III. LÉGIFÉRER, BIEN SÛR, INNOVER SURTOUT
A. LÉGIFÉRER POUR DONNER UNE PLUS GRANDE SOLENNITÉ
Le recours à la procédure législative, s'il n'est pas indispensable à la lecture de la Constitution du 4 octobre 1958, ce qui a permis d'établir par décret certaines journées d'hommage et de commémoration, confère une plus grande solennité à cette expression de la volonté générale. Dès lors qu'il s'agit d'une initiative du Gouvernement ou d'une initiative parlementaire qu'il accepte, le recours à la loi n'est pas une entorse aux règles constitutionnelles telles que le Conseil constitutionnel 15 ( * ) les interprète.
Le recours à la loi est d'ailleurs ce que la mission d'information de l'Assemblée nationale proposait dans son rapport d'information de novembre 2008. « La mission demande que toute modification significative de notre calendrier commémoratif emprunte la voie législative » . Puisqu'il procède du suffrage universel et qu'il représente la Nation, le Parlement est tout à fait fondé à se prononcer sur les évènements dont la commémoration permet de mettre en exergue les valeurs de la République.
B. MAIS LA LÉGISLATION SERA BIEN INSUFFISANTE SI ELLE N'EST PAS ACCOMPAGNÉE D'UN EFFORT PLUS GLOBAL
Les commémorations, qu'il s'agisse de celle de tous les morts pour la France, ou des commémorations spécifiques à chacun des conflits, ne peuvent avoir d'impact que si elles s'intègrent dans un ensemble permettant tout à la fois l'accueil des messages dont elles sont porteuses, leur approfondissement et leur actualisation.
On rappellera en ce sens les conclusions du rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale qui mettait en exergue plusieurs actions.
1. La commémoration doit être préparée
L'action de commémoration ne doit pas se limiter à la cérémonie elle-même qui risque de se réduire à un rituel desséché si elle n'est pas précédée par un travail préparatoire de sensibilisation et d'actualisation des formes de la commémoration. S'il est nécessaire de garder un rituel immuable au coeur des cérémonies (appel des morts, minute de silence, hymne national), il est souhaitable que des modes d'expression plus actuels précèdent ou entourent celui-ci afin d'associer plus largement les citoyens et notamment les jeunes générations. De même, des actions de sensibilisation peuvent être engagées dans les semaines qui précèdent la commémoration. Un effort très sensible a été entrepris depuis une dizaine d'années notamment par l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre en liaison avec l'Éducation nationale et de nombreuses collectivités locales et avec les concours des associations d'anciens combattants, qu'il s'agisse de concours ou tout simplement de témoignages d'acteurs ayant vécu cette période devant les élèves. De la même façon, le choix de thématiques particulières, chaque année, à l'occasion des commémorations a-t-il pour effet de susciter un intérêt nouveau, notamment de la part des médias, sans en altérer le sens.
Comme l'estime le rapport de la commission « Kaspi », toutes les initiatives sont acceptables « si elles contribuent à éveiller l'enfant ou l'adolescent, si elles lui font comprendre la signification tout autant que l'importance de la commémoration ». Ce qui vaut pour les jeunes générations vaut aussi pour les adultes. Ceux qui ont connu un conflit sur le territoire métropolitain sont aujourd'hui âgés de plus de 65 ans, ceux qui ont connu la guerre d'Algérie de 49 ans et plus (ceux qui y furent appelés à combattre sont âgés de plus de 65 ans).
2. La commémoration doit être prolongée
L'action de commémoration s'inscrit dans un temps très court, celui d'une Journée, voire d'une heure. Elle doit donc être l'occasion de susciter un intérêt et des relais. Ces relais se focalisent assez naturellement sur la période temporelle qui précède la commémoration ou qui la suit immédiatement. L'adaptation des programmes des principales chaînes de télévision, avec la diffusion de productions historiques, qu'il s'agisse de fictions, de documentaires ou de débats, en témoigne.
Mais ils peuvent s'inscrire dans une dimension plus permanente qu'il s'agisse de monuments à vocation mémorielle pour témoigner la reconnaissance de chaque commune à ses enfants morts au champ d'honneur dans les différents conflits ou de monuments commémoratifs de combats ou d'actions, autant de traces visibles permettant au passant de se souvenir, que d'établissements muséographiques de dimension modeste comme on en trouve dans les maisons du combattant de nombreuses villes ou d'installations plus ambitieuses comme le Mémorial de Caen, de l'Historial de Péronne ou du Musée de la Grande Guerre de Meaux pour ne citer que quelques exemples. Ils permettent aux enseignants et aux élèves, mais aussi au plus large public, de trouver en un lieu une ressource pédagogique et accessible, qu'il s'agisse de visiter une présentation permanente ou une exposition temporaire, de consulter sur place ou sur les sites internet des fonds documentaires ou de s'associer aux initiatives mises en oeuvres (concours, colloques, débats...).
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication offrent également de belles perspectives ; votre rapporteur souligne tout particulièrement le site internet « Mémoire des hommes » mis en place par le ministère de la Défense et des anciens combattants qui a été inauguré en 2003 avec la mise en ligne des 1,3 million de fiches des « Morts pour la France » de la Première guerre mondiale. Ce site actualise la démarche entreprise par le législateur en 1919 16 ( * ) . Il s'est enrichi depuis de nouvelles bases couvrant d'autres périodes. Votre rapporteur note également avec intérêt les réflexions du rapport Thorette 17 ( * ) pour associer au monument lapidaire des morts en OPEX, un monument virtuel qui en constituerait le prolongement et l'approfondissement. Mémoires inscrites dans la pierre et mémoires virtuelles, autant d'occasions pour donner de la présence et de l'éternité à ceux qui ont donné leur vie et dont le sacrifice constitue un exemple.
« La politique de commémoration », souligne l'historien polonais Bronislaw Geremek, « c'est l'histoire qui entre dans la vie publique ». « C'est elle qui assure le souvenir à tous les niveaux de la vie quotidienne et de la vie sociale et qui assure la place de la mémoire ».
3. La commémoration doit être comprise
L'action de commémoration doit être comprise, à tous les sens du terme, dans l'éducation des jeunes générations. La mission d'information de l'Assemblée nationale a consacré de très nombreuses pages de son rapport à cette question, pour réaffirmer la contribution de l'école à la construction d'une culture historique partagée 18 ( * ) et notamment à l'articulation complexe entre « devoir d'histoire » et « devoir de mémoire ». Elle concluait en rappelant que la classe et les programmes d'histoire doivent rester un lieu de connaissance et non de reconnaissance, leur finalité première étant de « comprendre » et de « faire comprendre ». Il s'agit là d'un « devoir d'intelligence » pour reprendre l'expression de l'historien Jean-Pierre Rioux 19 ( * ) permettant par une mise à distance des émotions, le « consentement aux faits » et la compréhension que les mêmes évènements ont pu être vécus de manières différentes par les différents protagonistes. Il n'est pas contradictoire de comprendre, par exemple, que beaucoup de ceux qui furent exécutés pour mutinerie en 1917 « n'avaient pas été des lâches, mais que simplement ils étaient allés jusqu'à l'extrême limite de leurs forces » 20 ( * ) n'altère aucunement la puissance de la reconnaissance que la Nation doit aux 1,4 million de combattants morts pour la France pendant la Grande Guerre. Il n'y a donc pas de contradiction, mais au contraire une articulation raisonnable entre le travail des historiens et l'enseignement de l'histoire, d'une part et la compréhension du sens de la commémoration d'autre part. Plus elle sera ancrée sur des connaissances historiques solides, plus la commémoration sera comprise, intelligible, lisible et incontestable.
4. La commémoration doit être actualisable
Enfin, l'action de commémoration reste actualisable. Même si le message délivré est intangible, la reconnaissance de la Nation à ceux qui ont sacrifié leur vie pour sa défense, il doit pouvoir être articulé en prenant en considération le contexte historique et la situation vécue depuis la fin du conflit. On ne peut que se réjouir par exemple de voir les ennemis d'hier, associés à la commémoration des combats passés et au respect de ceux qui ont versé leur sang. A l'heure de la construction de l'Europe, dont le fondement historique reste la réconciliation franco-allemande, l'image du Président Mitterrand et du chancelier Kohl se tenant par la main, à Verdun, le 22 septembre 1984, est gravée dans les mémoires comme un pas important vers ce que l'historien polonais Bronislaw Geremek nomme « la réunification des mémoires » .
* 15 Depuis une décision n°82-141 du 27 juillet 1982 « liberté des prix », le Conseil constitutionnel a considéré que le partage du domaine de la loi et du règlement ne définit pas des champs de compétence exclusifs, mais permet au Parlement d'empiéter occasionnellement du domaine de la loi dès lors que le Gouvernement n'a pas fait usage des moyens constitutionnels (article 41 de la constitution) lui permettant de réaffirmer le caractère réglementaire d'une matière sur laquelle le législateur est intervenu ou entend intervenir.
* 16 Loi du 25 octobre 1919 . Les noms des combattants des armées de terre et de mer ayant servi sous les plis du drapeau français et morts pour la France, au cours de la guerre de 1914 à 1918, seront inscrits sur des registres déposés au Panthéon. L'État remettra à chaque commune un Livre d'Or sur lequel seront inscrits les noms des combattants des armées de terre et de mer morts pour la France, nés ou résidant dans la commune. Ce livre d'or sera déposé dans une salle de la Mairie et tenu à la disposition des habitants de la commune. Un monument national commémoratif des héros de la Grande Guerre tombés aux champs d'Honneur, sera élevé à Paris ou dans les environs immédiats de la capitale.
* 17 Un groupe de travail présidé par le général Thorette a été mis en place dans la perspective de la réalisation d'un mémorial des « Morts pour la France » en OPEX. Il a rendu ses conclusions le 10 octobre 2011
* 18 Rapport déjà cité p. 138 et suivantes
* 19 Sur la relation entre histoire et mémoire, voir les actes du colloque « Les troubles de la mémoire française » organisé par le Sénat le 10 décembre 2010 et notamment les interventions introductives de MM. Guy Fischer, Jean-Noël Jeanneney et Jean-Pierre Rioux.
* 20 Discours du Président de la République lors du 90 ème anniversaire du 11 novembre.