N° 74
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 novembre 2011 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par Mme Isabelle PASQUET,
Sénatrice.
Tome IV :
Famille
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, M. Alain Gournac, Mme Catherine Deroche, M. Marc Laménie , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Odette Duriez, Anne-Marie Escoffier, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mmes Chantal Jouanno, Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, Michel Vergoz, André Villiers, Dominique Watrin. |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : |
3790 , 3865 , 3869 et T.A. 752 |
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Sénat : |
73 (2011-2012) |
Par la voix de sa rapporteure, Isabelle Pasquet, la commission constate que le déficit désormais structurel de la branche famille résulte à la fois de la crise économique, laquelle a entraîné une perte de recettes de l'ordre de 2,7 milliards d'euros, et du transfert de charges jusque-là assumées par la branche vieillesse. Pour la seule année 2011, les dépenses de la Cnaf au titre des droits familiaux de retraite s'élèvent à 8,8 milliards. La commission dénonce la fragilisation de la structure des recettes de la branche famille résultant du transfert, en 2011, de 0,28 point de CSG vers la Cades pour financer la dette sociale, mesure qu'elle avait vivement combattue. Pour compenser cette perte de recettes pérennes et dynamiques, la branche s'est vu attribuer trois recettes aléatoires, si bien que dès 2013, le compte n'y sera plu : le manque à gagner devrait être de 600 millions. Ce montage financier, outre qu'il déstabilise la structure financière de la branche, compromet tout retour à l'équilibre des comptes dans un avenir proche. Pour 2011 et 2012, sont ainsi annoncés d' inquiétants déficits , respectivement de 2,6 et 2,3 milliards d'euros . La commission regrette que la légère amélioration du solde en 2012 soit le fait de recettes nouvelles qui consistent à faire des économies au détriment des familles , au moment où le pays traverse une grave crise économique et sociale. Elle se félicite que l'assujettissement à la CSG du complément de libre choix d'activité de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) ait été supprimé par l'Assemblée nationale. La commission juge cependant inacceptable la décision du Gouvernement de compenser la perte des 140 millions d'économies attendus de cette mesure par le report de la revalorisation des prestations familiales du 1 er janvier au 1 er avril . Une fois de plus, les familles les plus fragiles seront les premières pénalisées, d'autant que le Gouvernement s'était engagé à revaloriser les prestations familiales de 2,3 %. La commission propose donc de supprimer cette mesure de report . La commission approuve les deux mesures proposées par le texte, à savoir l'amélioration du volet « aide à la garde d'enfant » de la Paje pour les parents isolés et les parents handicapés, et l'aménagement du régime d'attribution de l'allocation de soutien familial pour les petites pensions alimentaires. Elles constituent un « coup de pouce » bienvenu en direction de publics particulièrement fragiles . La commission regrette toutefois que cette année encore, la famille soit le parent pauvre du projet de loi de financement, traduisant un manque d'ambition du Gouvernement en la matière, alors que de très nombreux chantiers sont à engager. Enfin, elle propose que le montant de l'allocation de rentrée scolaire soit, pour les lycéens, modulé en fonction de la voie de formation suivie . En effet, les filières technologiques et professionnelles sont, par définition, plus coûteuses en fournitures et matériels pour les familles que la filière générale. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Depuis 2008, la branche famille est entrée dans un cycle déficitaire continu d'une ampleur sans précédent dans son histoire. Cette situation est pour partie imputable à la crise économique qui lui a causé la perte de près de 2,7 milliards d'euros de recettes. Mais son déficit structurel résulte aussi d'un choix de politique économique qui a consisté à lui transférer des prestations assumées jusque-là par la branche vieillesse. Pour la seule année 2011, le coût de cette prise en charge s'élève à 8,8 milliards d'euros pour la Cnaf.
Dans le même temps, les petites mesures d'économies votées les années passées, comme l'unification des majorations d'âge des allocations familiales et la suppression de la rétroactivité des aides au logement, ne sont pas de nature à permettre un rééquilibrage des comptes.
Point plus inquiétant, le financement de la branche famille a été fortement fragilisé par le transfert, en 2011, de 0,28 point de CSG, qui lui était précédemment attribué, vers la Cades, pour financer la dette sociale. Cette opération se révèle être un marché de dupes puisque, pour compenser cette perte de recettes pérennes et dynamiques, la branche s'est vu attribuer trois recettes aléatoires et vouées à diminuer. Dès 2013, la Cnaf n'y trouvera plus son compte.
Dès lors, il ne faut pas s'étonner du maintien du déficit à un niveau très préoccupant en 2011 (2,6 milliards d'euros) et en 2012 (2,3 milliards). Certes, le projet de loi de financement pour 2012 escompte une légère amélioration du solde, mais celle-ci est à mettre sur le compte de mesures nouvelles en recettes particulièrement injustes et malvenues en période de crise économique et sociale.
L'assujettissement à la CSG du volet « libre choix d'activité » de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), finalement supprimé par l'Assemblée nationale, aurait ainsi fait perdre à près de 330 000 familles entre 100 et 400 euros par an. La réaction du Gouvernement ne s'est toutefois pas fait attendre puisque, pour compenser la perte des 140 millions d'économies attendus de cette mesure, celui-ci a annoncé le report de la revalorisation annuelle des prestations familiales du 1 er janvier au 1 er avril . Votre rapporteure s'oppose avec vigueur à cette décision qu'elle juge inacceptable, incohérente et irresponsable dans la conjoncture économique actuelle.
Cette année encore, la branche famille constitue le parent pauvre du projet de loi de financement puisque seules sont envisagées deux mesures relatives au complément de libre choix du mode de garde de la Paje et à l'allocation de soutien familial. Celles-ci sont positives, parce qu'elles améliorent, à la marge, la situation des familles monoparentales et des parents handicapés, mais elles témoignent surtout du manque d'ambition de la politique familiale du Gouvernement , alors que de nombreuses promesses avaient été faites aux Français.
Votre rapporteure entend insister, au cours de l'examen de ce projet de loi de financement, sur plusieurs chantiers qui méritent, selon elle, d'être engagés dans le domaine de la famille, au premier rang desquels la modulation de l'allocation de rentrée scolaire selon la voie de formation suivie, le versement des allocations familiales dès le premier enfant et l'allongement de la durée du congé de maternité.
I. LA SITUATION FINANCIÈRE DÉGRADÉE DE LA BRANCHE FAMILLE
Traditionnellement excédentaire en raison de la structure particulière de ses recettes et de ses dépenses, la branche famille connaît depuis 2008 une dégradation continue de ses comptes, imputable non seulement à la crise économique mais aussi à plusieurs mesures votées ces dernières années. Pour 2011 et 2012, sont annoncés de très préoccupants déficits, à hauteur de 2,6 et 2,3 milliards d'euros, sans qu'existe de perspective proche de retour à l'équilibre.
A. UNE BRANCHE STRUCTURELLEMENT EXCÉDENTAIRE
1. La composition des recettes et des dépenses
a) Des recettes pérennes et dynamiques
Le financement de la branche famille est assuré, dans sa quasi-totalité, par deux types de recettes pérennes et dynamiques :
- les cotisations sociales (qu'elles soient effectives, « fictives » ou prises en charge par l'Etat et la sécurité sociale) qui représentent environ 64 % de l'ensemble des recettes ;
- les impôts et taxes affectés qui représentent environ 32 % de l'ensemble des recettes .
Le reste des recettes est constitué de produits de gestion courante et de produits exceptionnels.
Les cotisations versées à la branche famille se répartissent de la manière suivante :
- les cotisations sociales effectives de droit commun entièrement à la charge de l'employeur (96 % du total) ;
- les cotisations dites « fictives » (dans le cas où l'employeur fournit directement des prestations sociales, sa contribution au financement de ces prestations est appelée « cotisations fictives », conformément aux conventions de la comptabilité nationale ; 0,3 % de l'ensemble) ;
- les cotisations prises en charge par l'Etat (dans le cadre de la politique de l'emploi, l'Etat accorde des exonérations de cotisations qu'il rembourse à la sécurité sociale ; 2,1 % du total) ;
- les cotisations prises en charge directement par la sécurité sociale (1,6 % de l'ensemble).
Les impôts et taxes affectés (Itaf) sont principalement constitués de la part de la CSG affectée à la Cnaf .
Jusqu'en 2010, la Cnaf percevait 1,1 point de CSG. Or la nouvelle reprise de dette par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) votée en loi de financement pour 2011 s'est accompagnée de l'affectation à cette dernière de nouvelles recettes, en particulier de 0,28 point de CSG auparavant attribué à la branche famille . Depuis cette année, la Cnaf ne perçoit donc plus que 0,82 point de CSG.
Pour compenser le manque à gagner résultant de cette opération (3,5 milliards d'euros par an), trois nouvelles recettes ont été affectées à la Cnaf :
- l'assujettissement, à un taux réduit de 3,5 %, à la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) des contrats d'assurance maladie dits « solidaires et responsables » 1 ( * ) , qui rapporterait environ 1,05 milliard d'euros par an ;
- un prélèvement exceptionnel, dit « exit tax », sur les sommes placées sur la réserve de capitalisation des entreprises d'assurance, dont le montant s'élèverait à 835 millions d'euros environ en 2011 et en 2012 ;
- un aménagement des règles d'imposition aux prélèvements sociaux de la part en euro des contrats multi-supports d'assurance vie (« préciput assurance-vie »), rapportant 1,6 milliard d'euros en 2011.
Ces nouvelles recettes présentent toutefois l'inconvénient majeur de ne pas être suffisamment solides ni pérennes : l'« exit tax », qui est une mesure temporaire, disparaîtra dès 2013 et le rendement des recettes issues de l'imposition des contrats d'assurance vie suivra, compte tenu de la durée de vie limitée de ceux-ci, une trajectoire décroissante avant de s'annuler à l'horizon 2020.
Parmi les autres impôts et taxes affectés, il convient de citer :
- les impôts et taxes affectés à la compensation des allégements de cotisations sur les bas salaires ;
- une fraction des taxes sur les tabacs ;
- une fraction des taxes sur les salaires.
b) Des dépenses portant sur un large périmètre
Les dépenses de la branche famille peuvent être classées en trois principales catégories :
La première catégorie regroupe les prestations légales au sens de la commission des comptes de la sécurité sociale. Celles-ci se composent :
- des prestations en faveur de la famille : les allocations familiales, le complément familial, l'allocation de soutien familial (ASF) et l'allocation de rentrée scolaire (ARS) ;
- des prestations en faveur de la petite enfance : les quatre composantes de la Paje [la Paje naissance/adoption, la Paje de base, le complément de libre choix du mode de garde (CLCMG), le complément de libre choix d'activité (CLCA)], l'allocation pour jeune enfant (APJE), l'allocation d'adoption, l'allocation parentale d'éducation (APE), l'aide à l'emploi d'une assistante maternelle agréée (Afeama), l'allocation de garde d'enfant à domicile (Aged) et l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) ;
- des prestations en faveur du logement : l'allocation de logement à caractère familial (ALF), la contribution au financement de l'aide personnalisée au logement (APL) 2 ( * ) via le fonds national d'aide au logement (Fnal) ;
- d'une prestation à destination des personnes handicapées : l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) 3 ( * ) .
L'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale définit huit prestations familiales : - la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) ; - les allocations familiales ; - le complément familial ; - l'allocation de logement familiale (ALF) ; - l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) ; - l'allocation de soutien familial (ASF) ; - l'allocation de rentrée scolaire (ARS) ;
- l'allocation journalière de présence
parentale (AJPP).
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La deuxième catégorie de dépenses correspond à des transferts financiers entre organismes de sécurité sociale :
- les cotisations AVPF (assurance vieillesse des parents au foyer) que la Cnaf verse à la Cnav 4 ( * ) ;
- les majorations de pensions pour les parents ayant élevé trois enfants et plus, prises en charge par la Cnaf pour le compte du fonds de solidarité vieillesse (FSV).
La loi de financement pour 2001 avait initialement prévu que ces majorations seraient progressivement assumées par la branche famille. La loi de financement pour 2006 a interrompu ce processus de transfert en fixant définitivement, selon le Gouvernement de l'époque, la part de la contribution de la branche à 60 % du montant total. La loi de financement pour 2009 a de nouveau modifié la donne et réintroduit le principe d'un transfert progressif, puis intégral selon le schéma suivant : une prise en charge progressive de ces prestations par la branche famille à hauteur de 70 % en 2009, de 85 % en 2010 et de 100 % à compter de 2011 ;
- les indemnités journalières au titre du congé de paternité servies par la Cnam pour le compte de la Cnaf.
La troisième catégorie est constituée de la participation de la Cnaf au financement de fonds , en particulier au fonds national d'action sociale (Fnas). Celui-ci est essentiellement destiné à contribuer au financement de la création et du fonctionnement des établissements d'accueil des jeunes enfants (EAJE).
* 1 Il convient de noter que la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 a porté le taux de cette taxe à 7 %, mais que cette recette complémentaire a été affectée à la branche maladie, la branche famille conservant le bénéfice des 3,5 % acquis dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
* 2 Le financement de l'APL est assuré, via le fonds national d'aide au logement (Fnal), par une contribution de la branche famille et de l'Etat.
* 3 Depuis le 1 er janvier 2010, dans le but d'améliorer la lisibilité des comptes de la sécurité sociale, l'allocation aux adultes handicapés (AAH), servie par la Cnaf pour le compte de l'Etat, n'apparaît plus au compte de résultat de la caisse.
* 4 L'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), créée en 1972, est attribuée aux pères et aux mères d'au moins un enfant en bas âge ou de trois enfants et plus qui bénéficient de certaines prestations familiales éventuellement accordées sous condition de ressources. L'ouverture du droit à l'AVPF entraîne le versement de cotisations forfaitaires à l'assurance vieillesse du régime au titre des mois au cours desquels le parent bénéficie des prestations familiales. Ce dispositif est analogue au processus qui conduit un employeur à verser un salaire à un assuré, ce salaire constituant, au moment de la retraite, un des éléments de calcul de la pension dont bénéficiera le salarié. Il correspond à une prestation vieillesse indirecte. Comparativement aux prestations familiales existantes par ailleurs, l'effet de l'AVPF est décalé dans le temps par rapport au fait générateur. Sur le plan financier, le schéma est le suivant :
CNAF |
CNAV |
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Au cours de la carrière |
- Versement de prestations familiales à l'assuré |
- Enregistrement de salaires forfaitaires AVPF et de trimestres sur le compte individuel |
- Versement de cotisations AVPF à la Cnav |
- Encaissement de cotisations AVPF versées par la Cnaf |
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A la retraite |
- Calcul de la pension en intégrant les salaires AVPF et trimestres d'assurance validés |