduire des contrôles du dopage. En 1966, l'Union cycliste internationale (UCI) et la Fédération internationale de football association (FIFA) ont été parmi les premières fédérations internationales à effectuer des contrôles du dopage pendant leurs championnats du monde respectifs. L'année suivante, le Comité international olympique (CIO) a créé une commission médicale et dressé une première liste de substances interdites. Des contrôles du dopage ont été effectués à l'occasion des Jeux olympiques d'hiver de Grenoble, puis des Jeux olympiques d'été de Mexico, en 1968. L'année précédente, un autre décès tragique, celui du cycliste Tom Simpson pendant le Tour de France, avait montré l'urgence de la lutte contre le dopage. La plupart des fédérations sportives internationales ont commencé à réaliser des contrôles du dopage dans les années 1970. L'utilisation de stéroïdes anabolisants, impossibles à déceler, s'était alors répandue, surtout dans les épreuves de force. Un test concluant a finalement été introduit en 1974, et le CIO a ajouté en 1976 les stéroïdes anabolisants à la liste des substances interdites. Cela a donné lieu, à la fin des années 1970, à une nette augmentation des disqualifications imputables au dopage, en particulier dans les sports de force comme les lancers et l'haltérophilie. La lutte contre le dopage s'est complexifiée dans les années 1970 et 1980 en raison du dopage d'État, que certains pays étaient soupçonnés de pratiquer. Ces soupçons se sont avérés largement fondés dans le cas de la République démocratique allemande. Le cas de dopage le plus célèbre est celui du Canadien Ben Johnson, champion du 100 mètres testé positif au stanozolol (stéroïde anabolisant) aux Jeux olympiques de Séoul en 1988. Le monde entier a alors pris conscience du problème du dopage. L'efficacité accrue des méthodes de dépistage n'est pas étrangère au net recul du nombre de records enregistrés dans certaines disciplines sportives dans les années 1990. Nouveaux défis La lutte contre les stimulants et les stéroïdes donnait certes des résultats, mais l'essentiel des efforts contre le dopage ont très vite porté sur le dopage sanguin, pratiqué depuis les années 1970, qui consiste à prélever, puis à réinjecter le sang d'un athlète pour augmenter son taux d'oxyhémoglobine. Le CIO a interdit le dopage sanguin en 1986. D'autres tentatives de dopage ont consisté à augmenter le taux d'hémoglobine des sportifs, notamment avec l'érythropoïétine (EPO), qui a été ajoutée en 1990 à la liste des substances interdites par le CIO. Longtemps inefficace faute de contrôles fiables, le dépistage de l'EPO a été introduit pour la première fois aux Jeux olympiques de Sydney en 2000. Efforts unis En 1998, la police découvrait une grande quantité de substances interdites lors d'un contrôle effectué pendant le Tour de France. Ce scandale s'est soldé notamment par une discussion sur le rôle des pouvoirs publics dans la lutte contre le dopage. Au début de 1963, la France avait, la première, adopté une loi antidopage. D'autres pays lui ont emboîté le pas, mais la coopération internationale en la matière a longtemps été du ressort du Conseil de l'Europe. Dans les années 1980, la collaboration s'est nettement accrue entre les autorités sportives internationales et divers organismes gouvernementaux. Avant 1998, la question était encore discrètement débattue dans divers forums (CIO, fédérations sportives, gouvernements), donnant ainsi lieu à des définitions, des pratiques et des sanctions divergentes. Du fait de cette confusion, les sanctions contre le dopage étaient souvent contestées, et parfois annulées par des tribunaux civils. Le scandale du Tour de France a montré la nécessité d'avoir en place un organisme international indépendant qui établirait des normes uniformes pour la lutte contre le dopage et coordonnerait les efforts des organisations sportives et des pouvoirs publics. Le CIO a pris l'initiative en organisant la première Conférence mondiale sur le dopage dans le sport à Lausanne en février 1999. L'Agence mondiale antidopage (AMA), dont la création a été proposée à l'occasion de cette Conférence, a été fondée à Lausanne le 10 novembre 1999. Source : Agence mondiale antidopage (AMA) |
B. UN SYSTÈME FRANÇAIS DE LUTTE ANTIDOPAGE EN COHÉRENCE AVEC LES INITIATIVES INTERNATIONALES
Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale a montré que les formes du dopage n'avaient cessé de se diversifier, rendant le phénomène de plus en plus difficile à détecter. L'imagination en ce domaine étant sans limite, on constate ainsi le recours à certaines molécules n'ayant pas fait l'objet d'une mise sur le marché ainsi que le développement d'un véritable dopage génétique.
Toutes ces techniques en perpétuelle évolution ont nécessité l'émergence d'un droit faisant, lui-même, l'objet d'une adaptation continuelle et focalisé principalement sur les trafics de produits dopants. Elles ont également nécessité une réorganisation des moyens administratifs qui s'est traduite par la création de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), fer de lance de la politique publique en la matière.
1. Un droit de la lutte contre le dopage en perpétuelle évolution
L'évolution du droit de la lutte antidopage en France a permis de faire évoluer la définition même du dopage pour réserver la réponse pénale aux pourvoyeurs de produits dopants.
Dans un premier temps, la loi a pénalisé l'usage de produits « stimulants ». La loi n° 65-412 du 1 er juin 1965 tendant à la répression de l'usage de stimulants à l'occasion de compétitions sportives ayant fait preuve de sa faible effectivité , la loi n° 89-432 du 28 juin 1989 relative à la prévention et à la répression de l'usage de produits dopants à l'occasion des compétitions et manifestions sportives a été l'occasion de consacrer une définition objective du dopage, selon laquelle il y a présomption d'usage de produits dopants dès lors que la personne contrôlée est positive à l'une des substances interdites.
La contrepartie de cette conception est alors de ne plus pénaliser l'usage de produits dopants et de déplacer la sanction d'un terrain pénal à un terrain disciplinaire et administratif. Ce sont donc désormais les fédérations sportives et l'AFLD, en lieu et place du juge pénal, qui reçoivent mission de punir ces faits.
L'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) L'Agence française de lutte contre le dopage, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, a été créée par la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. Le décret du 29 septembre 2006 l'a fait réellement naître le 1 er octobre suivant. Dans la perspective d'un rapprochement avec les statuts préconisés par l'Agence mondiale antidopage, elle succède à la fois au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), qui était une simple autorité administrative, au Laboratoire national de détection du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry, établissement public classique, et au ministère chargé de sports, pour ses attributions dans la définition de la stratégie des contrôles antidopage et leur organisation. Une agence indépendante L'indépendance de l'agence est très large. Son collège décide de son budget. Elle est dotée de l'autonomie financière. Aucune tutelle ministérielle ne s'impose à elle. Ses décisions essentielles sont prises par son collège, son président, ou ses trois principaux organes internes prévus par la loi (secrétaire général, directeur du département des analyses, directeur du département des contrôles). Le secrétaire général de l'agence est responsable du fonctionnement de l'ensemble des services, sous l'autorité du Président de l'agence, président du collège. Les ressources financières de l'agence proviennent très majoritairement d'une subvention versée à partir du budget du ministère chargé des sports et du produit de prestations d'analyses ou de prélèvements qu'elle réalise pour le compte de fédérations internationales ou d'organisations antidopage étrangères. L'agence remet chaque année un rapport d'activité au Parlement et au Gouvernement. L'AFLD exerce ses responsabilités dans six domaines complémentaires : - l'organisation des contrôles antidopage ; - les analyses des prélèvements ; - le suivi des procédures disciplinaires incombant, selon le cas, aux fédérations ou directement à l'Agence, ainsi que, en corollaire, la délivrance des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ; - la recherche ; - la prévention ; - la présence internationale et la fonction de conseil des fédérations et du Gouvernement dans la lutte contre le dopage. Source : Agence française de lutte contre le dopage |
Cette définition objective du dopage a été consacrée par le code mondial antidopage (CMA) qui définit le dopage au point 2.1 comme la « présence d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs dans un échantillon fourni par un sportif » , en disposant au point 2.1.1 que « (...) les sportifs sont responsables de toute substance interdite ou de ses métabolites ou marqueurs dont la présence est décelée dans leurs échantillons. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de faire la preuve de l'intention, de la faute, de la négligence ou de l'usage conscient de la part du sportif pour établir une violation des règles antidopage en vertu de l'article 2.1 » .
L'article L. 232-9 du code du sport dispose ainsi qu' « il est interdit à tout sportif : (...) 2° D'utiliser ou tenter d'utiliser une ou des substances ou méthodes interdites figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article » .
La réponse pénale au dopage a, quant à elle, été orientée vers l'entourage du sportif en tant que pourvoyeur de produits dopants.
Après 1989, le législateur français a adopté plusieurs lois sur le sujet du dopage et, en vingt ans, un cadre juridique très complet pour lutter contre les pourvoyeurs - entendus au sens large - de produits dopants a été progressivement constitué.
Outre la conception objective du dopage qu'elle consacre, la loi précitée du 28 juin 1989 a pénalisé l'administration et l'incitation à l'usage de produits dopants ainsi que l'opposition au contrôle antidopage et le non-respect des sanctions administratives infligées aux sportifs.
La loi n° 99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage a également créé deux autres délits ; celui de prescrire, de céder, d'offrir, d'administrer ou d'appliquer à un sportif une substance ou un procédé dopant, celui de faciliter son utilisation ou d'inciter un sportif à son usage.
Le législateur a ensuite parachevé le dispositif par la loi n° 2008-650 du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre les trafics de produits dopants. Cette loi a tout d'abord institué un délit de détention de produits dopants, codifié à l'article L. 232-9 du code du sport. Ce délit concerne cette fois spécifiquement le sportif, au sens de l'article L. 230-3 du code du sport, c'est-à-dire « toute personne qui participe ou se prépare 1° soit à une manifestation sportive organisée par une fédération agréée ou autorisée par une fédération délégataire 2° soit à une manifestation sportive internationale » .
Cette même loi a pénalisé aussi le trafic de produits dopants, (article L. 232-10 du code du sport), soit le fait, pour toute personne « de produire, fabriquer, importer, exporter, transporter, détenir ou acquérir, aux fins d'usage par un sportif sans raison médicale dûment justifiée une ou des substances ou méthodes figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa de l'article L. 232-9 (...) » .
Autrement dit, la détention de produits dopants est pénalisée en tant qu'elle a pour but d'administrer des produits dopants à un sportif 5 ( * ) . Cela explique ainsi que les peines encourues par le sportif - un an d'emprisonnement ou 3 750 euros d'amende -, soient moins fortes que les peines encourues lorsque cette détention concerne un non-sportif - cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende -, car la détention de produits dopants dans ce dernier cas s'inscrit nécessairement dans le cadre d'un trafic.
L'ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010 relative à la santé des sportifs et à la mise en conformité du code du sport avec les principes du CMA a permis de mettre le code du sport en conformité avec la convention de l'Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) sur le dopage du 19 octobre 2005, ratifiée par la loi n° 2007-129 du 31 janvier 2007 autorisant la ratification de la convention internationale contre le dopage dans le sport. Cette convention incite notamment les États membres à accroître la lutte contre les trafics de produits dopants.
L'ordonnance a créé deux nouvelles incriminations : il est désormais interdit de falsifier, détruire ou dégrader tout élément relatif au contrôle, à l'échantillon ou à l'analyse ; la tentative d'enfreindre les interdictions prévues à cet article est également punie.
D'autres textes - la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs -, ainsi que plusieurs textes réglementaires - les trois décrets d'application de l'ordonnance du 14 avril 2010 - ont moins concerné le volet pénal de la répression du dopage que les sanctions disciplinaires et les procédures applicables devant l'AFLD, ou encore le régime des autorisations d'usage thérapeutiques.
Enfin, des peines complémentaires sont prévues à l'article L. 232-27 du code du sport dans le cas de la détention d'une substance dopante, par un sportif ou non, sans justification médicale.
Si le dispositif créé semble donc théoriquement adapté pour lutter contre les trafiquants de produits dopants évoluant dans l'entourage du sportif, des failles subsistent dans cet arsenal qui concernent en particulier les pratiquants d'un sport n'ayant pas la qualité de sportif au sens du code, ainsi que les participants à une manifestation sportive qui ne serait pas organisée ou autorisée par une fédération sportive.
2. Les recommandations de la commission d'enquête du Sénat
Après avoir fait un état des lieux de la réalité du dopage et un bilan de la politique de lutte contre le dopage, la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a présenté soixante propositions qui visent à améliorer tous les compartiments de la lutte antidopage, à savoir la connaissance du phénomène, la prévention, les contrôles, les analyses, les sanctions disciplinaires, la politique pénale en matière de dopage et la coopération entre les différentes autorités concernées.
Certaines propositions de la commission d'enquête étaient directement adressées à l'AMA dans la perspective de la révision du CMA. Elles avaient notamment pour objectif de mieux articuler le rôle respectif des fédérations internationales et nationales en clarifiant la qualification des épreuves.
Depuis 2006, en effet, on a assisté à une réduction considérable du domaine de compétence de l'autorité française (ministère puis AFLD), auparavant compétente pour contrôler les manifestations sur le territoire français. Ce phénomène s'est manifesté à travers une qualification de plus en plus extensive du caractère international des compétitions par les fédérations et par une définition large de la « période de compétition ».
C'est pourquoi votre rapporteur avait souhaité, dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale 6 ( * ) , que deux modifications principales soient apportées au code mondial antidopage :
- une limitation de la compétence des organisations internationales aux seules grandes manifestations sportives, avec implication réelle de la fédération internationale ( Proposition n° 27 ) ;
- l'établissement d'une durée maximale pour les compétitions internationales ( Proposition n° 28 ).
Ces dispositions avaient notamment pour objectif de réduire le risque de conflit d'intérêt auquel font face les fédérations internationales organisatrices de compétitions qui les amène à vivre chaque contrôle positif comme un échec.
Les propositions de la commission d'enquête
sénatoriale
Source :
commission d'enquête
sénatoriale
|
Dans le même esprit, la commission d'enquête sénatoriale avait proposé de définir toutes les compétitions se déroulant en France comme nationales par défaut, sous réserve de la communication par la fédération internationale d'une liste des manifestations internationales qu'elle entendait contrôler ( Proposition n° 29 ). Elle avait également préconisé qu'il soit permis aux ONAD de contrôler une compétition internationale sans approbation de la fédération internationale, ni de l'AMA dès lors que la fédération internationale n'entendait pas exercer sa compétence ( Proposition n° 30 ).
II. UNE NOUVELLE ÉTAPE POUR CONSTRUIRE UN DISPOSITIF MONDIAL ANTIDOPAGE TOUJOURS PLUS EFFICACE
A. LA NÉCESSITÉ DE CONDUIRE UNE LUTTE UNIVERSELLE CONTRE LE DOPAGE
1. Un enjeu international et une forte implication de l'Europe
Le dopage constitue un enjeu international à de multiples égards. Il n'y aurait pas de sens, en particulier, à ce que les athlètes participant à une même compétition internationale ne soient pas soumis à des principes communs en termes de lutte antidopage. Par extension, les conditions d'entraînement doivent également être conformes aux mêmes principes, ce qui nécessite un engagement sans faille de chaque État concerné pour faire respecter l'éthique du sport. Dans le cas contraire, il existe un risque que certains athlètes soient tentés d'optimiser leur localisation en fonction des écarts de réglementation, ainsi que l'a montré la commission d'enquête sénatoriale à propos notamment de certains pays de l'Est et d'Afrique où les athlètes sont très peu contrôlés. Ces différences de traitement peuvent s'expliquer par plusieurs raisons, parmi lesquelles figure en bonne place le manque de moyens financiers qui peut amener certaines fédérations à ne pas placer la lutte antidopage parmi leurs priorités.
La coopération internationale et l'édiction d'un corpus de règles communes constituent donc une impérieuse nécessité, d'autant plus que la circulation des produits dopants au travers des frontières depuis leur lieu de production implique également une coopération en amont entre les États.
Les fédérations internationales ont ainsi été amenées à donner une importance de plus en plus grande à la lutte contre le dopage, depuis les premiers contrôles antidopage réalisés en 1966 dans le cyclisme, par l'Union cycliste internationale (UCI), et dans le football, par la Fédération internationale de football association (FIFA), à l'occasion de leur championnat du monde respectif.
Cinq ans après le vote, en 1962, d'une résolution condamnant le dopage, le CIO a installé sa commission médicale chargée de lutter contre le dopage qui a établi la première liste des substances interdites dans le sport. Les premiers contrôles antidopage ont ainsi eu lieu en 1968 à l'occasion des Jeux olympiques d'hiver à Grenoble et d'été à Mexico.
Il faut toutefois attendre l es années 1990 et surtout 2000 pour voir émerger un réel arsenal juridique international sous l'impulsion de l'Europe. Adoptée à Strasbourg le 16 novembre 1989, la Convention du Conseil de l'Europe contre le dopage est demeurée pendant près de dix ans le seul instrument juridique multilatéral destiné à lutter de manière coordonnée contre le dopage dans le sport.
Entrée en vigueur le 1 er mars 1990, cette convention engage ses signataires à :
- créer un organe de coordination national ;
- réduire le trafic de substances dopantes et l'usage d'agents dopants interdits ;
- renforcer les contrôles antidopage et améliorer les techniques de détection ;
- soutenir les programmes d'éducation et de visibilité ;
- garantir l'efficacité des sanctions prises contre les contrevenants ;
- collaborer avec les organisations sportives à tous les niveaux, y compris au niveau international ;
- recourir aux laboratoires antidopage accrédités.
La convention a été pourvue d'un protocole additionnel entré en vigueur le 1 er avril 2004 afin de garantir la reconnaissance mutuelle des contrôles antidopage et de mettre en place un système de contrôle obligatoire pour s'assurer des engagements souscrits.
Malgré les faibles moyens dont est demeurée tributaire la mise en oeuvre de la convention, celle-ci a marqué une étape importante dans la mobilisation intergouvernementale contre le dopage en donnant du poids au continent européen dans les négociations ayant conduit à l'établissement d'un corpus de règles antidopage négocié au niveau mondial.
2. L'Agence mondiale antidopage et le code mondial antidopage
Fondée à Lausanne le 10 novembre 1999 sous la forme d'une fondation indépendante de droit privé suisse, l'Agence mondiale antidopage (AMA) est opérationnelle depuis 2002. Son siège se situe à Montréal. Elle est financée à parts égales par le mouvement olympique et les gouvernements. Son budget s'élevait à environ 26,4 millions de dollars en 2011.
La mission de l'AMA est de « promouvoir, coordonner, et superviser au niveau international la lutte contre le dopage sous toutes ses formes ». Depuis la création de l'Agence mondiale, le rôle du CIO en matière de lutte contre le dopage demeure circonscrit à la période de compétition olympique.
L'autorité de l'AMA est confortée par la Convention internationale contre le dopage dans le sport, adoptée à l'unanimité le 19 octobre 2005 par la 33 ème Conférence générale de l'UNESCO, qui donne une force contraignante aux décisions qu'elle prend et aux règles qu'elle édicte.
Les missions de l'Agence mondiale antidopage L'article 20.7 du CMA, distingue huit « rôles et responsabilités de l'AMA » : - adopter et mettre en oeuvre des principes et des procédures conformes au code ; - surveiller la conformité au code de la part des signataires ; - approuver des standards internationaux applicables à la mise en oeuvre du code ; - accréditer et réaccréditer les laboratoires devant procéder à l'analyse des échantillons et habiliter d'autres entités à effectuer cette analyse ; - élaborer et approuver des modèles de bonnes pratiques ; - promouvoir, réaliser, commanditer, financer et coordonner la recherche antidopage et promouvoir l'éducation antidopage ; - concevoir et organiser un programme des observateurs indépendants efficace ; - effectuer les contrôles antidopage autorisés par les autres organisations antidopage et collaborer avec les organisations et agences nationales et internationales compétentes, et notamment faciliter les enquêtes et les investigations. Source : Agence mondiale antidopage |
La convention, entrée en vigueur le 1 er février 2007, renvoie explicitement aux principes du code mondial antidopage adopté à l'unanimité le 5 mars 2003 par la deuxième conférence mondiale sur le dopage.
Le code mondial antidopage (CMA), entré en vigueur le 1 er janvier 2004, vise à établir des règles communes relatives au dopage dans tous les sports de tous les pays, que doivent respecter l'ensemble des fédérations sportives internationales et les organisations de lutte contre le dopage des différents pays signataires.
Le CMA formule, en particulier, les règles imposées aux organisations antidopage en matière de contrôle, d'analyse, de gestion des résultats et de sanctions. La définition du dopage retenue dans le code revêt un caractère étendu, ne se limitant pas à l'usage d'une substance ou d'une méthode interdite.
La définition du dopage retenue
Le CMA définit le dopage comme « une ou plusieurs violations des règles antidopage énoncées aux articles 2-1 à 2-8 » : - présence d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs dans un échantillon du sportif ; - usage ou tentative d'usage par un sportif d'une substance interdite ou d'une méthode interdite ; - refus de se soumettre ou fait de ne pas se soumettre à un prélèvement d'échantillon ; - violation des exigences applicables en matière de contrôles hors compétitions ; - falsification ou tentative de falsification du contrôle de dopage ; - possession de substances ou méthodes interdites ; - trafic ou tentative de trafic de substance interdite ou de méthode interdite ; - administration ou tentative d'administration d'une substance ou méthode interdite. Source : Code mondial antidopage |
Après une première révision entérinée par le conseil de fondation de l'AMA le 17 janvier 2007, le code a fait l'objet d'une nouvelle procédure de révision qui constitue l'objet du présent projet de loi.
B. UN NOUVEAU CODE MONDIAL ANTIDOPAGE QUI NÉCESSITE UNE TRANSCRIPTION PRÉCAUTIONNEUSE
L'annonce de la révision du code mondial antidopage en 2011 a constitué, selon les termes de Bruno Genevois, président de l'AFLD, une « surprise » compte tenu du fait que la précédente version venait à peine d'être intégrée dans notre droit interne.
Pour autant, la nouvelle version du code ne saurait être considérée comme superflue du fait des nombreuses avancées qu'elle comporte parmi lesquelles figurent l'aggravation des sanctions encourues , la volonté de frapper davantage les entourages et l'augmentation du délai de prescription .
Toutefois, même si elles sont peu nombreuses, des interrogations sont apparues concernant la constitutionnalité de certaines dispositions , ce qui appelle l'attention du législateur à l'occasion de l'examen de ce projet de loi d'habilitation.
1. Une révision qui comporte de nombreuses avancées pour mieux lutter contre le dopage
Les principaux changements apportés au code mondial antidopage dans sa version de 2015 par rapport à la version de 2009 peuvent être regroupés en six thèmes.
a) Des périodes de suspension plus longues et une plus grande souplesse pour infliger des sanctions
Concernant tout d'abord les périodes de suspension, un consensus s'est dégagé pour considérer que les tricheurs intentionnels devaient être suspendus pour une période de quatre ans . Ce principe prévu par l'article 10.2 du CMA devient la norme sauf si le sportif peut établir que la violation n'était pas intentionnelle.
Par ailleurs, l'article 10.6.3 exige maintenant l'accord de l'AMA et de l'organisation antidopage responsable de la gestion des résultats afin de réduire la durée de la suspension en cas d'aveux sans délai.
b) Une meilleure prise en compte des principes de proportionnalité et des Droits de l'Homme
Une deuxième catégorie de changement concerne la prise en compte des principes de proportionnalité et des Droits de l'Homme auxquels il est maintenant fait référence dans le nouveau code. Il en est ainsi à l'article 14.3.2 qui prévoit qu'il n'est pas obligatoire de rendre publiques les violations des règles antidopage avant que la décision définitive en appel ne soit entrée en force. Selon le code actuel, cette divulgation était requise après l'audience.
Dans le même ordre d'idée, l'article 14.3.6 prévoit que la divulgation publique obligatoire des violations des règles antidopage n'est pas requise pour les mineurs ou pour les sportifs qui ne sont pas des sportifs de niveau international ou national.
c) La réaffirmation de l'importance croissante des enquêtes et du recours aux renseignements pour lutter contre le dopage
Le nouveau code mondial antidopage met, ensuite, l'accent sur l'importance croissante des enquêtes et sur le recours aux renseignements pour lutter contre le dopage. Plusieurs articles du CMA sont ainsi modifiés pour favoriser la coopération dans l'échange d'information entre les différents acteurs de la lutte antidopage .
Les possibilités de réduction des sanctions pour aide substantielle ont par ailleurs été étendues.
Enfin, l'article 17 a porté à 10 ans, contre 8 ans dans le code actuel, les règles de prescription pour tenir compte du fait qu'il faut beaucoup de temps pour découvrir des programmes de dopage sophistiqués.
d) Une mise en cause renforcée du personnel d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage
Une autre priorité du nouveau code concerne la mise en cause du personnel d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage. Dans ce cadre, l'article 2.10 prévoit, par exemple, une nouvelle disposition concernant la violation des règles antidopage intitulée « Association interdite » qui proscrit le fait pour un sportif de s'associer à des encadrants qui ont été suspendus ou condamnés pour des faits de dopage .
e) Une attention particulière à l'égard des concepts de planification intelligente de répartition des contrôles et des menus intelligents pour l'analyse des échantillons
Les modifications apportées au CMA 2015 mettent également l'accent sur les concepts de planification intelligente de répartition des contrôles et sur les menus intelligents pour l'analyse des échantillons.
Dans ce cadre, les articles 5.4.1 et 5.4.2 prévoient, par exemple, que les organisations antidopage doivent utiliser le « document technique » relatif à l'évaluation des risques comme base pour développer leur plan de répartition des contrôles. L'AMA peut même exiger une copie de ce plan de répartition des contrôles dans le cadre de son activité de surveillance du respect du code.
f) Une meilleure articulation des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage
Un autre point essentiel concerne la recherche d'un meilleur équilibre des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage. C'est sans doute le point qui aurait mérité des développements plus importants pour reprendre, par exemple, les propositions de la commission d'enquête sénatoriale.
Même si les prérogatives des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage ne sont pas significativement modifiées, aux termes de l'article 5.3, la règle stipulant qu'une organisation antidopage ne peut pas effectuer de contrôles durant une manifestation organisée par une fédération internationale ou par une organisation responsable de grandes manifestations sans l'accord de celle-ci, ou à titre de dernier recours, a été limitée aux lieux de la manifestation tels que définis par la fédération internationale ou l'organisation responsable de grandes manifestations. Par ailleurs, si l'AMA, après avoir consulté la fédération internationale ou l'organisation responsable de grandes manifestations, autorise une organisation nationale antidopage à procéder à des contrôles durant une manifestation, la décision de l'AMA ne pourra pas faire l'objet d'un appel.
2. Une ordonnance qui devra se conformer aux principes constitutionnels
Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet, ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnel.
C'est pourquoi votre commission s'est intéressée aux trois difficultés posées par la transcription en droit interne du nouveau code mondial antidopage .
a) La disponibilité des sportifs « à tout moment et en tout lieu »
A l'occasion de la procédure de révision du code mondial antidopage, l'Agence mondiale antidopage a prévu d'introduire une règle qui figurait jusqu'alors à l'article 11.1.4 du « Standard international de contrôle » en vertu de laquelle un sportif doit être disponible pour un contrôle « à tout moment ».
Or, le collège de l'AFLD a estimé, lorsqu'il a examiné le projet de loi d'habilitation, que l'affirmation par les articles 5.2 et 21.1.2 du CMA de la disponibilité des sportifs « à tout moment et en tout lieu » pour le prélèvement d'échantillons allait « sensiblement au-delà des obligations pesant sur la généralité des intéressés et même sur ceux d'entre eux astreints à une obligation de localisation destinée à permettre des contrôles inopinés en amont des compétitions, par application des dispositions de l'article L. 232-15 et du premier alinéa de l'article L. 232-14 du code du sport » 7 ( * ) .
En effet, la convention de l'UNESCO comme l'article 2.4 du CMA prévoient déjà des dispositions relatives au contrôle de localisation applicables aux sportifs appartenant au « groupe cible » de l'AFLD qui figurent aux articles L. 232-5 et L. 232-15 du code du sport.
Dans ce cadre, en application de la jurisprudence du Conseil d'État, la désignation du sportif requiert une décision du collège de l'AFLD et a pour effet d'obliger le sportif concerné à fournir à titre prévisionnel un emploi du temps trimestriel ménageant, quotidiennement, un lieu et un créneau horaire de 60 minutes de son choix durant lesquels il est susceptible de faire l'objet d'un contrôle individualisé, créneau compris entre 6 heures et 21 heures.
Le « groupe cible » de l'AFLD comprenait 728 sportifs en 2012, année olympique, et 429 en 2013.
La modification adoptée par l'AMA va plus loin que le dispositif actuellement en vigueur puisque l'affirmation de la disponibilité du sportif à tout moment pour des contrôles ferait peser sur lui une contrainte méconnaissant tant le principe de l'inviolabilité du domicile qui est constitutionnellement garanti ainsi que le droit au respect de la vie privée et du domicile qui figure au paragraphe 1 de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
On peut rappeler qu'une des conséquences de l'inviolabilité du domicile est la prohibition du principe des perquisitions et visites domiciliaires entre 21 heures et 6 heures (art. 59 du code de procédure pénale). Les seules exceptions à cette interdiction des visites domiciliaires concernent des opérations de lutte contre la criminalité et la délinquance organisées sous le contrôle du juge judiciaire qui ne sauraient être placées sur le même plan que la lutte contre le dopage.
Afin d'essayer de concilier le CMA avec le droit français, M. Bruno Genevois, président de l'AFLD, avait proposé lors de la révision du CMA de recourir à un système de gradation dans la disponibilité du sportif pour des contrôles qui aurait compris trois niveaux :
• disponibilité en compétition et
à l'entraînement ;
• disponibilité accrue pouvant être
exigée des sportifs astreints à fournir des informations sur leur
localisation ;
• possibilité de pratiquer au titre de
compétitions internationales se déroulant sur une semaine ou
plus, un contrôle s'avérant indispensable à la lutte contre
le dopage, au lieu d'hébergement du sportif entre 6 heures et 23
heures.
Comme l'a indiqué le président de l'AFLD à votre rapporteur lors de son audition, le 8 juillet 2014, « l'AMA a maintenu son point de vue » , ce qui pose un problème concernant la transcription de ce principe en droit français qui devrait trouver sa solution dans une transcription limitée de cette disposition en droit interne français, selon les recommandations du Conseil d'État 8 ( * ) .
b) Le caractère automatique de certaines sanctions prononcées
L'article 10 du CMA prévoit de conférer un caractère automatique aux sanctions prononcées qui devra être concilié avec le principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui s'applique en matière pénale mais également à toute sanction ayant le caractère de punition.
Le Conseil d'État, lors de son examen du projet de loi, a donc strictement encadré les conditions de la transcription et le Gouvernement, interrogé par votre commission, a déclaré qu'il respecterait ces recommandations 9 ( * ) .
Dans son avis précédemment mentionné, le Conseil d'État a indiqué que « les dispositions de l'article 10 du code mondial antidopage ne peuvent être interprétées comme imposant la création d'un régime de sanctions automatiques en cas de dopage, mais doivent être lues comme permettant d'instaurer un régime de sanction maximale ».
c) La compétence dévolue au Tribunal arbitral du sport
Le code mondial antidopage prévoit également, dans plusieurs de ses articles (articles 13, 13.2.1 et 23.2.2), la compétence du Tribunal arbitral du sport (TAS). Or cette compétence ne saurait être reconnue en droit français ainsi que l'a relevé l'Assemblée générale du Conseil d'État le 12 octobre 2006 à l'occasion de l'examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention de l'UNESCO lorsqu'il a estimé que l'établissement au bénéfice du TAS d'une compétence d'appel exclusive dans les cas de dopage impliquant des sportifs français de niveau international engagés, sur le territoire français, dans des compétitions sportives de niveau national, régional ou départemental, porterait « atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, dans la mesure où elle conduirait à soumettre au contrôle d'une autorité internationale, de surcroît non établie par un accord intergouvernemental, les décisions d'autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique, qu'il s'agisse d'instances disciplinaires des fédérations sportives ou de l'Agence française de lutte contre le dopage » .
Afin de réduire le décalage entre la « lex sportiva » et le droit national , on peut rappeler qu'une solution a été trouvée qui permet d'ouvrir à l'AMA (CE. 1 er décembre 2010, Agence mondiale antidopage) ainsi qu'aux fédérations internationales (art. 20 de la loi n° 2012-158 du 1 er février 2012) la possibilité de contester devant la juridiction administrative les décisions prises en matière de sanction du dopage par les instances fédérales ou l'AFLD.
Ce droit reconnu à l'AMA et aux fédérations internationales ayant été considéré comme apportant des garanties équivalentes à la reconnaissance de la compétence du TAS, a permis à la France de se dispenser de transcrire cette disposition. Il devrait en être de même à l'occasion de la transcription du nouveau CMA 10 ( * ) .
EXAMEN DES ARTICLES
Article unique - Habilitation à prendre par ordonnance les mesures pour assurer l'application des principes du code mondial antidopage
Le I. de l'article unique prévoit que, dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer, en conformité avec les principes constitutionnels et conventionnels, le respect dans le droit interne des principes du code mondial antidopage applicable à compter du 1 er janvier 2015.
La mention - assez inhabituelle dans un projet de loi d'habilitation - de la nécessité de respecter les principes constitutionnels et conventionnels a été introduite par le Conseil d'État lors de son examen du projet de loi. Elle s'explique par le fait que des interrogations se sont faites jour quant à la constitutionnalité de plusieurs dispositions qui figurent dans la nouvelle version du code mondial antidopage, concernant notamment la compétence de principe du Tribunal arbitral du sport (TAS), le caractère automatique de certaines sanctions et les conditions d'exercice des contrôles antidopage à tout moment et en tout lieu.
Or, comme le souligne le Conseil d'État dans sa note du 26 juin 2014, « en l'absence de ratification d'un avenant à la convention internationale de lutte contre le dopage dans le sport, les modifications apportées au code mondial antidopage en 2013 et figurant dans la version applicable au 1 er janvier 2015 ne créent pas d'obligations juridiques à l'égard de la France. S'il est loisible au Gouvernement d'assurer la mise en oeuvre des dispositions nouvelles ainsi introduites dans le code mondial antidopage, il doit le faire dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels. »
Afin de respecter la Constitution, les dispositions du code mondial antidopage relatives aux compétences du TAS ne devraient donc pas faire l'objet d'une transcription dans le cadre de cette ordonnance car elles ont déjà fait l'objet, dans le passé, de dispositions de portée équivalentes 11 ( * ) tandis que celles relatives aux contrôles à tout moment et en tout lieu devront être transcrites avec précautions (voir infra). Quant au régime des sanctions automatiques, le Conseil d'État a indiqué qu'il devait être considéré comme un régime de sanction maximale.
Pour l'essentiel, il convient néanmoins d'observer que les modifications apportées en 2013 au code mondial antidopage (CMA) ne modifient pas l'économie générale de la lutte contre le dopage mais visent à renforcer l'efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité.
I - Les dispositions législatives du code du sport que devrait modifier l'ordonnance
Les évolutions intervenues dans le cadre du CMA 2015, par rapport à la version issue du précédent code mondial de 2009, ne requièrent pas toutes une réponse de nature législative. Cependant, pas moins de huit d'entre elles devront être adaptées en conséquence. Elles concernent :
- l'aide substantielle à la découverte d'infractions ;
- l'extension du champ des institutions susceptibles d'accorder des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ;
- la modification du délai de prescription des actions disciplinaires, actuellement de 8 ans, à 10 ans ;
- l'interdiction faite aux sportifs de faire appel aux personnes ayant fait l'objet de sanctions ;
- la création d'une nouvelle infraction relative à la complicité en matière de trafics de substances ou de méthodes dopantes ;
- l'implication des fédérations sportives nationales et du personnel encadrant dans les enquêtes menées par les ONAD ;
- les contrôles antidopage à tout moment et en tout lieu ;
- l'ouverture de la possibilité aux organisations nationales antidopage (ONAD), telle que l'Agence française de lutte contre le dopage, d'effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales.
• L'aide
substantielle à la découverte d'infractions
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
En vertu du CMA actuel, une ONAD peut prononcer un sursis sur une partie de la période de suspension d'un sportif ou d'une autre personne quand celui-ci a fourni une aide substantielle à une ONAD, un tribunal pénal ou à un organe disciplinaire permettant de découvrir un délit, une violation des règles antidopage par une autre personne ou permettant de découvrir ou prouver une infraction pénale.
Ce sursis peut être prévu avant le prononcé de la sanction ou avant l'expiration du délai d'appel. Toutefois, il peut être retenu après que la décision finale a été prononcée ou après l'expiration du délai d'appel, à la condition d'avoir l'accord de l'AMA ainsi que de la fédération internationale compétente.
Le sursis dépend de la gravité de l'infraction et de l'importance de l'aide substantielle apportée. Il ne peut être supérieur aux trois-quarts de la suspension. Pour une suspension à vie, le sportif ou la personne doit purger une suspension qui doit être d'au moins huit ans.
À noter que le code du sport ne prévoit pas de dispositions mettant en oeuvre ces stipulations du CMA.
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le nouveau CMA (articles 10.6.1.1 à 10.6.1.3) modifie à la marge le dispositif présenté ci-dessus. Il ajoute une nouvelle disposition visant à encourager les sportifs et les autres personnes à fournir une aide substantielle .
Ainsi, une ONAD pourra accorder un sursis, même quand la décision sera devenue définitive, pour une période qu'elle « jugera appropriée ». Cette période pourra également être supérieure aux trois-quarts de la suspension dans des circonstances exceptionnelles.
L'ordonnance devrait modifier le code du sport pour intégrer ces dispositions relatives aux sursis.
•
Délivrance des autorisations à usage
thérapeutique
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
Le CMA prévoit que des procédures d'autorisation d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) doivent être définies par :
- les fédérations internationales pour les sportifs de niveau international ou les sportifs inscrits à une manifestation internationale ;
- les ONAD pour les sportifs relevant de leur champ d'action.
La partie législative du code du sport développe uniquement les procédures d'obtention des AUT pour les sportifs adhérents d'une fédération nationale ou participant à une manifestation ou compétition nationale.
Ainsi, le sportif se préparant ou participant à une compétition nationale peut adresser une demande d'AUT à l'AFLD. L'AUT est délivrée après avis conforme d'un comité d'experts.
S'agissant des sportifs de niveau international ou participant à une manifestation internationale, il appartient aux fédérations internationales concernées de délivrer l'AUT selon les modalités fixées par le Standard international sur les autorisations thérapeutiques.
L'article L. 232-2 du code du sport dispose ainsi que le sportif qui participe ou se prépare aux manifestations nationales et dont l'état de santé requiert l'utilisation d'une substance ou méthode interdite peut solliciter l'AFLD pour obtenir une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques.
L'utilisation ou la détention, dans le cadre d'un traitement prescrit à un sportif par un professionnel de santé, d'une ou des substances ou méthodes inscrites sur la liste des substances ou méthodes interdites n'entraîne à l'égard de celui-ci ni sanction disciplinaire, ni sanction pénale.
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le nouveau CMA 2015 apporte des évolutions qui ne nécessitent pas toutes des transpositions dans le droit national (exemple de la reconnaissance automatique, par les fédérations internationales des AUT délivrées par une ONAD).
Il prévoit cependant une mesure qui devra être intégrée au niveau législatif dans le droit national : la possibilité donnée aux organisations responsables de grandes manifestations de délivrer des AUT .
L'ordonnance devrait modifier le code du sport pour intégrer cette disposition.
• L'allongement
du délai de prescription
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
Le CMA fixe un délai de prescription des actions disciplinaires de huit ans (article 17).
Le code du sport prévoit, conformément au CMA, un délai identique de huit ans (article L. 232-24-1 du code du sport).
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le nouveau CMA 2015 durcit ce délai en le fixant à dix ans .
L'ordonnance devrait modifier l'article L. 232-24-1 du code du sport en conséquence.
• L'interdiction
faite aux sportifs de faire appel aux personnes ayant fait l'objet de
sanctions
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
Le CMA actuel identifie les infractions commises par les sportifs.
Le code du sport détermine, à l'article L. 232-9, les infractions suivantes en conformité avec le CMA :
- détenir ou tenter de détenir, sans raison médicale dûment justifiée, une ou des substances ou méthodes interdites ;
- utiliser ou tenter d'utiliser une ou des substances ou méthodes interdites.
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le nouveau CMA prévoit une nouvelle interdiction pour le sportif, celle de ne pas s'associer à une personne (personnel d'encadrement) qui a fait l'objet d'une sanction prononcée par une fédération ou une ONAD, ou encore d'une sanction pénale .
L'ordonnance devrait modifier le code du sport pour intégrer, à l'article L. 232-9, cette évolution.
• La
création d'une nouvelle infraction : la complicité en
matière de trafics de substances ou méthodes dopantes
Le nouveau code mondial antidopage crée une nouvelle infraction qui concernera les personnes qui se seront rendues complices :
- d'un sportif qui a détenu ou tenté de détenir, a fait usage ou tenté de le faire, d'une méthode ou substance interdite, s'est soustrait ou a tenté de se soustraire à un contrôle ;
- d'une personne qui a participé ou tenté de participer à un trafic.
La complicité est entendue dans le CMA 2015 comme étant l'assistance, l'incitation, la contribution, la conspiration, la dissimulation ou toute autre forme de complicité qui revêt un caractère intentionnel conduisant à une violation ou une tentative de violation des règles anti-dopage.
La sanction possible est comprise entre deux ans et quatre ans de suspension en fonction de la gravité de l'infraction.
L'ordonnance devrait modifier le code du sport, dans sa partie législative, pour intégrer cette nouvelle infraction.
•
Impliquer les
fédérations sportives nationales et le personnel d'encadrement du
sportif dans les enquêtes menées par l'AFLD
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
Le CMA actuel fixe une série d'engagements à respecter par le mouvement sportif (CIO, CNO, fédérations internationales), ainsi que par les sportifs et personnels d'encadrements.
Les fédérations internationales s'engagent ainsi à exiger des fédérations nationales adhérentes qu'elles se conforment au CMA.
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le nouveau CMA fixe une nouvelle exigence pour les fédérations internationales, à savoir qu'elles exigent des fédérations nationales qu'elles communiquent à leur ONAD et à la fédération internationale toute information sur une violation d'une règle antidopage et qu'elles coopèrent aux enquêtes menées par l'ONAD.
L'ordonnance devrait modifier le code du sport pour intégrer une nouvelle disposition législative imposant aux fédérations sportives de signaler à l'AFLD tout manquement aux dispositions relatives à la lutte contre le dopage.
• Contrôles
antidopage effectués au domicile du sportif entre 21 heures et
6 heures
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
Le CMA actuel prévoit (article 5.1) que chaque ONAD planifie et réalise des contrôles en compétition et hors compétions sur des sportifs relevant de son champ de compétence, y compris sur des sportifs appartenant au groupe cible (assujettis à des exigences en matière de localisation fixées dans le standard international de contrôle).
Le Standard international stipule (article 11.1.4) qu'un sportif appartenant au groupe cible est « tenu de préciser les informations concernant sa localisation » .
L'article L. 232-13-1 du code du sport dispose que les contrôles peuvent être réalisés dans tout lieu choisi avec l'accord du sportif, permettant de réaliser le contrôle, dans le respect de sa vie privée et de son intimité, y compris, à sa demande, à son domicile
L'article L. 232-14 du même code dispose que les personnes habilitées à diligenter un contrôle antidopage ne peuvent accéder, notamment, au domicile du sportif qu'entre 6 heures et 21 heures.
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le CMA 2015 prévoit, au nouvel article 5.2, que « tout sportif peut être tenu de fournir un échantillon à tout moment et en tout lieu » . Cette disposition implique la possibilité pour les personnes habilitées à procéder aux contrôles, d'accéder au domicile du sportif, notamment, de 21 heures à 6 heures du matin , ce qui pose la question de la constitutionnalité au regard du droit public français 12 ( * ) .
L'Assemblée Générale du Conseil d'État a débattu sur la question de l'article 5.2 du nouveau CMA au regard du principe constitutionnel de l'inviolabilité du domicile.
Selon les indications fournies à votre commission par le Gouvernement, l'Assemblée générale du Conseil d'État a conclu ses débats en considérant que cette nouvelle mesure, pour qu'elle puisse être transposée dans le droit interne dans le respect de la Constitution, devait répondre aux trois exigences suivantes :
- le contrôle après 21 heures ne pourra avoir lieu qu'avec le consentement du sportif ;
- le contrôle devra se limiter au prélèvement d'échantillons ;
- le contrôle devra garantir une proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs (droit à l'intimité par exemple) et les enjeux liés à la lutte contre le dopage.
Le Gouvernement s'étant engagé auprès de votre commission à transposer l'article 5.2 du nouveau CMA conformément aux recommandations du Conseil d'État, a levé les interrogations qui existaient quant à la constitutionnalité des dispositions que comprendrait l'ordonnance concernant la modification de l'article L. 232-14 du code du sport.
•
Possibilité donnée à l'ONAD de procéder à
des contrôles antidopage, lors d'une manifestation sportive
internationale, en dehors du site où se déroule cette
manifestation
Le droit applicable en vertu du code mondial antidopage en vigueur
Conformément au CMA actuel, l'AFLD est compétente pour diligenter des contrôles (art. L. 232-5) :
- pendant les manifestations sportives organisées par les fédérations nationales ;
- pendant les manifestations sportives internationales avec l'accord de l'organisme international compétent ;
- pendant les périodes d'entraînement préparant aux manifestations sportives.
L'AFLD dispose (art. L. 232-5 du code du sport) d'un pouvoir de contrôle antidopage pendant les manifestations sportives organisées par une fédération nationale. Elle peut, en outre, mettre en place des contrôles lors d'une manifestation sportive organisée par une fédération internationale, à la condition qu'elle ait l'accord de cette dernière ou, à défaut, celui de l'Agence mondiale antidopage.
Les contrôles effectués au cours d'une manifestation internationale sont effectués sur le site de la manifestation.
Les modifications apportées par le nouveau code mondial antidopage
Le nouveau CMA ouvre la faculté pour l'ONAD de réaliser des contrôles antidopage en dehors du site d'une manifestation internationale (hôtel par exemple) sur un sportif participant à cette manifestation .
L'ordonnance devrait modifier le code du sport pour prendre en compte cette modification.
II - L'entrée en vigueur et la ratification de l'ordonnance
Le II. du présent article dispose que l'ordonnance prévue au I devra être prise dans un délai de neuf mois suivant la publication de la présente loi .
Par ailleurs, il prévoit qu'un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.
Dans les faits , la France n'est pas liée juridiquement par le délai du 1er janvier 2015 pour la transcription du nouveau CMA . On peut ainsi rappeler que le précédent code était entré en vigueur le 1 er janvier 2009 et que sa mise en oeuvre avait nécessité plusieurs textes parmi lesquels une disposition législative habilitant le Gouvernement à prendre des mesures relevant du domaine de la loi (l'article 85 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009), une ordonnance prise sur ce fondement (l'ordonnance n° 2010-379 du 14 avril 2010) et un décret d'application (le décret n° 2011-58 du 13 janvier 2011).
L'absence d'impératif juridique ne dispense pas de faire preuve de diligence éthique. C'est pourquoi M. Thierry Braillard, Secrétaire d'État aux sports a indiqué devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 4 juin dernier qu'il était nécessaire que l'examen du projet de loi d'habilitation ait commencé à l'automne avant que la France n'accueille en novembre le comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage.
Votre commission a adopté cet article unique sans modification .
*
* *
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a adopté sans modification le texte du projet de loi n° 677 (2013-2014) habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage.
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 16 JUILLET 2014
__________
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur . - Le Gouvernement a déposé au début du mois, mercredi 2 juillet, un projet de loi l'habilitant à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du nouveau code mondial antidopage.
Ce nouveau code mondial antidopage a été adopté lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s'est tenue en novembre 2013 à Johannesburg. Il s'agit de la troisième version de ce code qui a été adopté pour la première fois en 2003. Il est prévu que cette nouvelle actualisation entre en vigueur le 1 er janvier 2015.
Ce projet de loi pose un certain nombre de questions que je me permettrai de résumer ainsi :
- en premier lieu, quelle est la portée juridique de cette nouvelle version du code mondial antidopage et quelle est la nécessité de la transcrire dans notre droit interne et dans quel délai ?
- en deuxième lieu, quels sont les apports de ce nouveau code mondial antidopage ?
- en troisième lieu, quels risques pourraient présenter ce texte ?
- enfin, je vous proposerai d'évoquer les principales dispositions qui devraient figurer dans l'ordonnance que le gouvernement nous demande l'autorisation de prendre et, enfin, de porter un jugement global sur ce projet de loi.
Concernant tout d'abord la portée du nouveau code mondial antidopage et la nécessité de le transcrire dans notre ordre juridique interne. Il convient de rappeler que le statut du code mondial antidopage est particulier puisque selon les termes mêmes de la convention internationale de lutte contre le dopage dans le sport signée à Paris le 19 octobre 2005 et ratifiée par la loi n° 2007-129 du 31 janvier 2007 : « les États parties s'engagent à adopter des mesures appropriées (...) conformes aux principes énoncés dans le code mondial antidopage » et « à respecter les principes énoncés dans le code ». Cela signifie que le texte du code ne fait pas partie intégrante de la convention et ne crée aucune obligation contraignante en droit international pour les États parties.
Concernant les délais de transcription, cela signifie également qu'il n'y a pas d'obligation pour la France à transcrire dans son droit interne les dispositions nouvelles du code mondial antidopage au 1 er janvier 2015, date de son entrée en vigueur.
On peut rappeler à cet égard que, dans le passé, le législateur n'a pas hésité à sursoir à la transcription des précédentes versions du code. Ainsi, la version du code entrée en vigueur le 1 er janvier 2009 n'est pleinement devenue effective que deux ans plus tard suite à l'adoption de l'ordonnance du 14 avril 2010 et à la publication du décret du 13 janvier 2011.
Si la transcription du nouveau code n'est donc pas une obligation juridique, elle n'en demeure pas moins une nécessité politique et, j'oserais même dire, éthique. La lutte contre le dopage est devenue une nécessité universelle ne serait-ce que pour protéger nos propres sportifs à la fois d'une concurrence déloyale et de la tentation de se délocaliser sous des cieux moins regardants. L'exemplarité de la France et de l'Europe dans l'application des règles internationales constitue la meilleure garantie pour inciter l'ensemble des autres pays signataires de la convention de 2005 à être eux-mêmes irréprochables.
C'est ainsi qu'il faut comprendre, me semble-t-il, les déclarations du secrétaire d'État aux sports, M. Thierry Braillard, devant notre commission le 4 juin dernier, lorsqu'il nous a annoncé que le Gouvernement souhaitait avoir engagé le processus de transcription avant que la France n'accueille en novembre prochain sur son sol le comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage (AMA).
Après avoir évoqué la question de la portée du nouveau code et de son délai de transcription, interrogeons-nous sur son intérêt et ses apports. À ce sujet, on peut observer que les modifications apportées au nouveau code mondial ne modifient pas l'économie générale du dispositif, mais visent, selon l'exposé des motifs du projet de loi, à « renforcer l'efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité ».
Les modifications apportées sont trop nombreuses pour être citées toutes. La plupart sont d'ailleurs très techniques et ne nécessitent pas de transcription législative.
Permettez-moi néanmoins d'évoquer devant vous quelques-unes de ces dispositions qui illustrent bien, à mon sens, les progrès qui ont été accomplis et l'intérêt de transcrire ce nouveau dispositif.
Concernant tout d'abord les périodes de suspension, un fort consensus s'est dégagé pour considérer que les tricheurs intentionnels devaient être suspendus pour une période de quatre ans. Ce principe prévu par l'article 10.2 devient donc la norme sauf si le sportif peut établir que la violation des règles n'était pas intentionnelle.
Le nouveau code mondial antidopage met ensuite l'accent sur l'importance croissante des enquêtes et sur le recours aux renseignements pour lutter contre le dopage. Plusieurs articles de ce code sont modifiés pour favoriser la coopération et les échanges d'informations entre les différentes institutions qui concourent à la lutte antidopage.
Les possibilités de réduction des sanctions pour aide substantielle aux autorités antidopage dans la conduite de leurs enquêtes sont, par ailleurs, étendues.
Enfin, le délai de prescription est porté à 10 ans contre 8 ans dans le code actuel pour tenir compte du fait qu'il faut aujourd'hui beaucoup de temps pour découvrir des programmes de dopage sophistiqués.
Une autre priorité du nouveau code concerne la mise en cause du personnel d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage. Le nouveau code sanctionne ainsi les « associations interdites » qui caractérisent le fait pour un sportif de s'associer à des encadrants qui ont été suspendus ou condamnés pour des faits en lien avec le dopage.
Un point essentiel concerne la recherche d'un meilleur équilibre des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage (ONAD). C'est sans doute le point qui aurait mérité des développements plus importants pour reprendre, par exemple, les propositions de la commission d'enquête sénatoriale présidé par notre collègue Jean-François Humbert, qui a présenté ses conclusions, il y a un an.
Dans les faits, les prérogatives des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage ne sont pas significativement modifiées. On peut toutefois mentionner que le nouveau code ouvre la possibilité pour une organisation nationale antidopage d'effectuer des contrôles en dehors des lieux des manifestations organisées par une fédération internationale ou par une organisation responsable de grandes manifestations.
Au final, comme je vous le disais, les avancées sont réelles même si elles ne sont pas révolutionnaires.
Il en est autrement des risques juridiques attachés à ce nouveau code, qui ont été soulevés tant par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) que par le Conseil d'État. Ces risques d'ordre constitutionnel, qui justifiaient toute l'attention de notre commission, sont de trois ordres et d'importance différente.
Le premier problème tient à la compétence reconnue par le nouveau code au tribunal arbitral du sport (TAS). Comme l'indique de manière constante le Conseil d'État, il n'est pas possible de soumettre au contrôle d'une autorité internationale les décisions d'autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique, qu'il s'agisse d'instances disciplinaires des fédérations sportives ou de l'Agence française de lutte contre le dopage.
Cette difficulté était déjà présente dans les précédentes versions du code et une solution « équivalente » en termes de garanties a alors été trouvée consistant à ouvrir à l'Agence mondiale antidopage et aux fédérations internationales la possibilité de contester, devant la juridiction administrative, les décisions prises en matière de sanction du dopage par les instances fédérales ou l'AFLD.
L'ordonnance ne devrait donc pas transcrire dans notre droit cette disposition concernant la compétence du tribunal arbitral du sport.
La deuxième difficulté est peut-être plus sérieuse puisqu'elle a trait à l'automaticité des sanctions prévue par l'article 10 du nouveau code mondial antidopage qui vient heurter le principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Pour contourner cet obstacle, le Conseil d'État a estimé dans son avis que les dispositions du nouveau code devaient « être lues comme permettant d'instaurer un régime de sanction maximale », ce qui permet d'éviter tout risque d'inconstitutionnalité.
Le dernier problème est le plus considérable puisqu'il concerne l'obligation faite par le nouveau code à tous les sportifs de se rendre disponibles pour des contrôles « à tout moment et en tout lieu ».
Si l'on comprend bien l'intérêt de ce principe de totale disponibilité pour éviter des pratiques dopantes en dehors des temps de la compétition effective, force est de reconnaître qu'il heurte de front deux principes essentiels de notre droit : l'inviolabilité du domicile qui est constitutionnellement garantie entre 21 heures et 6 heures, sauf sous le contrôle du juge judiciaire par exemple dans des cas en rapport avec la grande criminalité et le droit au respect de la vie privée qui est reconnu par la Convention européenne des droits de l'Homme.
L'Agence française de lutte contre le dopage avait proposé sans succès à l'Agence mondiale antidopage une solution de compromis intéressante, comme me l'a expliqué son président Bruno Genevois, qui aurait consisté à pratiquer uniquement lors de compétitions internationales se déroulant sur une semaine ou plus, des contrôles au lieu d'hébergement du sportif entre 6 heures et 23 heures.
Cette solution n'ayant pas été retenue par l'Agence mondiale antidopage, l'exposé des motifs comme le texte même du projet de loi se contentent de mentionner que la transcription devrait se faire dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels, une précaution ajoutée par le Conseil d'État mais qui reste, à mon sens, un peu vague.
J'ai donc demandé au Gouvernement de plus amples informations sur le dispositif envisagé pour transcrire cette mesure en laissant entendre que nous ne pouvions nous satisfaire d'un engagement trop flou sur le respect des principes constitutionnels.
Je dois saluer, à cet égard, la qualité des échanges que j'ai eu avec l'administration du ministère des sports qui ont abouti à ce que me soit transmis l'avis du Conseil d'État qui fixe le cadre précis de la transcription que le Gouvernement s'est engagé à respecter.
Le dispositif qui figurera dans l'ordonnance devrait ainsi prévoir que :
- le contrôle après 21 heures ne pourra avoir lieu qu'avec le consentement du sportif ;
- le contrôle devra se limiter au prélèvement d'échantillons ;
- enfin, le contrôle devra garantir une proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs, droit à l'intimité par exemple, et les enjeux liés à la lutte contre le dopage.
Cette triple garantie permet à mon sens de lever toute inquiétude sur la constitutionnalité du dispositif et, ce faisant, sur l'ensemble de l'ordonnance à venir, les autres dispositions législatives ne posant pas de difficulté particulière.
J'ai déjà évoqué précédemment certaines modifications législatives prévues par la future ordonnance qui figurent parmi les principales avancées du nouveau code mondial antidopage :
- l'aide substantielle apportée par un sportif à la découverte d'infractions ;
- la modification du délai de prescription des actions disciplinaires, actuellement de 8 ans, à 10 ans ;
- l'interdiction faite aux sportifs de faire appel aux personnes ayant fait l'objet de sanctions ;
- l'ouverture de la possibilité aux ONAD, telle que l'AFLD, d'effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales ;
- et, bien sûr, les contrôles antidopage à tout moment et en tout lieu.
Il convient d'ajouter que la future ordonnance devrait également introduire des modifications du code du sport afin de prévoir :
- l'extension du champ des institutions susceptibles d'accorder des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ;
- la création d'une nouvelle infraction relative à la complicité en matière de trafics de substances ou de méthodes dopantes ;
- l'implication des fédérations sportives nationales et du personnel encadrant dans les enquêtes menées par les ONAD.
Comme vous pouvez le constater, le nouveau code antidopage comporte un certain nombre d'avancées et les quelques risques, réels, sur le plan juridique qu'il pouvait comporter ont été à la fois bien identifiés et suffisamment circonscrits que l'on peut estimer que l'autorisation donnée au Gouvernement est correctement encadrée.
Je vous proposerai donc d'adopter l'article unique de ce projet de loi en formant le voeu que le Gouvernement poursuivra ses efforts auprès de l'AMA pour améliorer encore les dispositifs en vigueur en n'hésitant pas à s'inspirer de nos propositions qui demeurent pleinement pertinentes pour combattre le dopage.
M. Jean-François Humbert . - Nous remercions notre collègue pour son rapport sur ce texte qui va dans le bon sens et que nous voterons.
M. Claude Domeizel . - Je souhaiterais demander à notre rapporteur si la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a été consultée au regard de la conformité de ce projet de loi à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur . - D'ici le mois d'octobre, nous interrogerons le secrétariat d'État aux sports sur la question de la conformité à la loi de 1978 mais on peut déjà rappeler que l'AFLD a pris l'habitude de signer des conventions avec les autres organismes, afin d'échanger des informations qui sont précieuses pour mener des enquêtes et recueillir des témoignages.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Après cet échange qui a montré un large consensus, je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
La commission adopte sans modification le texte du projet de loi n° 677 (2013-2014) habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage .
ANNEXES
Audition de M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD)
Mercredi 14 mai 2014
___________
La commission auditionne M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à l'audition de M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).
Cette audition intervient un peu moins d'un an après la remise du rapport de la Commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage dont nos collègues Jean-François Humbert et Jean-Jacques Lozach étaient respectivement président et rapporteur. Nous attendons, monsieur le président, que vous nous disiez ce que vous avez pensé des propositions de cette mission mais aussi des évolutions que vous avez pu constater depuis lors.
Le sport occupe une place de plus en plus importante dans les médias ; il est pratiqué par de nombreux jeunes... et moins jeunes. Il peut être un formidable vecteur de transmission de valeurs et d'éducation. Mais il peut aussi donner à voir des aspects les plus sombres de l'âme humaine au travers d'un goût immodéré pour la victoire à tout prix, le mépris des règles et l'appât du gain, sans oublier toutes les dérives et discriminations (sexisme, racisme, homophobie...) qu'il peut engendrer.
L'AFLD a un rôle essentiel à jouer pour que le sport reste un facteur de progrès et d'épanouissement. Voilà pourquoi notre commission souhaite connaître les actions que vous menez, les difficultés que vous pouvez rencontrer, ainsi que vos attentes concernant l'éventuelle évolution de votre statut d'agence publique indépendante.
Nous attendons également de votre part quelques éclairages concernant le projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance pour mettre en oeuvre le nouveau code mondial antidopage que le Gouvernement pourrait prochainement déposer devant le Parlement.
Pour nous éclairer sur toutes ces questions, je vous cède tout de suite la parole. Notre rapporteur, Jean-Jacques Lozach vous interrogera ensuite ; puis le débat s'engagera avec l'ensemble des sénatrices et sénateurs de notre commission.
M. Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage . - Plusieurs propositions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage ont déjà fait l'objet d'une mise en oeuvre. C'est le cas du protocole d'accord signé avec la direction générale des douanes pour accroître les échanges d'informations et du recrutement d'une investigatrice auprès de la police nationale.
Par ailleurs, je souhaiterais appeler l'attention de la commission sur trois points particuliers. En premier lieu, il convient d'observer que la France est dans le peloton de tête dans la lutte contre le dopage. Cela tient au fait que notre pays a eu recours à la loi et a créé une agence indépendante. En outre, la France a une conception large de la lutte contre le dopage, qui doit concerner tous les sportifs et pas seulement les sportifs de haut niveau et s'inscrire dans une perspective de santé publique au-delà de la question de l'équité des compétitions. Pour cela l'AFLD dispose d'un budget conséquent - 9 millions d'euros - et peut s'appuyer sur les services déconcentrés du ministère des sports ainsi que sur l'expertise du laboratoire national de détection du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry qui lui est rattaché.
En deuxième lieu, notre législation, qui a privilégié la mise en évidence d'une substance interdite dans les urines et dans le sang, doit être modifiée. Ce mode de preuve s'avère certes décisif, lorsque le résultat est positif, mais on constate une baisse des signalements depuis une dizaine d'années, qui ne semble pas correspondre à un recul du dopage si l'on en croit les témoignages de plusieurs anciens sportifs comme le niveau de certaines performances. Ceci invite à renforcer les contrôles au moyen de modes de détection indirects dans la logique du passeport biologique qui permet de déceler la prise de substances au travers des effets provoqués sur l'organisme dans la durée.
C'est ainsi que les comparaisons effectuées sur des profils sanguins permettent de déceler la prise d'érythropoïétine (EPO) et que l'analyse des profils stéroïdiens pourrait prochainement permettre de déceler la prise d'anabolisants. L'usage de cette dernière technique nécessitera une modification de la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles.
Les analyses rétrospectives sur une période de quatre ans ont également montré leur efficacité. Le décret d'août 2011 a ainsi permis de développer la conservation d'échantillons.
La commission d'enquête sénatoriale proposait d'adopter une procédure de clémence pour les sportifs qui reconnaîtraient leurs fautes mais l'idée de « dénonciation » ne passe pas très bien dans le milieu sportif et nécessite un effort pédagogique.
Le troisième et dernier point est relatif à la gouvernance de l'agence. Compte tenu des éléments évoqués précédemment et du contexte budgétaire difficile ayant entraîné une diminution des subventions versées à l'AFLD, nous n'estimons pas prioritaires les changements proposés par la commission d'enquête. J'aimerais développer mes arguments en abordant successivement deux sujets :
- pour ce qui concerne la répartition des compétences en matière disciplinaire, nous pensons que les choix effectués par le législateur sont judicieux car l'action de l'agence en la matière est complémentaire et subsidiaire par rapport à celle des fédérations. Je rappelle que ces dernières disposent d'un délai de quatre mois pour statuer sur un cas, à peine de dessaisissement au profit de l'AFLD : elles ne peuvent donc pas enterrer des procédures. Si elles rendent une décision dans le temps imparti, alors l'agence peut ensuite décider de se saisir du dossier si elle juge cette décision trop clémente ou trop sévère, et elle rend sa décision après une procédure contradictoire. L'agence a ainsi le pouvoir soit d'annuler une sanction soit au contraire d'en étendre les effets à des fédérations voisines dans un objectif d'harmonisation. La commission d'enquête suggère que la compétence disciplinaire soit une compétence directe de l'AFLD, mais cela risquerait fortement de désintéresser les fédérations de la lutte contre le dopage, qu'elles pourraient alors juger comme un élément extérieur ne les concernant pas. Enfin, on ne peut accroître les compétences de l'agence qu'en contrepartie d'une hausse de ses moyens, ce qui semble improbable aujourd'hui ;
- le deuxième sujet est relatif à la proposition de création d'une commission des sanctions, distincte du collège de l'agence, afin de répondre aux exigences posées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme de juin 2009 Dubus c/ France. Le Conseil d'État a jugé, dans un arrêt du 9 novembre 2011, que nos procédures n'étaient pas incompatibles avec la convention européenne des droits de l'homme. La composition de notre collège, par sa diversité, permet de bien appréhender les problèmes dont on imagine mal qu'ils soient traités par un organe distinct.
M. Jean-Jacques Lozach . - Je me réjouis de constater que vous avez suivi nos propositions avec la plus grande vigilance. Malheureusement le dopage reste un sujet d'actualité, comme l'a récemment prouvé la révélation du capitaine de l'équipe de rugby d'Afrique du Sud qui, dans ses mémoires, reconnaît le dopage de l'équipe à la veille de sa victoire en finale de la coupe du monde 1995.
Un modeste projet de loi sera bientôt débattu au Parlement afin d'adapter le code du sport au code mondial antidopage, pour que soient notamment prises en compte les preuves non scientifiques ou non objectives. Ce sont d'ailleurs ces preuves - enquêtes, témoignages, etc. - qui ont permis de reconnaître la culpabilité de Lance Armstrong.
Sera également abordée l'harmonisation internationale et, à ce titre, je rappelle que vous venez de signer une convention avec les douanes qui devrait permettre de tirer les conséquences du constat que nous avons fait de l'incapacité des nombreux services impliqués à travailler ensemble - douanes, police, gendarmerie, AFLD, etc. Les contrôles inopinés vont également prendre une place plus importante. Les choses semblent donc avancer dans la bonne direction au sein de l'Agence mondiale antidopage (AMA), ce qui n'est d'ailleurs pas étranger à l'action de la France.
Je souhaiterais vous poser trois séries de questions :
- au-delà de ce qui est proposé dans le projet de loi, que vous semble-t-il urgent de réformer ? Quelles sont les intentions de la nouvelle ministre et du nouveau secrétaire d'État ?
- comment se présente la situation dans le cadre des compétitions à venir ? Je pense en particulier au Tour de France, après l'élection d'un nouveau président de l'union cycliste internationale (UCI) ayant mené une campagne sur la moralisation du cyclisme et la lutte antidopage : peut-on espérer une amélioration des relations avec l'AFLD ? Par ailleurs, dans quelques jours débutera le tournoi de Roland-Garros et je me réjouis que la fédération française de tennis se soit appuyée sur les conclusions de la commission d'enquête pour faire pression sur la fédération internationale afin que les contrôles soient mieux maîtrisés. La situation est-elle réellement en voie d'amélioration ? Enfin pour l'Euro 2016 êtes-vous en phase de concertation avec l'union des associations européennes de football (UEFA) ?
- la lutte contre le dopage est l'une des dimensions de la question de l'intégrité sportive. Or, j'ai vu ici ou là quelques propositions parmi lesquelles la fusion de l'AFLD avec l'autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Selon moi les deux agences ont des natures et missions très différentes : que pensez-vous de cette proposition ?
M. Bruno Genevois . - M. le sénateur Lozach nous propose ici un ensemble de questions particulièrement intéressantes, auxquelles je répondrai en ordre inversé. S'agissant tout d'abord de la fusion entre l'AFLD et l'ARJEL, lors de mon audition par la commission d'enquête sénatoriale le 21 mars 2013, j'avais indiqué que si les deux instances participaient effectivement à la sauvegarde de l'intégrité du sport, leurs méthodes s'avéraient par trop différentes pour être regroupées. En effet, quoi de commun entre la détection de paris suspects et la recherche de substances interdites dans le sang ou les urines d'un sportif ? La commission d'enquête avait d'ailleurs, dans son rapport, fermement écarté l'idée d'une fusion. Interrogé par quelques députés d'une proposition de loi sur ce thème, j'ai récemment fait à nouveau état de mon désaccord sur ce que je considère être une fausse bonne idée.
Concernant la préparation de l'Euro 2016, les contacts que l'AFLD entretient avec les différentes instances concernées sont encourageants. J'ai personnellement reçu, le 12 avril dernier, une délégation de l'union des associations européennes de football (UEFA) et de la fédération internationale de football association (FIFA) sur les contrôles envisagés. Cette rencontre a été suivie d'un courrier du Préfet Lambert, ancien directeur de la fédération française de football (FFF) et président de la société Euro 2016, à l'agence. Pour notre part, nous tentons de promouvoir, auprès de ces instances, un contrôle complet et efficace, a contrario de celui, limité et décevant, mis en oeuvre lors de la phase finale de la Coupe du monde en Afrique du Sud, dont les résultats sont apparus dérisoires au regard de l'ampleur de la compétition. À cet effet, des discussions sont en cours avec l'UEFA pour permettre un contrôle sur les équipes participantes en amont de l'événement, qui aura lieu entre le 10 juin et le 12 juillet 2016. Si l'UEFA a semblé convaincue par nos arguments, la mise en oeuvre d'un tel dispositif dépendra de chaque organisation nationale antidopage. Pendant la compétition elle-même, l'UEFA avait initialement prévu que seuls deux joueurs par équipe seraient contrôlés à chaque match. Cette méthode nous semblait plus qu'insuffisante, dans la mesure où la législation antidopage ne prévoit de sanction que si le dopage est avéré chez plus de deux joueurs d'une même équipe. Elle interdisait donc d'avance toute sanction sportive. Par bonheur, l'agence a été entendue sur ce point. Nous essayons enfin de convaincre le comité exécutif de l'UEFA de partager la pratique du Comité international olympique (CIO) en annonçant aux fédérations nationales que les échantillons prélevés sur les sportifs seront conservés pour des analyses a posteriori . Les discussions sont encore en cours sur ce dernier point mais semblent bien engagées.
Le débat relatif à la lutte contre le dopage lors du tournoi de Roland-Garros constitue, en revanche, un sujet compliqué. Au lendemain de son audition par la commission d'enquête sénatoriale, Francesco Ricci Bitti, président de la fédération internationale de tennis (FIT), pendant laquelle il était apparu sur la défensive, a été reçu à l'AFLD. Il y a fait état d'un argument, certes original bien que peu décisif, pour évacuer toute velléité d'un contrôle de l'agence sur le tournoi. Selon lui, seule une dizaine de pays est à même d'effectuer efficacement des contrôles antidopage, alors que la FIT doit être en mesure de faire réaliser ces tests à l'échelle mondiale. Cette lacune justifierait, à son sens, que la compétence antidopage soit réservée à la seule FIT, à l'exclusion de toute autre agence nationale a contrario des dispositions du code mondial antidopage qui prévoit la possibilité d'un contrôle additionnel des sportifs par un autre intervenant. Par ailleurs, l'AFLD est toujours en attente d'une réponse de la fédération française de tennis (FFT) s'agissant du contenu (urinaire ou sanguin) des contrôles réalisés à Roland-Garros. Au total, vous l'aurez compris, la FIT ne montre guère d'entrain en matière de coopération antidopage.
Les évolutions apparaissent plus satisfaisantes s'agissant du cyclisme depuis l'élection de Brian Cookson à la présidence de l'UCI. Les procédures de contrôle applicables au Tour de France 2014, présentées à l'occasion de l'annonce du parcours du Tour à la mi-octobre 2013, ont sensiblement accéléré par rapport à l'année précédente. Après un entretien encourageant avec Brian Cookson suivi d'un échange de lettres en date des 25 et 27 février 2014, le dispositif a été mis en oeuvre par l'agence avec près d'un mois d'avance. Les contrôles en amont de la compétition ont démarré grâce aux informations de localisation des 160 coureurs qui participeront au Tour 2014 transmises par l'UCI. Ce dispositif permet de contrer les stratégies d'évitement trop souvent à déplorer pendant la compétition. Les contrôles sanguins dits pre start sont confiés au laboratoire de Lausanne. Pendant la compétition, l'AFLD et l'UCI détermineront, conjointement et le plus tardivement possible avant l'arrivée, les coureurs qui feront l'objet de contrôles ciblés, méthode sensiblement plus efficace que celle consistant à tirer au sort les sportifs contrôlés. Enfin, les échantillons prélevés seront conservés pour des contrôles ultérieurs.
S'agissant des dispositions législatives et réglementaires, le ministère des sports doit prochainement prendre une circulaire relative au regroupement des correspondants antidopage, même si le récent changement de Gouvernement a retardé cette initiative. En outre, dès que les scientifiques du collège de l'agence auront une certitude sur un profil stéroïdien fiable au regard de la prise d'anabolisants, je demanderai, après avis de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), la publication d'un décret semblable à ceux du 27 décembre 2013. Nous attendons également le projet de loi de modernisation du sport, dont l'une des mesures les plus efficaces me semble être la lutte contre le dopage dans les salles de culturisme où la prise d'anabolisants se développe dangereusement. Aujourd'hui, l'agence ne dispose pas des moyens suffisants pour intervenir, dans la mesure où le culturisme ne constitue pas un sport en tant que tel. Ces dérives ont d'ailleurs récemment été dénoncées dans un article du Monde . Le projet de loi prévoit, à cet égard, que pourront être prises, à l'encontre des athlètes fautifs, des sanctions sportives ou pénales. Il me semble également essentiel de développer les modes de preuves de dopage autres qu'analytiques. Dans ce cadre, comme la commission d'enquête sénatoriale s'en faisait l'écho, la politique dite de clémence constitue une solution intéressante. Les fédérations sportives n'y sont pourtant guère favorables ; il est vrai que cette proposition ressort plus certainement d'une culture anglo-saxonne.
Enfin, j'aimerais aborder le cas de Lance Amstrong. Si les dénonciations de ses actes par ses co-équipiers ont certes été décisives, il convient de rappeler que ce sont les tests antidopage réalisés en amont sur Floyd Landis, contrôlé positif à la testostérone, et Taylor Hamilton, sur passeport biologique, qui ont conduit au lancement d'une procédure. Ces échantillons, sur lesquels s'est appuyée l'agence américaine antidopage (USADA), avaient été conservés par l'AFLD et transmis à cette instance lors des rencontres des 12 et 13 mars 2012.
M. André Gattolin . - Je suis également membre de la commission des affaires européennes du Sénat, co-auteur avec mes collègues Dominique Bailly et Colette Mélot d'un rapport d'information sur les perspectives d'avenir d'Europol et d'Eurojust. J'ai été étonné que la lutte contre le dopage et les trafics qui y sont liés ne figurent pas parmi les priorités définies par ces institutions. Il existe, par contre, des objectifs de lutte contre le trafic de drogue et contre la production et la distribution des drogues de synthèse.
Il n'y a pas de demande de coopération des polices européennes dans ce domaine. Or, les trafics, notamment dans le sport de haut niveau, sont importants. Y a-t-il une possibilité d'action au niveau européen ?
M. Michel Le Scouarnec . - Les efforts dans la lutte contre le dopage portent-ils également sur le sport amateur et chez les jeunes ? Les parents et les chefs d'établissements scolaires doivent y être associés. Le combat doit s'effectuer dès le plus jeune âge.
M. Jean-Claude Carle . - À quelques jours de la Coupe du monde de football, j'aurais voulu savoir si toutes les fédérations procèdent à des contrôles ou si elles en font lors de leur championnat. Il me semble avoir lu qu'il n'y a pas eu de contrôle lors de la Bundesliga , le championnat allemand.
M. Bruno Genevois . - La Coupe du monde de football en Afrique du Sud est un mauvais exemple. Les prélèvements ont été très réduits et peu significatifs. Au Brésil, il n'y a pas eu de contrôles en amont, il y en aura pendant la compétition mais le laboratoire antidopage brésilien vient de perdre son accréditation par l'agence mondiale et on sera obligé de procéder aux examens en Europe.
Cela m'inquiète, pas tant pour les contrôles urinaires, mais surtout pour les contrôles sanguins.
C'est plus problématique pour ces derniers car les règles sont strictes. Si les prélèvements sont faits en vue du profil biologique, les analyses doivent être faites dans les 48 heures, qui constitue également la durée de recommandation pour les détections directes. Ce sera très difficile d'avoir des contrôles effectifs.
Ce que vous me dites sur la Bundesliga est une surprise. Je vais me renseigner. Sachez qu'en France, nous avons par exemple contrôlé tous les joueurs lors de la finale de la Coupe de la ligue. Il en a été de même pour la Coupe de France où un contrôle s'est révélé positif.
Sur le sport amateur et sur les jeunes, je partage l'avis de M. Le Scouarnec. J'ai évoqué les caractéristiques du modèle français de lutte contre le dopage. Sur le plan mondial, le contrôle porte prioritairement sur le sport d'élite. Sur les 190 000 prélèvements, 10 000 ont eu lieu en France. Certains pays ne s'intéressent qu'au contrôle de l'élite. Mais la politique de la France est différente et nous sommes conscients qu'il faut agir auprès des jeunes. Il y a deux périodes de vulnérabilité : celle où le jeune amateur veut devenir professionnel ou de haut niveau et celle où le sportif plafonne dans sa performance et veut garder son niveau coûte que coûte. Nous sommes attentifs à ces aspects-là. Notre politique ne pourra être pleinement efficace que s'il y a un relais au niveau de la prévention vis-à-vis des jeunes. Je suis favorable, en accord avec le discours de la fédération française de tennis (FFT) au contrôle des championnats cadets et juniors. Il faut marier la prévention et le contrôle car la peur du gendarme demeure. Le secrétaire d'État aux sports, Thierry Braillard, nous a recommandé d'aller dans ce sens.
Enfin, je partage le sentiment de M. Gattolin. Même au niveau national, le dopage n'est pas toujours une priorité. Cela se reflète au niveau international. D'où la nécessité d'y remédier. Mais ce qui m'a toujours frappé, ce sont les inégalités des efforts accomplis selon les pays et selon les disciplines en matière de lutte contre le dopage.
Sur 175 États qui ont ratifié la convention de l'Unesco du 19 octobre 2005 sur la lutte contre le dopage dans le sport, seuls 70 États incriminent pénalement le trafic des substances interdites en toutes circonstances, à l'entraînement comme en compétition. Dès le départ, il y a une faille dans le système. À cela s'ajoutent les priorités définies par nos institutions. Nous n'avons pas le même historique que celui de la lutte contre les stupéfiants. Il est, par conséquent, nécessaire de sensibiliser les responsables dans ce domaine.
M. Maurice Vincent . - Je souhaiterais connaître votre sentiment sur l'intensité et l'efficacité des contrôles effectués dans le cadre européen de la Champions League et de l' Europa League ?
Un moyen supplémentaire de lutte contre le dopage serait peut-être d'alléger les calendriers. Certes les clubs ont des effectifs assez nombreux, mais parmi les joueurs, les cadres doivent faire face à des successions ininterrompues de matchs qui sollicitent beaucoup leurs organismes.
M. Bruno Genevois . - L'UEFA fait valoir avec satisfaction que les contrôles effectués n'ont pas donné de résultats positifs. J'aimerais partager ce sentiment, mais je note que la plupart des contrôles sont effectués, et donc attendus, lors des compétitions et jamais en amont de façon impromptue.
La question des calendriers est en effet essentielle. Elle se pose peut-être plus encore pour le rugby, sport très exigeant physiquement et demandant plus de récupération, certains matchs de l'équipe de France tombant en même temps que des rencontres du Top 14. Dans le projet de loi de modernisation du sport, et conformément à une recommandation de la commission d'enquête sénatoriale, est prévue une disposition traitant de cette question.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - En complément des observations de M. Le Scouarnec s'agissant de la nécessaire protection de la jeunesse, je déplore que notre législation autorise les pratiques, que je considère pour ma part comme étant délictueuses, consistant à proposer, à la sortie des établissements d'enseignement, des boissons énergisantes, qui plus est dans des bouteilles déjà ouvertes afin de s'assurer de leur consommation immédiate. Plusieurs ministres de la santé ont été mis en échec sous prétexte de préservation de la concurrence, mais nous devons poursuivre nos efforts, pour que soit mis fin à cet encouragement au « pré-dopage ».
Audition de M. Thierry Braillard, secrétaire d'État aux sports
Mercredi 4 juin 2014
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Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Nous sommes réunis aujourd'hui pour procéder à l'audition de M. Thierry Braillard, secrétaire d'État aux sports auquel je souhaite la bienvenue en notre nom à tous. En raison d'obligations protocolaires, je cède la parole à David Assouline, qui présidera à cette réunion de commission.
M. David Assouline, président . - J'adresse personnellement à M. Braillard mes félicitations. Je voudrais lui dire également tout l'intérêt que je porte à cette audition et aux projets et ambitions qu'il va nous présenter pour le sport.
Nous avions tout d'abord prévu cette audition dans le cadre de l'examen annoncé d'un projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures législatives nécessaires à la mise en conformité du droit avec le code mondial antidopage. Mais le dépôt de ce texte n'a pas été confirmé jusqu'à présent. Vous pourrez néanmoins nous expliquer ce qu'il en est de cette question et, notamment, si une obligation de « transcription » législative nous incombe avant l'entrée en vigueur de ce code en 2015.
Plus généralement, nous sommes heureux de vous recevoir afin de vous entendre concernant les priorités de votre action. Les questions ne manquent pas, qu'il s'agisse du sort qui pourrait être réservé au projet de loi de programmation sur le sport sur lequel travaillait votre prédécesseure, à qui j'adresse aussi un mot d'amitié puisque hier elle a démissionné de ses fonctions pour cause de maladie - nous lui souhaitons tous un rétablissement le plus rapide possible - ou des perspectives budgétaires pour 2015, dans un environnement financier particulièrement contraint.
L'actualité est, par ailleurs, riche en événements sportifs avec les Internationaux de France de tennis, la coupe du Monde de football au Brésil et le prochain tour de France cycliste. La perspective de la prochaine coupe du Monde doit nous faire réfléchir au décalage de plus en plus grand entre un sport business triomphant et la situation des populations les plus défavorisées. Les nombreux mouvements sociaux de protestation au Brésil nous montrent l'écart entre les moyens déployés et ce que peuvent vivre les populations qui, pourtant amoureuses de ces sports, sont en quelque sorte reléguées à la porte des stades. Elles ont le sentiment que leurs attentes sociales sont remisées au second plan, sans pouvoir pour autant participer à un événement sportif majeur. Nous allons pouvoir en tirer des enseignements pour l'autre événement du football mondial, qu'est l'Euro 2016, que nous allons accueillir en France. Tout ceci nous renvoie au débat sur l'éthique sportive que nous avions eu l'année dernière ici même.
Je ne veux pas anticiper davantage sur les questions que mes collègues ne vont pas manquer de vous poser. Je vous laisse la parole pour votre propos préliminaire. Puis je proposerai à M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur pour avis pour les crédits du sport, ainsi qu'à M. Dominique Bailly qui a animé un groupe de travail sur l'éthique sportive dans le cadre des travaux de notre commission et a rendu un rapport sur le financement des grands équipements sportifs, de vous poser une première série de questions. Enfin, l'ensemble des sénatrices et sénateurs poursuivront avec leurs propres interrogations.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État aux sports . - Je voulais commencer mon propos en adressant un sincère message d'amitié et d'encouragement à Valérie Fourneyron. Elle souhaite conserver son siège à l'Agence mondiale antidopage (AMA) où elle a été désignée et nous lui avons confirmé notre soutien. L'AMA va organiser une réunion importante à l'automne à Paris et le Sénat, à l'instar de l'Assemblée nationale, sera sollicité.
Ma politique en termes de sport s'inscrit pleinement dans la continuité de l'action menée par Valérie Fourneyron sachant qu'elle a fait face à des dossiers difficiles à régler dès son arrivée : les questions budgétaires, mais aussi le Stade de France, le Musée national du sport, et surtout le redressement du Centre national pour le développement du sport (CNDS)...
Notre ambition, avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse, de la vie associative et des sports, est de faire de la France une nation toujours plus sportive, à travers ses pratiquants, ses champions, son économie.
Pour atteindre ces objectifs, nous devons d'abord adopter une méthode efficace. La nôtre sera celle de la concertation. Najat Vallaud-Belkacem a fait cette annonce devant le Comité national olympique et sportif (CNOSF) : « il n'y a qu'une seule voie possible. C'est celle du respect mutuel, du travail partenarial et de la confiance entre ministère des sports et mouvement sportif ». Je reprendrais volontiers la même formule pour les parlementaires.
Je souhaite que l'on puisse travailler ensemble dans la transparence, dans un esprit de co-construction de la loi, mais aussi des politiques publiques que nous mettons en place, dans le respect des compétences de chacun et du travail parlementaire. Comptez sur moi pour mener à bien cette co-construction et si un jour, tel n'était pas le cas, je vous autoriserai à me le faire savoir pleinement.
Je suis là pour vous parler des objectifs que nous avons après avoir eu ce premier mot sur la méthode. Le premier objectif est le sport pour toutes et tous.
8 % des Français indiquent pratiquer un sport régulièrement en 2013 et 35 % pratiquent une activité « avec une certaine régularité ». Cela correspond à une moyenne européenne, mais cela ne correspond clairement pas à notre ambition. D'autant que, parallèlement, 42 % des Français déclarent ne jamais pratiquer d'activité sportive.
Comment faire de la France une nation plus sportive ?
Sur cet aspect, rappelons que l'État s'inscrit dans une politique partenariale depuis des années avec les fédérations sportives et avec les collectivités territoriales. Celles-ci sont en effet les principaux financeurs du sport pour tous via principalement la construction des équipements, le soutien aux clubs de proximité ou encore leurs actions de promotion de la pratique. Quand l'État dépense un peu plus de 4 milliards d'euros pour le sport, dont 3,5 au sein de l'éducation nationale pour l'éducation physique et sportive, les collectivités territoriales consacrent plus de 10 milliards d'euros à cette politique. Il est donc important de le constater et de l'apprécier.
S'agissant du sport et de l'école, deux sujets sont devant nous :
- celui du sport à l'école qui relève de l'éducation nationale et nous entamons à ce sujet un dialogue avec Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce dialogue existe depuis des années entre le sport et l'éducation nationale mais les digues qui se sont trop souvent élevées entre l'école et le monde associatif doivent pouvoir être franchies grâce à la mise en oeuvre de nombreuses passerelles. En effet, il n'est pas concevable qu'un élève performant au collège lors de ses cours de sport ne puisse pas ensuite transformer ce talent dans l'association sportive locale. Il y a une cloison étanche entre le sport à l'école et le sport dans les associations ;
- à cet égard, la question du sport après l'école constitue un très bon moyen d'avancer. Je suis convaincu que les pratiques périscolaires donnent un sens à l'aménagement des rythmes. Les projets éducatifs de territoire (PEDT) doivent comporter un volet sportif important, pour que les pratiques à l'école d'une part, et dans les clubs d'autre part, s'inscrivent dans un esprit de complémentarité et non pas de concurrence. Au besoin, des emplois spécifiques devront être dédiés par l'État au déploiement des PEDT. Je crois vraiment que le sport peut être à la fois un outil d'épanouissement et de lutte contre le décrochage scolaire, en lien avec les clubs sportifs locaux.
Vous avez vu qu'avec la ministre, nous avons annoncé le lancement d'une fête du sport dans le cadre de l'opération « Sentez-vous sport » menée par le CNOSF en 2015. Ce sera aussi un moyen de rapprocher le public, les clubs, les écoles dans un moment de partage commun de la pratique sportive.
Revenons d'ailleurs sur les raisons qui nous poussent à développer cette pratique sportive.
Je suis convaincu, et je crois que nous partageons tous cette conviction, que le sport est un moyen d'émancipation, d'insertion et d'amélioration de la santé qu'il nous faut investir avec volontarisme.
Ces effets bénéfiques s'expriment pleinement lorsque la pratique sportive est accompagnée, dans des structures adaptées, par des personnes compétentes, notamment dans les clubs sportifs fédéraux.
Il s'agit donc pour nous d'encourager la pratique loisir et amateur avec un accompagnement adapté. De ce point de vue, un certain nombre de mesures ont déjà été identifiées. Elles seront poursuivies, voire amplifiées, avec toujours cette préoccupation qui m'est chère, d'agir de manière extrêmement concrète.
Notre action consistera notamment à soutenir techniquement et accompagner les fédérations dans la mise en place d'un encadrement plus souple, orienté vers la pratique loisir et le public adulte, avec éventuellement la définition d'un cadre juridique adapté pour sécuriser cette pratique. Nous pensons à une sorte de « licence loisir » qui permettrait à ceux qui le souhaitent d'avoir un encadrement, des créneaux au sein d'un club, sans obligatoirement pratiquer une compétition ou être dans l'esprit de performance.
Parce que le sport est aussi porteur de citoyenneté et de solidarité, nos outils doivent être adaptés. Nous avons les cadres techniques d'État qui doivent participer à cette politique ; ils sont au nombre de 1 641. Il y a aussi le CNDS qui, avec la part territoriale - c'est-à-dire le fonctionnement -, sera orienté sur les territoires carencés, plus fragiles, ainsi que sur le soutien aux emplois d'avenir, l'apprentissage. En 2014, par exemple, le CNDS soutiendra 1 200 emplois supplémentaires en plus de ceux déjà aidés par l'établissement, avec une déconcentration de leur gestion dans les territoires, au plus près de l'action publique, et avec une réaffirmation de la place des clubs.
Le nouveau périmètre ministériel devrait ainsi nous permettre d'inscrire le sport dans les dispositifs de la politique de la ville (contrats de ville, plan de réussite éducative, atelier santé-ville, voire investissements soutenus par l'ANRU).
Il ne faut pas se voiler la face, pour répondre aux attentes d'un public exigeant et remplir ces objectifs, la structuration et la professionnalisation du monde associatif sont également un impératif. Il s'agit de lui permettre de mieux accompagner le développement des pratiques sportives, notamment en facilitant la fonction d'employeur des associations.
Sur la question de la santé par le sport, nous souhaitons aussi avancer dans la continuité. L'amélioration de la prise en compte du sport comme thérapie ou encore la réforme du certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive pour améliorer la prévention des risques sont des réformes à faire aboutir.
Je souhaiterais également évoquer le sport de haut niveau, qui est le deuxième axe de notre engagement
L'État joue - et jouera toujours à l'avenir car cela doit rester l'une de ses missions - un rôle structurant dans le développement du sport de haut niveau. Soit par son accompagnement financier - plus de 100 millions d'euros par an y sont consacrés - soit par un accompagnement technique : les cadres techniques sportifs (CTS), les entraîneurs nationaux, les directeurs techniques nationaux (DTN) avec l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP), et dans nos régions, les Centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (Creps).
On oppose souvent le sport de haut niveau au sport loisir. La compétition et l'excellence d'un côté, la pratique amateur, de l'autre. Je crois que c'est une erreur, parce que les deux s'enrichissent profondément mais ne répondent pas à la même logique. Pas de champions sans découverte du sport au plus jeune âge. En même temps, il est difficile de développer une culture sportive sans les talents hors du commun qui nous font rêver, qui portent nos couleurs et qui incarnent les valeurs du sport.
Le sport de haut niveau est donc un pilier important de notre politique. Il est à la fois indissociable de la pratique pour tous qu'il contribue à développer et incontournable dans le rayonnement international d'un pays. Notre objectif est ici de mieux utiliser et optimiser les moyens de l'État dans son ciblage vers le haut niveau, mais aussi de mieux prendre en compte les spécificités du statut.
Enfin, troisième aspect, le sport est un outil de rayonnement international et de développement économique. Nous savons que de nombreuses personnes sont employées en France par le secteur sportif. La filière compte des entreprises avec un chiffre d'affaires important. Le modèle français doit se développer, évoluer, améliorer sa compétitivité, sur tous ces aspects, aux plans national et international. Il y a un potentiel de croissance important dans cette filière. Mais ce développement n'aura lieu que si des réponses majeures sont apportées aux dérives qui menacent le sport. Il n'y a, à mon sens, pas pire discrédit porté sur le sport que les affaires de dopage, de paris truqués et de manipulation de la pratique sportive.
L'enjeu de l'intégrité sportive est donc, à cet égard et à bien d'autres, absolument fondamental et je sais que dans cette grande maison qu'est le Sénat, vous vous êtes intéressés de très près à ces sujets. Le Sénat a travaillé sur ces questions, avec la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage et le groupe de travail sur l'éthique sportive. Bon nombre de propositions pourront être reprises dans le cadre d'un projet de loi car nous constatons que les voies crédibles d'amélioration de la lutte sont similaires sur les sujets de dopage et des paris en ligne : les enquêtes de terrain, les remontées d'information et les échanges entre les services d'enquête sont les meilleurs moyens de lutter contre ces fléaux.
Dans cette économie du sport, il y a aussi le sport professionnel. Là encore, la démarche est la même et le Sénat a été à la pointe du combat avec un rapport récent extrêmement riche et pertinent sur le sport professionnel et les collectivités territoriales. Il s'agit de sécuriser la pérennité des clubs et l'équité des compétitions. La régulation du sport professionnel est en bonne voie au niveau européen et au niveau national. C'était l'objet d'un autre rapport extrêmement pertinent d'un sénateur, ici présent, qui s'est intéressé à la question du sport professionnel, et notamment au football.
Cela soulève la question des joueurs formés localement, de l'endettement des clubs, de l'encadrement des agents sportifs, toutes initiatives lancées par Valérie Fourneyron et qu'il nous faudra poursuivre. Je vous ai livré mes pistes de travail. Il ne s'agit pas de vous annoncer un programme d'action figé. C'est au contraire l'occasion de vous inviter à vous saisir de mes priorités et perspectives et de les alimenter de vos travaux.
Par ailleurs, au-delà de ces éléments, je veux vous parler des calendriers et des questions plus législatives, pour répondre à l'interrogation du président Assouline.
Premier élément, la transposition du code mondial antidopage. Elle doit être faite, je vous le rappelle, avant le 1 er janvier 2015. En outre, je vous l'annonce, la France reçoit sur son territoire le comité exécutif de l'Agence mondial antidopage au mois de novembre. Il n'est pas envisageable, à mon sens, que le projet de loi d'habilitation à transposer ce code mondial ne soit pas en cours d'examen au Parlement à ce moment-là. Le projet de loi est en cours d'examen au Conseil d'État et devra être examiné en Conseil des ministres dès qu'il en sortira. Ce projet de loi sera discuté dans votre assemblée à l'automne.
S'agissant du projet de loi de modernisation du sport, un grand travail a été réalisé par Valérie Fourneyron et il ne sera pas vain. Nous avons décidé avec Najat Vallaud-Belkacem d'écarter de ce texte les dispositions les moins normatives ainsi que les dispositions reprises ou susceptibles de l'être dans les prochaines lois relatives à la décentralisation. De mon point de vue, il faut d'abord examiner la loi sur les compétences et ensuite, y ajouter avec précision en ce qui concerne le sport, et non l'inverse.
Nous avons, au demeurant, décidé de proposer au moyen d'un amendement gouvernemental la décentralisation des Creps que nous souhaitons pouvoir engager dans le cadre du projet de loi relatif aux compétences des régions. Cette décentralisation est un atout majeur pour les régions, avec la mise à disposition d'un outil unique en termes de formation sportive et de sport de haut niveau. Je vous l'annonce d'emblée, le travail technique que nous avons réalisé prévoit des modalités de compensation financière extrêmement précises. À l'euro près, comme l'exigent les impératifs constitutionnels. Cette année, nous avons une ligne de crédits pour continuer la rénovation des Creps. Même si nous pensons les transférer, nous poursuivrons le financement de l'amélioration de ces équipements. Le transfert concernera donc des équipements de qualité.
Vous savez par ailleurs que le projet de loi de modernisation a achoppé sur un point unique : le souhait du CNOSF d'approfondir le dialogue. C'est ce que nous avons donc entrepris avec Najat Vallaud-Belkacem, Denis Masseglia et les équipes du CNOSF. Quand cette concertation sera finalisée, nous espérons revenir avec des dispositions législatives que nous attendons tous. Le premier semestre 2015 pourrait constituer à mon sens une ambition tout à fait réaliste, tant le travail de fond a été bien fait.
Pour conclure, mon ambition est qu'en début d'année 2015 puisse vous être présenté un projet de loi sur le sport, autour des priorités que j'ai déclinées, priorités sur des mesures concrètes et attendues du milieu sportif.
Par ailleurs, j'attache une très grande importance et vigilance au respect de votre travail. Et de la même manière que le mouvement sportif et les collectivités territoriales seront très directement associés à notre action, vous pourrez compter sur mon souhait d'appuyer à la fois vos contributions et vos initiatives.
Enfin, un dernier mot sur un sujet qui me tient à coeur, qui est celui du statut du sportif, que j'ai brièvement évoqué. Le sport est une activité économique et professionnelle qui recèle de multiples spécificités que le droit du travail ne prend pas en compte. Le titre VII du code du travail évoque les statuts particuliers (mannequin, artiste, gardien d'immeuble, ...) mais ne comporte aucun statut pour le sportif. Au quotidien, de nombreux employeurs de sportifs violent des dispositions de droit commun du code du travail comme, par exemple, les sanctions pécuniaires pour retards ou absences ou les contrats à durée déterminée, dit « d'usage », qui comportent des clauses libératoires permettant à l'une ou l'autre des parties de rompre au bout d'un an le contrat à durée déterminée. Nous devrons réfléchir aux moyens de mettre un terme à ces situations illégales. Il y a aussi des sujets d'assurance, de formation professionnelle qui se posent au regard du statut du sportif, ainsi que des sujets fiscaux. En résumé, la prise en compte de la spécificité du sport en termes de situation professionnelle et sociale est une question qui mérite, à mon sens, d'être approfondie et qui sera peut-être un jour le sujet d'un projet de loi ou d'une proposition de loi.
M. David Assouline, président . - Je vous remercie de cet exposé très complet, qui répond à nos questions, y compris celles relatives au calendrier législatif, ce qui est important. Je donne maintenant la parole à Monsieur Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis des crédits du sport.
M. Jean-Jacques Lozach . - Merci, monsieur le président. Et merci à vous, monsieur le ministre, de votre présence devant notre commission, si rapidement après votre nomination. Je vous souhaite bien sûr un plein succès dans l'exercice de votre fonction ministérielle, d'autant plus que nous étions quelque peu inquiets à l'idée de voir le sport disparaître de l'organigramme ministériel resserré qui nous avait été annoncé. Finalement, le secrétariat d'État chargé des sports, dont vous assumez la responsabilité, a été rattaché au ministère de Mme Najat Vallaud-Belkacem. Nous en sommes vraiment très heureux. Cependant, ma première question a pour objet le périmètre ministériel et le partage des compétences, notamment en ce qui concerne l'éducation populaire et l'économie sociale et solidaire. Dans la configuration ministérielle antérieure, l'économie sociale et solidaire, au même titre que le commerce, l'artisanat et la consommation, était rattachée au secrétariat d'État dont Valérie Fourneyron avait, jusqu'à hier, la charge. Je souhaitais simplement vérifier que l'économie sociale et solidaire relève bien de votre domaine de compétences.
Ma deuxième question porte sur la gouvernance du sport français. En la matière, nous sommes en présence d'un modèle qui nous est propre et qui mobilise un ensemble d'acteurs et d'opérateurs, réunis au sein d'une instance de concertation, le Conseil national du sport. Ce dernier est composé de différents collèges où sont notamment représentés l'État, le mouvement sportif, le milieu socio-professionnel sportif et les collectivités territoriales. Avez-vous l'intention de revenir sur cette organisation ? Il serait en effet temps, je crois, de sécuriser le dialogue qui se tisse entre les différents acteurs qui interviennent en matière sportive.
Pourriez-vous également nous présenter rapidement le plan de redressement du CNDS, que vous avez d'ores et déjà évoqué rapidement ? Le CNDS était quasiment en situation de faillite en 2012. Un plan de redressement est actuellement à l'oeuvre et poursuit un objectif de retour à l'équilibre en 2016. La mise en application de ce plan se déroule-t-elle comme prévu depuis 2012 ?
Je souhaiterais également revenir sur l'emploi sportif dans le cadre des emplois d'avenir. Un objectif, très ambitieux, avait été fixé à hauteur de 10 % des 150 000 emplois d'avenir. Je crois que sur ce terrain-là, le sport peut être cité en exemple, puisque beaucoup de ces emplois ont été créés au cours des derniers mois, ce qui montre bien que les besoins étaient très importants, principalement au sein des clubs. Je ne reviendrai pas sur cette dimension éducative, morale et déontologique du sport, qui est chère à la commission, et dont vous nous avez assurés qu'elle serait présente dans un prochain projet de loi, à travers des dispositions relatives à des sujets comme les paris sportifs, le dopage, la corruption.
Enfin, ma dernière question porte sur une éventuelle candidature de la France à l'organisation des Jeux olympiques de 2024. Des discours quelque peu divergents ont été tenus par la ministre, d'une part, et la maire de Paris, d'autre part. Cette dernière a annoncé que, étant donné les contraintes budgétaires que nous connaissons, cette candidature n'est peut-être pas une priorité à retenir dans les mois qui viennent.
M. Dominique Bailly . - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir retracé devant nous votre ligne politique. Vous avez notamment précisé que le Sénat a travaillé, depuis de nombreuses années et jusqu'à ces derniers mois, sur des sujets particuliers. J'ai animé un groupe de travail pour un sport plus éthique. Nous avons également mené des travaux sur les relations entre les collectivités territoriales et le sport professionnel, qui est un sujet majeur. Vous avez également rappelé que la réforme territoriale annoncée, qui va peut-être contribuer à stabiliser les territoires - j'utilise cette formule sans volonté de provocation - va peut-être redonner un sens à ces différentes relations. Pour ce qui est de l'éthique, je pense en effet qu'il y a matière à mettre en place un travail législatif. Cette démarche a d'ailleurs été initiée par Valérie Fourneyron, qui était très sensible à des points particuliers, que vous avez également évoqués : les paris en ligne, les matchs truqués... Si l'actualité est un peu moins dense, nous savons bien que ces phénomènes existent, perdurent, et qu'il faudra prendre des décisions et encadrer ces pratiques, afin de permettre un retour à la sérénité. Je souhaitais avoir votre avis sur les propositions qui ont été annoncées. Nous avons eu l'occasion de nous croiser au sein d'une commission sur le développement du football professionnel : dans ce cadre, nous avions déjà pu échanger. Mais nous voyons bien que la fédération comme la ligue sont demandeuses d'avancées législatives dans le domaine de l'éthique sportive, mais également dans celui des transferts. Même si nous constatons qu'il existe certaines difficultés entre l'Union des associations européennes de football (UEFA) et la Fédération internationale de football association (FIFA), il reste que le fair play financier doit s'établir. Mais il convient également de mener des réflexions sur la question des dettes des clubs, qui est un sujet trop souvent occulté. Je souhaiterais connaître la teneur de votre analyse sur ces différents points.
Vous avez également évoqué les conclusions de la dernière mission sur les relations entre les collectivités territoriales et le sport professionnel. La question des subventions des collectivités territoriales aux clubs professionnels a été soulevée à plusieurs reprises et a fait débat. Il est notamment apparu que, s'il y a des sports arrivés à maturité, il y en a également qui en sont loin. Or, ces derniers sont professionnels mais méritent d'être accompagnés par la puissance publique. Je souhaiterais avoir votre opinion sur ce point. Dans un contexte de réforme territoriale, il nous faudra décider ensemble des modalités de cet accompagnement.
M. Thierry Braillard . - En réponse à M. Jean-Jacques Lozach, j'indiquerai que si l'éducation populaire dépend de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, l'économie sociale et solidaire, en revanche, ressort des compétences confiées à Mme Carole Delga, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat et de la consommation, nouvellement nommée et déjà au Sénat, ce jour, à l'occasion de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire relative au projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.
S'agissant de la gouvernance du sport français, je partage le point de vue que vous avez exprimé sur le Conseil national du sport. Pourquoi, en effet, créer des instances pour en modifier les missions tous les deux ou trois ans ? J'ai récemment rencontré Mme Dominique Spinosi, présidente du CNDS, pour lui rappeler ses missions, notamment, à court terme, celle de simplifier les normes en matière sportive et de réfléchir au statut du sportif de haut niveau, souvent individualisé, comme du sportif professionnel, fréquemment sous contrat avec un club. Les situations des uns et des autres sont en effet fort disparates et bien trop souvent précaires, notamment en application de certains contrats « semi-professionnels » en vigueur dans des sports financièrement moins dotés que le football. Le CNDS s'est vu confier ces dernières années de trop nombreux engagements sans que le budget qui lui était alloué ne corresponde à ses besoins. De fait, si les investissements consacrés aux stades destinés à l'Euro 2016 ont amplifié son déficit, ils n'en sont certainement pas à l'origine : déjà, en 2012, l'instance se trouvait à la limite du dépôt de bilan. Seule la rigueur imposée par Valérie Fourneyron a permis au CNDS d'assainir ses comptes. Toutefois l'équilibre n'est pas encore atteint et le CNDS ne dispose guère des marges de manoeuvre lui permettant d'investir dans de nouveaux projets. Pour autant je ne suis pas fermé à une discussion au Parlement s'agissant de la part des financements publics - État et collectivités territoriales - dans le sport.
Je suis par ailleurs particulièrement fier de la performance du milieu sportif en matière d'emplois d'avenir : 15 800 emplois ont ainsi été créés, soit un résultat supérieur à l'objectif fixé de 15 000 emplois d'avenir. Dans le contexte actuel, une telle performance mérite d'être saluée.
Enfin, concernant la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques de 2024, selon les informations dont je dispose - je n'ai pas, en effet, rencontré récemment Mme Anne Hidalgo, maire de Paris - celle-ci a été surprise, lorsque le maire de New York a annoncé inopinément, à l'occasion d'une conférence de presse à laquelle elle participait, le retrait de la candidature de sa ville. À ce jour, une concertation entre les autorités publiques et le mouvement sportif a été lancée et une évaluation des implications économiques d'un tel événement est en cours. En fonction des résultats, qui seront connus dans quelques mois, une décision pourra sereinement être prise.
J'aimerais, monsieur Bailly, pouvoir travailler avec le Parlement à un rapprochement entre les instances chargées d'une part de la lutte contre le dopage et d'autre part contre les paris truqués, qui pourraient utilement être rassemblées au sein d'une haute autorité pour l'intégrité du sport. Je n'ignore pas que l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) n'est guère enthousiasmée par cette perspective.
Concernant le football professionnel, j'estime la France par trop vertueuse. La mise en place du fair play financier européen ne résout en effet pas le problème de l'endettement des clubs. En France, la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) le traite, mais tel n'est pas le cas des autres pays européens. À titre d'exemple, il serait inimaginable qu'un club français surendetté rencontre les mêmes succès sportifs que l'Atlético Madrid, finaliste de la ligue des Champions cette saison malgré six cents millions d'euros de dettes. La législation actuelle n'est pas non plus satisfaisante en matière de transfert de joueurs. Ceux-ci doivent-ils rémunérer leurs conseils ? Une initiative parlementaire pourrait utilement régler cette question.
Enfin, pour ce qui concerne le rôle des collectivités territoriales auprès des clubs professionnels, il me semble utile de rappeler qu'en l'absence de financements de ces dernières, certaines disciplines ne pourraient survivre, à l'instar du volley-ball qui dépend à 70 % des financements publics. Je serai prochainement en séance publique pour débattre avec vous de ce sujet.
M. David Assouline, président . - Je souhaite apporter un complément d'informations pour éclairer nos débats relatifs à la candidature de Paris aux Jeux olympiques, dont je me suis récemment entretenu avec Mme Anne Hidalgo, maire de Paris. À New York, évitant le piège d'une réaction trop vive, elle a su rester prudente. Comment, en effet, engager la ville sans s'assurer préalablement que des moyens suffisants lui seront fournis par l'État comme par des partenaires privés ? De multiples contraintes pèsent assurément sur le budget municipal et il ne serait pas envisageable de sacrifier des projets sociaux et économiques à l'organisation d'un événement sportif. Paris ne doit pas être confronté aux difficultés vécues par Athènes en 2004.
M. Thierry Braillard . - Avec Sotchi, le Comité international olympique (CIO) a pris la mesure des coûts exponentiels que l'organisation des Jeux olympiques laissait à la charge des municipalités. Toutefois, il convient de ne pas oublier que des recettes considérables peuvent également en découler. Londres, sortie bénéficiaire des Jeux olympiques en 2012, constitue à cet égard un exemple enviable bien que rare. S'agissant de Paris, une évaluation du rapport coûts/avantages doit être réalisée avant de prendre toute décision quant à une éventuelle candidature de la ville.
M. Michel Le Scouarnec . - Je suis particulièrement préoccupé, monsieur le ministre, par l'échec scolaire, qui touche 15 à 20 % des élèves. Or, alors que le sport constitue un facteur majeur d'intégration et de socialisation, son enseignement demeure insuffisant à l'école primaire comme au lycée, où trois heures hebdomadaires, au lieu de deux actuellement, représenteraient à mon sens un minimum. Je souhaite que vous puissiez traiter prochainement de cette question avec M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Comme les arts et les travaux manuels, le sport constitue, au regard de mon expérience d'enseignant, un tremplin vers la réussite.
En matière de sport, l'action des collectivités territoriales est essentielle, notamment en ce qui concerne le financement des équipements. Cet engagement pèse cependant lourdement sur leur budget : à Auray, ville d'environ 13 000 habitants, 600 000 euros sont ainsi consacrés chaque année au fonctionnement des équipements et à la rémunération des emplois qui y sont attachés. Vous me permettrez donc de m'interroger, monsieur le ministre, sur l'avenir de ces financements, dans un contexte où le budget consacré par l'État au sport demeure peu élevé et où un risque pèse sur les transferts financiers aux collectivités territoriales, qui doivent parallèlement faire face au financement des activités périscolaires imposées par la réforme des rythmes. À cet égard, je m'inquiète également de la possibilité d'une dérive de la place du sport à l'école, glissant de l'enseignement obligatoire vers le périscolaire.
Mme Corinne Bouchoux . - Je souhaiterais, pour ma part, monsieur le ministre, aborder trois questions qui n'appellent pas de votre part de réponses instantanées. S'agissant tout d'abord du débat, déjà entamé avec Valérie Fourneyron, autour du grand stade souhaité par la fédération française de rugby dans l'Essonne, au-delà des difficultés posées par la protection de la faune et de la flore dans cette zone, l'articulation économique avec l'activité du Stade de France pose question. En tant qu'élue du Grand Ouest, je rappellerai, à titre d'illustration, le traumatisme récent vécu par la ville du Mans dont le majestueux stade n'accueille plus aucune équipe.
Je souhaiterais ensuite connaître votre opinion sur la reconnaissance du Conseil national des supporters de football (CNSF), créé le 17 avril dernier lors d'un colloque au Sénat parrainé par notre collègue Ronan Dantec, et, plus globalement sur les moyens d'améliorer les relations des pouvoirs publics avec les supporters.
Je m'inquiète enfin de l'image véhiculée par le football au travers de ses plus hautes instances. À cet égard, la couverture ainsi que les pages 2 et 3 de L'Équipe de ce jour concernant les modalités de désignation du Qatar comme pays organisateur de la Coupe du Monde de football me semblent particulièrement alarmantes.
Mme Françoise Laborde . - Je rejoins l'analyse de mon collègue Michel Le Scouarnec, qui souligne l'importance de la relation entre éducation nationale et sport dans les activités tant scolaires que périscolaires. Le ministère de l'éducation nationale doit d'ailleurs être vigilant pour que soit bien maintenue une distinction entre ces différents temps. En outre, avec la mise en place des rythmes scolaires, le ministère des sports et les associations sportives ont un rôle important à jouer.
La laïcité, sujet qui me tient à coeur, n'est pas toujours respectée dans le sport, pourtant vecteur d'émancipation, d'insertion, de santé. Personnellement j'ai du mal à accepter que des jeunes filles pratiquent un sport avec un foulard ou un voile. Un ministre ou un secrétaire d'État chargé des sports doit pouvoir porter la voix de la République et donc de la laïcité.
J'ai participé à différentes missions relatives à l'éthique ou au dopage, tandis que la délégation aux droits des femmes a publié un rapport sur l'égalité des femmes et des hommes dans le sport en 2011. Même si la situation évolue, nous observons toujours un problème de médiatisation puisque le sport féminin a du mal à percer dans les titres de presse telle que L'Équipe ou à la télévision. Fort heureusement, la loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes devrait apporter quelques progrès. Je dois d'ailleurs reconnaître, malgré mon engagement en faveur des femmes, que la non-parité entre les deux sexes au sein de certaines instances, telles que celles du rugby, n'est pas nécessairement grave. Nous ne devons pas tendre vers l'excès inverse consistant à vouloir absolument atteindre le même nombre d'hommes et de femmes. En revanche, dans l'éducation nationale, dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) dont nous débattions ce matin, la surreprésentation des femmes me semble anormale.
Enfin je comprends la préoccupation de ma collègue relative à la faune, mais le projet d'extension de Roland-Garros me paraît excellent.
M. Thierry Braillard . - Je reste évidemment à la disposition des sénatrices et sénateurs qui souhaiteraient développer certaines questions telles que le sport professionnel.
Je partage les propos de M. Le Scouarnec, car le sport peut constituer un outil essentiel pour la lutte contre le décrochage scolaire. Nous devons être attentifs à la place du sport à l'école et la réforme des rythmes scolaires doit permettre de promouvoir des sports nouveaux ou méconnus dans les temps périscolaires.
Pour ce qui concerne le projet de grand stade évoqué par Mme Bouchoux, je précise que j'ai personnellement appréhendé ce dossier sous l'angle de l'aménagement et du développement d'un territoire. Nos amis écologistes ne doivent pas apprécier cette question sous le seul angle des espèces protégées, mais considérer qu'un projet de ce type est un vecteur de développement pour les transports publics - pour des centaines de milliers de personnes - et donc de réduction des émissions de gaz à effet de serre, s'inscrivant ainsi parfaitement dans la cadre de la transition énergétique. J'espère d'ailleurs vous voir à mes côtés samedi soir prochain au stade du Mans pour la finale de la coupe de France de football féminin car le sport féminin doit être soutenu !
La question des supporters retient toute mon attention. Nous avions abordé ce sujet avec le sénateur Dominique Bailly, dans le cadre du groupe de travail pour un modèle durable de football français. Je crois que le moment est venu d'instaurer un véritable dialogue car nous devons définir une politique de prévention, la sanction ne pouvant constituer l'unique réponse au problème soulevé par les supporters.
Enfin, concernant la question de la laïcité, je rappelle que Mme Gonthier-Maurin m'a posé une question orale sans débat il y a quelques jours et je vous renvoie à ma réponse, qui devrait vous satisfaire, car nous partageons les mêmes préoccupations sur ce sujet. Je souhaite partager deux nouvelles relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes : la première est que la fédération française de volley a annoncé, sans attendre l'adoption de la loi, que toutes les instances seraient paritaires d'ici 2017 ; ensuite, le 17 août, au stade Jean-Bouin, aura lieu la finale de la coupe du monde de rugby féminin.
J'ajoute pour conclure que nous aurons certainement l'occasion d'aborder la question des infrastructures sportives et des partenariats publics privés lors du débat sur le sport professionnel et les collectivités territoriales que nous aurons ensemble, ici même, le 11 juin prochain.
* 1 « Lutte contre le dopage : avoir une longueur d'avance », rapport n° 782 (2012-2013) fait au nom de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.
* 2 Audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du mercredi 4 juin 2014.
* 3 Audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication de M. Bruno Genevois, président de l'AFLD du mercredi 14 mai 2014.
* 4 Rapport de la commission d'enquête précité, p. 13
* 5 au sens du code du sport.
* 6 Voir rapport précité p. 128 et suivantes.
* 7 Délibération n°2014-28 du 26 mars 2014 du collège de l'AFLD portant avis sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la mise en conformité du droit avec le code mondial antidopage.
* 8 Voir l'examen de l'article unique.
* 9 Voir l'examen de l'article unique.
* 10 Dans son avis du 26 juin 2014, le Conseil d'État a confirmé que « les dispositions de l'article 13.2.1 du CMA ne peuvent être interprétées comme imposant de soumettre au contrôle du TAS les décisions d'autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique (...) ».
* 11 Voir à ce sujet le II.B.2.c) du présent rapport.
* 12 Voir à ce sujet le II. B. 2) a. du présent rapport