M. Dominique Baudis, Défenseur des droits
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- Présidence M. Jean-Pierre Sueur , président -
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Monsieur le Défenseur des droits, voilà la quatrième ou la cinquième fois que notre commission vous reçoit, et elle le fait toujours avec plaisir. L'institution du Défenseur des droits a donné lieu à bien des débats, n'est-ce pas M. Hyest ?, mais depuis que vous avez pris vos fonctions, vous les assurez avec détermination et attention. Il nous paraissait essentiel de vous entendre. Nous sommes déterminés, dans les auditions que nous conduisons, non à prendre notre temps mais à prendre tout le temps nécessaire pour traiter au fond d'un sujet important.
M. Dominique Baudis, Défenseur des droits . - Merci à vous de m'avoir convié. Je me suis exprimé en novembre devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. Je vais présenter les interrogations et l'analyse de l'institution du Défenseur des droits. Celle-ci, qui est inscrite dans la Constitution, a quatre missions : les relations entre citoyens et services publics, la défense des enfants, la déontologie de la sécurité et la lutte contre les discriminations. C'est cette dernière et l'intérêt supérieur de l'enfant, qui nous occupent dans l'examen du projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels. J'ai consulté, comme l'exigent nos statuts, les quatorze personnalités qualifiées qui siègent dans le collège chargé de la lutte contre les discriminations et dans celui chargé de la promotion et de la défense des droits de l'enfants, ainsi que différentes institutions ou associations concernées .
Le Défenseur des droits, comme la Halde auparavant, a constaté que l'impossibilité pour les couples de même sexe de se marier créait des inégalités. Pour autant, les plus hautes juridictions, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme, n'avaient pas jugé que cette impossibilité constituait une discrimination. Dans l'affaire dite du mariage de Bègles, la Cour de cassation a jugé en 2007 que « La situation présente ne constitue pas une discrimination ». Le Conseil constitutionnel ajoutait : « seule l'adoption d'une loi nouvelle pourrait faire changer l'état du droit en vigueur. » La Cour européenne des droits de l'homme, considérant que la convention européenne ne fait pas obligation d'autoriser le mariage homosexuel, renvoie toute décision au législateur national. Enfin, la charte des droits fondamentaux, entrée en vigueur en 2009, dispose : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice » : ce texte renvoie également la décision au législateur.
Si cette interdiction n'a pas été jugée discriminatoire, la Halde, puis le Défenseur des droits, ont considéré qu'elle créait des discriminations indirectes, puisque les couples de même sexe n'ont d'autre choix pour organiser leur vie commune que le Pacs. Or celui-ci n'ouvre pas, par exemple, droit à pension de réversion. Pour mettre fin à une discrimination en raison de l'orientation sexuelle des personnes, j'ai proposé, en octobre 2011, une réforme pour y remédier. Le Gouvernement d'alors ne l'avait pas retenue, en raison de considérations budgétaires. L'étude d'impact n'a pas examiné son incidence financière.
Autre problème, la solidarité du bail ou le maintien dans les lieux : en cas de séparation, le partenaire non signataire du bail, s'il reste solidaire des dépenses, ne dispose d'aucun droit. Nous avions proposé la co-titularité du bail. Le projet de loi met fin à cette inégalité.
Troisième problème : l'octroi de congés pour événements familiaux liés à la parentalité, non accessibles aux partenaires d'un Pacs. Un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a accordé onze jours de congés parentaux pour les personnes vivant maritalement avec la mère. Sur ce point, l'alignement des droits est désormais acquis.
Sur toutes ces questions dont nous sommes fréquemment saisis, le texte, en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, met fin à des discriminations. C'est aussi le choix qu'ont fait sept pays de l'Union européenne sur vingt-sept.
L'article 4 de la loi organique charge le Défenseur des droits de défendre l'intérêt supérieur de l'enfant tel que consacré par la loi et nos engagements internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés. La France est signataire de la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée en 1990. Le comité des droits de l'enfant de l'ONU nous demande de veiller à ce que l'intérêt supérieur de l'enfant soit soigneusement pris en considération dans l'élaboration comme dans la mise en oeuvre des lois. Ce n'est pas une clause de style. L'intérêt supérieur de l'enfant constitue une notion juridique précise, elle doit être une considération primordiale dans toute décision qui concerne les enfants.
Alors que la question du mariage relève de la seule décision nationale, tel n'est pas le cas de l'intérêt supérieur de l'enfant. Or, sérieuse lacune, pas un seul paragraphe de l'étude d'impact n'y fait référence. J'ai écrit le 14 novembre à Mme la garde des sceaux pour attirer son attention sur ce point, et recommander une étude d'impact complémentaire.
Une telle réserve ne suggère nullement une incompatibilité avec la convention. Au demeurant, des Etats signataires ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe. Mon observation est de méthode. Dès lors que l'intérêt et les droits de l'enfant sont en cause, il faut partir de l'analyse de ces droits. Or, on procède ici à l'inverse, l'adoption n'étant conçue que « par voie de conséquence », ainsi que le dit clairement l'exposé des motifs.
Entre 14 000 et 40 000 enfants selon l'INED, de 200 000 à 300 000 selon les associations, seraient accueillis par un couple homoparental. Des dizaines de milliers d'enfants grandissent aujourd'hui dans une situation familiale juridiquement précaire : autoriser le mariage du couple qui les élève est conforme à leur intérêt car cela leur assure une plus grande sécurité juridique.
Le 23 octobre dernier, le Conseil supérieur de l'adoption a « fait état de son inquiétude devant la difficulté de concilier un objectif d'égalité des droits au bénéfice de personnes du même sexe et le caractère prioritaire de l'intérêt de l'enfant dans le cas d'adoption ». Le président du conseil général, chargé de délivrer l'agrément, doit, pour vérifier les conditions d'accueil, procéder à des investigations, sociales et psychologiques, souvent décrites comme intrusives par les adoptants. Sur quelle base les services d'aide sociale à l'enfance, le juge, vont-ils fonder leur appréciation ? Car les pratiques des conseils de famille des conseils généraux sont extrêmement disparates. Peut-être serait-il utile que votre commission entende Mme Chapdelaine : le Conseil supérieur de l'adoption a rendu le 9 janvier dernier un deuxième avis.
Le droit à l'adoption, enfin, pourrait rester virtuel, compte tenu du petit nombre d'enfants adoptables.
Quid , enfin, de la filiation ? La présomption de paternité ne pouvant s'appliquer aux couples de même sexe, quelle place faut-il réserver aux parents biologiques, qu'est-il prévu en matière d'état civil, les documents seront-ils identiques ? Quelle incidence, en cas d'adoption plénière, pour les enfants désireux plus tard d'accéder à leurs origines ? Qu'en sera-t-il des enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA) - aujourd'hui interdites en France ? Il s'agit de situations réelles et qui vont se multiplier. La rareté des enfants adoptables incitera les couples à recourir à ces méthodes de procréation, voire à la voie de l'accouchement sous X, lequel pourrait donner lieu à une GPA qui ne dirait pas son nom.
Quels seront les droits des enfants, comment les déclarations de naissance seront-elles traitées ? Les questions d'état civil pour ces enfants ne sont pas résolues par la circulaire du 25 janvier, puisqu'elle ne porte que sur la nationalité.
L'Assemblée nationale a apporté des clarifications, et d'abord en maintenant les termes de père et de mère au titre VII du code civil. Devant les députés, j'avais souligné que plus d'une centaine d'articles de douze codes différents substitueraient le mot parents à ceux de père et de mère, d'où des incertitudes en matière successorale et sur l'obligation alimentaire. La réécriture de l'article 4 du texte y a remédié.
Autre clarification, en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint, le texte facilite le partage de l'autorité parentale. Enfin un amendement autorise le juge, si tel est l'intérêt supérieur de l'enfant, à prendre des mesures garantissant le maintien de relations avec le tiers ayant résidé de manière stable avec lui, et qui a noué avec lui des liens affectifs durables - nous sommes saisis de nombreuses réclamations sur ces situations qui concernent tous les couples.
Peut-être faut-il aller plus loin dans les mesures susceptibles d'être prises par le juge aux affaires familiales, le tiers se voyant reconnaître des droits (de visite) et des devoirs (pension alimentaire) équilibrés avec ceux de l'ancien conjoint. L'actualité récente nous a montré les difficultés qui subsistent dans le cadre d'un divorce. Et les situations sont plus dramatiques encore quand la relation s'est nouée hors du cadre légal. Le juge devrait être doté d'une grande latitude d'action.
Puisse le Sénat oeuvrer utilement pour que la future loi ait toute la clarté nécessaire dans l'intérêt des familles, des enfants.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci pour votre précieux exposé. Sachez que nous avons le souci d'améliorer le texte.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Le mariage, avez-vous dit, met fin à des discriminations indirectes. La question est réglée. Restent celles de l'adoption et de la filiation, sur quoi nous travaillons déjà principalement, en relation avec le rapporteur de l'Assemblée nationale. Car bien des interrogations demeurent, auxquelles il convient de répondre dans le sens de l'intérêt supérieur de l'enfant, de tous les enfants.
Nous attendons que la Chancellerie nous communique les projets de documents d'état civil. Nous nous assurerons qu'ils ne soient pas discriminatoires. Il nous reste un mois entier. Sur ces documents réglementaires, je suis certain que le Défenseur des droits sera consulté.
Nous n'avons pas entendu, pour l'instant, Mme Chapdelaine, mais nous avons eu les deux avis du Conseil supérieur de l'adoption, dont Mme Meunier est membre.
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - J'ai mal compris votre rapprochement entre accouchement sous secret et GPA. Quand une femme accouche sous secret, l'enfant n'est jamais confié directement à une famille.
Lorsque vous avez évoqué la question du maintien du lien affectif, formiez-vous un souhait ? Les services sociaux à l'enfance y sont attentifs - on le leur reproche parfois. Comment traitez-vous les nombreuses récriminations dont vous parlez ? Vos délégués territoriaux constatent-ils une augmentation des doléances ?
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - C'est volontairement que je n'ai pas abordé les questions qui ne sont pas traitées dans la loi et qui ne seront pas ajoutées par le Sénat. Mais il est des enfants qui naissent, et qui ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus, fût-elle illégale. Sans ouvrir le débat là-dessus, je suis heureux que vous ayez évoqué l'intérêt supérieur de l'enfant.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - En stylistique, on connaît bien cette figure où l'on parle toujours d'un sujet dont on ne parle jamais... Sauf à fermer le Parlement, il ne suffit pas qu'une loi existe dans un autre pays pour que nous l'adoptions. Autre chose est le fait que les êtres humains ont des droits, vous me permettrez d'y insister après M. le rapporteur.
Mme Catherine Tasca . - Merci de votre exposé, très rassurant sur l'institution que vous incarnez, si nous en avions besoin. Vous le savez, nous n'étions pas tous favorables à la disparition du Défenseur des enfants. L'intérêt supérieur de l'enfant, qui reste au coeur de vos préoccupations, appelle une définition plus précise. Vous avez évoqué le maintien des liens affectifs en cas de séparation. On ne saurait s'en tenir à cette situation. Quelle est votre réflexion sur l'enfant au sein de la famille ?
Mme Nicole Bonnefoy . - Quelles propositions voudriez-vous voir prises en compte pour ce qui concerne les droits et les devoirs des tiers qui élèvent l'enfant ? Y aurait-il pension alimentaire du père biologique et du père adoptif ?
M. Jean-René Lecerf . - Beaucoup de questions restent dans l'ombre, avez-vous dit, et l'étude d'impact ignore la convention sur les droits de l'enfant. Même si vous ne nous avez pas dit qu'une précipitation avait présidé à son élaboration, nous avons compris que toutes ses virtualités n'avaient pas été suffisamment explorées. Il nous a été conseillé de différer l'application de la loi, à un ou deux ans. Qu'en pensez-vous ?
Le droit à l'adoption risque de rester un leurre, avez-vous rappelé, si bien que ces couples vont être amenés à se tourner vers les techniques d'aide à la procréation. Imaginez-vous possible de laisser coexister une double législation en matière de PMA, l'une pour les couples hétérosexuels, l'autre pour les femmes homosexuelles, ou serons-nous obligés de reconnaître une PMA par convenance ?
M. Philippe Darniche . - Les conseils généraux, sont en première ligne pour l'adoption. Mais qui fixe les critères qu'ils appliquent en la matière ? Sans critères précis, nous ne pourrons pas considérer que les enfants sont traités de manière égale d'un département à l'autre. Merci d'avoir rappelé que l'intérêt supérieur de l'enfant devrait être notre guide.
Pourquoi, enfin, monsieur le rapporteur, ne pas entendre Mme Chapdelaine, comme le suggère M. Baudis ?
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous sommes limités pour nos temps d'audition car l'usage est de ne pas conduire d'auditions lorsque notre commission a un texte en séance. Nous envisageons cependant d'autres auditions publiques après la reprise des travaux.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Je salue l'intervention du Défenseur des droits, qui a éclairé nos débats. Son analyse confirme le besoin de lever des discriminations existantes : cette loi est nécessaire. En revanche, il émet des réserves sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Là encore, elles témoignent, à mes yeux, de la nécessité de légiférer. La lecture devant l'Assemblée nationale en a déjà levé plusieurs, a-t-il dit. Le Sénat entend en lever d'autres.
M. Dominique Baudis . - Il est vrai, monsieur le rapporteur, que certaines des interrogations que j'ai formulées relèvent du domaine réglementaire. Cela n'empêche pas le Parlement d'interroger le Gouvernement sur ses intentions, car ses éclaircissements peuvent contribuer à apaiser le débat.
Les délégués départementaux, Madame Meunier, font remonter les dossiers sur ce type de difficultés pour donner des réponses équanimes. Nous sommes une instance d'appel d'accès au droit.
La procédure d'accouchement sous X, si elle brise définitivement toute relation entre la mère et l'enfant, n'interdit pas la reconnaissance en paternité d'un homme. Il faut rester vigilant, car cela peut ouvrir la voie à des GPA qui ne disent pas leur nom.
Nous sommes confrontés à des situations douloureuses. Ce sont souvent des femmes qui nous saisissent. Le jour où survient une rupture conflictuelle, le parent social n'a strictement aucun droit, même s'il a accompagné et éduqué l'enfant pendant dix ans. Avec l'amendement introduit par l'Assemblée nationale, qui mériterait d'être précisé, le juge aux affaires familiales pourra tenir compte de ce lien affectif. Il y va aussi de l'intérêt supérieur de l'enfant, pris en otage quand la séparation se passe mal.
Pour les enfants qui grandissent aujourd'hui élevés par des parents de même sexe, ce texte marque un vrai progrès. Finalement, nous évoquons là des situations qui n'avaient pas pu être prises en compte par le passé. J'ajoute que la disposition a le grand mérite de viser toutes les familles : le juge pourra organiser le maintien du lien affectif.
M. Jean-Jacques Hyest . - Le code civil autorise déjà le juge aux affaires familiales à apprécier le lien affectif. C'est ainsi, entre autres, qu'est réglée la situation des grands-parents.
Mme Catherine Génisson . - Cela ne règle pas grand chose.
M. Dominique Baudis. - La disposition ouvre ce droit aux personnes homosexuelles.
M. Jean-Jacques Hyest . - Elle est redondante. Pourquoi inventer ce qui existe déjà ? Nous avons le tort de ne pas lire le code civil...
M. Dominique Baudis. - Il est bon que le juge voie que le législateur a pris la question en compte. Quant au calendrier, il ne me revient pas d'apprécier si la mise en oeuvre de cette loi doit être différée.
Si le texte ne prend pas en compte les exigences de la convention internationale sur les droits de l'enfant dans l'étude d'impact, ce n'est pas par manque de temps, mais parce que l'adoption a été considérée comme une simple conséquence du droit au mariage. Or la convention internationale oblige à soumettre prioritairement toute élaboration de loi à cette grille.
Le droit à l'adoption est-il un leurre ? Certes, ouvrir le droit à l'adoption aux couples homosexuels est une affaire d'équité. Reste que le nombre d'enfants à adopter se réduit. Si ce droit reste virtuel, la question de la GPA et de la PMA se posera inévitablement... Un couple hétérosexuel pacsé n'a pas accès à la PMA, non plus qu'une femme célibataire, qui a pourtant le droit d'adopter. Ces sujets ne sont pas abordés dans le texte, mieux vaut ne pas s'avancer. En toute hypothèse, sur ces questions, il faudra conduire une étude d'impact au regard de la convention internationale des droits de l'enfant et consulter le Comité national consultatif d'éthique.
Le Conseil supérieur de l'adoption a rendu un deuxième avis le 9 janvier dernier, qui n'est pas publié. C'est pourquoi je vous suggérais d'entendre sa présidente.
Pour finir, je suis très sensible à la question des enfants à Mayotte. J'assisterai d'ailleurs à votre débat en séance publique tout à l'heure.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il me reste à remercier M. Dominique Baudis. Ses avis et réflexions nous seront très précieux.