EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER - FINANCEMENT DES CORPORATIONS DES
DEPARTEMENTS DE LA MOSELLE, DU BAS-RHIN ET DU HAUT-RHIN
Articles 1er à 3 - Financement des anciennes corporations obligatoires d'artisans
Les
articles 1
er
à 3
proposent de nouvelles sources de financement des corporations obligatoires
d'artisans, à la suite de la décision précitée du
Conseil constitutionnel du 30 novembre 2012 qui a censuré le principe de
l'affiliation obligatoire des exploitants à ces institutions et ses
conséquences
- le versement d'une cotisation obligatoire et la
possibilité d'un recouvrement forcé.
I. Un système spécifique basé sur des corporations d'artisans libres et obligatoires
A. Les différences entre corporations libres et corporations obligatoires
La notion d'entreprise artisanale recouvre, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, une définition différente de celle applicable dans le droit civil, fiscal ou social national : elle désigne une activité correspondant à un « processus de production reposant d'une manière prépondérante sur du travail qualifié » 14 ( * ) . Elle se distingue de toute activité d'exploitation primaire des produits de la nature (agricoles ou miniers), des activités de commerce et de l'activité industrielle. En revanche, le nombre de salariés est sans conséquence sur la qualification artisanale ou industrielle de l'activité.
Dans les trois départements d'Alsace et de la Moselle, les entreprises artisanales sont organisées en corporations. Il en existe deux catégories : les corporations libres et les corporations obligatoires, désormais appelées « corporations article 100 » . La principale différence entre ces deux catégories de corporations repose sur le fait que les corporations libres sont créées par leurs membres et que les professionnels du secteur ne sont pas tenus d'y adhérer.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, on dénombre aujourd'hui 16 corporations en Moselle et 110 dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Les trois quarts des corporations sont obligatoires.
Les deux types de corporations exercent les mêmes missions obligatoires 15 ( * ) qui consistent, conformément à l'article 81 a du code local des professions, à :
- entretenir l'esprit de corps des corporations et l'honneur professionnel de leurs membres ;
- promouvoir des relations fructueuses entre les chefs d'entreprises et leurs commis ;
- compléter la réglementation de l'apprentissage et veiller à la formation technique et professionnelle et à l'éducation morale des apprentis.
A ces missions obligatoires s'ajoutent des missions facultatives , énumérées à l'article 81 b du code local des professions, qui doivent relever de l'intérêt professionnel commun. Elles visent à :
- prendre des mesures en faveur de l'instruction professionnelle, technique et morale des maitres, des commis et des apprentis ;
- organiser des examens de compagnon et de maîtrise et délivrer les attestations relatives à ces examens ;
- créer des caisses de secours et de prévoyance au profit des membres de la corporation et leurs familles, de leurs commis, de leurs apprentis et ouvriers pour les risques de maladie, de décès et d'incapacité de travail ou autres ;
- organiser des activités économiques communes en vue de favoriser les entreprises des membres de la corporation.
Si leurs missions sont identiques, leur objectif est en revanche différent. En effet, les corporations libres , régies par les articles 81 et suivants du code local des professions, sont créées pour développer les intérêts professionnels communs de ses membres tandis que les corporations obligatoires , régies par les articles 100 et suivants du code local des professions, ont pour but de préserver les intérêts communs du métier pour lequel elles ont été créées.
B. Les spécificités des corporations obligatoires : l'affiliation obligatoire et la possibilité d'un recouvrement forcé
Une corporation obligatoire est créée par décision de l'autorité administrative qui doit notamment approuver ses statuts, à condition que la majorité des chefs d'entreprises relevant de l'artisanat intéressé consente au principe de l'affiliation obligatoire . Cette création s'accompagne d'office de la dissolution de toutes les corporations libres d'artisans exploitant la même activité 16 ( * ) , une telle dissolution emportant transfert des biens de la corporation libre à la corporation obligatoire ainsi créée 17 ( * ) .
Les corporations obligatoires jouissent du monopole de la représentation des artisans . Elles constituent l'assise de la représentation des artisans aux chambres de métiers.
Avant 2008, les représentants aux chambres de métiers étaient désignés par les corporations elles-mêmes. Le décret n° 2008-1275 du 5 décembre 2008 18 ( * ) a mis en place un nouveau dispositif d'élection : bien que tous les artisans soient désormais électeurs, ne sont désormais éligibles que les chefs d'entreprise individuelle proposés par leur corporation ou, à défaut de corporation pour le métier concerné, ceux proposés par une organisation professionnelle constituée en vue de défendre les intérêts d'un même métier ou de métiers d'une même branche d'activité, et justifiant l'immatriculation des trois quarts de ses membres au moins au registre des entreprises. |
La loi d'Empire du 26 juillet 1900 a institué le droit, pour les corporations obligatoires, d' affilier d'office les exploitations artisanales de leur ressort ainsi que le droit de recourir à une procédure de recouvrement forcée des cotisations . Sont soumises à l'affiliation aux corporations obligatoires 19 ( * ) les exploitations artisanales qui poursuivent sous une forme artisanale, à titre sédentaire et de manière indépendante, l'activité pour laquelle la corporation a été créée. En revanche, sont exclues les personnes exploitant une activité industrielle. En cas d'affiliation multiple, lorsqu'un exploitant exerce plusieurs activités artisanales, la cotisation due à chaque corporation s'établit au prorata des revenus tirés de chaque activité 20 ( * ) .
Les ressources complémentaires des corporations obligatoires Outre les cotisations obligatoires de leurs membres, les corporations obligatoires peuvent percevoir les revenus de leurs biens , si elles en disposent. En outre, la Chambre de métiers subventionne parfois les corporations pour leur participation à des actions initiées par elle ou auxquelles la chambre participe 21 ( * ) . Ce type de financement, prévu par le code de l'artisanat en faveur des syndicats patronaux, n'est pas prévu, en droit local, en faveur des corporations. Selon les éléments recueillis par votre rapporteur, dans l'esprit du droit local, les corporations, qui préexistent aux chambres, doivent soutenir la chambre de métiers et non l'inverse. L'article 104 du code local des professions prévoit explicitement un soutien aux chambres de métiers lorsque les corporations sont regroupées en fédération. Les corporations peuvent également mettre en place des services payants à destination de leurs membres 22 ( * ) (audits, actions de formation, fourniture de documents, appui technique pour l'application des normes, etc.). Enfin, les corporations peuvent également infliger des amendes à leurs membres ayant contrevenu aux dispositions statutaires 23 ( * ) . Selon les éléments recueillis par votre rapporteur, il semblerait que seules les amendes pour absences non justifiées aux réunions soient appliquées. |
C. L'articulation des missions exercées par les corporations et les chambres de métiers
La chambre de métiers poursuit une mission générale de défense et de promotion du monde artisanal alors que la mission essentielle d'une corporation, libre ou obligatoire , tient à l'organisation et au développement d'un secteur professionnel ou d'un métier donné.
Il a été précisé, par les représentants des corporations et des chambres de métiers à votre rapporteur, qu'une collaboration entre les deux institutions existe dans certains domaines, notamment en matière de formation où les corporations fournissent à la chambre de métiers les experts dont elle a besoin.
Plus globalement, le système d'organisation des professions applicable en Alsace-Moselle est différent de celui applicable dans les autres départements qui repose sur les syndicats professionnels. Les principales différences entre un syndicat professionnel et une corporation de droit local sont de deux ordres :
- d'une part, la corporation est un établissement public tandis que le syndicat professionnel est un organisme de droit privé ;
- d'autre part, la corporation est un instrument de régulation sociale en ce qu'elle représente l'ensemble des parties prenantes d'un métier - employeurs et salariés - et défend les intérêts collectifs d'une profession. Le syndicat professionnel est, quant à lui, un instrument de défense sociale au service d'intérêts privés.
D. La remise en cause des corporations obligatoires par la décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2012
C'est à l'occasion d'un litige relatif à une double affiliation d'un exploitant et au montant des cotisations acquittées qu'une question prioritaire de constitutionnalité a été posée au Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Le requérant formulait quatre séries de griefs à l'encontre des dispositions contestées :
- l'affiliation obligatoire à une corporation et la dissolution des corporations libres qu'entraînaient la création d'une corporation obligatoire portaient atteinte à la liberté d'association , notamment en tant qu'elle protège la liberté de ne pas s'associer ;
- l'obligation d'adhérer et de cotiser à une corporation obligatoire méconnaissait , d'une part, la liberté d'entreprendre et , d'autre part, le droit de propriété ;
- l'absence de version française faisant foi des dispositions contestées portait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution selon lequel « La langue de la République est le français ».
Par sa décision du 30 novembre 2012 24 ( * ) , le Conseil constitutionnel a censuré l'article 100 f (cotisation obligatoire) et le troisième alinéa de l'article 100 s (recouvrement forcé) du code local des professions : le Conseil constitutionnel a jugé que l'existence du régime des corporations obligatoires constituait une atteinte injustifiée à la liberté d'entreprendre 25 ( * ) .
Il a rappelé la double portée de la liberté d'entreprendre 26 ( * ) qui comprend, d'une part, la liberté d'accéder à une profession ou une activité économique et, d'autre part, la liberté dans l'exercice de cette profession ou de cette activité. Si l'adhésion d'office à une corporation ne conditionne pas l'exercice d'une profession, le Conseil constitutionnel a estimé que le cadre corporatiste qu'elle impose entraîne nécessairement une restriction des modalités de l'exercice de celle-ci . En effet, la règlementation professionnelle qui résulte des dispositions applicables aux corporations obligatoires s'applique à l'ensemble des entreprises de l'artisanat, quelle que soit l'activité exercée ce qui se traduit par 27 ( * ) :
- le versement d'une cotisation obligatoire liée à cette affiliation d'office, l'imposition d'obligations par la corporation à ses membres en relation avec les missions qu'elle exerce 28 ( * ) ;
- le droit d'infliger à ses membres des sanctions disciplinaires et des amendes en cas de contravention aux dispositions statutaires 29 ( * ) ;
- le droit de regard que la corporation peut exercer sur la pratique professionnelle, via notamment une habilitation à surveiller par des délégués l'observation des prescriptions légales et statutaires dans les établissements de leurs membres et, notamment, de prendre connaissance de l'état de l'installation des locaux de travail 30 ( * ) .
Le Conseil constitutionnel a également pris en compte l'existence d'un régime d'organisation et de représentation des intérêts de l'artisanat dans les chambres de métiers dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, considérant que les chambres de métiers y assurent la représentation des intérêts généraux de l'artisanat. Ces dernières tiennent les registres des entreprises dont la première section tient lieu de registre des métiers. Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime des corporations constituait un étage supplémentaire de règlementation des professions artisanales qui s'ajoutait à celui existant dans tous les autres départements - chambre de métiers et de l'artisanat - et qui consiste à les regrouper par activité 31 ( * ) . En d'autres termes, il a estimé que la nature des activités relevant de l'artisanat ne justifiait pas le maintien d'une telle réglementation professionnelle imposant à tous les chefs d'entreprises artisanales d'être regroupés par corporation en fonction de leur activité et soumis aux sujétions précédemment décrites .
C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution l'article 100 f et le troisième alinéa de l'article 100 s du code local des professions. Cette décision a pris effet dès la publication de la décision 32 ( * ) . Cette censure a soulevé la question du financement des corporations obligatoires qui, de fait, ont perdu leur qualité « obligatoire » , l'adhésion de ses membres étant désormais libre. Par conséquent, leur régime est proche de celui des corporations libres - d'où leur nouvelle appellation en corporations « article 100 » pour les distinguer de ces dernières - alors même que leurs missions n'ont pas été remises en cause.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, la censure du Conseil constitutionnel s'est accompagnée de la faillite de plusieurs corporations, de la perte, en moyenne, de la moitié de leurs adhérents et d'un manque à gagner évalué à 8 millions d'euros.
II. La mise en place d'un nouveau dispositif de financement des corporations d'artisans
Les articles 1 er et 2 de la présente proposition de loi tendent à fixer de nouvelles modalités de financement des anciennes corporations obligatoires.
Outre les cotisations de leurs adhérents, les corporations « article 100 » bénéficieraient d'une participation facultative des chambres des métiers ( article 1 er ). Selon les éléments recueillis par votre rapporteur, cette participation pourrait prendre deux formes : d'une part, via l'appel d'une participation financière dédiée à la défense des intérêts du métier représenté par les corporations et, d'autre part, par une cession d'une part de la taxe pour frais de chambre de métiers.
Le deuxième alinéa de l'article 1 er précise que la participation des chambres de métiers au financement des corporations d'artisans ne serait pas soumise au plafond prévu par l'article 2 de la loi n° 48-977 du 16 juin 1948 relative à la taxe pour frais de chambre de métiers applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, lui-même modifié par l'article 16 de la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services.
L' article 2 prévoit une deuxième source de financement des corporations, avec la généralisation du recours aux redevances pour services rendus par les corporations obligatoires. Ces dernières peuvent déjà, en vertu du troisième alinéa de l'article 88 du code local des professions, percevoir des redevances pour services rendus, dans des cas très limités (écoles professionnelles, foyers, bureaux de placement, etc.).
La notion de redevances pour services rendus dans la jurisprudence administrative On rappellera que le Conseil d'État, dans une décision de 1958 33 ( * ) , a défini une redevance pour service rendu comme étant « toute redevance demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d'un service public déterminé ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public, et qui trouve sa contrepartie directe dans les prestations fournies par le service ou dans l'utilisation de l'ouvrage ». Dans une jurisprudence plus récente 34 ( * ) , il a jugé qu' « une redevance pour service rendu doit essentiellement trouver une contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ». Le tarif d'une redevance pour services rendus est appliqué à une catégorie d'usagers pour une prestation déterminée, sous la forme d'un barème préétabli et publié. |
L' article 3 prévoit que les conditions d'application de ces dispositions seraient fixées par un décret en Conseil d'État.
À titre personnel, votre rapporteur estime que l'affectation d'une part de la taxe pour frais de chambres de métiers aux corporations « article 100 » pourrait renforcer le caractère dérogatoire du régime applicable en Alsace-Moselle, ce qui serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2011 a consacré l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables en Alsace-Moselle à la condition qu' « à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ». L'affectation d'une imposition aux corporations d'Alsace-Moselle serait considérée, selon votre rapporteur, comme aménageant le régime de ces dernières, dans un sens dérogatoire au droit commun, et non dans le but de procéder à une harmonisation.
M. André Reichardt a rappelé à votre
commission l'importance que revêtait, pour les anciennes corporations
obligatoires, la nécessité de trouver de nouvelles sources de
financement pérennes afin de leur permettre de poursuivre leur mission
d'intérêt général en faveur notamment de
l'apprentissage. Par ailleurs, il a indiqué que ces dispositions avaient
fait l'objet d'une analyse approfondie avec l'ensemble des acteurs
concernés
- corporations et chambres de métiers.
Votre commission a adopté les articles 1 er , 2 et 3 sans modification .
* 14 J. Bourgun, « Artisanat », Jurisclasseur Alsace-Moselle, Fasc. 655, § 17.
* 15 Cf. annexe sur l'exemple de la corporation des électriciens du Centre Alsace.
* 16 Quatrième alinéa de l'article 100 b du code local des professions.
* 17 Article 100 k du code local des professions.
* 18 Décret n° 2008-1275 du 5 décembre 2008 relatif à l'élection aux chambres de métiers d'Alsace et de la Moselle.
* 19 Article 100 f du code local des professions.
* 20 Troisième alinéa de l'article 100 s du code local des professions.
* 21 Actions en faveur de l'apprentissage par exemple.
* 22 Troisième alinéa de l'article 88 du code local des professions.
* 23 Articles 92 c et 96 du code local des professions.
* 24 Décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012.
* 25 Il n'a pas, en revanche, examiné les griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'association ou au droit de propriété. Il a jugé opérant le grief tiré de l'atteinte au principe d'accessibilité de la loi mais, en raison de la censure sur un autre motif, n'en a tiré aucune conséquence.
* 26 Considérant 7.
* 27 Considérant 10.
* 28 Premier alinéa de l'article 88 du code local des professions.
* 29 Article 92 c du code local des professions.
* 30 Article 94 c du code local des professions.
* 31 Considérant 11.
* 32 Considérant 14, soit le 1 er décembre 2012.
* 33 CE, Ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens.
* 34 CE, Ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital, n° 293229.