B. L'INVENTION D'UN NOUVEAU MODÈLE INSTITUTIONNEL DANS LA FIDÉLITÉ À LA RÉPUBLIQUE
Dans ce contexte de certaine désillusion à l'égard de l'insuffisance de la départementalisation en matière économique et sociale, la question institutionnelle a réapparu à la fin des années 1990, à l'initiative des élus des départements français d'Amérique, après l'épisode de la création des régions monodépartementales d'outre-mer en 1983. Ce renouveau de la question institutionnelle a conduit, dans la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, à la refonte complète des dispositions concernant l'outre-mer.
1. La création des régions dans les départements d'outre-mer
Au début des années 1980, les lois de décentralisation ont concerné les quatre départements d'outre-mer comme les autres départements, y compris en ce qu'elles créaient la région, nouvelle collectivité territoriale prenant la suite des établissements publics régionaux, mais dans la forme particulière de la région monodépartementale en raison d'une décision du Conseil constitutionnel. Pour des raisons géographiques comme politiques évidentes, il n'était pas envisageable d'englober plusieurs départements d'outre-mer dans une seule et même région. Dans son rapport sur le projet de loi cité ci-après 3 ( * ) , notre regretté collègue Louis Virapoullé considérait ainsi que « chacun de ces départements de par sa situation géographique constituait en lui-même une région naturelle, et que c'était à bon droit que chacun de ces départements devait être doté d'une organisation régionale ».
Initialement, le Gouvernement de l'époque avait présenté un projet de loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion. Ce texte prévoyait la coexistence sur le même territoire de la région, nouvelle collectivité territoriale créée par la loi en application du premier alinéa de l'article 72 de la Constitution, avec le département, tout en les dotant d'une assemblée et d'un exécutif uniques, le conseil général et régional et son président 4 ( * ) . Ce conseil général et régional siègerait tantôt comme assemblée du département, tantôt comme assemblée de la région. Notre regretté collègue Louis Virapoullé indiquait dans son rapport que « cette disposition avait pour but, en réalité, de faire administrer les départements d'outre-mer qui, comme tous les départements métropolitains, doivent être dotés d'une assemblée élue dans les mêmes conditions de forme et de temps qu'en France métropolitaine, par une assemblée tout à fait nouvelle, inconnue sur le sol métropolitain ». Le principe d'assimilation devait conduire à ce que l'institution départementale prenne la même forme partout 5 ( * ) . Il ajoutait que « ces dispositions plaçaient les départements d'outre-mer en dehors du droit commun et portaient manifestement atteinte au principe de l'assimilation juridique », créant un statut particulier pour les départements d'outre-mer.
Suivi en cela par le Sénat, notre regretté collègue Louis Virapoullé avait estimé que, par ce projet de loi, « l'article 73 de la Constitution est vidé de sa substance et la Constitution est méconnue », conduisant à la disparition des départements d'outre-mer et donc à la fin de l'assimilation législative et institutionnelle du fait de cette disparition de l'institution départementale et de son assise cantonale. Cette position maintenue en nouvelle lecture conduisit à une saisine du Conseil constitutionnel pour trancher la question.
Dans sa décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, le Conseil fit droit aux arguments défendus par le Sénat et déclara contraire à la Constitution l'intégralité de la loi, considérant que « le statut des départements d'outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'outre-mer » et que « ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d'outre-mer une "organisation particulière", prévue par l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d'outre-mer », avant d'ajouter « qu'en confiant la gestion des départements d'outre-mer à une assemblée qui, contrairement au conseil général des départements métropolitains en l'état actuel de la législation, n'assure pas la représentation des composantes territoriales du département, la loi (...) confère à cette assemblée une nature différente de celle des conseils généraux » et ainsi va « au-delà des mesures d'adaptation que l'article 73 de la Constitution autorise en ce qui concerne l'organisation des départements d'outre-mer ». Cette décision imposa au législateur la création des régions monodépartementales d'outre-mer.
A la suite de cette décision, le Gouvernement de l'époque présenta dans des délais très brefs un nouveau projet de loi, portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion. Ce texte 6 ( * ) , qui fit l'objet d'un accord en commission mixte paritaire, créa quatre régions monodépartementales et organisa l'élection des premiers conseillers régionaux dès le mois de février 1983, anticipant ainsi le calendrier qui allait être suivi pour les régions métropolitaines. Ce premier mandat ne dura que trois ans, pour ensuite se rattacher au calendrier électoral régional de droit commun 7 ( * ) .
* 3 Rapport fait au nom de la commission des lois, n° 35, 1982-1983.
* 4 Cette formule s'apparente à celle de l'assemblée délibérante unique prévue depuis 2003 par le dernier alinéa de l'article 73.
* 5 Le mode de scrutin retenu était un scrutin proportionnel de liste et non scrutin uninominal de type cantonal.
* 6 Loi n° 82-1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion.
* 7 La loi du 31 décembre 1982 prévoyait que le premier renouvellement des conseils régionaux d'outre-mer aurait lieu à la même date que celui de l'ensemble des conseils régionaux.