II. DES MARGES DE MANoeUVRE ÉTROITES
L'examen du présent projet de loi offre relativement peu de marges de manoeuvre au Parlement : en effet, la transposition des textes communautaires et la mise en oeuvre des engagements internationaux de la France relèvent d'une exigence constitutionnelle qui s'impose au législateur comme à l'ensemble des pouvoirs publics.
Le Parlement doit cependant jouer son rôle dans la détermination des moyens les plus opportuns de parvenir aux objectifs souscrits par la France.
A. L'ADAPTATION DE LA LOI AUX ENGAGEMENTS COMMUNAUTAIRES ET INTERNATIONAUX DE LA FRANCE : UNE EXIGENCE CONSTITUTIONNELLE
De façon générale, le législateur tient de l'article 55 de la Constitution 6 ( * ) l'obligation de prendre les mesures législatives nécessaires pour appliquer le droit issu des conventions internationales régulièrement introduites dans l'ordre juridique français, dès lors que les mesures prescrites relèvent du champ de compétence de la loi.
1. Des lois de transposition du droit communautaire soumises à un contrôle spécifique
Cette exigence se manifeste avec une force accrue s'agissant de la transposition des textes adoptés dans le cadre de l'Union européenne, et plus particulièrement des directives communautaires et des anciennes décisions-cadre, qui - à l'inverse des règlements qui s'appliquent directement dans les États membres - nécessitent pour leur entrée en vigueur l'édiction de mesures nationales de transposition.
La transposition des textes communautaires prévue par le présent projet de loi est ainsi susceptible d'être soumise au contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne selon deux modalités :
- le défaut de transposition (ou la mise en oeuvre imparfaite) d'une directive, adoptée selon la procédure législative ordinaire (voir supra ), peut être soumis au contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne par la voie du recours en manquement , saisie par la Commission européenne, « gardienne des traités », ou par un autre État membre. Cette procédure en plusieurs temps peut conduire à l'édiction de pénalités financières très importantes pour les États membres concernés 7 ( * ) ;
- le défaut de transposition d'une décision-cadre, qui représentait, dans le domaine de l'ancien « troisième pilier », l'équivalent des directives (voir supra ), devrait également, à terme, pouvoir être contesté devant la Cour de justice selon les mêmes modalités. Néanmoins, l'article 10 du protocole n° 36 au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne a limité l'extension du pouvoir de la Cour s'agissant des actes adoptés antérieurement à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne pour une période transitoire de cinq ans : aux termes de ces stipulations, les mesures nationales de transposition des décisions-cadre adoptées avant le 1 er décembre 2009 ne pourront être soumises au contrôle de la Cour de justice qu'à compter du 1 er décembre 2014 .
Dans tous les cas, la constitutionnalité des dispositions législatives visant à mettre en oeuvre le droit communautaire ne saurait être contestée devant le Conseil constitutionnel que dans des cas très restrictifs. Celui-ci, se fondant sur l'article 88-1 de la Constitution , qui dispose que « la République participe à l'Union européenne », a en effet considéré que « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution ; qu'en l'absence d'une telle disposition, il n'appartient qu'au juge communautaire, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du Traité sur l'Union européenne » (décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004).
Ce raisonnement le conduit à se déclarer incompétent pour connaître de la conformité à la Constitution de dispositions législatives « qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises » d'une directive communautaire (décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006).
Dès lors, son contrôle ne saurait porter que sur « celles de ces dispositions législatives qui procèdent de l'exercice, par le législateur, de la marge d'appréciation que prévoit l'article 34 du Traité sur l'Union européenne, dans sa rédaction alors applicable ». Dans cette décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013 (rendue au visa de l'article 88-2 de la Constitution, relatif au mandat d'arrêt européen), le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, décidé de saisir directement la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de déterminer, avant de se prononcer, si les dispositions contestées devant lui devaient être regardées comme découlant nécessairement d'une obligation posée par le droit communautaire.
Cette récente décision permet de préciser davantage l'articulation de l'intervention des juges constitutionnel et communautaire dans le contrôle des lois de transposition des directives communautaires.
* 6 Qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».
* 7 Comme l'a par exemple indiqué le ministre chargé des affaires européennes lors d'une communication en conseil des ministres le 27 juillet 2011, la France a été condamnée en 2010 deux fois en manquement pour défaut de transposition. Si le traité de Lisbonne avait été appliqué, les conséquences pécuniaires pour la France auraient pu se chiffrer à près de 90 millions d'euros.