TITRE VII - RECHERCHE SUR L'EMBRYON ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES
Article 23 (art. L. 2151-5 du code de la santé publique) - Recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires
Objet : Cet article précise le régime de mise en oeuvre des recherches sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires.
I - Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications essentielles au texte adopté par le Sénat en première lecture.
Elle a tout d'abord rétabli, dans une rédaction légèrement modifiée, les conditions qu'elle avait imposées pour l'encadrement des recherches sur les embryons et les cellules souches embryonnaires. Une recherche « recourant à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires » ou des « lignées de cellules souches », c'est-à-dire des cellules souches embryonnaires dérivées en laboratoire d'une cellule souche extraite d'un embryon, ne pourra être mise en oeuvre que si l'impossibilité « de parvenir au résultat escompté » par le biais d'un autre type de recherche est « expressément » établie. Ce sont donc les résultats attendus des recherches qui seront comparés, et non les moyens à mettre en oeuvre, comme le prévoyaient le texte initial du Gouvernement et celui du Sénat. Au surplus, la précision selon laquelle la démonstration de l'impossibilité de mener une recherche alternative s'effectue « en l'état des connaissances scientifiques » a été supprimée.
L'Assemblée nationale a également rétabli la nécessité d'informer le couple qui fait le choix de donner à la recherche ses embryons surnuméraires de la nature des recherches projetées, condition présentée comme nécessaire pour qu'il puisse y donner un consentement libre et éclairé. Le respect de cette obligation suppose donc que les embryons surnuméraires soient pré-affectés à un protocole de recherche.
Elle a réaffirmé la possibilité pour le couple de s'opposer à la recherche sur l'embryon tant que la recherche n'a pas commencé, et non plus jusqu'à ce que des cellules aient été dérivées de l'embryon, ce que prévoyait le texte adopté par le Sénat en première lecture.
Elle a inscrit à nouveau au sein de l'article L. 21551-5 que « les recherches alternatives à celles sur l'embryon humain et conformes à l'éthique doivent être favorisées ».
Elle a, par ailleurs, rétabli son texte de première lecture concernant les études non interventionnelles sur l'embryon en prévoyant leur autorisation à titre exceptionnel et en procédant à l'énumération partielle de leurs objectifs. La possibilité pour un couple de s'opposer à tout moment à ces études, supprimée par le Sénat, n'a, en revanche, pas été rétablie.
Enfin, elle a rétabli un principe général d'interdiction des recherches sur l'embryon, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches. La recherche encadrée resterait, comme dans le régime actuel, une dérogation à ce principe.
II - Le texte adopté par la commission
Votre commission ne peut accepter ni l'interdiction de principe, ni les conditions supplémentaires posées par l'Assemblée nationale pour la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
Elle relève tout d'abord que la mention de l'interdiction de la recherche sur les lignées de cellules souches ajoutée en deuxième lecture, est juridiquement ambigüe. En effet, les lignées de cellules souches embryonnaires sont des reproductions obtenues en laboratoire d'une cellule extraite originellement d'un embryon. Si leur mode de multiplication est artificiel, leur nature ne change pas : elles demeurent des cellules souches embryonnaires. Leur mention spécifique ne paraît donc pas utile. Qui plus est, la formule « lignée de cellules souches » ne précise pas le caractère embryonnaire des cellules visées, et pourrait tout aussi bien s'appliquer à des lignées de cellules souches adultes, extraites du sang de cordon ou induites. Or, les recherches sur ces lignées, qui ne poseraient aucun problème éthique, n'ont pas vocation à être interdites ou même autorisées dans des conditions spécifiques.
L'argumentation juridique développée par le rapporteur de l'Assemblée nationale pour justifier la nécessité d'une interdiction de principe ne convainc pas votre commission. La question de la compatibilité de ce texte au regard de l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la loi est ainsi écartée au motif que le régime posé en 2004 n'a pas été invalidé par le Conseil constitutionnel. Or cette analyse, justifiée pour le régime d'interdiction assorti d'une dérogation temporaire mis en place en 2004, ne peut être simplement étendue à un régime d'interdiction assorti de dérogations permanentes tel qu'il résulterait du texte adopté par l'Assemblée. Par ailleurs, plus encore que la conformité du texte aux exigences a minima du Conseil constitutionnel en la matière, c'est bien la clarté du message adressé par le législateur aux chercheurs et à l'opinion publique qu'il importe de prendre en compte. De ce point de vue, l'existence de l'interdiction de principe, assortie d'une dérogation générale, ne fait que rendre confuse l'intention du Parlement, qui semble interdire et, dans le même temps, autoriser.
Le fond de l'argumentation de l'Assemblée nationale réside dans la nécessité d'un « interdit symbolique fort » dont la nécessité avait été envisagée avant d'être écartée par le Conseil d'Etat. A cet interdit fort, mis en place afin de pouvoir y déroger, votre commission maintient sa préférence pour un régime de responsabilité assumée et encadrée.
Il convient à cet égard de lever une ambiguïté. Le rapporteur de l'Assemblée nationale, interprétant l'analyse du Conseil d'Etat concernant les régimes d' « interdiction assortie de dérogation » et d'« autorisation encadrée par des conditions », a affirmé en effet que « dans le cas de l'interdiction, la possibilité de déroger est d'interprétation stricte, tandis que, dans le cas de l'autorisation, c'est la condition qui restreint la liberté de la recherche qui l'est. » Cela laisse entendre que l'autorisation encadrée permettra tout ce que le législateur n'aura pas explicitement pensé à interdire. Or il n'en est rien : l'autorisation encadrée telle que prévue en première lecture par le Sénat n'est pas une autorisation de principe, mais une autorisation sous conditions cumulatives, en dehors desquelles la recherche ne peut avoir lieu.
Tous ceux qui souhaitent un encadrement de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires devraient donc être favorables à l'adoption de ce régime plutôt qu'à une interdiction avec dérogations qui, comme le rapporteur de l'Assemblée l'a relevé lui-même, a jusqu'ici donné lieu à de nombreuses autorisations, le texte étant interprété de manière « pragmatique » par l'agence de la biomédecine. Le régime d'autorisation encadrée suppose au contraire l'interprétation stricte des conditions d'autorisation, et tout protocole qui ne répond pas exactement aux critères fixés par le législateur devra être interdit.
Ainsi, le régime d'interdiction est celui qui laisse la plus large part à l'interprétation par l'agence de la biomédecine, tandis que le régime d'autorisation encadrée permet au législateur de poser clairement les principes qu'il entend faire respecter. Cette solution est, à tous égards, préférable à celle consistant à inclure dans la loi des dispositions déclaratoires censées éclairer les acteurs sur les intentions du législateur.
La remarque du rapporteur de l'Assemblée nationale selon laquelle il y a « un paradoxe à réclamer un régime de liberté de la recherche en indiquant dans le même temps que celle-ci doit être strictement encadrée » paraît difficilement compréhensible, à moins de confondre liberté et licence. Le régime d'autorisation encadrée de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires est la conséquence directe du principe posé par le code civil du respect de la vie humaine dès son origine. Parce que l'embryon a un statut spécifique lié à l'être humain qu'il pourrait devenir, un régime spécifique est nécessaire pour les recherches l'impliquant. L'existence même de ce régime suffit à préserver la nature des embryons et assure la cohérence de l'ordre juridique national et international.
Ce régime est tout entier tourné vers la limitation stricte des recherches à ce qui est nécessaire pour le bien collectif. C'est à cette fin, ainsi que l'a rappelé en première lecture votre rapporteur lors de la discussion de cet article en séance, qu'il impose une comparaison constante avec les autres méthodes, et la preuve de l'impossibilité d'alternatives. Dès l'instant où un autre type de cellules offrira les mêmes possibilités aux chercheurs que les cellules souches embryonnaires, les recherches sur celles-ci seront interdites. Le débat scientifique, pour intéressant qu'il soit, n'est pas du ressort du législateur qui a confié la tâche d'évaluation de l'état d'avancement des recherches sur les cellules souches à l'agence de la biomédecine.
Deux modifications apportées par l'Assemblée nationale au texte du Sénat sont à cet égard problématiques. La suppression de la référence à « l'état de la science » dans les conditions posées pour l'autorisation de la recherche laisse en effet supposer que la décision pourrait être influencée par des espoirs non scientifiquement établis. De plus, il est pour le moins « épistémiologiquement fragile », comme l'a reconnu le rapporteur de l'Assemblée lui-même, de mettre comme condition à l'autorisation d'une recherche qu'il soit « expressément établi qu'il est impossible de parvenir au résultat escompté » par une autre méthode. Respecter cette condition imposerait d'avoir échoué dans toutes les autres recherches possibles avant que de pouvoir utiliser les cellules souches embryonnaires : cela est contraire à la démarche scientifique qui suppose la recherche de la plus grande efficacité, et est même impossible car de nouveaux types de recherche à disqualifier pourraient toujours être trouvés.
Enfin, la nécessité d'informer les parents sur la nature des recherches effectuées à partir de leurs embryons donnés à la science suppose une pré-affectation des embryons à des protocoles qui ne correspond pas à la réalité de la pratique, le don s'effectuant la plupart du temps avant qu'une équipe de recherche n'ait besoin de recourir à des embryons.
Il serait singulier de considérer que l'interdiction de principe peut demeurer parce qu'elle n'entrave pas véritablement la recherche en raison de l'interprétation pragmatique qu'en fait l'agence de la biomédecine et, dans le même temps, de durcir les conditions d'autorisation au point de rendre la dérogation impossible dans les faits.
Pour toutes ces raisons et sur la proposition de son rapporteur, la commission a rétabli le texte adopté par le Sénat en première lecture, sous deux réserves découlant des remarques faites par le rapporteur de l'Assemblée nationale : d'une part, elle a étendu le contrôle de l'agence de la biomédecine aux conditions du recueil du consentement des parents au moment de l'autorisation du protocole ; d'autre part, elle a prévu un encadrement plus strict de la possibilité pour ceux-ci de s'opposer à une recherche.
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article 23 bis - Rapport du Gouvernement sur la mise en place de centres de ressources biologiques
Objet : Cet article, introduit en première lecture par le Sénat, tend à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la mise en place de centres de ressources biologiques.
I - Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a supprimé cet article qui prévoyait la remise d'un rapport au Parlement par le Gouvernement, avant le 1 er juillet 2012, sur les conditions de mise en place de centres de ressources biologiques sous la forme d'un système centralisé de collecte, de stockage et de distribution des embryons surnuméraires dont il a été fait don à la science.
Les arguments ayant conduit à cette suppression ont été que :
- les termes « de collecte, de stockage et de distribution » des embryons surnuméraires sont difficilement acceptables en ce qu'ils traduisent une réification de l'embryon ;
- la nécessité de mettre en place un réseau de conservation des seuls embryons surnuméraires dont il a été fait don à la science n'est pas avérée.
II - Le texte adopté par la commission
Votre commission rappelle que la création de centres de ressources biologiques est étudiée de longue date au niveau national et international. Elle est défendue depuis 2001 par l'OCDE. L'agence de la biomédecine, dans son bilan d'application de la loi de bioéthique publié en 2008, a considéré que la création de ces centres pourrait utilement faire l'objet d'une réflexion. Dans le rapport établi par Pierre Jouannet, l'Académie nationale de médecine estime nécessaire d'organiser la gestion des embryons destinés à la recherche en prévoyant des structures spécialisées équivalentes aux centres de ressources biologiques qui seraient autorisées à les conserver et à les distribuer dans les meilleures conditions techniques, sanitaires et éthiques.
Votre commission insiste sur le fait que cet article, précédemment adopté par le Sénat, n'a pas pour objectif de conduire nécessairement à la création de tels centres mais de permettre de disposer d'informations plus complètes sur l'opportunité et sur les conditions de leur éventuelle mise en place.
Dans ce cadre, les interrogations légitimement exprimées par l'Assemblée nationale pourraient trouver des réponses grâce à la présentation, d'ici le 1 er juillet 2012, d'un rapport du Gouvernement au Parlement.
A l'initiative de son rapporteur, elle a rétabli son texte de première lecture et a adopté cet article ainsi rédigé.