M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman
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M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman . - Je vais vous présenter la jurisprudence musulmane fondée sur la théologie, à titre d'information, non pour fonder notre opposition au projet de loi. Le principe d'égalité a été mis en avant dans l'exposé des motifs. Le texte ouvre l'adoption aux couples homosexuels dans un cadre identique à celui en vigueur pour les couples hétérosexuels. En revanche il ne prévoit pas d'équivalent à la présomption de paternité ; il n'ouvre pas l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) ou la gestation pour autrui (GPA).
La position du Conseil français du culte musulman (CFCM) sur le mariage de deux personnes de même sexe est issue de la jurisprudence musulmane qui encadre le mariage. De nombreux textes prophétiques et le Coran lui-même traitent du statut personnel et de la famille. Droits et devoirs, règles d'héritage, rapports entre générations, précisions sur les épousables et les non-épousables - le départ se faisant uniquement en fonction du lien de parenté existant entre les deux candidats au mariage.
Selon la religion musulmane, le mariage est fondé sur le consentement mutuel entre une femme et un homme, en vue d'établir une union durable et constituer une famille stable. Le mariage entre deux personnes de même sexe n'est donc pas conforme aux principes musulmans. Le pacte entre un homme et une femme crée une relation de filiation réelle et structurante, il crée un rapport avec les ascendants et descendants, mais aussi, au-delà, avec le reste de la société. Je vous renvoie à la sourate 49, verset 13 : « Vous, hommes, nous vous avons créé d'un mâle et d'une femelle et nous vous avons répartis en peuples et tribus afin que vous fassiez connaissance entre vous ». Dans la tradition musulmane, le mariage n'a pas une dimension uniquement rituelle et culturelle. Il s'agit d'organisation sociale. Un mariage civil entre musulmans peut être transcrit en mariage religieux très facilement, sans qu'il y ait besoin de cérémonie religieuse particulière. Le rite n'est pas tout.
Dans notre société laïque, les représentants du culte musulman ne sauraient s'opposer à un projet de loi ou se soustraire aux lois de la République. Cependant, les lois devraient être le fruit d'un débat démocratique, ouvert à tous. Nous, représentants du culte musulman, sommes attachés à la justice, à l'égale dignité de tous, à la reconnaissance de la pluralité des convictions. Nous condamnons fermement toute atteinte visant une personne en raison de ses opinions, de son appartenance religieuse ou de son orientation sexuelle. Nous condamnons tout acte homophobe.
Ce projet de loi n'est pas une simple extension du mariage tel qu'il existe. Il remet en cause une tradition millénaire, qui a permis à l'humanité de se reproduire, de s'organiser selon des principes clairs. A toute institution correspond une mission. La mission du mariage ne se réduit pas à la reconnaissance d'un lien amoureux, elle réside aussi dans la création d'une famille stable et d'une filiation. Que deux personnes de même sexe puissent donner de l'amour à un enfant, nous n'en doutons pas. Il demeure qu'un enfant a besoin d'une filiation réelle, issue d'un père et d'une mère. Son arbre généalogique lui fournit un positionnement dans la société : c'est un élément structurant pour sa personnalité. Même dans la monoparentalité, deux parents sont présents dans le psychisme de l'enfant. L'adoption, pour nous, est un moyen de soulager la souffrance d'enfants privés de parents, mais sans gommer leur filiation. On ne saurait, pour satisfaire le besoin d'enfant d'un couple, créer une filiation fictive.
Le projet de loi ne comporte pas d'extension de la présomption de paternité, il n'ouvre pas aux couples homosexuels l'accès à la PMA. Pourtant, le principe d'égalité entre tous les couples pourrait demain être invoqué pour refuser toute différence de traitement. La question de la GPA risque d'être relancée dans un environnement juridique nouveau. Le projet de loi est présenté sous le seul angle de l'égalité. C'est ce point de départ qui pose problème. Egalité ne signifie pas similitude. Des situations sont semblables si elles sont issues de conditions semblables. En l'occurrence, on modifie une institution sans avoir mesuré toutes les conséquences de ce geste.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Pour les musulmans, le mariage religieux est plutôt social, c'est une fête familiale. Y a-t-il une cérémonie religieuse, hormis cette fête ?
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - La mission du mariage, c'est la famille, dites-vous. C'était vrai dans le passé, beaucoup moins aujourd'hui. On se marie alors qu'il y a déjà des enfants, ou sans projet d'enfant... Inversement, plus de la moitié des bébés naissent hors mariage. Que pensez-vous de l'évolution de la société, des familles monoparentales, de l'homoparentalité ? Le débat, qui, soit dit en passant, dure depuis plusieurs mois, traverse-t-il votre communauté ? Y a-t-il des clivages, des divergences, des discussions ?
M. Mohammed Moussaoui . - Un mariage civil, dès lors qu'il a lieu en présence de deux témoins musulmans, est transformé en mariage religieux par une simple transcription.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Sans autre cérémonie ?
M. Mohammed Moussaoui . - Sans autre cérémonie.
Sur l'homoparentalité, la société a évolué, c'est évident. Elle doit trouver un cadre juridique sécurisé pour les personnes de même sexe qui veulent vivre ensemble - il pourrait s'appeler union civile. Mais l'institution du mariage doit demeurer telle qu'elle existe à l'heure actuelle.
J'en viens à la filiation réelle et fictive. Dans la jurisprudence musulmane, les parents biologiques ont une place importante. Mais une femme qui allaite un enfant devient l'égale de la mère biologique. L'enfant adopté conserve toujours le nom de son père biologique. Il ne prend pas celui du père adoptif. Du reste, les enfants qui ne connaissent pas leurs parents biologiques le vivent comme une blessure, une douleur. La filiation par adoption est fictive, même si l'affection des parents et des enfants est bien réelle.
Mlle Sophie Joissains . - Si ce projet de loi est adopté, d'autres revendications ne s'exprimeront-elles pas, telles que la bigamie ?
M. Jean-Jacques Hyest . - Vous avez parlé d'adoption. Au Maroc, et dans d'autres pays du Maghreb, il existe la kafala qui empêche l'adoption plénière d'enfants adoptables provenant de ces pays.
M. Jean-René Lecerf . - J'ai travaillé récemment sur la législation funéraire : les carrés musulmans sont manifestement une entrave à l'intégration. Ce texte, s'il est adopté, peut-il en être une autre ?
Mme Esther Benbassa . - L'Islam, comme les autres monothéismes, interdit l'homosexualité, punie par l'Etat, en Egypte, par exemple. Pourtant, en terre d'Islam, l'homosexualité est courante et même magnifiée. Voyez les grands chanteurs travestis, adulés par la population.
Comment la société musulmane en France va-t-elle suivre cette évolution ? Les homosexuels musulmans qui se marieront seront-ils mal vus, voire bannis de la communauté ? L'Islam de France sera-t-il en retrait, par rapport à l'évolution de la société ? J'ai tenu le même discours au Grand Rabbin de France, qui appartient à un courant traditionnel du judaïsme - car d'autres courants sont très ouverts et ont même adapté la pratique religieuse pour intégrer les évolutions sociales. Des mouvements libéraux de l'Islam vont-ils s'exprimer ? Ou va-t-on assister à une non-intégration, ou une désintégration, de la société musulmane ?
M. Thani Mohamed Soilihi . - Je viens d'un département, Mayotte, où la population est en immense majorité musulmane. Les propos de M. Moussaoui ne m'étonnent pas. Selon les fondements de la religion musulmane, le mariage pour tous n'est pas acceptable.
Toutefois, l'homosexualité n'est pas une spécificité en France ou dans nos territoires lointains. Certes, pour la religion musulmane, le mariage des personnes de même sexe n'est pas acceptable, mais ce texte vise à réagir à des situations de fait, pour plus d'égalité.
En France, le temporel et le spirituel sont séparés depuis fort longtemps. Félicitons-nous que notre pays distingue le religieux de la loi. Si tel n'était pas le cas, les religions minoritaires n'auraient pas droit de cité.
M. Jean-Jacques Hyest . - Tout à fait d'accord.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Ce projet de loi n'a pas vocation à demander à quelque communauté que ce soit de changer ses pratiques religieuses.
M. Jean-René Lecerf . - Dans quelle mesure l'hostilité du culte musulman à l'égard du mariage entre personnes de même sexe pourrait-elle entraîner des difficultés pour les futurs couples ainsi mariés, dans l'exercice de leur religion ?
M. Mohammed Moussaoui . - La revendication de la bigamie ou de la polygamie n'est pas exclue. La loi actuelle l'interdit. Trois ou quatre personnes pourraient pourtant vouloir avoir une communauté de vie. Rien d'interdirait à une future loi de l'autoriser... Le Gouvernement a dit que la GPA resterait interdite. Mais un pas a été franchi au nom du principe d'égalité et il n'est pas exclu, au nom du même principe, que les couples d'homosexuels demandent à avoir des enfants via la GPA. Or celle-ci pose de redoutables problèmes éthiques.
Dans la kafala, l'enfant garde le nom de son père biologique : c'est une façon d'accueillir l'enfant, sans le couper de sa filiation réelle.
M. Jean-Jacques Hyest . - Cela interdit l'adoption plénière.
M. Mohammed Moussaoui . - Oui.
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - La famille adoptante a le statut d'un tiers digne de confiance.
M. Mohammed Moussaoui . - Ce projet de loi est-il un obstacle à l'intégration des musulmans ? Nous savons que les règles religieuses ne peuvent être mises en avant pour se soustraire aux lois républicaines. Aucun responsable religieux ne prônerait une telle attitude.
Les Musulmans de France ne trouveront pas dans cette loi d'obstacle à leur choix de vivre leur religion. Chaque citoyen musulman est libre de sa pratique religieuse. Mais le citoyen ne saurait exiger que le culte musulman change ses règles ! Les demandes des homosexuels musulmans en ce sens ne seront donc pas entendues : la religion musulmane restera ce qu'elle est.
Mme Benbassa m'a interrogé sur la situation des homosexuels dans d'autres pays. Les Musulmans de France doivent défendre les libertés dans le monde, êtres solidaires des efforts menés par les peuples pour acquérir les libertés individuelles. Ils ne sauraient être tenus responsables de la situation existant dans tel ou tel autre pays.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci pour toutes ces réponses. Je vous remercie d'être venu nous parler. Rassurez-vous, nous nous préoccupons des conséquences des lois que nous votons.