II. UNE RÉFORME AMBITIEUSE, INSCRITE DANS UN MOUVEMENT GLOBAL EN FAVEUR D'UNE MEILLEURE TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE ET ÉCONOMIQUE
A. UN CADRE NATIONAL ET INTERNATIONAL PROPICE
Les présents projets de loi s'inscrivent dans un mouvement plus ample tendant à replacer le principe d'égalité au coeur de l'action publique.
Comme l'a rappelé M. Bernard Cazeneuve, ministre chargé du budget, lors de son audition par votre commission, des progrès notables ont été récemment réalisés au niveau de l'Union européenne pour généraliser le principe de l'échange automatique d'informations entre États membres. Une liste européenne commune d'États et de territoires non coopératifs , permettant à l'Europe de « déclarer la guerre aux paradis fiscaux », est également en cours d'élaboration.
Par ailleurs, sur l'impulsion des États-Unis qui ont adopté en 2010 une loi dite « FATCA » 13 ( * ) obligeant les banques des pays ayant accepté un accord avec le gouvernement américain à communiquer à l'administration tous les comptes détenus par des citoyens américains, des engagements importants ont récemment été pris dans le cadre du G8 pour développer les échanges automatiques d'informations entre États.
En France, les présents projets de loi doivent par ailleurs être replacés dans l'ambitieux mouvement de réformes engagé par le Gouvernement pour améliorer la transparence de la vie publique et économique. Ainsi le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, en cours d'examen par le Parlement, vise-t-il notamment à imposer davantage de transparence aux établissements financiers. Les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique comportent d'importantes mesures relatives à la prévention des conflits d'intérêts, tandis que le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature et le projet de loi relatif aux relations entre le ministre de la justice et le parquet visent à apporter une réponse aux critiques récurrentes dont fait l'objet le statut du ministère public en France.
B. UNE RÉFORME DÉDIÉE AU RENFORCEMENT DES MOYENS DE LA JUSTICE DANS LE DOMAINE DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Les 21 articles du projet de loi ordinaire initial- tel que complété par la lettre rectificative du Premier ministre - et l'article unique du projet de loi organique proposent trois séries de mesures afin de renforcer significativement les moyens de la justice dans le domaine de la lutte contre la fraude et la délinquance économique et financière.
1. Une réorganisation des juridictions
Le projet de loi ordinaire propose une simplification du dispositif juridictionnel spécialisé en matière de délinquance économique et financière par la suppression du maillon qui s'est avéré - il est vrai faute de moyens suffisants - le moins pertinent dans le traitement de la délinquance économique et financière : les juridictions régionales spécialisées (JRS) ( article 13 ). Parallèlement, le critère de la « très grande complexité » des affaires serait supprimé, ce qui permet de conférer aux JIRS l'ensemble des affaires de « grande complexité » et de supprimer la confusion résultant de l'existence de ces deux critères difficiles à distinguer.
En outre, il prévoit la mise en place d'un échelon national en matière économique et financière en plaçant, aux côtés du procureur de la République du Tribunal de grande instance de Paris, un nouveau « procureur de la République financier » à compétence nationale concurrente pour les infractions économiques et financières (article 15) . Il se verrait également confier une compétence exclusive en matière de délits boursiers , auparavant dévolue au procureur de la République de Paris.
Le projet de loi organique modifie l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature afin que ce nouveau magistrat puisse être désigné pour sept ans, comme les autres procureurs de la République près les tribunaux de grande instance .
Cette réforme ne consiste donc pas en l'instauration d'une juridiction ad hoc , puisque les juges d'instruction et TGI de Paris et le tribunal correctionnel de Paris resteraient compétents en matière économique et financière, seul le parquet étant, en quelque sorte, scindé en deux. La nouvelle organisation diffère également de celle retenue en matière de terrorisme, dans laquelle le procureur de la République, le juge d'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent une compétence concurrente pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions.
Selon le Gouvernement, les avantages attendus de cette structure inédite dans notre ordre juridictionnel sont les suivants :
- l'autonomie des moyens consacrés à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière serait davantage garantie , les magistrats du parquet financier se consacrant exclusivement à cette délinquance. Un greffe sera également dédié à ce parquet spécialisé ;
- la visibilité de la lutte contre la fraude fiscale et la corruption sera accrue ;
- l'identification du nouveau procureur de la République financier comme un interlocuteur privilégié vis-à-vis des services d'enquête nationaux et des autorités judiciaires étrangères.
Par ailleurs, l'article 16 du projet de loi ordinaire prévoit que le procureur de la République financier pourra bénéficier du concours des assistants spécialisés , personnels reconnus pour leur apport précieux au sein des pôles économiques et financier et des JIRS qui les emploient (cf. l'encadré ci-dessus).
Les éventuels conflits de compétence entre le procureur de la République de Paris et le procureur de la République financier seraient réglés par le procureur général près la cour d'appel de Paris, à qui le projet de loi confie l'animation et la coordination, en concertation avec les autres procureurs généraux, de l'ensemble du dispositif national de lutte contre la délinquance économique et financière.
Enfin, le projet de loi ordinaire tend à adapter le code de l'organisation judiciaire à la création du procureur de la République financier afin d'assurer la spécialisation de ce magistrat et de ses substituts au sein du tribunal de grande instance de Paris, pour les seules affaires économiques et financières .
2. Un renforcement de l'arsenal judiciaire de lutte contre la fraude fiscale
Le projet de loi ordinaire propose diverses mesures destinées à renforcer l'arsenal judiciaire de la lutte contre la fraude fiscale.
Le champ du délit de fraude fiscale aggravé serait étendu aux faits commis en bande organisée ou par le recours à des manoeuvres complexes, impliquant notamment l'existence de comptes ou de structures juridiques à l'étranger. Les peines seraient significativement augmentées : sept ans d'emprisonnement et deux millions d'euros d'amende ( article 3 ).
Le champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale serait élargi au blanchiment de fraude fiscale ( article 2 ), le champ de l'enquête judiciaire fiscale serait étendu ( article 3 ) et la police judiciaire se verrait autorisée, sous le contrôle de l'autorité judiciaire naturellement, à recourir aux « techniques spéciales d'enquête » que sont la surveillance, l'infiltration, les sonorisations, la garde à vue de quatre jours, etc., pour démasquer les faits de fraude fiscale aggravée ( article 16 ).
À la suite de deux arrêts de la chambre commerciale du 31 janvier 2012 de la Cour de cassation rendus dans l'affaire « HSBC » 14 ( * ) , annulant des visites domiciliaires autorisées sur la base de preuves illicites, l'administration fiscale pouvait se trouver bloquée dans certaines de ses investigations. Dès lors, l'article 10 prévoit la possibilité, pour l'administration fiscale, de s'appuyer sur les preuves d'origine illicites pour déclencher certaines de ses procédures de contrôle, à condition que ces preuves aient été transmises par l'autorité judiciaire.
Enfin, l'article 11 permet à l'administration fiscale d'opérer des saisies simplifiées en vue du recouvrement des créances publiques sur les sommes rachetables d'un contrat d'assurance-vie.
3. Une amélioration de la lutte contre la délinquance économique et financière
Répondant à une demande de longue date des associations, l'article 1 er du projet de loi ordinaire vise à permettre aux associations engagées dans la lutte contre la corruption de se constituer partie civile devant les juridictions pénales et, ainsi, de mettre en mouvement l'action publique pour des faits de corruption ou d'atteintes à la probité que le ministère public n'aurait pas poursuivis.
Les articles 4 à 9 du projet de loi comportent diverses améliorations importantes au régime des saisies et des confiscations pénales.
Rappelons que le régime de ces dernières a été entièrement rénové par la loi n°2010-768 du 9 juillet 2010. Autorisant les juridictions à saisir, selon des modalités simplifiées, tout bien ou actif susceptible de faire l'objet d'une décision pénale de confiscation, cette loi a créé une Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) qui, depuis le 4 février 2011, épaule les juridictions dans leur activité et exécute pour elles un certain nombre de saisies ou de confiscations complexes. Les saisies et confiscations pénales, en ce qu'elles « frappent le délinquant au portefeuille », constituent un instrument particulièrement adapté de lutte contre la délinquance économique et financière.
* 13 Pour “Foreign Account Tax Compliance Act”.
* 14 Cass. Com., 31 janvier 2012, 11-13.097 et 11-13.098.