CHAPITRE PREMIER BIS - DISPOSITIONS CRÉANT LES INFRACTIONS D'ESCLAVAGE ET DE SERVITUDE AFIN DE METTRE LA LÉGISLATION FRANÇAISE EN CONFORMITÉ AVEC L'ARRÊT DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME DU 11 OCTOBRE 2012

Article 2 bis (art. 224-1 A, 224-1 B et 224-1 C [nouveaux], art. 224-9 et 224-10 du code pénal) - Création d'un crime d'esclavage et d'un crime de servitude

Le présent article résulte d'un amendement de Mme Axelle Lemaire adopté par l'Assemblée nationale, avec l'avis réservé du Gouvernement, lors de l'examen du projet de loi en séance publique.

Il vise à insérer dans le code pénal deux nouveaux crimes d'esclavage et de servitude, afin de mettre le droit français en conformité avec les obligations résultant de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'article 4 de cette convention stipule en effet que « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ».

Plusieurs conventions internationales le prohibent également expressément, notamment la convention relative à l'esclavage, signée à Genève le 25 septembre 1926, et la convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, adoptée le 30 avril 1956.

Notre pays, qui a aboli l'esclavage par le décret du 27 avril 1848, punit sévèrement les manifestations de celui-ci, notamment par les articles 225-13 et 225-14 du code pénal qui sont relatifs aux conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité de la personne.

En outre, l'article 212-1 du code pénal prévoit que la réduction en esclavage, dès lors qu'elle est commise en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique, constitue un crime contre l'humanité.

Pour autant, aucune disposition du droit pénal français ne vise à réprimer spécifiquement l'esclavage et la servitude en tant que tels.

Cette lacune soulève deux interrogations :

- d'une part, la Cour européenne des droits de l'homme, dans deux arrêts Siliadin c. France du 26 juillet 2005 et C .N. et V. c. France du 11 octobre 2012, a jugé que le cadre législatif et administratif français était insuffisant au regard des obligations incombant à la France au titre de l'article 4 de la convention européenne des droits de l'homme. En particulier, la Cour a souligné « que l'article 4 [consacrait] l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques », qu'il « ne [souffrait] aucune dérogation, même en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation » et que, « dans ces conditions, [...] conformément aux normes et aux tendances contemporaines en la matière, il y [avait] lieu de considérer que les obligations positives qui pèsent sur les États membres en vertu de l'article 4 de la Convention [commandaient] la criminalisation et la répression effective de tout acte tendant à maintenir une personne dans ce genre de situation » (arrêt Siliadin , paragraphe 112) ;

- d'autre part, dès lors que « la soumission à l'esclavage » est susceptible d'entrer dans le champ des dispositions relatives à la traite des êtres humains (voir supra , commentaire de l'article 1 er ), il y a lieu de s'interroger sur la cohérence de notre droit pénal qui n'incrimine pas spécifiquement de tels faits.

Le présent article propose d'y remédier, en insérant dans le code pénal trois nouveaux articles 224-1 A, 224-1 B et 224-1 C.

L'article 224-1 A propose de définir l'esclavage comme « le fait d'exercer sur une personne l'un des attributs du droit de propriété ou de maintenir une personne dans un état de sujétion continuelle en la contraignant à une prestation de travail ou à une relation sexuelle ou à la mendicité ou à toute prestation non rémunérée ».

L'esclavage serait un crime puni de quinze ans de réclusion criminelle.

La référence aux « attributs du droit de propriété » est directement inspirée de l'article 1 er de la convention relative à l'esclavage du 25 septembre 1926 précitée, qui stipule que « l'esclavage est l'état ou condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux ».

Ces attributs sont classiquement définis comme comprenant trois éléments : l' usus (droit d'utiliser un bien), le fructus (droit de disposer des fruits de ce bien) et l' abusus (droit de transformer ce bien, de s'en séparer ou de le détruire).

Pourraient également constituer le crime d'esclavage le maintien d'une personne dans un état de sujétion continuelle, accompagné d'une contrainte exercée sur la personne pour qu'elle fournisse un travail, une relation sexuelle, se livre à la mendicité ou à toute prestation non rémunérée. La plupart de ces faits sont sans doute susceptibles de relever déjà du champ d'infractions prévues par le code pénal.

L'article 224-1 B définirait quant à lui le crime de servitude comme « le fait de contraindre une personne à prêter ses services, en lui imposant des conditions de logement et en dirigeant sa vie de manière à lui faire perdre toute liberté ». Comme l'esclavage, la servitude serait punie de quinze ans de réclusion criminelle.

L'article 224-1 C définirait les circonstances aggravantes applicables à ces deux crimes, qui seraient punis de vingt ans de réclusion criminelle lorsqu'ils sont commis :

- à l'égard d'un mineur ;

- à l'égard d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse est apparente ou connue de l'auteur ;

- à l'égard de plusieurs personnes ;

- à l'égard d'une personne qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République ;

- avec l'emploi de menaces, de contraintes, de violences ou de manoeuvres dolosives visant l'intéressé, sa famille ou une personne étant en relation habituelle avec lui ;

- par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne qui a autorité sur la victime ou abuse de l'autorité qui lui confèrent ses fonctions ;

- enfin, par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre l'esclavage ou au maintien de l'ordre public.

Les III et IV du présent article permettraient de condamner, en outre, une personne s'étant rendue coupable de ces crimes d'un certain nombre de peines complémentaires, notamment l'obligation d'accomplir un stage de responsabilité parentale et un suivi socio-judiciaire.

Lors de sa réunion, votre commission a longuement débattu de ces dispositions. En effet, le sujet abordé par le présent article est complexe et le champ de l'infraction difficile à cerner avec précision tant les formes que peut revêtir l'esclavage moderne peuvent être pernicieuses. A cet égard, il est à craindre que la rédaction proposée par l'Assemblée nationale puisse, sur certains points, poser des difficultés au regard du principe de légalité des délits et des peines.

Elle s'est également interrogée sur la meilleure manière de définir ces faits. La référence aux « attributs du droit de propriété », pleinement pertinente lors de la signature de la convention internationale de 1926, permettrait-elle de viser les formes contemporaines de l'esclavage sans soulever d'insurmontables problèmes d'administration de la preuve ?

Enfin, le niveau de sanction proposé - quinze ans de réclusion criminelle - est-il adapté au regard, d'une part, de l'échelle des peines, et, d'autre part, de la procédure applicable devant les cours d'assises ?

Au regard de l'ensemble de ces interrogations, votre commission regrette vivement que les délais imposés au Sénat, dans le cadre de la procédure accélérée, pour se prononcer sur le présent projet de loi ne permettent pas de mener l'indispensable travail de concertation avec les ONG, les universitaires et les praticiens du droit qu'un tel sujet mérite.

Telle est la raison pour laquelle il lui a paru plus raisonnable, à ce stade, de ne pas conserver les dispositions insérées par l'Assemblée nationale et d'en renvoyer l'examen, après concertation de l'ensemble des acteurs concernés dans le cadre d'un groupe de travail, à un cadre plus adapté.

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a supprimé l'article 2 bis .

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