V. AUDITION DE M. FRÉDÉRIC CUVILLIER

Réunie le mercredi 11 juin 2014, la commission a entendu M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'état chargé des transports, de la mer et de la pêche, sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.

La réunion reprend à 16h35.

M. Raymond Vall , président . - Je remercie le ministre de sa présence parmi nous. Après la concertation, la réforme ferroviaire est entrée dans sa phase parlementaire tout en faisant une irruption remarquée dans l'actualité. La commission du développement durable de l'Assemblée nationale s'est prononcée la semaine dernière, et le texte sera discuté en séance publique la semaine prochaine ; nous serons, pour notre part, appelés à nous prononcer entre fin juin et début juillet. Il est bon que nous abordions dès à présent le détail de cette réforme, et c'est pourquoi nous avons souhaité, monsieur le ministre, vous entendre. Cette audition s'engage dans un contexte social mouvementé, et c'est à vous qu'il revient de calmer le jeu...

Plusieurs sujets ont soulevé notre attention, au premier rang desquels celui de la dette, que nous avons longuement abordé avec les présidents Guillaume Pepy et Jacques Rapoport, lors de leurs auditions.

Autre sujet de préoccupation, la place des régions. Comment s'articulera la réforme ferroviaire avec la nouvelle carte des régions qui doit résulter de la future réforme des collectivités territoriales ? Où en est-on des volets mobilité dans les futurs contrats de plan État-régions ? Quid du maintien et de la réhabilitation des lignes secondaires, essentielles au désenclavement des territoires, en particulier des territoires ruraux ? Comment développer durablement, enfin, la mobilité ?

Nul doute que vous saurez nous répondre avec la franchise et la compétence dont vous avez toujours fait preuve. Nous sommes tous conscients de l'importance de ce débat.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Je vous remercie de vos propos amènes qui me sont un baume dans une actualité agitée. Les inquiétudes des salariés s'expriment sous différentes formes. Certaines organisations syndicales ont appelé à une grève reconductible, tandis que d'autres ont souhaité poursuivre autrement le dialogue. Nous sommes en contact depuis plus d'un an et demi avec l'ensemble de ces organisations, et je serai à leur disposition dès ce soir pour un tour d'horizon qui pourra se poursuivre dans les jours à venir.

Le Parlement, ainsi que je le leur ai indiqué, est là pour faire évoluer ce texte. La procédure législative est faite pour l'améliorer, et croyez bien que je ne ferai preuve d'aucune susceptibilité d'auteur. S'agissant des orientations visant à renforcer le service public, il est essentiel de travailler de concert. Je veux dire ici que contrairement à ce que j'ai entendu dans bien des reportages sur la grève, ce texte ne vise pas la libéralisation voire la privatisation du rail. Sur cette question, le combat se mène ailleurs, et le gouvernement français a fait savoir d'emblée qu'il n'anticiperait pas la libéralisation voulue par l'Europe. Dans les discussions sur le quatrième paquet ferroviaire, il entend parler d'une voix forte et défendre la spécificité de l'organisation ferroviaire à la française.

J'entends aussi beaucoup dire que la question des statuts serait indirectement en cause dans ce texte. Tel n'est pas le cas. Avertis par l'expérience malheureuse de la libéralisation mal préparée du fret, qui, négligeant la question de la condition des salariés, a donné lieu à des règles disparates entravant l'expression du dialogue social, nous avons anticipé. Ce que nous souhaitons, c'est, face à la l'éventuelle multiplication à venir des opérateurs ferroviaires, dresser le rempart d'une convention collective. Si concurrence il y a, elle doit s'exercer sur des bases claires, hors de tout dumping social. Dans tous les domaines de ma compétence, dans le transport routier, maritime, je me bats pour obtenir des règles harmonisées, tirant vers le haut. Il en va de même pour le ferroviaire. C'est une question qu'il est urgent de traiter, avant l'entrée de nouveaux acteurs dans le cadre de la libéralisation future qui nous met dans l'impérieuse nécessité de nous préparer à ce cadre évolutif.

La question m'avait été posée ici même il y a deux ans de la compatibilité de ce qui n'était alors que l'esquisse d'un texte avec le quatrième paquet ferroviaire, qui risquait de nous imposer un modèle d'organisation. J'affirmais alors que la Commission européenne devait reconnaître le principe de subsidiarité quant à l'organisation du service ferroviaire. Depuis, cette position du gouvernement français a été rejointe par plusieurs acteurs européens. Oui, nous avons besoin de réseaux à dimension européenne, interopérables, mais l'organisation du service ferroviaire ne doit pas être commandée par la pensée unique du commissaire Kallas, séparatiste, qui veut une étanchéité absolue entre le réseau et l'activité de transport, dont on a vu, en France, avec la loi de 1997, les conséquences néfastes. J'ajoute que le paquet ferroviaire, que l'on agite souvent comme un chiffon rouge, n'est pas encore voté. Il est d'autant plus important que nous disposions d'une législation susceptible de peser sur ce que seront les règles européennes de demain.

La question du financement des infrastructures par le gestionnaire est centrale. Le modèle que nous mettons en place permet de s'assurer d'une contribution du transporteur, et de réduire ainsi le fardeau de la dette. Alors que l'Europe voulait voir coupé tout lien financier entre les entités, notre logique est à présent pleinement reconnue eurocompatible. Les infrastructures, patrimoine commun trop souvent négligé, doivent devenir une priorité, ce qui engage aussi leur mode de financement.

Nous ne pouvions pas, enfin, ne pas défendre, comme ce fut hélas trop longtemps le cas, notre conception du service public. Ainsi que je l'ai dit à M. Maurizio Lupi, mon homologue en Italie, pays qui assurera la prochaine présidence de l'Union européenne, on ne saurait aborder la question de la gouvernance sans que soient préalablement définies les obligations de service public. Car sans un cadre préétabli répondant aux enjeux de l'aménagement du territoire, on risque de voir se développer une forme de privatisation des lignes rentables, celles qui ne le sont pas étant laissées à la charge de l'État et des collectivités locales.

Lorsque la France énonce ainsi un principe d'intérêt général, elle est écoutée. A condition que des voix ne plaident pas, en interne, comme cela a été récemment le cas, pour le séparatisme, dont on a pourtant vu à quels dysfonctionnements il pouvait mener. Il faut savoir reconnaître ses erreurs...

Assurer confort, régularité, entretien des voies, telle est aujourd'hui notre tâche. La nation a besoin d'une stratégie du ferroviaire, sur laquelle s'exerce clairement un contrôle. C'est pourquoi nous prévoyons que les orientations de la politique ferroviaire devront être présentées au Parlement. C'est aussi pourquoi nous modifions la composition des organes directeurs, afin que l'État y soit mieux représenté et qu'y soit assurée la présence des régions, exigence d'autant plus forte que la carte territoriale est appelée à évoluer et que leur sera transmise une part plus importante de la compétence transports.

Nous devons améliorer la qualité du service public, maîtriser la trajectoire financière, aborder la question du cadre social en posant les règles définissant les lieux et moyens du dialogue social. Voilà qui exige que le système cesse d'être handicapé par sa gouvernance, et que les missions aujourd'hui éclatées soient rassemblées. L'organisation qui régit les infrastructures est si complexe que même les gens du ferroviaire ne s'y retrouvent pas. D'où notre projet d'une organisation simplifiée en deux grands corps de métier, avec SNCF Réseau et SNCF Mobilité.

Dans un contexte d'ouverture du marché, la transparence des règles du jeu - tarification, attribution des sillons...- est-elle ainsi garantie ? m'objecteront certains. Je leur réponds que dans ce dispositif, le régulateur jouera pleinement son rôle. Il ne me paraît pas justifié, au seul motif d'éviter toute emprise de SNCF Mobilité, d'éclater le système. Je plaide pour un renforcement du secteur public, un État stratège, avec des moyens de financement et de pilotage, et la fin de l'enchevêtrement des responsabilités.

Il faut prendre à bras le corps la question de la dette. À hauteur de 40 milliards, avec 2,5 à 3 milliards d'accroissement automatique chaque année, elle interdit toute efficacité. Je le dirai ce soir aux organisations syndicales : ne rien faire serait manquer de courage politique. Si nous n'essayons pas, ensemble, de rendre des perspectives au secteur, nous obérons son avenir. Dans dix ans, la dette sera de 80 milliards. Certains veulent que l'État prenne la dette à son compte. Outre que l'effacer du tableau d'un coup d'éponge magique ne serait guère vertueux, le ministère des transports n'est pas de ceux qui sont assez près de la Seine pour y puiser...( sourires ).

Sans réforme de structure, nous ne stabiliserons pas la dette et c'est alors que l'État devra intervenir. Faisons plutôt la démonstration de l'efficacité du système ferroviaire en recherchant productivité et compétitivité - deux termes qui ne sont pas pour moi des gros mots. L'enjeu dépasse le seul groupe SNCF. L'ensemble du système ferroviaire est concerné. Il faut une stratégie qui rassemble l'ensemble des acteurs. D'où la création d'un haut comité du ferroviaire, pour que toutes les parties y débattent d'une stratégie nationale.

Je suis prêt à répondre à vos questions sur la nature des liens qui unissent les trois entités de ce groupe public ferroviaire fort que nous nous proposons de mettre en place. Loin de l'éclatement dont on a parlé, le groupe est certes fait de plusieurs entités, mais étroitement nouées entre elles par un lien fort, avec un Epic de tête qui lui assure une direction. Je le dirai aux organisations syndicales, nous voulons un groupe soudé par des liens assez serrés pour n'être pas défaits par une malheureuse alternance.

M. Gérard Cornu . - Malheureuse ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Si nous devons faire face aujourd'hui à une grève de cette ampleur, n'est-ce pas parce que des voix se sont élevées pour assurer qu'en cas d'alternance, les liens entre ces entités seraient coupés ? Mais au fond, il faut les remercier de nous avoir ainsi avertis, et mis en mesure de prévenir de telles velléités. Je reviendrai, si vous le souhaitez, sur l'organisation que nous avons retenue, avec un directoire et un conseil de surveillance dont le président, nommé par l'État, sera chargé de mettre les orientations du conseil à exécution et de trancher sur les questions stratégiques en cas de désaccord. Les missions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) seront prévues par la loi. L'Araf, appelée à se prononcer sur des questions comme le ratio de la dette et la soutenabilité financière du contrat entre l'État et SNCF Réseau, jouera pleinement son rôle de régulateur, contrairement aux vaticinations que l'on a pu lire alors que l'encre de ce projet de loi n'est pas même encore sèche.

Le secteur ferroviaire a besoin d'un cadre social modernisé, avec des règles communes, pour répondre à toutes les exigences du service public. Les partenaires sociaux seront appelés à négocier une convention collective, qui s'appliquera à tous les opérateurs de la branche. En mettant en place le cadre du dialogue social, nous nous assurons que des règles communes s'appliqueront à tous, afin que l'opérateur ayant la charge du service public ne soit pas pénalisé.

M. Michel Teston , rapporteur. - Je vous remercie de cette présentation très claire et me contenterai, pour laisser du temps au débat, de quatre questions. Il faut à mon sens mettre l'accent sur le caractère intégré du futur groupe, qui suppose une intégration sociale. C'est là une question qui est au coeur de l'actualité. Elle suppose d'affirmer la compétence exclusive de l'Epic de tête en matière de gestion statutaire, mais passe aussi par l'affirmation de l'unité du groupe. La mise en place d'un comité central d'entreprise ne pourrait-elle y contribuer ? Estimez-vous souhaitable de renforcer le texte en ce sens ?

Les cheminots s'inquiètent de leur statut et de la future organisation du travail. S'il n'a jamais été question, dans ce texte, de mettre en cause le statut, une large concertation est en cours, sous l'autorité de M. Jean Bessière, sur l'organisation du travail. Pouvez-vous nous confirmer votre voeu d'une harmonisation par le haut ?

La situation financière actuelle du système ferroviaire ne peut perdurer. Quelle pourrait être la participation de l'Etat à l'effort ? Quel sort réserver à la dette d'Etat ? L'Etat pourrait-il renoncer à ses dividendes en cas de résultat positif à SNCF Mobilité ? Renoncer à percevoir certaines recettes fiscales ?

Un mot sur la place des régions, sujet sur lequel François Patriat s'étendra plus avant. Comment envisagez-vous leur place dans la nouvelle organisation, tant pour le transport de voyageurs que pour le réseau ? Quelle représentation au conseil d'administration de l'Epic de tête et à celui de SNCF Réseau ? Je mets à part celui de SNCF Mobilité, sachant que l'ouverture possible à la concurrence interdirait qu'elles y soient présentes. Quid de la propriété des matériels roulants ? Quid de la liberté de tarification ? Les élus régionaux ont encore bien d'autres questions, mais j'ai promis de n'être pas trop long...

M. François Patriat , rapporteur pour avis de la commission des finances . - Je remercie la commission du développement durable de m'avoir convié. L'audition de M. Rapoport, ce matin, sur la dette, les objectifs et les difficultés que traverse RFF, témoigne assez que des choix s'imposent, notamment en matière de lignes à grande vitesse. Il s'y est dit qu'avec 300 millions d'euros par an, tout le système secondaire fonctionnerait bien. Ce serait une bonne nouvelle, tant les sommes demandées aux collectivités sont importantes. Puisse aussi, comme j'ai cru le comprendre, que priorité soit donnée au ferroviaire dans le volet mobilité des futurs contrats de projet État-régions.

Si les régions sont, demain, en responsabilité, cela réclamera des moyens. Il s'est dit, ce matin, que RFF empruntait un million par heure...

M. Raymond Vall , président . - 500 millions par mois.

M. François Patriat , rapporteur pour avis. - Stabiliser la dette est donc un vrai défi. À la différence de certains de nos collègues qui se sont exprimés ce matin, nous croyons à votre projet et souhaitons qu'il soit mis fin aux erreurs du passé. À un président de région qui s'étonnait du coût croissant de la convention, Guillaume Pepy répondait qu'il ne faisait que répercuter l'augmentation des péages. Mais on ne peut pas se renvoyer ainsi la balle. D'où l'intérêt d'une entité unique, où responsabilités et engagements sont partagés. Si demain, cependant, il doit y avoir des engagements avec les collectivités, il faudra clarifier la question des compétences et des ressources des régions...

Pensez-vous que la dette pourra être stabilisée, et à quel niveau, à cinq ans ? L'État doit-il en reprendre une partie ? RFF porte aujourd'hui une lourde charge. Vous avez parlé d'un milliard d'économies, partagé entre les deux entités, c'est bien, mais cela ne suffira pas à stabiliser la dette : ne pourrait-on pas soulager un peu l'outil pour qu'il soit, demain, plus efficace ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Vous m'interrogez sur la place des régions. Il s'agit de saisir l'opportunité de ce projet de réforme pour donner pleine mesure au cadre de financement du ferroviaire. Je comprends les réactions des présidents de région se tournant vers le ministre ou interrogeant les présidents de la SNCF, de RFF en rappelant qu'ils participent, avec les TER au financement des infrastructures et soutiennent la filière ferroviaire industrielle. Et c'est beaucoup, car ce sont des emplois, des exportations, des innovations. On sait combien la stratégie de filière, conduite avec Arnaud Montebourg, est importante.

Dans la gouvernance du système, deux sièges seront réservés aux régions dans la structure de tête et au conseil d'administration de SNCF Réseau. Étant entendu qu'il faudra veiller, le moment venu, à éviter toute interférence avec des questions qui seraient liées à SNCF Mobilité.

Nous étudions favorablement les demandes des régions quant à la propriété du matériel roulant et poursuivrons au Sénat les discussions que nous avons eues sur ce sujet à l'Assemblée nationale. On peut la concevoir comme bien de retour mais il ne faudrait pas que cela devienne une anticipation de la libéralisation - les trains devant être mis à la disposition, le moment venu, d'autres opérateurs. Cela dit, les régions financent, et il est légitime que lorsque l'on achète quelque chose, ce ne soit pas celui qui achète en votre nom qui soit propriétaire. C'est vrai aussi de la propriété des biens immobiliers, mais c'est un dossier sur lequel il nous faut encore progresser. Quant à la liberté tarifaire, elle n'est envisageable que sous réserve que soit garantie l'existence d'une tarification sociale nationale. Après un désaccord courtois, la négociation nous a permis d'aboutir à ce consensus : liberté tarifaire sous réserve du maintien des tarifs sociaux et d'une clarification quant à la prise en charge de la redevance d'accès. Je sais que cela fait débat, mais il faut clarifier et savoir qui paie quoi.

En ce qui concerne l'équilibre financier, les chiffres sont éloquents. Chaque heure qui s'écoule coûte un million, dites-vous...

M. Raymond Vall , président . - 500 millions par mois.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Sans esprit de polémique, trop de lignes à grande vitesse ont été engagées concomitamment. Alors qu'il fallait s'en tenir à une ligne tous les cinq à six ans pour que cela soit financièrement soutenable, on en a engagé quatre sur la même période. C'est un rythme insoutenable et c'est bien pourquoi le débat stratégique doit avoir lieu au Parlement. C'est ce que prévoit ce texte.

L'État reversera ses dividendes vers le gestionnaire unique des infrastructures, c'est un effort qui n'est pas négligeable, et les déficits fiscaux consolidés au niveau du groupe seront intégrés au collectif budgétaire.

Grâce à une politique d'achats organisée dans la fonction support, SNCF Mobilité pourra mettre en place un plan d'économies d'un milliard. Quant au plan de performance et de synergies de SNCF Réseau, il devrait susciter une économie de 900 millions. Autant d'objectifs difficiles à atteindre, et dont nous devons tous nous porter garants. Les organisations syndicales savent bien où résident de possibles gains de productivité et d'efficacité commerciale. Elles émettent souvent des propositions qui produisent des résultats. Travaillons donc à partager des objectifs, plutôt qu'à développer une culture d'affrontement. M. Pepy, M. Rapoport, ont livré des chiffres. Il ne s'agit pas de s'en tenir là, mais de bâtir, à partir de ces données, une oeuvre collective. Nous verrons avec les organisations syndicales comment aborder la suite de la réforme pour qu'elle soit effective. La stabilisation ne réduira pas la dette, qui appelle un traitement par étapes. Faute de quoi, c'est, in fine , le contribuable qui paiera. Dix milliards de dette de RFF sur 37 milliards sont qualifiés de dette maastrichtienne : voilà qui témoigne assez que les infrastructures sont un bien de la Nation, qui suppose un effort collectif de celle-ci. C'est pourquoi j'estime qu'il faut aller plus loin dans la reconnaissance du patrimoine ferroviaire comme patrimoine de la Nation.

J'en viens à la question sociale. J'écouterai les organisations syndicales et verrai dans quelle mesure il peut leur être apporté réponse. L'intégration passe par un niveau élevé de reconnaissance sociale. Ce qui peut amener des dérogations aux règles applicables en matière de représentation des salariés, sur lesquelles il faudra faire un point. Il faudra trouver des lieux de négociation, étant entendu que nous ne souhaitons pas préempter les travaux à venir du Parlement. J'ajoute que le statut ne sera pas, quoi qu'il arrive, mis en cause.

M. Raymond Vall , président . - Je m'inquiète du financement des infrastructures dans les territoires. Où en est-on, monsieur le ministre, de l'écotaxe ? Vous avez parlé de patrimoine national. Comment a-t-on pu brader le patrimoine autoroutier, auquel un bénéfice de deux milliards est attaché ? Les organismes qui l'ont racheté, parmi lesquels des banques, ne pourraient-ils apporter leur contribution ? Le rendement attendu de l'écotaxe était de près d'un milliard. À quand une décision ? Au Sénat, après des discussions féroces au sein de la commission d'enquête, nous sommes parvenus à un consensus sur le fait que celle-ci ne pouvait arrêter le processus, et qu'il fallait laisser la possibilité à l'État d'appliquer l'écotaxe. La balle est maintenant dans votre camp...

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Les contrats de plan État-régions prévoyaient en effet qu'une part du financement serait assurée par les recettes attendues de l'écotaxe. Une taxe dont le principe avait, naguère, recueilli le consensus avant les évènements que l'on sait, et qui posent la question des responsabilités. Le fait est que certains parlementaires n'ont pas pris toute la mesure de l'intérêt général.

Comment financer les infrastructures, telle est la question qui se pose. Dès lors qu'un contrat a été signé, il faut assurer la continuité de la parole de l'Etat. Ce qui n'empêche pas de négocier, et les discussions se poursuivent. Dans les territoires, les élus ont besoin de financer leurs infrastructures. Il est vrai que leur voix porte moins que d'autres : comme dans les grèves, on entend peu ceux qui ne participent pas, et qui sont souvent nombreux... Certaines régions ont un besoin crucial de se désenclaver, et des crédits de paiement ont été promis, qui doivent être honorés pour que soient lancés les chantiers, dont le secteur du BTP a besoin et qui bénéficieront à la croissance.

Plusieurs pistes restent à l'étude. J'ai pour ma part remis au Premier ministre un document suggérant des voies de financement de l'AFITF. Les Français comprennent bien le principe et y souscrivent : il est normal que l'usage des infrastructures, et en particulier des grandes voies de transit, donne lieu à contribution. Et quand les territoires réclament la mise en place d'un dispositif, il faut les entendre. N'enrayons pas la mécanique au risque de laisser des chantiers en berne et de ne pouvoir en engager de nouveaux. L'État doit entendre les territoires et assurer la cohérence, et c'est bien pourquoi le Premier ministre poursuit sa réflexion : la mise en place des modalités de financement des infrastructures fait partie du souci quotidien du gouvernement.

M. Raymond Vall , président . - Le sort du TGV Bordeaux-Toulouse sera discuté dans les jours à venir. Il serait injuste que par défaut de financement, cette dernière tranche de TGV ne voie pas le jour, et qu'un territoire se trouve ainsi pénalisé. Mais je comprends que vous nous incitez à créer des comités pour que soient enfin trouvées les voies d'une modulation entre infrastructures routières et ferroviaires... L'étendard de la révolte est hissé : ne vous privez pas, madame Escoffier, de défendre avec moi la région Midi-Pyrénées ! ( sourires )

Mme Anne-Marie Escoffier . - Je reviens sur la question de la stratégie ferroviaire. Mais le transport ferroviaire ne saurait suffire à assurer la desserte du territoire. L'État réfléchit-il à sa mise en cohérence avec l'aérien, le routier et le maritime ? On ne saurait penser le ferroviaire sans envisager l'aérien. On l'a vu avec l'apparition du TGV à Marseille, à Montpellier, et demain, à Bordeaux, qui a fait flancher l'aérien. Assurer le maillage du territoire exige une réflexion globale.

M. Gérard Cornu . - Lorsque l'on réforme, il faut se montrer humble. Vous craignez, dites-vous, que l'alternance, que je ne qualifierai pas pour ma part de malheureuse mais de démocratique, ne vienne défaire ce que vous avez fait. Nous aurions, sur ce sujet, beaucoup d'exemples à vous servir en retour...

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Je ne manque pas d'humilité. Un ministre des transports doit en faire preuve tous les jours.

M. Gérard Cornu . - Les experts nous avaient dit, à l'époque, qu'il fallait scinder en deux entités ; ils nous disent aujourd'hui que cela est intenable ; peut-être nous diront-ils autre chose encore dans dix ans... Reste qu'il y a eu, c'est indéniable, un dysfonctionnement alarmant. La population a été sous le choc en apprenant la dépense que va représenter le rabotage des quais rendu nécessaire par un malheureux défaut de concertation entre les deux entités.

Votre projet, cependant, me laisse une inquiétude quant à l'attribution des sillons. Comment se fera-t-elle équitablement, avec un opérateur dominant à 95 % ?

La dette reste un vrai sujet de préoccupation. Je ne crois pas à sa stabilisation grâce à l'innovation et la recherche et à des gains en productivité et en efficacité. La séparation en deux entités n'interdit pas de les réaliser, et je ne vois pas en quoi la réunion en un groupe changerait les choses. J'ajoute que si nous avons la chance de bénéficier de taux d'intérêts bas, rien ne dit que cela ne changera pas d'ici quelques années. C'est là un vrai danger qui guette la stabilisation de la dette. En cette matière aussi, il faut être humble, car personne ne peut préjuger de l'avenir. La seule bouffée d'oxygène sera que l'État ne demande plus à RFF de participer aux lignes à grande vitesse.

M. Rémy Pointereau . - Ce projet vient remédier à la loi de février 1997, qui allait bien au-delà des exigences de l'Europe. Qu'est-ce qui inquiète autant les cheminots dans cette réforme ? Les grévistes feraient bien de réfléchir à leur responsabilité dans un contexte de crise nationale et internationale. À vous de le leur démontrer.

Comme je le disais ce matin au président de RFF, il faut distinguer la bonne et la mauvaise dette. La réforme n'effacera pas l'ardoise de 40 milliards, mais derrière cette dette d'investissement, il y a des actifs. L'État, qui a demandé un certain nombre de ces investissements, devrait la reprendre, pour la stabiliser. En finir avec le milliard et demi annuel consacré au TGV aiderait également ; il faudrait songer au partenariat public-privé pour investir dans ces grands chantiers. La relance de la croissance passe par la relance de l'investissement, dont l'investissement ferroviaire.

Ne peut-on aussi exiger de l'Europe qu'elle finance les investissements structurants, comme elle l'a fait à une époque pour l'Espagne, qui a largement bénéficié des fonds européens pour ses autoroutes et son rail ?

Dans les territoires ruraux, en voie de désertification, on a été très attentifs aux annonces du rapport Duron qui prévoyait, contrepartie de la mise en veille du déploiement du TGV, un effort de modernisation. Mais quand on demande, dans les contrats de projet, des crédits d'investissement, pour moderniser des lignes d'équilibre, comme celle qui relie Montluçon à Bourges par Saint-Amand, on nous propose quelques milliers d'euros, tout juste suffisants pour financer des études. Or, arrêter le déploiement des lignes à grande vitesse sans moderniser, c'est créer la fracture entre les territoires qui ont pu bénéficier de lignes à grande vitesse, souvent grâce au soutien de personnalités en vue, et ceux qui n'auront rien. J'aimerais connaître votre position sur la relance par l'investissement, y compris dans les territoires ruraux, où bien des lignes sont en déshérence.

Mme Évelyne Didier . - Les choix qui ont été faits par le passé sont aujourd'hui remis en cause, parce qu'ils ont eu des effets pervers. Cela nous appelle à l'humilité. Nous avons tous réclamé le TGV, sans nous assurer d'une stratégie financière, et nous en subissons les conséquences.

Le dogme du séparatisme entre réseau et activité de transport a produit les affrontements que l'on connaît. L'inquiétude des syndicats n'est pas sans relation avec les déclarations d'anciens ministres de l'ancienne majorité, qui continuent à le prôner. Je comprends leur vigilance. Ils n'appellent pas à la grève de gaîté de coeur, mais pour marquer leur inquiétude : le gouvernement doit les rassurer, et montrer clairement que la séparation des activités, qu'ils craignent par-dessus tout, est étrangère à ce projet. Comment garantir un système intégré, avec un traitement social unifié, avec ce système d'entités ? Voilà sur quoi il faudra, monsieur le ministre, apporter toutes les clarifications requises. Le système mis en place en 1997 a été une grosse erreur, et je comprends mal que d'anciens ministres disent qu'il faudra y revenir.

- Présidence de M. Michel Teston, vice-président -

M. Jean-Pierre Bosino . - La question de la dette est au coeur du problème et des inquiétudes des cheminots. Ils craignent une privatisation de la SNCF, une vente à la découpe, mais ils se demandent qui supportera la dette. Et M. Pepy ne nous a pas rassurés sur ce point. Vos chiffres et les siens, au reste, ne semblent pas coïncider. Existe-t-il un audit précis de la dette, indiquant celle qui trouve son origine dans les investissements consacrés au TGV ? On continue à emprunter pour rembourser les intérêts aux banques, qui profitent, pourtant, de ce patrimoine national, et devraient participer à l'effort.

On ne s'en sortira pas en faisant des économies sur le dos des personnels. M. Pepy nous assure que la mutualisation de dépenses de fonctionnement suscitera des économies. Mais ce n'est pas en économisant sur les photocopies qu'on trouvera 40 milliards. On ne pourra pas indéfiniment se contenter de traiter cette dette comme une « patate chaude » : on a séparé pour la mettre sur RFF, et aujourd'hui, on parle de la renvoyer à l'État.

Un mot sur la régionalisation. L'État doit rester le garant de l'égalité républicaine sur le territoire. Je vous remercie de l'avoir rappelé. Dans le temps, quel que soit le lieu où l'on habitait, on payait le même prix au kilomètre.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État . - Je serai bref, car je dois m'employer à résoudre un conflit que je ne souhaite pas voir durer. Il faut trouver le moyen d'en sortir, et que vienne le temps du débat parlementaire.

Le débat sur l'État stratège, madame Escoffier, doit avoir lieu, mais il y faut des outils. Vous avez devant vous un nostalgique de la planification, quand l'État pouvait organiser ses grands chantiers. Il est vrai cependant que les collectivités sont aujourd'hui des relais précieux. C'est pourquoi la logique de ce projet doit recouper celle de l'organisation territoriale à venir, ce qui suppose un travail interministériel dont vous avez pu mesurer, madame la ministre, toutes les subtilités... Reste qu'il faut une stratégie globale, organisant la cohérence entre TET, TER et TGV dans un schéma national, voire européen pour la grande vitesse. L'enjeu est de rendre la grande vitesse accessible, pas de doter chaque territoire de lignes à grande vitesse. On ne peut pas déplorer la dette, et réclamer des infrastructures partout. Le schéma national des infrastructures de transport, en l'absence de modalités de financement, ne pouvait pas fonctionner. Et reconnaissons qu'il n'a souvent été qu'une addition de revendications locales. C'est par la coopération entre un État stratège et des collectivités aux compétences clarifiées que l'on aboutira.

La Commission européenne elle-même, M. Cornu, reconnaît que le dispositif que nous soumettons au vote du Parlement, garantit l'impartialité dans l'attribution des sillons. Dans ce système intégré où un groupe unique est organisé, via des Epic, en deux métiers, nous pouvons garantir cette impartialité. Nous avons donc bien travaillé ; les positions du commissaire Kallas ont évolué à un point dont j'ai été moi-même surpris.

Nous ne règlerons pas la question de la dette par un projet de loi. C'est un chantier qui s'inscrit dans le temps. Il s'agit d'assurer au ferroviaire un financement pérenne, et de se prémunir contre les évolutions des taux d'intérêt.

Je remercie M. Pointereau de ses conseils sur l'attitude à adopter face à la grève des cheminots, mais il ne m'en voudra pas de prêter une oreille attentive à ceux que Mme Didier voudra bien me donner ( sourires ).

Le grand plan de modernisation du réseau, qui représente un effort de 2,5 à 2,7 milliards, est réorienté vers les transports du quotidien. Le financement des lignes secondaires passera par un cofinancement dans le cadre des contrats de plan État-régions : quand un transport est infranational, le financement doit être partagé. Rien ne sert de promettre ce que l'on ne peut pas tenir.

Oui, Madame Didier, il est important de donner des garanties aux salariés. On ne peut pas considérer à la fois, comme certain, que l'on ne peut pas revenir sur la privatisation des autoroutes, mais qu'on le pourra sur le système intégré du rail. Si avaient existé des lieux d'expertise de l'efficacité du ferroviaire, nous aurions vite compris que la réforme de 1997, qui a opposé les acteurs et interdit l'optimisation des moyens, n'allait pas dans le bon sens.

Quand on s'engage sur des investissements, il faut un cadrage extérieur. Le rôle de l'Araf est de donner force aux engagements. Si nous avions eu, à l'époque où il fut entrepris de lancer concomitamment quatre projets de lignes à grande vitesse, un régulateur fort, l'État aurait été mis devant ses responsabilités et nous n'en serions pas là. Nous devons aujourd'hui assumer cette dette. Certains passent commande, d'autres paient la facture...

Ce n'est pas aux salariés de payer la dette, monsieur Bosino. Mais l'État ne saurait en assurer la reprise que dans un cadre vertueux. Il y faut un travail collectif.

M. Michel Teston , président . - Je vous remercie de ces réponses et forme le voeu que votre rencontre avec les organisations syndicales se déroule dans le meilleur état d'esprit.

La réunion est levée à 18h15.

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