EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 14 novembre, sous la présidence de M. Jean Germain, secrétaire, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 75 et 76).

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » constitue l'un des piliers budgétaires de notre système de solidarité nationale à l'égard des personnes les plus démunies, des personnes handicapées, des personnes sous tutelle ou encore des femmes victimes de violence. Elle est importante en termes budgétaires, puisqu'elle rassemble, pour 2014, plus de 13,4 milliards d'euros de crédits.

La mission est caractérisée par la prépondérance des dépenses d'intervention, qui représentent près de 90 % des dépenses de la mission. Parmi celles-ci, les dépenses contraintes de guichet sont très majoritaires : il s'agit notamment du revenu de solidarité active (RSA) pour sa partie « activité », de la protection juridique des majeurs, de la garantie de rémunération aux travailleurs handicapés et, surtout, de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui représente à elle seule 8,4 milliards d'euros, soit plus de 62 % du total des crédits de la mission.

De façon générale, les dotations de la mission augmentent d'environ 3 % par rapport à la loi de finances pour 2013. Cependant, cette augmentation masque des réalités différentes. Certes les dépenses contraintes augmentent, sous l'effet des revalorisations annuelles du montant des prestations et de la progression normale du nombre des bénéficiaires. Mais les dépenses d'intervention pilotables diminuent tout comme les dépenses de fonctionnement et de personnel de l'administration.

Le premier programme est le programme 304 consacré à la lutte contre la pauvreté, en particulier à travers le RSA. Je rappelle que le RSA est pris en charge, pour sa partie socle, par les départements, et par l'Etat pour la partie « activité ». Ce « RSA activité », qui complète les revenus des travailleurs modestes, est financé par le fonds national des solidarités actives (FNSA) qui est alimenté par deux sources : une contribution additionnelle sur les revenus du patrimoine et de placement, et une subvention d'équilibre de l'Etat, portée par le programme 304.

Dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté présenté en janvier de cette année par le Premier ministre, deux principales réformes ont été annoncées concernant le « RSA activité » : d'une part une réforme structurelle visant à mettre fin au phénomène du « non-recours », puisque deux tiers des personnes qui pourraient avoir droit au « RSA activité » n'en bénéficient pas, et d'autre part une revalorisation exceptionnelle de 10 % sur cinq ans du montant du RSA.

Je suis moi-même favorable à ces évolutions. Pour mettre fin au non-recours, il faut simplifier et même automatiser le « RSA activité », alors que son obtention nécessite aujourd'hui des démarches complexes. Notre collègue député Christophe Sirugue a rendu un rapport sur le sujet afin de fusionner « RSA activité » et prime pour l'emploi ; cela constitue une bonne base de travail, et il est impératif que la réforme soit engagée l'année prochaine.

La revalorisation, quant à elle, a été engagée, avec une augmentation exceptionnelle de 2 % en septembre, qui devrait se répéter l'année prochaine. En conséquence, la dépense totale de « RSA activité » est prévue en hausse de près de 9 %, soit 150 millions d'euros. Cette hausse est intégralement prise en charge par la subvention de l'Etat, qui passe de 373 millions d'euros à 544 millions d'euros en 2014, soit une augmentation de 45 %.

Par ailleurs, les autres dépenses du FNSA sont relativement stables, qu'il s'agisse du RSA « jeunes », du « RSA activité » pour les départements d'outre-mer et la prime de Noël.

S'agissant de l'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE), au sujet de laquelle j'ai présenté à la commission des finances un rapport de contrôle il y a quelques semaines, je constate que les crédits programmés, pour un montant de 35 millions d'euros, ne représentent pas même la moitié des crédits consommés les années antérieures, soit 75 millions d'euros. Je ne vous propose pas d'amendement de crédits sur le sujet, car aucun programme n'est à même de fournir l'appoint nécessaire.

En revanche, je proposerai, à titre personnel, un amendement à l'article 39 du projet de loi de finances, pour rétablir à 1,45 % le taux de la contribution additionnelle alimentant le FNSA. En effet, ce taux est abaissé à 1,37 % par cet article : il s'agissait de compenser l'élargissement de l'assiette des revenus de placement et du patrimoine prévu par l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui devait rapporter 109 millions d'euros au FNSA. Cependant, le Gouvernement ayant annoncé son intention de supprimer cet article 8, il y a un « trou » dans les ressources du FNSA qu'il faut compenser ; en outre, cela permettrait de flécher une partie de ce surcroît de recette vers l'APRE.

Sur le programme 304, je souhaite appeler votre attention sur les crédits relatifs à l'aide alimentaire : ils sont stables autour de 23,4 millions d'euros, mais une incertitude continue de peser, qui est liée à la mise en oeuvre du nouveau fonds européen, dont les montants pour la France ne sont pas encore connus. Si cet apport européen n'était pas à la hauteur des années précédentes, un abondement en gestion devra être envisagé.

J'en viens au programme 105 relatif aux familles vulnérables. Les subventions aux associations sont en baisse, car certaines actions de médiation familiale ont été transférées à la caisse nationale d'allocations familiales. En revanche, la protection juridique des majeurs continue de progresser pour atteindre une dépense de 238 millions d'euros en 2014, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2013, sous l'effet de l'augmentation du nombre des majeurs dépendants.

Le programme 157 relatif au handicap et à la dépendance est le plus important de la mission, avec 11,4 milliards d'euros de crédits. Il comporte trois principales enveloppes.

La première est celle de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), soit 8,4 milliards d'euros en 2014. Le cap du million de bénéficiaires de l'AAH a été franchi en 2013 ; son montant, à taux plein, est de 790 euros par mois. La dépense progresse de façon spontanée de 247 millions d'euros en 2014.

La deuxième enveloppe est celle de la dotation de fonctionnement et de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés en établissements et services d'aide par le travail (ESAT), pour un total de 2,7 milliards d'euros : elle est relativement stable, le Gouvernement repoussant cette année encore la création de nouvelles places en ESAT.

Enfin, la troisième concerne la contribution de l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), pour environ 64 millions d'euros. Je souligne, à cette occasion, que les dysfonctionnements des MDPH perdurent, en particulier les délais d'instruction des demandes et l'absence totale de suivi des dossiers. Il est urgent de mettre sur pied un dispositif informatique de suivi partagé entre les MDPH, l'Etat et les ESAT, pour améliorer la prise en charge des personnes handicapées.

S'agissant du programme 137 relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, la principale évolution concerne la création d'une action dédiée à la lutte contre la prostitution, qui sera alimentée à hauteur de 2,4 millions d'euros par transfert interne mais devrait prendre de l'ampleur à la suite du débat attendu au Parlement l'année prochaine.

Enfin, le programme 124, programme « support » de la mission, représente 1 milliard et 536 millions d'euros de crédits pour 2014, en baisse de 1,5 % par rapport à 2013. Cette baisse globale traduit des réductions importantes dans les dépenses de fonctionnement courant et les dépenses d'investissement. Elle résulte également des suppressions de postes, qui s'accélèrent par rapport aux années antérieures puisque 210 équivalents temps plein (ETP) sont supprimés en 2014 dans les administrations de l'Etat, à quoi s'ajoutent 150 suppressions d'ETP dans les agences régionales de santé. De plus, ces suppressions se concentrent sur l'administration déconcentrée et sur les catégories B et C. Je suis fermement opposé à cette politique de réduction des effectifs, qui remet en cause la mise en oeuvre de la politique de solidarité sur le terrain.

Au total, sur l'ensemble de la mission, je ne peux qu'être défavorable à l'adoption d'un budget qui, même s'il est globalement en augmentation sous l'effet des dépenses contraintes, sacrifie les dépenses d'intervention pilotables et pourtant utiles, à l'image de l'APRE, ainsi que les dépenses de fonctionnement et de personnel.

J'en viens aux deux articles rattachés à la mission.

Le premier, l'article 75, résulte en réalité d'une erreur de rattachement puisqu'il s'agit de l'aide versée aux collectivités et organismes gestionnaires d'aires d'accueil des gens du voyage. Il aurait sans doute dû être rattaché à la mission « Egalité des territoires, ville et logement », même s'il participe de la même philosophie de protection des personnes vulnérables.

Cet article part du constat que cette aide aux gestionnaires d'aire d'accueil est calculée uniquement sur la base des places disponibles, sans prise en compte de l'occupation effective des places. Le nombre de places ayant beaucoup augmenté - bien qu'insuffisamment dans certaines zones -, le coût de l'aide pour l'Etat a plus que doublé entre 2007 et 2011 et a atteint 34,9 millions d'euros, alors que le taux d'occupation a baissé et s'établit à seulement 55 %. L'objectif de l'article est donc principalement de prévoir que l'aide est également calculée en fonction de l'occupation effective des places, ce qui devrait permettre d'économiser 6 millions d'euros en 2014, dont 3 millions d'euros pour l'Etat.

Le second article, l'article 76, est quant à lui au coeur de la mission puisqu'il est relatif au « RSA jeunes ». Le « RSA jeunes » ne trouve pas son public : le nombre de bénéficiaires a même baissé entre 2012 et 2013 et s'établit aujourd'hui à moins de 9 000 personnes. Dans l'attente d'une réforme du RSA qui intègre une composante « jeunes actifs », cet article propose que les dépenses de la partie socle du « RSA jeunes » soient intégralement portées par le FNSA, c'est-à-dire par l'Etat, plutôt que par les départements.

Je suis favorable à ces deux articles rattachés et vous en propose l'adoption sans modification.

M. François Marc, rapporteur général . - Je remercie le rapporteur spécial pour sa présentation synthétique et claire, mais je ne partage pas sa position sur les crédits de la mission, que j'appelle la commission à voter. Nous savons bien que, dans cet exercice budgétaire, toutes les missions, sauf quelques-unes considérées comme prioritaires, sont appelées à contribuer à l'effort de redressement des comptes publics.

M. Philippe Dallier . - Voilà des années que, de rapports en rapports, on envisage la fusion du « RSA activité » et de la prime pour l'emploi (PPE). Avez-vous pu obtenir des engagements précis de l'administration sur ce sujet au cours de vos auditions ? Parmi les causes probables de l'important non recours au « RSA activité », qui devait initialement bénéficier à environ 2 millions de personnes, il y a en effet la complexité des démarches et la méconnaissance du dispositif ; au contraire, la PPE est automatique. Par ailleurs, si la fusion est réalisée, ce que l'on peut espérer, a-t-on une idée du coût supplémentaire que cela représenterait ?

M. Vincent Delahaye . - Je suis surpris par ce budget et cette augmentation de 3 % des crédits. Certes, ce sont des dépenses contraintes qu'on ne maîtrise pas ; mais l'augmentation est aussi due à des décisions prises, comme la revalorisation de 2 % du RSA en 2013, qui sera prolongée d'après le rapporteur spécial. Je crois que l'un des problèmes de la France est sa générosité excessive. Avec 3 % d'augmentation des crédits, je crois que c'est la mission qui augmente le plus sur toutes celles qui nous été présentées jusqu'ici : pourtant, elle ne figure pas dans les priorités du Gouvernement ! Il est grand temps de faire les réformes structurelles s'agissant, notamment, du RSA, et ainsi d'assainir nos finances publiques.

Par ailleurs, même si le rapporteur spécial s'oppose à la réduction des effectifs, je constate quant à moi que la mission porte environ 11 000 équivalents temps plein, pour un budget total d'environ 13 milliards d'euros ; selon mes rapides calculs, cela fait un agent pour 150 personnes. Je pense que les effectifs sont trop importants et que l'on devrait les réduire de façon plus drastique. Je voterai donc contre le budget qui nous est proposé.

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial . - Le constat de l'impressionnant taux de non recours au « RSA activité » est en effet dressé chaque année : le dispositif présente manifestement un dysfonctionnement ou une inadaptation aux besoins. Les choses avancent, même s'il n'y a pas encore de calendrier. Le rapport de notre collègue député Christophe Sirugue préconise la fusion avec la PPE, avec cette idée d'importer dans le dispositif du RSA les avantages et la simplicité de la PPE. Lors de la réunion de la commission élargie de l'Assemblée nationale le 29 octobre dernier, Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de lutte contre l'exclusion a rappelé que l'arbitrage aurait lieu lors de la préparation du triennal 2015-2017 et que le dispositif serait opérationnel début 2015 ; cela laisse une année de transition dommageable, mais tel est l'engagement du Gouvernement aujourd'hui.

Pour répondre à Vincent Delahaye, je ne pense pas que la France soit trop généreuse. Vous avez lu comme moi les rapports du Secours catholique ou de l'INSEE, qui illustrent la progression de la pauvreté : il faut, je crois, conserver nos dispositifs de solidarité pour assurer la cohésion de notre société. S'agissant des 11 000 ETP, ces emplois ne correspondent pas uniquement aux politiques financées par la présente mission, mais constituent également le support d'autres programmes et d'autres politiques.

M. Aymeri de Montesquiou . - Comment est-ce possible ? C'est un chevauchement contraire au principe de la LOLF d'identification des politiques par mission...

M. Éric Bocquet . - Un exemple : les personnels mettant en oeuvre les politiques du sport, de la jeunesse et de la vie associative, ou encore ceux mettant en oeuvre les politiques de la ville et du logement, sont portés par cette mission, même si la politique en question correspond à une autre mission budgétaire.

M. François Marc, rapporteur général . - Je souhaite réaffirmer ma position : j'invite la commission à adopter ces crédits. D'un côté, le rapporteur spécial, qui considère qu'il y a une réduction de moyens et d'effectifs qui pourrait à terme remettre en cause l'efficacité des services, s'oppose à l'adoption des crédits. De l'autre, d'autres collègues considèrent qu'il y a là trop de solidarité. En réalité, du fait des revalorisations annuelles des dispositifs de guichet, il y a une augmentation du nombre des bénéficiaires et du coût des prestations, ce qui induit en effet une augmentation spontanée des dotations de la mission. Je pense qu'il y a un effort global à fournir qui, sur cette mission, peut porter sur les effectifs de l'administration pour préserver les aides versées aux personnes les plus modestes, personnes handicapés, familles vulnérables, allocataires du RSA. Dans un contexte dépressif, il est normal d'aider au moins à hauteur de l'inflation ces publics fragiles. Je crois qu'il faut accompagner l'effort de solidarité marqué par ce budget ; c'est la spécificité de notre pays, alors que ce sont ces programmes de solidarité qui font l'objet de coupes claires dans d'autres pays, notamment les États-Unis.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ainsi que des articles 75 et 76 .

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption sans modification des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » ainsi que celle des articles 75 et 76 du projet de loi de finances pour 2014.

Page mise à jour le

Partager cette page