EXAMEN EN COMMISSION
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I. AUDITION DU MINISTRE
Réunie le mardi 11 février 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'audition de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le projet de loi n° 1721 relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.
M. Michel Sapin, ministre . - Ce projet de loi est riche, dense, et cohérent. Ses dispositions sont techniques car la réforme est profonde.
On aurait pu craindre que les négociations entre partenaires sociaux ne mènent qu'à une réforme partielle de la formation professionnelle, peu aboutie et peu pertinente, comme cela s'est produit, malheureusement, à de nombreuses reprises dans le passé. La formation professionnelle est inadaptée aux enjeux de l'économie française et des entreprises qui ont besoin d'utiliser leur seule véritable richesse, celle des compétences des hommes et des femmes qu'elles emploient. Cette réforme propose aussi une réponse au formidable défi de la promotion individuelle et personnelle, afin de réparer ce fameux ascenseur social dont tout le monde constate les dysfonctionnements.
Pendant des années, après 1971, date de sa mise en place, le système de la formation professionnelle a rendu possible une promotion sociale de grande ampleur et une montée collective en compétences décisive pour toute la société française. Mais la progression s'est tarie ; et bien souvent ne plus progresser signifie régresser. Il fallait réformer.
Je craignais que les partenaires sociaux ne choisissent le plus petit dénominateur commun. Ce ne fut heureusement pas le cas. Ils ont préféré changer de paradigme, grâce à un concept nouveau, le compte personnel de formation (CPF), né avec l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l'emploi et que le projet de loi transforme en réalité tangible.
Beaucoup d'entre nous, sur tous les bancs, souhaitaient un compte personnel attaché à la personne et non plus au statut, portable quelle que soit la situation administrative et d'emploi, quels que soient le cursus professionnel et les accidents éventuels de parcours professionnel, à commencer par le chômage. Il s'agit d'une révolution, aussi profonde que tranquille. Le projet de loi ne traite pas seulement de formation professionnelle : il comporte des avancées significatives en matière de démocratie sociale et de réforme l'inspection du travail.
Il ne s'agit pas pour autant d'un texte fourre-tout, mais d'un ensemble cohérent. En effet, la formation professionnelle inclut l'alternance. Pour réformer globalement, nous devions l'améliorer. Il fallait aussi traiter une question épineuse, qui a donné lieu à de nombreux rapports, parfois secrets, celle du lien, historique, entre le financement de la formation professionnelle et le financement du paritarisme. Beaucoup d'entre nous, quelle que soit notre couleur politique, ont trouvé ce lien étrange, parfois préjudiciable. Le projet de loi, fruit d'un dialogue avec les partenaires sociaux, règle cette question, revenue sur le devant de l'actualité depuis une décision de justice récente. Les deux financements sont chacun confortés, mais rendus indépendants l'un de l'autre. La réforme de la formation professionnelle aurait été incomplète si elle n'avait pas traité cette question.
Le paritarisme et le dialogue social supposent des règles de représentativité claires et incontestables. Dès lors que la loi ouvre de nouveaux espaces de négociation au sein des entreprises, il est nécessaire de disposer de représentants à la légitimité incontestée. Quel est le critère le plus objectif de cette légitimité ? La représentativité. La réforme a été réalisée du côté syndical, grâce à Gérard Larcher, dont je salue l'action. Mais la question de la représentativité patronale restait pendante. Nous comblons ce manque.
Ce texte renforce la décentralisation et le pouvoir des régions. Que n'aurait-on pas dit si une réforme de la formation professionnelle ne traitait ni du pouvoir des régions ni de sa gouvernance au niveau territorial ? C'est au plus près du tissu économique et des besoins des territoires qu'un pilotage a du sens et est efficace.
Quelle aurait été la portée de cette grande réforme si nous ne nous étions pas interrogés sur les moyens de mon ministère pour la faire respecter ? Il fallait renforcer les pouvoirs de mon administration avec une inspection du travail forte et organisée pour répondre aux défis d'aujourd'hui.
Le projet de loi est le fruit du dialogue social : l'accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013 sur la formation professionnelle, de larges consultations sur l'apprentissage, sur le compte personnel de formation, sur la représentativité patronale et sur la réforme du ministère, au cours de laquelle plus de 3 000 agents se sont exprimés. Le projet de loi en tire une vision consolidée, globale et cohérente. Comme la loi de sécurisation de l'emploi, il s'agit d'un texte fondateur, voire refondateur. Telle est ma conviction : la réforme est possible, en France, par le dialogue, avec des gagnants des deux côtés, en dépassant les conflits d'intérêts grâce à la négociation et au compromis, chacun en sortant la tête haute, fier d'avoir contribué à la transformation du système. Il est impossible d'agir avec brutalité et de manière unilatérale. On ne peut réformer qu'avec les acteurs, lorsque ceux-ci mettent leur expertise au profit du changement.
Ce texte, dans le droit fil de la loi de sécurisation de l'emploi, met en oeuvre l'innovation majeure que constitue le compte personnel de formation. Il réoriente les fonds vers ceux qui en ont le plus besoin : les demandeurs d'emploi, les salariés les moins qualifiés, les jeunes en alternance et les salariés des petites entreprises. Il fait également le pari de la responsabilisation des acteurs, avec la suppression du fameux taux de 0,9 % de la masse salariale consacré légalement au plan de formation de l'entreprise. Ainsi, la formation d'adaptation au poste de travail relèvera de chaque entreprise, indépendamment de toute obligation de financement. L'obligation de financer se portera sur d'autres actions de formation professionnelle, d'intérêt général. Nous croyons en la responsabilité des acteurs et nous leur en donnons les moyens.
Avec ce texte, les dépenses de formation ne sont plus considérées comme une obligation légale, mais comme un investissement au sein de l'entreprise, et même indépendamment du statut de la personne. Les chômeurs sont d'anciens salariés mais aussi de futurs salariés. Les entreprises ont intérêt à contribuer à la formation des chômeurs : combien de postes restent vacants, faute de personnel qualifié ?
Ce projet fait le pari du dialogue social, conformément au choix de ce Gouvernement. Au niveau collectif, ce dialogue se nouera avec les institutions représentatives du personnel, dans le cadre de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise sur le plan de formation et l'abondement du CPF, ainsi qu'avec les organisations syndicales, dans le cadre de la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Le volet « démocratie sociale » du projet de loi parachève des années de réflexions sur la représentativité, en tranchant la question laissée pendante de la représentativité patronale, mais aussi en traitant, enfin, la question du financement des partenaires sociaux. Le dialogue social apparaissait trop souvent comme une « boîte noire ». Il sera désormais exemplaire et concernera toutes les organisations syndicales et patronales.
Ce texte apporte ensuite des modifications profondes à la formation professionnelle. L'ANI du 14 décembre dernier, puis le projet de loi, marquent l'aboutissement de dix années de négociations. Une véritable refondation était nécessaire, 40 ans après la grande loi de 1971.
Le compte personnel de formation permettra à chacun de connaître ses droits et de les conserver, quels que soient les changements professionnels. On passe d'un droit déterminé en fonction du statut à un droit attaché à la personne. Aujourd'hui, un jeune au chômage dispose de quelques droits à la formation en s'adressant à la mission locale ; les salariés acquièrent des droits au sein de l'entreprise, mais les perdent en la quittant, à l'exception des dispositions du droit individuel à la formation (DIF) qui fonctionne mal ; quant aux chômeurs, ils ont le moins de droits à la formation. Désormais, une continuité prévaudra, avec un socle minimum et des abondements supplémentaires pour ceux qui en ont le plus besoin.
Le projet comporte plusieurs dispositions sur l'emploi et l'apprentissage. Dans le prolongement de la grande conférence sociale, il s'agit de créer les conditions pour développer l'apprentissage et tenir l'objectif de 500 000 jeunes en apprentissage à la fin du quinquennat en 2017. C'est pourquoi le texte transfère la collecte de la taxe d'apprentissage aux organismes collecteurs paritaires agréés (Opca) et garantit son orientation vers le financement de l'apprentissage, tout en précisant les modalités de sa répartition, comme le Conseil constitutionnel l'a demandé. Il sécurise les parcours professionnels des apprentis, avec, en particulier, la création du contrat d'apprentissage à durée indéterminée qui répond notamment aux attentes des TPE qui souhaitent fidéliser les apprentis qu'elles forment.
Le projet assouplit également le contrat de génération. J'entends beaucoup d'erreurs à ce sujet : il ne s'agit pas d'obliger les entreprises à signer des contrats de génération sous peine d'amende, ce qui serait absurde, mais d'ouvrir plus facilement aux entreprises de 50 à 300 salariés l'accès aux contrats de génération. Ce texte réforme aussi le financement de l'insertion par l'activité économique.
Ces avancées n'auront de portée que si elles sont concrètement appliquées. Ces droits nouveaux ne seront effectifs que s'ils sont respectés. C'est pourquoi le projet de loi comporte un titre III, très commenté, sur la réforme de l'inspection du travail. Le débat au Sénat offrira l'occasion de lever les craintes. L'inspection du travail est une institution centenaire qui fait face à un monde du travail dont les conditions économiques et sociales changent en profondeur. En effet, le véritable décisionnaire économique est souvent une multinationale lointaine, invisible, insaisissable. Or c'est lui qu'il faut atteindre. Nous devons compléter, mais non supprimer, la réponse de terrain par une réponse plus spécialisée. Pourquoi ne pas s'inspirer des pôles de magistrats constitués contre la grande délinquance financière, pour lutter contre le travail illégal ou les abus de détachement des travailleurs européens ? Ces problèmes ne peuvent être traités entreprise par entreprise, il faut une approche globale, tout en maintenant une réponse généraliste et de proximité.
M. Claude Jeannerot, rapporteur. - Merci pour votre pédagogie sur ce texte riche et complexe, destiné à renforcer la compétitivité des entreprises et sécuriser les parcours professionnels. Dans la feuille de route que vous aviez établie lors de la conférence sociale, vous souhaitiez que la réforme bénéficie aux salariés des TPE et aux demandeurs d'emploi. Or beaucoup craignent que cette réforme ne diminue les capacités des PME à mener leurs politiques de formation en raison de la baisse des ressources : ne se fait-elle pas au détriment de leurs salariés ?
Comment cette loi contribuera-t-elle à développer la formation des demandeurs d'emploi, en faveur desquels le Gouvernement s'est mobilisé avec la mise en place des emplois aidés ou des 100 000 formations prioritaires ?
Certains acteurs de la formation professionnelle ont souligné le décalage entre l'entrée en vigueur de la réforme, au 1 er janvier 2015, et la date à partir de laquelle la nouvelle contribution sera collectée, l'année suivante. Comment les nouveaux outils seront-ils financés durant cette année de transition ?
Pourquoi modifiez-vous le régime des contrats de génération ? Quelle sera la portée des nouvelles dispositions ?
Quel sera le rôle du responsable d'unité de contrôle au sein de l'inspection du travail, nouvelle fonction qui suscite de nombreuses inquiétudes chez les agents ? Les critiques sont contradictoires : les entreprises craignent une augmentation de l'arbitraire avec la hausse des pouvoirs des inspecteurs du travail, qui pourront prononcer des amendes, tandis que d'autres craignent la remise en cause de l'indépendance des inspecteurs et des principes posés par la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT).
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté un amendement à l'article 11, autorisant l'Etat à transférer aux régions, selon les modalités fixées par un arrêté ministériel, les immeubles de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), à titre onéreux. Or ce parc est dégradé et de nombreux travaux sont nécessaires. Si le Conseil constitutionnel avait condamné un transfert gratuit en 2009 au privé, il s'agit ici de transferts entre entités publiques. Pourquoi ne peuvent-ils pas être affectés à titre gratuit ?
M. François Patriat, rapporteur pour avis de la commission des finances . - La commission des finances s'est prononcée favorablement sur les articles dont elle s'est saisie pour avis : l'article 9, sur la refonte des dispositifs de collecte ; les articles 9 bis et 9 ter qui tirent les conséquences de la censure, par le Conseil constitutionnel, de la réforme de la taxe d'apprentissage figurant dans la loi de finances rectificative pour 2013 ; l'article 15, relatif à la compensation par l'Etat des transferts de compétences en matière d'apprentissage et de formation professionnelle ; enfin, l'article 18, qui réforme le financement des organisations patronales et syndicales, en créant un fonds paritaire, alimenté par les employeurs, les organismes paritaires et l'Etat, selon des modalités qui seront précisées en loi de finances pour 2015. Nous avons adopté quatre amendements : deux sont rédactionnels, le troisième ne pose pas de difficulté. Le dernier concerne la répartition du quota libre de la taxe d'apprentissage, non affecté par les entreprises : doit-il être réparti par les organismes de collecte de la taxe d'apprentissage (Octa) de manière unilatérale ou par les régions ? Certes, il faut ménager les susceptibilités des organismes paritaires, mais les régions sont les mieux placées pour connaître la situation des centres de formation d'apprentis (CFA). Ceux-ci sont en difficulté, ils peinent à recruter des apprentis et beaucoup licencient. Ils attendent un soutien. Le texte simplifie, clarifie et optimise l'affectation des ressources consacrées aux demandeurs d'emploi. Il définit de nouveaux taux de répartition de la taxe d'apprentissage : en quoi consistent-ils ? Quels sont les avantages pour les régions et pour l'apprentissage ?
M. Michel Sapin, ministre . - Quels sont les publics prioritaires ? Les jeunes, les demandeurs d'emploi, les salariés des TPE-PME, dont l'effort de formation accompagne l'innovation et la montée en gamme.
Beaucoup d'interrogations concernent le financement de la formation dans les PME. La CGPME n'a pas signé l'accord, regrettant l'insuffisance des crédits. Mais les entreprises de moins de dix salariés bénéficient d'un système avantageux. En outre, l'Assemblée nationale a renforcé les moyens des entreprises de plus de 50 salariés, par le biais du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Le CPF bénéficiera aux TPE-PME et non seulement aux salariés, même si ceux-ci en sont les titulaires. Ce sont autant d'éléments qui devraient rassurer les non-signataires. Du côté patronal, le Medef, a signé l'accord, tout comme l'UPA, qui y est très favorable ; seule la CGPME n'a pas signé, après des discussions nourries. Du côté syndical, seule la CGT, après, elle aussi, de nombreux débats, n'a pas signé l'accord. Le CPF est d'ailleurs issu de ses préconisations. L'opposition des non-signataires n'est donc pas absolue.
Avec le CPF, les salariés conserveront leurs droits, y compris en cas de changement d'entreprise ou de chômage. C'est une innovation considérable. Les fonds affectés par les partenaires sociaux aux demandeurs d'emplois vont d'ailleurs augmenter de plus de 50 %.
La date d'entrée en vigueur de la réforme est complexe d'un point de vue technique. D'un point de vue politique, l'ensemble de la réforme sera applicable au 1 er janvier 2015. La contribution sera collectée en 2015, sans décalage, et le CPF sera financé en 2015, même si la montée en puissance du dispositif sera progressive, à mesure que les salariés acquerront leurs droits.
Les entreprises de plus de 300 salariés ont l'obligation de négocier un accord mettant en oeuvre le contrat de génération. Celui-ci remplace les accords sur la place des séniors et la GPEC, tout en incluant la place des jeunes. J'ai laissé du temps aux entreprises pour négocier. Le temps est venu d'appliquer les pénalités prévues par la loi. Des mises en demeure ont été prononcées ; s'il le faut, comme pour les dispositions sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, des sanctions seront prises. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, rien ne change ; le contrat de génération fonctionne très bien. Il est individuel ; le jeune est accompagné d'un tuteur et l'entreprise bénéficie de 4 000 euros d'aides publiques. La mise en oeuvre est immédiate et les partenaires reconnaissent la simplicité du mécanisme. Les partenaires sociaux avaient souhaité instauré une catégorie intermédiaire : dans les entreprises entre 50 et 300 salariés, le contrat de génération est individuel, mais conditionné à un accord de branche ou d'entreprise. Or peu d'accords ont été signés, comme dans la métallurgie ou le bâtiment, mais seuls 5 millions de salariés sont couverts sur 17 millions. J'ai eu beau réunir les partenaires sociaux, rien n'a changé. C'est pourquoi nous avons simplifié et décidé, en accord avec les partenaires sociaux, d'étendre à ces entreprises le mécanisme en vigueur pour les entreprises de moins de 50 salariés. En contrepartie, nous avons rétabli l'obligation, qui était en vigueur avant la loi sur le contrat de génération, de signer un accord, avec des pénalités allant jusqu'à un pour cent de la masse salariale en cas d'absence d'accord. Nous n'avons rien inventé... mais repris le dispositif précédent, les polémiques sont infondées !
L'indépendance de l'inspection du travail repose sur la liberté de chaque inspecteur de signaler au procureur toute atteinte au code du travail. Cette indépendance est garantie par l'OIT, reconnue par le Conseil constitutionnel, ainsi que le Conseil d'Etat, comme un principe général du droit. L'Assemblée nationale a voté un amendement, que j'ai soutenu, qui reprend les principes fondant cette indépendance.
Dans certains cas, pour lutter contre le travail illégal, ou de grands risques sanitaires, comme l'amiante, l'action dispersée de chaque inspecteur sur son territoire n'est pas suffisante. Il faut une coordination : telle est la tâche du responsable d'unité de contrôle. En aucun cas, il ne lui appartient de se substituer à un inspecteur du travail. Il existe aussi des inspecteurs spécialisés aux niveaux régional ou national, comme en matière de lutte contre le travail illégal. Ils ne se substituent pas aux inspecteurs de terrain et les mêmes faits peuvent donner lieu à deux constations différentes, transmises au procureur de la République qui tranche. Enfin, le texte autorise l'inspection du travail à prononcer des sanctions administratives : méthode plus simple, plus efficace, plus rapide. Ce n'est pas une dépénalisation car l'inspecteur du travail conserve toujours la possibilité de saisir la justice. Les polémiques sont là encore infondées.
Enfin, monsieur le rapporteur, le Conseil constitutionnel censurerait une disposition prévoyant un transfert à titre gratuit aux régions des biens mis à la disposition de l'Afpa. Ce transfert doit être réalisé à titre onéreux, fût-ce au prix d'un euro...
M. Claude Jeannerot, rapporteur . - Le Conseil constitutionnel, en 2009, avait censuré un transfert de l'Etat vers l'association privée Afpa. Il s'agit ici d'un transfert entre collectivités publiques.
M. Michel Sapin, ministre . - L'important est de disposer d'un cadre juridique sécurisé. Actuellement, l'Afpa occupe des bâtiments qui ne lui appartiennent pas et qu'elle ne peut porter à son bilan, avec des coûts de fonctionnement élevés.
Monsieur Patriat, la nouvelle répartition de la taxe d'apprentissage sera la suivante : 56 % pour le compte d'affectation spéciale - Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (CAS-FNDMA), 23 %, dénommés le quota, pour les CFA, 21 %, dénommés le barème, pour les formations autres que l'apprentissage. Dès 2015, 100 millions de plus seront consacrés à l'apprentissage, ce qui augmentera avec la hausse de la masse salariale. Car pour la première fois, nous attribuons aux régions une ressource dynamique !
M. Jean-Noël Cardoux . - Ce texte est complexe et dense. Certains, à l'Assemblée nationale ont critiqué un texte fourre-tout. Il va au-delà de la simple transposition de l'ANI. Vous avez ajouté les dispositions sur les comités d'entreprise, le contrat de génération, l'inspection du travail et le contrat d'apprentissage. La réforme de l'apprentissage aurait mérité une concertation plus développée et plus étendue en amont avec les partenaires sociaux.
Quelle sera l'efficacité du dispositif de financement des formations des demandeurs d'emploi grâce au CPF ? La dotation dédiée à la formation des chômeurs par le FPSPP passe de 600 millions à 900 millions d'euros. La baisse de l'obligation légale diminuera les ressources des Opca, affectant d'autant les reversements de leurs excédents au FPSPP. Dans ces conditions, la hausse de 300 millions d'euros est-elle garantie, d'autant que certaines politiques seront touchées comme la sécurisation des parcours professionnels ?
Avec le CPF, les chômeurs éloignés de l'emploi auront droit à 150 heures de formation ; ce n'est pas suffisant. Certes des abondements sont possibles ; mais Pôle Emploi comme les régions, se plaignent de la baisse de leurs ressources. De même, les entreprises pousseront-elles la philanthropie jusqu'à financer la formation des chômeurs ? Ne préféreront-elles pas abonder les CPF de leurs propres salariés, dont elles ont immédiatement besoin ? Au total, l'effort sera-t-il aussi significatif qu'annoncé ?
Le Gouvernement souhaite-t-il n'avoir à négocier qu'avec le seul interlocuteur représentant le patronat ? La CGPME n'a pas signé cet accord. Certaines organisations ne font pas mystère de leur souhait de fusionner les différentes organisations patronales...
M. Michel Sapin, ministre . - Vous voulez dire que le Medef aurait cette intention ?
M. Jean-Noël Cardoux . - Je ne l'invente pas... Comment le Gouvernement réagirait-il en ce cas ?
Pourquoi, en outre, l'Etat se désengage-t-il précipitamment de la formation des personnes handicapées, sans même attendre l'acte III de la décentralisation ?
Tiendrez-vous votre objectif de 500 000 contrats d'apprentissage d'ici à la fin du quinquennat ? J'en doute. La suppression de la prime de 1 000 euros par apprenti pour les entreprises de plus de 10 salariés et du crédit d'impôt apprentissage ainsi que la fin des contrats d'objectifs et de moyens entre l'Etat et les régions et des financements associés, constituent autant de mauvais coups portés à l'apprentissage !
Mme Isabelle Debré . - Ma question concerne l'article 10 : le Gouvernement, visiblement un peu ennuyé par l'application des dispositions de la loi de sécurisation de l'emploi relatives au seuil minimal de 24 heures hebdomadaires pour les salariés à temps partiel, a décidé de la reporter au 30 juin 2014. D'où une application à géométrie variable, selon que les salariés auront signé leur contrat de travail entre le 1 er et le 21 janvier, entre le 22 janvier et le 30 juin, ou avant le 1 er janvier 2014. Il en résulte une insécurité juridique et une inéquité de traitement. Ne serait-il pas souhaitable que les partenaires sociaux se remettent autour d'une table pour reconsidérer ces dispositions inapplicables à certaines professions ? La réforme des rythmes scolaires, qui rendra nécessaire l'emploi de personnes pour moins de 24 heures par semaine, n'incline-telle pas à davantage de souplesse ? L'accepterez-vous ?
Mme Catherine Génisson . - En matière d'égalité professionnelle, la formation professionnelle reste discriminante. L'Assemblée nationale a fait avancer les choses. Sur le temps partiel, s'il est vrai que le plancher de 24 heures est parfois difficile à appliquer, il faut s'en tenir à cet objectif : c'est une question de dignité, d'autant que la loi autorise de nombreuses dérogations.
Le CPF est alimenté au prorata du nombre d'heures travaillées. Ne peut-on améliorer ces dispositions au bénéfice des hommes et des femmes qui travaillent à temps partiel ?
Mme Gisèle Printz . - Comment le CPF sera-t-il mis en place pour les salariés de droit privé exerçant dans la fonction publique, tels les auxiliaires de vie scolaire embauchés par l'éducation nationale ?
M. Jean-Claude Leroy . - Les 150 heures représentent un progrès par rapport au DIF. Ne peut-on aller au-delà, pour les salariés les moins qualifiés, pour qui la formation peut être un moyen de diminuer l'exposition aux facteurs de pénibilité ?
M. Georges Labazée . - Le CPF s'appliquera-t-il au personnel dit « TOS » (technicien, ouvrier et de service) exerçant dans les établissements d'enseignement du second degré ? L'article de la loi de finances rectificative sur la taxe d'apprentissage précédemment censuré est-il repris dans le texte ?
Mme Annie David, présidente . - La portabilité du CPF sera-t-elle étendue au CIF ? Quant aux « RUC » (responsables d'unité de contrôle) de l'inspection du travail, quel sera le périmètre de leurs fonctions ?
M. Michel Sapin, ministre . - Le CPF a vocation à être universel ; il l'est pour le secteur privé, il s'applique aux chômeurs et aux jeunes sans formation. Il ne l'est pas pour l'instant dans le secteur public, même si le Gouvernement va engager des négociations avec les partenaires sociaux pour qu'il en soit ainsi. Il y a des carrières qui alternent passages dans le public et le privé. La portabilité n'est pas encore effective à cet égard. Elle a vocation à le devenir. Quant au cas des indépendants, il nécessitera des négociations avec les partenaires sociaux.
Les 120 heures représentaient, pour le DIF, un plafond. Le DIF fut une grande idée, puis un grand échec. Les 150 heures forment un plafond-socle : plafond au titre du CPF, auquel s'ajoutent des droits à formation. On passe, à partir de ce plafond, à l'étage supérieur, grâce à une échelle, fournie par les accords de branche, Pôle emploi, les régions et d'autres organismes qui le complètent pour des publics prioritaires comme les personnes handicapées... Le temps partiel concerne à 80 % les femmes. Il y aura donc des compléments. Le plafond-socle est proportionnel au nombre d'heures, mais sera abondé, pour les publics prioritaires : 150 heures, cela peut paraître peu, mais avec les dispositifs complémentaires, on peut aboutir à plusieurs milliers d'heures.
N'attendons pas la loi qui sera consacrée à la décentralisation, c'est maintenant qu'il faut aborder la formation professionnelle. En la matière, j'applique un principe simple : non pas « je donne et je retiens », mais je transfère toute la compétence. Président de région, j'ai connu les doublons et des circuits longs et onéreux : clarifions, simplifions ! La formation professionnelle de publics spécifiques, comme les détenus, restait de la compétence de l'Etat. Nous transférons tout, y compris la formation professionnelle des Français de l'étranger, à laquelle s'appliqueront des conditions particulières. Toute la formation, tout l'apprentissage seront transférés : on saura à qui adresser récriminations ou félicitations !
Il existe, madame la présidente, un CIF-CDI et un CIF-CDD : dans les deux cas, les heures acquises au titre du compte pourront le compléter. Ils ne répondent toutefois pas exactement à la même logique.
L'objectif du responsable d'unité de contrôle sera de coordonner l'action de l'inspection du travail sur un territoire donné en respectant l'indépendance absolue de chaque agent de contrôle. Il pourra être lui-même un inspecteur, sur un petit territoire, mais il n'agira jamais à la place d'un autre inspecteur.
J'en viens à la représentativité patronale : nous mettons en place des critères objectifs comme le nombre d'adhérents. Quel sera le résultat, au bout du compte ? Nul ne le sait avec certitude. Mais l'organisation qui me paraît la plus inquiète par la réforme n'est ni la CGPME, ni l'UPA. Je suis persuadé que les trois organisations patronales qui sont représentatives aujourd'hui le resteront, même si le rapport de force s'affinera. Ce n'est pas tant le niveau interprofessionnel qui comptera, que celui de la branche. C'est là que peuvent intervenir des changements de rapports de force. Tout le monde aura intérêt à avoir beaucoup d'adhérents...
Pour le temps partiel, les 24 heures résultent, non pas de la volonté du Gouvernement, mais d'un accord entre les partenaires sociaux, que je respecte en tant que tel. Le cas d'un salarié qui demande à travailler moins de 24 heures est déjà prévu dans le projet de loi : attention à ne pas prétendre que celui-ci l'interdirait ! Pour déroger aux 24 heures, il faut un accord de branche. Un très bel accord vient d'être signé dans le secteur de la restauration rapide, par les cinq organisations syndicales représentatives. Il est donc possible de discuter et de conclure des accords, même si cela n'a pas encore été possible dans tous les secteurs. Je pense en particulier aux emplois à domicile, où l'organisation du dialogue social dans la branche est difficile. Il faut laisser un peu de temps... Je respecte scrupuleusement la volonté des partenaires sociaux.
Mme Isabelle Debré . - Et sur la rupture d'égalité ?
M. Michel Sapin, ministre . - Je ne crains pas cela. Les contrats en cours sont toujours valables, bien sûr, mais je constate qu'il n'y a de toutes façons pas beaucoup d'embauches entre le 1 er janvier et le 21 janvier.
Mme Isabelle Debré . - Je souhaite bonne chance à notre rapporteur, qui devra, une fois de plus, faire preuve de ses talents de magicien, en rendant son rapport demain matin, alors que l'audition du ministre vient de s'achever. Nos conditions de travail sont très difficiles, pour la majorité comme pour l'opposition.
Mme Annie David, présidente . - En effet, notre commission est soumise de plus en plus souvent à des conditions difficiles et à des textes en procédure accélérée.