II. LE PRÉSENT PROTOCOLE RELATIF À L'APPLICATION RÉCIPROQUE DE DEUX RÉGIMES CONVENTIONNELS DE RESPONSABILITÉ CIVILE NUCLÉAIRE

En 1986, l'accident de Tchernobyl a conduit les parties prenantes aux conventions de Paris et Vienne à élaborer, à défaut d'un régime international unique de responsabilité civile nucléaire, une passerelle juridique permettant d'assurer une meilleure indemnisation des victimes en leur garantissant le bénéfice réciproque des dispositions figurant dans chaque convention. Tel est l'objet du présent protocole commun relatif à l'application de la convention de Vienne et de la convention de Paris, signé le 21 septembre 1988 et entré en vigueur le 27 avril 1992.

Ce protocole commun étend la couverture géographique des régimes de responsabilité par un système d'avantages réciproques, qui permet aux victimes d'un Etat partie à l'une des deux conventions d'obtenir réparation pour un accident survenant sur le territoire d'un Etat partie à l'autre convention.

Il faut souligner que la France n'a longtemps pas ratifié le protocole commun (elle l'a néanmoins signé le 21/06/1989) du fait principalement de l'absence de garanties suffisantes quant à l'application réciproque des deux régimes compte tenu de la différence notable des montants d'indemnisation prévus pour certains pays.

Toutefois, parmi les nouveaux États membres de l'UE qui ont fixé un montant de garantie financière inférieur à celui de la France (91,5 M€ actuellement), seules la Bulgarie (49,1 M€) et la Slovaquie (75 M€) accueillent des installations électronucléaires.

Le montant évoluera en France à 700 M€, soit consécutivement à l'entrée en vigueur du protocole modificatif de la convention de Paris de 2004 dès sa ratification par le Royaume-Uni, la Belgique ou l'Italie, soit par l'adoption du projet de loi relatif à la protection des sources de rayonnement ionisant et à la responsabilité civile en matière nucléaire.

III. UN PROTOCOLE UTILE QUI DOIT ÊTRE ADOPTÉ ET COMPLÉTÉ PAR UNE REFLEXION URGENTE SUR LES LIMITES DU RÉGIME JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE NUCLÉAIRE ACTUELLEMENT EN VIGUEUR EN FRANCE

A. UNE CONVENTION UTILE QU'IL CONVIENT D'ADOPTER

1. Une convention qui permet d'ouvrir aux citoyens français un droit de réparation dans le cas où un accident nucléaire surviendrait dans un Etat partie à la convention de Vienne

Le Protocole commun crée une passerelle entre la convention de Paris et la convention de Vienne (relatives à la réparation des dommages causés par un accident nucléaire), en abolissant la distinction entre leurs Parties contractantes respectives en ce qui concerne le dispositif de l'une ou de l'autre convention.

Par conséquent, les Parties contractantes à la convention de Paris ne sont plus traitées comme des Etats non-contractants au sens de la convention de Vienne et réciproquement : au contraire, elles sont mutuellement assimilées à des Parties contractantes chaque fois que les dispositions fondamentales de l'une ou l'autre convention s'appliquent. Ce qui a pour effet que le régime de responsabilité et d'indemnisation établi par l'une ou l'autre convention s'étend aux Parties à l'autre convention.

Le principal apport du Protocole commun est donc d'élargir le champ territorial des conventions de Paris et Vienne et d'ouvrir aux citoyens français un droit de réparation dans le cas où un accident nucléaire surviendrait dans un Etat partie à la convention de Vienne, selon les conditions définies par cette dernière.

Ainsi en cas d'un hypothétique accident nucléaire en Slovaquie, partie contractante à la convention de Vienne et au Protocole commun, les victimes ayant subi des dommages en France seraient indemnisées dans les mêmes conditions que les victimes slovaques (ainsi que les victimes dans les territoires des autres Etats parties à la convention de Vienne ou à la convention de Paris et au Protocole commun), à savoir dans les conditions prévues par la convention de Vienne et la législation slovaque d'application. Les litiges seraient soumis à la compétence des tribunaux slovaques. A contrario, en l'absence de ratification du Protocole commun par la France, la responsabilité de l'exploitant slovaque ne pourrait être recherchée pour indemniser les dommages subis par une victime sur le territoire français.

De même, dans l'hypothèse d'un accident à Tchernobyl se situant après la ratification du Protocole commun par la France, les victimes françaises pourraient prétendre à une indemnisation de leur préjudice (du fait que l'Ukraine a adhéré à la convention de Vienne et au Protocole commun), alors que si la France ne ratifie par le Protocole commun, elles demeureraient dans la même situation qu'en 1986.

L'approbation du protocole commun permettra donc d'atteindre deux objectifs :

- protéger les victimes ayant subi en France des conséquences d'un accident nucléaire qui aurait lieu sur le territoire d'un État partie à la convention de Vienne (inversement des victimes situées sur un tel territoire pourraient prétendre au dédommagement des conséquences d'un accident survenu en France dans la limite du montant de garantie fixé par la convention de Vienne) ;

- placer la France en posture de plaider efficacement et de manière cohérente, dans les enceintes internationales et dans le cadre de ses relations bilatérales, en faveur du régime international de responsabilité nucléaire constitué par les conventions de Paris, de Vienne et leur protocole commun.

Le Protocole commun est l'instrument international qui fait le lien entre les deux systèmes juridiques de RCN, celui de Paris-Bruxelles et celui de Vienne. Cet ensemble constitue donc un régime « mondial » de responsabilité civile nucléaire auquel la France sera partie. Nous pourrons donc plaider, de bonne foi, en faveur de ce régime dans la mesure où nous en serons membres, tant dans les enceintes internationales spécialisées (AEN et AIEA) que dans les relations bilatérales, que ce soit avec les pays émergents ou avec ceux, encore trop nombreux, qui n'ont pas adhéré à une convention de base. L'approbation rapide du Protocole commun nous permettrait donc de plaider de façon efficace pour l'établissement d'un tel régime.

Cette priorité de la France a été rappelée par Madame Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, dans son intervention lors de la Conférence ministérielle sur la sûreté nucléaire au Japon, le 15 décembre 2012, qui a déclaré : « Aujourd'hui, seule la moitié des pays faisant appel à l'énergie nucléaire pour leur approvisionnement national ont adhéré à un régime international de responsabilité civile nucléaire. Face à ce constat, la France promeut l'adhésion la plus large aux conventions pertinentes comme les conventions de Paris ou de Vienne révisées, ou encore, lorsqu'elle sera entrée en vigueur, la convention sur la réparation complémentaire via les conventions de base existantes. Le protocole commun aux conventions de Paris et de Vienne est en cours de ratification parlementaire en France. »

En effet, plusieurs pays disposant d'une industrie électronucléaire développée restent actuellement en dehors de toute convention internationale sur la responsabilité civile nucléaire.

Ainsi, le Japon (54 réacteurs nucléaires en exploitation en 2010, 2 en 2013), la Chine (14 réacteurs en service), la Corée (20 réacteurs en production) disposent d'une législation interne sur la responsabilité civile nucléaire (reprenant sensiblement les principes généraux mis en place dans les conventions internationales), mais n'ont signé aucune convention internationale.

Le cas des dommages transfrontaliers dus à un accident nucléaire dans ces pays n'est donc pas traité. Cela ne devrait cependant pas avoir d'incidence sur la France.

Les Etats-Unis représentent également un cas particulier. Le dispositif de responsabilité civile nucléaire aux Etats-Unis, régi par le « Price Anderson Act », date de 1957. Fondé sur une responsabilité objective et limitée dans son montant, il couvre les réacteurs nucléaires, les réacteurs de recherche, les installations nucléaires du Department of Energy (DOE), les activités de transports et organise un mécanisme d'indemnisation des victimes reposant sur l'exploitant.

Concernant les conventions internationales, les Etats-Unis ne sont partie prenantes qu'à la convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires, qui date de 1997, n'a été ratifiée que par 4 pays et n'est pas entrée en vigueur.

2. Une réserve de réciprocité qui s'impose

La France a attendu de nombreuses années avant de lancer les démarches nécessaires à la ratification du Protocole commun signé en 1989, pour différentes raisons. Il a d'abord été estimé préférable d'attendre la fin des travaux de révision de la convention de Vienne, dont le Protocole d'amendement a été adopté en septembre 1997, ainsi que ceux relatifs aux conventions de Paris et de Bruxelles, amendées en février 2004, afin de connaître les montants respectifs d'indemnisation à la charge des exploitants, fixés par les législations nationales.

En France, le montant de la responsabilité de l'exploitant est fixé à 91,5 millions d'euros. En juin 2011, ce montant était de 49,1 millions d'euros en Bulgarie et de 75 millions d'euros en Slovaquie.

Dans ce contexte, il importe que la France formule une telle réserve.

Mais il convient de signaler que la convention de Paris telle qu'amendée en 2004 étend explicitement son champ d'application, pour ce qui concerne les Etats Parties au Protocole commun, aux dommages subis sur le territoire des Etats Parties à la convention de Vienne et au Protocole commun.

Dans ce cadre, il est apparu que les montants d'indemnisation à la charge des exploitants au titre de la convention de Vienne étaient sensiblement inférieurs aux montants fixés par le Protocole de 2004.

Aussi, les Parties contractantes à la convention de Paris ont signé une déclaration les engageant à accepter une réserve visant à permettre à un Etat Partie à la convention de Paris de limiter l'indemnisation des victimes d'un Etat Partie à la convention de Vienne à la hauteur de ce que ce dernier lui offrirait dans une situation réciproque.

Dans l'attente de l'entrée en vigueur du Protocole de révision de la convention de Paris, avec la réserve sus-indiquée, la France a considéré qu'une solution similaire pouvait être envisagée afin de permettre la ratification du Protocole commun tout en préservant l'application d'un principe de réciprocité dans ses relations avec les Etats de la Convention de Vienne.

Il est donc envisagé d'associer une telle réserve au dépôt de l'instrument de ratification du Protocole commun.

Bien que reposant sur un mécanisme identique, ces deux réserves auront, de fait, un périmètre d'application différent puisque dans un cas, la comparaison se fera avec la situation actuelle (responsabilité de l'exploitant fixée à 91,5 M€) et dans l'autre, avec le montant révisé (700 M€).

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