M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci à M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre, de nous rejoindre. Praticien hospitalier à l'hôpital de Ville-Evrard, et dans les centres médico-psychologiques de Montreuil et des Lilas, vous êtes également chargé de conférence en philosophie à l'EHESS. Vous avez consacré votre thèse de médecine aux enfants conçus et élevés par des parents homosexuels, la première en France sur ce sujet, et publié en 2002 Homoparentalité : une nouvelle chance pour la famille ? , puis, en 2011, Fragments subjectifs .
M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre . - Vais-je répéter ce que j'ai dit devant l'Assemblée nationale ?
M. Jean-Pierre Sueur . - Votre réflexion s'est enrichie depuis.
M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre . - Pour moi, il importe d'abord d'expliquer d'où je parle. En d'autres termes, à quel niveau de discours ce que je vais dire se réfère-t-il ? Je vous parlerai en pédopsychiatre et en philosophe, je récuse le terme d'expert.
A l'expression de mariage homosexuel, le préfère les termes de mariage pour tous les citoyens, parce que dans nos sociétés vivent des personnes qui ne sont pas encore des citoyens. Le mariage est fondé sur une double origine : canonique, renvoyant au sacré, et civiliste, laïque. D'un côté la volonté divine, de l'autre la raison. Nombre de collègues psy mettent l'accent sur le canonique. Le mariage est pensé comme une institution. Les termes de naturel et de symbolique reviennent dans leurs propos, comme si penser la nature en opposition avec la culture ne faisait pas fi d'un siècle d'anthropologie et de sociologie.
Vouloir, malgré les progrès de la science, calquer le modèle matrimonial sur la procréation, c'est oublier l'adoption, cette fiction civiliste qui est la nôtre depuis le code civil. L'adoption par un célibataire apporte la preuve et la garantie que notre droit tient aussi d'une conception civiliste. Dans les années 2000, la réalité de couples homosexuels élevant des enfants était perçue comme un fantasme. Des parents homosexuels, il n'en existait pas.
En tant que pédopsychiatre, mon souci était, non de montrer que l'enfant vivant avec des parents homosexuels vivait bien ou mal, mais de décrire une réalité. Par parenthèse, on réclame toujours des études sur le sujet mais on ne les finance pas, j'en ai fait l'expérience. En tant que clinicien, je ne me positionne pas en tant que moraliste, je dis ce qui est. Je suis là pour entendre les patients qui sont en souffrance. Tout cela pour dire qu'il n'est pas sérieux d'incriminer ce qui serait de l'ordre de l'homosexualité des parents dans le développement de l'enfant. Certes, il peut y avoir des répercussions, car la famille est atypique - qu'est-ce qu'une famille typique ? -, mais cela s'arrête là. Voilà ce que j'ai démontré en 1999, cinq ans après que l'homosexualité a été ôtée de la classification internationale des pathologies mentales et qu'elle ne peut plus être considérée comme un facteur de risque...
On ne peut pas attendre des travaux du clinicien une réponse univoque pour légiférer car, je le répète, nous ne sommes pas des moralistes. Les travaux disent, non ce qui doit être, mais ce qui est. Des moralistes, il y en a déjà beaucoup, qui se cachent derrière les oripeaux de la psychiatrie. Une telle position rend les niveaux de discours peu utilisables par les politiques.
Pour finir, quelques mots sur l'expert. Il ne doit pas être le pare-feu, le cache-sexe de la décision politique. Soyons vigilants à l'utilisation du discours, demandez des avis à des spécialistes, pas à des experts dictant ce qui devrait être.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je m'intéresse justement à « ce qui est » et que constate le clinicien. Les enfants que vous recevez en consultation souffrent-ils d'une stigmatisation possible de l'homosexualité de leurs parents ?
M. Stéphane Nadaud. - Les enfants qui viennent me voir souffrent de problèmes psychiques, par définition. Raison pour laquelle le discours de clinicien est, par construction, à prendre avec des pincettes.
On fait souvent feu de tout bois pour viser les parents homosexuels. Prenons un enfant dont les parents - de sexe opposé - se séparent, le père décidant de vivre son homosexualité. L'enfant va mal, la situation est conflictuelle. L'homosexualité du père est immédiatement mise en avant dans la discussion. Pourtant, elle n'est pas plus importante à mes yeux que le fait que le père soit au chômage ou se comporte comme un grand adolescent. Cet élément influence l'enfant ... parmi mille autres. S'il y a stigmatisation, c'est que le corps social met la dimension homosexuelle au premier plan.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Autrement dit, il s'agit du corps social. Vous ne pouvez pas dire que les enfants de parents homosexuels vivraient objectivement des difficultés particulières, est-ce bien cela ?
M. Stéphane Nadaud. - Toute la difficulté est de savoir que faire de ces situations familiales et de les lier ou non à l'homosexualité. Le cadre familial présente nécessairement des particularités. Ces situations-là sont-elles prégnantes et sources de problèmes, ou bien est-ce l'homosexualité en amont ?
A l'avocate arguant qu'après une séparation l'enfant serait élevé dans un contexte de famille élargie, que c'était la séparation qui avait une influence, le procureur rétorquait en 1993 que dans la tête d'une célibataire lesbienne il y a image du père absent et dans celle qui vient de se séparer, image du père nié. En l'occurrence, le juge a refusé la garde à la mère. Pourquoi s'exprimer en ces termes alors que dans les deux cas, il y avait séparation des parents ? J'ai beau avoir une grande admiration pour saint Thomas, pareil raisonnement me paraît relever d'une bien pauvre scolastique... Oui, l'homosexualité entraîne des caractéristiques sociales, familiales : de fait, elle aura des conséquences sur les enfants. Est-ce inhérent à l'homosexualité ? Ma réponse est simpliste : l'homosexualité n'est plus une maladie mentale, il n'y a pas à la traiter comme telle.
Mme Virginie Klès . - Les parents homosexuels ont été des enfants, et, la plupart du temps, ont été élevés par un couple hétérosexuel, n'est-ce pas ? Ils ont eu une image du père et de la mère, qu'ils peuvent transmettre. Pourquoi ne revient-on pas à cette idée ?
Mme Michelle Meunier . - Les opposants affirment qu'il faut une figure paternelle et une figure maternelle, quel est votre point de vue de clinicien ? J'aurais également voulu vous entendre sur l'adoption, ce sujet problématique.
M. Claude Dilain . - Pour le pédiatre que je suis, nous sommes tous des enfants adoptés : les liens de l'amour sont plus forts que les chromosomes. Ce n'est pas « l'amour en plus » d'Élisabeth Badinter, mais « l'amour plus fort ». Avez-vous fait le même constat ?
M. Jean-Jacques Hyest . - Je n'ouvrirai pas une disputatio sur saint Thomas... Y a-t-il une différence entre des enfants élevés par des parents qui ont décidé de vivre leur homosexualité et ceux nés par PMA ou gestation pour autrui (GPA) ? Dans ce cas, se pose la question de l'origine. Les enfants conçus ou élevés, ce n'est pas la même chose.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Ou adoptés...
M. Jean-Jacques Hyest . - Les circulaires règlent tout...
Mme Chantal Jouanno . - J'ajouterai le cas des enfants adoptés par la voie traditionnelle : qu'en est-il de leurs conditions d'accueil dans des familles homosexuelles ? Les études sont contradictoires.
M. Stéphane Nadaud . - Comment penser ce qui peut valoir dans le bon développement d'un enfant du côté de la réalité et de celui du désir ? Les praticiens ont déjà bien à faire avec la réalité concrète : un enfant vivant en société aura, de toute façon, une référence aux deux sexes. Imaginer le contraire est absurde. Rares sont les couples de lesbiennes qui refusent toute présence masculine ; par intériorisation de la norme, la plupart s'efforcent au contraire de la favoriser. Et quant bien même, l'enfant ne verrait pas d'homme chez lui, il en rencontrerait à l'école. Considérons que la référence aux deux sexes est nécessaire, la question pragmatique est de savoir si elle doit se réaliser dans la famille nucléaire ou dans la famille élargie. Il est spécieux d'imaginer qu'elle doit être dans la tête des parents. Mais la famille élargie ? Nous avons tous ici des oncles et des tantes. Mme Héritier l'a bien montré, les parents biologiques ne recoupent pas forcément les vrais parents. Sinon, il n'y aurait pas besoin de fiction juridique, ni de société.
L'adoption est l'élément le plus complexe à penser. Ma position politique - je suis fondé à la donner en tant que philosophe - est que la loi est distincte du « naturellement procréatif ». D'où ma crainte de voir des gens demander, à l'occasion de ce projet de loi, la suppression de l'adoption par les parents célibataires. L'adoption est cette preuve ultime de la naissance légale, depuis le code napoléonien jusqu'aux marraines de guerre. L'adoption est difficile à penser, précisément parce qu'elle distingue le géniteur du parent. On naît deux fois : biologiquement d'un géniteur, puis civilement de parents adoptifs.
M. Jean-Jacques Hyest . - Dans l'adoption plénière
M. Stéphane Nadaud . - Tout à fait. Ce laps de temps entre ces deux naissances mérite l'attention. Pour beaucoup de cliniciens spécialistes de l'adoption, celle-ci constituerait un élément instable sur une situation qui l'est déjà. Je n'envisage pas les choses ainsi : à mes yeux, dans notre façon d'être un sujet pensant, vivant, social, rien ne va de soi. Aucune situation familiale ne va de soi.
M. Dilain l'a dit : nous sommes tous des enfants adoptés. Néanmoins, l'amour ne suffit pas pour adopter : il faut la loi - mais une loi sans amour serait particulièrement triste. Néanmoins, l'adoption ne sera pas plus compliquée dans des familles homosexuelles que la PMA ou la GPA. Pour finir par une vignette clinique, je me souviens d'un couple de lesbiennes qui me disait sans cesse : « cet enfant doit absolument avoir un père », comme s'il n'en avait pas un, peu présent il est vrai. Exemple d'une introjection absolue du discours sur la nécessité du père. Or, cet enfant était en thérapie avec moi, un homme. Peut-être est-ce orgueilleux de le dire mais, en tous cas, cet enfant souffrait de bien d'autres choses que de l'homosexualité de sa mère.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci de cet apport de philosophe et de clinicien. Nous saluons votre capacité d'analyse.