TITRE II BIS - DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ POUR MOTIF MÉDICAL
Article 18 quinquies (art. 147-1 [nouveau] du code de procédure pénale) - Création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
Le présent article, inséré par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Sergio Coronado, propose de créer une procédure de suspension de détention provisoire pour motif médical.
Il reprend les termes d'une proposition de loi déposée par notre ancienne collègue Hélène Lipietz en décembre 2013 et que le Sénat a adoptée à l'unanimité le 13 février dernier 147 ( * ) .
Comme le rappelait alors notre collègue Esther Benbassa, rapporteure de ce texte au nom de votre commission des lois, les personnes détenues atteintes d'une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l'état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention peuvent, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, demander à bénéficier d'une suspension de peine (article 720-1-1 du code de procédure pénale).
Ce dispositif est toutefois réservé aux seules personnes condamnées : son bénéfice ne peut être invoqué par les personnes faisant l'objet d'une détention provisoire, que ce soit dans le cadre d'une instruction, dans l'attente d'un procès en appel ou de l'examen d'un pourvoi en cassation.
Cette lacune du droit est d'autant plus préjudiciable que, comme l'observait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport d'activité pour 2012, « les personnes prévenues, présumées innocentes, ont à connaître de très mauvaises conditions de détention en maison d'arrêt » et que « la détention provisoire excède bien souvent la « durée raisonnable » que commande l'article 144-1 du code de procédure pénale » 148 ( * ) .
Reprenant l'une des préconisations formulées en juillet 2012 par notre collègue Jean-René Lecerf et notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat dans leur rapport d'évaluation de la loi pénitentiaire 149 ( * ) , le présent article propose de remédier à cette lacune en instaurant un dispositif de suspension de la détention provisoire pour motif médical, pour partie inspiré du dispositif applicable aux personnes condamnées.
Contrairement au dispositif de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, le dispositif créé par le présent article pourrait être mis en oeuvre au vu d'une unique expertise médicale ; il est également plus souple en permettant sa mise en oeuvre lorsque l'état de santé du prévenu est « incompatible avec le maintien en détention », et non « durablement » incompatible avec un tel maintien.
Lors de l'examen de la proposition de loi précitée de notre ancienne collègue Hélène Lipietz, votre commission avait par ailleurs adapté le dispositif proposé au cadre spécifique de la détention provisoire, prévoyant en particulier que le retour en détention de la personne prévenue en cas d'amélioration de son état de santé serait une simple faculté et devrait être justifié par l'un des motifs énumérés à l'article 144 du code de procédure pénale.
Au total, votre commission se réjouit que l'introduction par l'Assemblée nationale de ce dispositif dans le présent projet de loi ouvre la perspective d'une entrée en vigueur rapide de ce nouveau droit, qui permettra d'assurer la compatibilité du cadre légal de la détention provisoire avec le nécessaire respect de la dignité des détenus.
Votre commission a adopté l'article 18 quinquies sans modification .
Article 18 sexies (art. 720-1-1 du code de procédure pénale) - Simplification des conditions de mise en oeuvre de la procédure de suspension de peine pour raison médicale
Le présent article est issu d'un amendement de M. Sergio Coronado, adopté en séance publique par les députés avec l'avis favorable de la commission des lois et du Gouvernement.
Il vise à alléger la procédure de suspension de peine pour raison médicale, en n'exigeant plus qu'une expertise médicale au lieu de deux actuellement.
En l'état du droit, l'article 720-1-1 du code de procédure pénale prévoit que, sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension de la peine d'emprisonnement peut être ordonnée pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention , hors les cas d'hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.
Deux modalités de mise en oeuvre sont prévues :
- en principe, la suspension est accordée au vu de deux expertises médicales distinctes et concordantes ;
- toutefois, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a prévu qu'en cas d'urgence, lorsque le pronostic vital est engagé, la suspension puisse être ordonnée au vu d'un certificat médical établi par le médecin responsable (ou son remplaçant) de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu.
Selon les cas, la décision relève du juge de l'application des peines ou du tribunal de l'application des peines.
En toute hypothèse, la juridiction qui accorde une suspension de peine dans les conditions précitées peut décider concomitamment de soumettre le condamné à une ou plusieurs obligations ou interdictions prévues pour le régime de la mise à l'épreuve : établir sa résidence dans un lieu déterminé, s'abstenir d'entrer en relation avec certaines personnes, ne pas fréquenter certains condamnés, etc.
En outre, le juge de l'application des peines peut à tout moment ordonner une expertise médicale à l'égard d'un condamné ayant bénéficié d'une mesure de suspension de peine et ordonner qu'il soit mis fin à la suspension si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies. Il en est de même si le condamné ne respecte pas les obligations qui lui auraient été imposées ou s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction. En matière criminelle, une expertise médicale destinée à vérifier que les conditions de la suspension sont toujours remplies doit intervenir tous les six mois.
La suspension de peine peut être ordonnée à tout moment, y compris lorsque l'exécution de la peine d'emprisonnement ou de réclusion s'accompagne d'une période de sûreté.
Ces conditions sont jugées excessivement restrictives par une grande partie des observateurs tout comme par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté 150 ( * ) .
De fait, ce dispositif de suspension de peine pour raisons médicales donne lieu à quelques dizaines de demandes par an, une majorité donnant lieu à un accord (voir tableau).
Mise en oeuvre de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale
Bilan 2002-2011 |
Décisions |
Accords |
Rejets |
Taux d'accord |
2002 |
25 |
23 |
2 |
92 % |
2003 |
121 |
67 |
54 |
55,37 % |
2004 |
127 |
73 |
54 |
57,48 % |
2005 |
83 |
57 |
26 |
68,67 % |
2006 |
87 |
62 |
25 |
71,26 % |
2007 |
108 |
83 |
25 |
76,85 % |
2008 |
83 |
58 |
25 |
69,88 % |
2009 |
94 |
65 |
29 |
69,15 % |
2010 |
108 |
90 |
18 |
83,33 % |
2011 |
89 |
72 |
17 |
80,90 % |
2012 |
296 151 ( * ) |
253 |
33 |
88,46 % |
Cumul 2002-2012 |
1 221 |
903 |
308 |
74,57 % |
Source : Administration pénitentiaire
Les principaux motifs de rejet sont justifiés par l'« état de santé compatible avec le maintien en détention » de l'intéressé (environ 50 % des motifs) et par un « pronostic vital non engagé » (30 % des motifs). Viennent ensuite les « expertises non concordantes » (10 %), la « dangerosité » des personnes concernées (5 %) et l'« absence d'hébergement spécialisé pour accueillir la personne » (5 %) 152 ( * ) .
Le présent article propose d'alléger ce dispositif en soumettant l'octroi d'une suspension de peine pour motif médical à une seule expertise médicale , au lieu des deux expertises concordantes requises à l'heure actuelle.
Alors que Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, déclarait au Sénat en avril 2013 que « [ce dispositif] requiert aujourd'hui, convenons-en, une procédure complexe et longue, à telle enseigne que certains détenus malades sont en phase terminale ou décèdent en prison au cours de la procédure, alors que l'esprit de la loi pénitentiaire est de permettre au détenu dont le pronostic vital est engagé de finir ses jours parmi les siens. Il faudrait vraiment assouplir les règles en la matière » 153 ( * ) , un groupe de travail constitué par les ministres de la justice et de la santé a formulé en novembre 2013 plusieurs propositions de nature à améliorer la mise en oeuvre de ce dispositif, parmi lesquelles figure la possibilité d'octroyer la suspension de peine au vu d'une seule expertise médicale.
Par cohérence avec cette proposition, le dispositif de suspension de détention provisoire créé par l'article 18 quinquies du présent projet de loi, qui reprend à l'identique les termes d'une proposition de loi votée au Sénat à l'unanimité en février dernier (voir supra ), soumet l'octroi d'une telle suspension à une seule expertise médicale.
Votre commission approuve pleinement ces dispositions qui vont dans le sens d'un meilleur respect de la dignité des personnes en détention.
Votre commission a adopté l'article 18 sexies sans modification .
* 147 Le dossier législatif, et en particulier le rapport n°342 (2013-2014) de notre collègue Esther Benbassa, peuvent être consultés à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-232.html .
* 148 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport d'activité pour 2012, page 247.
* 149 « Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale », Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf, rapport n°629 (2011-2012), fait au nom de la commission des lois et de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, juillet 2012, page 59. Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-629-notice.html .
* 150 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport d'activité pour 2012, page 245.
* 151 Le différentiel de 10 demandes correspond à 10 demandes non traitées au cours de l'année 2012.
* 152 Source : réponse du ministère de la justice à la question écrite n°4306 de M. Michel Lesage, JO AN du 20 novembre 2012, page 6806.
* 153 JO Sénat, compte-rendu intégral des débats de la séance du 25 avril 2013.