II. LE LANCEMENT D'UNE COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE DANS LE DOMAINE NUCLÉAIRE MILITAIRE
Le lancement d'une coopération dans le domaine nucléaire militaire constitue l'une des décisions majeures prises lors du sommet de Londres le 2 novembre dernier.
Cette coopération prendra une forme très concrète et génèrera des économies substantielles pour chaque pays. La France et le Royaume-Uni ont renoncé à réaliser séparément deux installations d'expérimentation similaires. Dans le cadre des opérations destinées à garantir la fiabilité et la sûreté de leurs armes nucléaires, ils utiliseront une installation commune, dont les coûts de construction et d'exploitation seront partagés.
Cette coopération revêt également une dimension politique très importante. Touchant à la dissuasion nucléaire, domaine de souveraineté par excellence, elle témoigne du très haut degré de confiance entre les deux pays. Elle marque également leur volonté commune de garantir la crédibilité de leurs forces nucléaires qui jouent un rôle essentiel dans leur stratégie de défense tout en contribuant à la sécurité de l'Europe dans son ensemble.
A. LES FORCES NUCLÉAIRES FRANÇAISES ET BRITANNIQUES, GARANTES DU MAINTIEN D'UNE CAPACITÉ DE DISSUASION EN EUROPE
Depuis la fin de la guerre froide, la France et le Royaume-Uni ont entrepris des réductions successives du volume de leurs forces nucléaires, tout en réaffirmant la place de la dissuasion nucléaire dans leur politique de défense.
1. Une grande proximité de doctrine et de posture
La France et le Royaume-Uni sont deux Etats dotés de l'arme nucléaire au sens du traité de non-prolifération, auquel ils sont tous deux parties.
Ils ont constitué leurs forces nucléaires selon un cheminement différent. Le Royaume-Uni a entrepris une coopération étroite avec les Etats-Unis 3 ( * ) , consacrée par les accords de Nassau du 21 novembre 1962, et a toujours participé à la planification nucléaire de l'OTAN. La France a réalisé sa force de frappe de manière indépendante et l'a constamment maintenue hors des structures nucléaires de l'OTAN.
Ces différences notables, tout comme celles qui peuvent concerner certains aspects de la « politique déclaratoire », n'excluent pas une grande proximité de posture et de doctrine.
La France et le Royaume-Uni sont deux puissances nucléaires « moyennes » qui n'ont pas alimenté la course aux armements et considèrent la dissuasion comme une garantie ultime pour leurs intérêts vitaux .
Le principe de « stricte suffisance » qui sous-tend le dimensionnement des forces nucléaires françaises et a justifié leur diminution depuis la fin de la guerre froide, est extrêmement proche de celui de « dissuasion minimale » , réaffirmé par le Royaume-Uni dans la Strategic Defence and Security Review d'octobre 2010.
Dans ce document, les autorités britanniques précisent que cette dissuasion nucléaire minimale efficace constitue un moyen ultime pour dissuader les menaces les plus extrêmes. Elles rappellent que le Royaume-Uni a toujours considéré l'usage de ses armes nucléaires dans des circonstances extrêmes de légitime défense, y compris de défense de ses alliés de l'OTAN, et qu'il entend maintenir l'ambiguïté sur les circonstances, les modalités et l'étendue de l'usage qu'il pourrait faire de ses armes.
Selon la Strategic Defence and Security Review , le Royaume-Uni ne peut écarter la possibilité de voir ressurgir une menace nucléaire majeure et directe à son encontre. Il constate le maintien d'arsenaux nucléaires conséquents dans le monde et le risque d'une poursuite de la prolifération nucléaire, le nombre d'Etats possesseurs de l'arme nucléaire étant susceptible d'augmenter. De même, il souligne le risque que certains Etats soutiennent le terrorisme nucléaire. Le Royaume-Uni considère qu'il faut empêcher de tels Etats de menacer sa sécurité nationale ou de vouloir le dissuader ou dissuader la communauté internationale d'intervenir au profit de la sécurité régionale ou globale.
Ces analyses rejoignent largement celles de la France. Lors de son discours du 21 mars 2008 à Cherbourg, le Président de la République rappelait que notre dissuasion nucléaire était strictement défensive. Il ajoutait : « l'emploi de l'arme nucléaire ne serait à l'évidence concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense, droit consacré par la Charte des Nations Unies. Notre dissuasion nucléaire nous protège de toute agression d'origine étatique contre nos intérêts vitaux - d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la forme. Ceux-ci comprennent bien sûr les éléments constitutifs de notre identité et de notre existence en tant qu'État-nation, ainsi que le libre exercice de notre souveraineté. Ma responsabilité, en tant que Chef de l'État, est d'en apprécier à tout moment la limite, car dans un monde qui change, celle-ci ne saurait être figée ».
Ces convergences ont été mises en exergue lors du dernier sommet franco-britannique à Londres.
Dans le préambule du traité du 2 novembre 2010 , la France et le Royaume-Uni soulignent « l'importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément-clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées », et ils réaffirment « qu'ils n'envisagent pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'une des parties pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi ».
Les deux pays se disent déterminés à maintenir « une capacité nucléaire minimale crédible, cohérente avec le contexte stratégique et de sécurité de leurs engagements en vertu de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord ».
Cette crédibilité est essentielle au regard de la défense de chacun des deux pays, mais elle joue un rôle plus large, à l'échelle européenne.
Comme ils le rappellent dans le préambule du traité du 2 novembre 2010, la France et le Royaume-Uni considèrent que leurs forces nucléaires « contribuent à la sécurité de l'Europe dans son ensemble ».
Confirmant la position exprimée par l'Alliance atlantique depuis la déclaration d'Ottawa en 1974, le nouveau concept stratégique de l'OTAN, adopté à Lisbonne quelques jours plus tard, le 20 novembre 2010, reconnaît que « les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale et à la sécurité des Alliés ».
C'est en effet sur les forces nucléaires françaises et britanniques que repose le maintien d'une capacité de dissuasion nucléaire en Europe, indépendamment de la garantie américaine.
2. L'évolution des forces nucléaires françaises et britanniques
Les forces nucléaires françaises et britanniques ont suivi une évolution parallèle depuis la fin de la guerre froide, avec une diminution de l'ordre de la moitié du nombre d'armes nucléaires.
? Les forces nucléaires françaises
Votre rapporteur rappelle que les forces nucléaires françaises comportent aujourd'hui :
- une composante océanique constituée de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de type Triomphant , équipés de 16 missiles balistiques pouvant emporter jusqu'à six têtes nucléaires ; la présence à la mer d'au moins un SNLE garantit la crédibilité de la dissuasion ; le 4 ème SNLE, entré en service en 2010, est équipé du nouveau missile M51, de portée accrue, qui sera lui-même doté à compter de 2015 d'une nouvelle tête nucléaire, la tête nucléaire océanique (TNO) ; à terme, la France disposera de trois lots de 16 missiles M51 ;
- une composante aéroportée constituée de deux escadrons de l'armée de l'air et de la flottille embarquée sur le porte-avions ; cette composante, qui reposera d'ici la fin de la décennie sur un parc homogène d'avions de combat Rafale , est progressivement équipée du nouveau missile de croisière ASMP/A.
La France a décidé de supprimer sa composante sol-sol en 1996, avec le retrait des missiles du plateau d'Albion et des missiles mobiles Hadès. Les deux autres composantes ont vu leur format réduit, et en dernier lieu la composante aéroportée, avec le passage de trois à deux escadrons dans les forces aériennes stratégiques.
Dans son discours de Cherbourg du 21 mars 2008, la Président de la République a pour la première fois donné une indication sur le volume de notre arsenal qui comportera moins de 300 têtes nucléaires . Ce plafond inclut toutes nos armes, qu'elles soient déployées ou non, y compris les stocks de maintenance.
? Les forces nucléaires britanniques
Le Royaume-Uni a pour sa part décidé en 1993 de ne pas renouveler sa composante aéroportée. Ses forces nucléaires se limitent à une composante océanique constituée de quatre SNLE de classe « Vanguard » pouvant emporter 16 missiles balistiques américains Trident II D5 .
Les Britanniques construisent eux-mêmes leurs sous-marins. Ils achètent leurs missiles balistiques Trident aux Etats-Unis, qui en assurent le maintien en condition opérationnelle dans le cadre d'un programme commun pour l'ensemble du stock.
En ce qui concerne les têtes nucléaires, celles-ci sont réalisées par le Royaume-Uni, en liaison étroite avec les laboratoires américains. Selon les informations ouvertes dont peut disposer votre rapporteur, le Royaume-Uni dispose d'une capacité autonome de conception, et probablement de fabrication de la charge nucléaire proprement dite. Il s'appuie fortement sur la coopération avec les Etats-Unis pour les autres parties de l'arme (corps de rentrée, électronique).
A la suite de la Strategic Defence and Security Review de 2010, trois décisions importantes ont été prises :
- les sous-marins actuels de classe Vanguard seront prolongés ; ce n'est qu'en 2016 que sera décidé si la prochaine génération, dont le premier exemplaire entrera en service en 2028, comptera quatre ou trois SNLE ;
- ces futurs sous-marins seront conçus pour n'emporter que 8 missiles, au lieu de 16 sur les Vanguard ; d'ores et déjà, le nombre de missiles Trident opérationnels sur les Vanguard sera ramené à 8 au maximum ;
- le volume total de l'arsenal nucléaire britannique, qui se situait sous un plafond de 225 têtes nucléaires selon les indications données en mai 2010, sera ramené à 180 têtes maximum ; le nombre de têtes nucléaires opérationnelles sera réduit de 160 à 120 et il n'y aura pas plus de 40 têtes nucléaires par SNLE.
* 3 Dès 1958, avec l'accord de coopération sur les usages de l'énergie atomique pour les besoins mutuels de défense.