B. LE CHAMP DE LA COOPÉRATION : L'EXPÉRIMENTATION POUR LA GARANTIE DES ARMES NUCLÉAIRES
La coopération dans le domaine nucléaire militaire engagée sur la base du traité du 2 novembre 2010 relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes couvre un champ bien délimité : les expérimentations destinées à garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires.
Il s'agit en effet d'une nécessité commune aux deux pays qui ont renoncé depuis quinze ans aux essais nucléaires.
1. Une nécessité commune de garantir les armes sans essais nucléaires
La France et le Royaume-Uni ont signé le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) , adopté le 24 septembre 1996. Ils ont déposé le même jour, le 6 avril 1998, leur instrument de ratification.
Le TICE interdit tous les essais nucléaires quelle que soit leur puissance et quel que soit le milieu dans lequel ils sont réalisés .
Il ménage la possibilité d'expérimentations non nucléaires liées à la mise au point ou à la maintenance des armes nucléaires : les expériences hydrodynamiques, ou « essais froids », qui impliquent la détonation d'un explosif sans matières fissiles ; les expérimentations « sous critiques » associant la détonation d'un explosif et la présence de matières fissiles, sans que ne se produise pour autant de dégagement d'énergie nucléaire.
Le traité n'interdit pas les activités de simulation qui font appel au calcul numérique et à des instruments de validation expérimentale tels que les faisceaux laser.
L'entrée en vigueur du TICE est subordonnée à sa ratification par 44 Etats expressément désignés et possesseurs de centrales nucléaires ou de réacteurs de recherche. A ce jour, 9 de ces 44 Etats n'ont pas ratifié le traité. Six Etats ont signé le traité, mais ne l'ont pas ratifié, à savoir deux Etats dotés, les Etats-Unis et la Chine, ainsi que l'Egypte, l'Indonésie, l'Iran et Israël. Par ailleurs, le TICE n'a pas été signé par l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord.
La France, le Royaume-Uni et la Russie sont les trois seuls Etats dotés d'armes nucléaires, au sens du TNP, a avoir ratifié le TICE.
La France a décidé, dès 1996, de renoncer définitivement aux essais nucléaires. Elle a démantelé de manière irréversible ses sites d'expérimentation du Pacifique.
Le Royaume-Uni a lui aussi renoncé aux essais, désormais interdits par le Nuclear Explosions (Prohibition and Inspections) Act de 1998.
La France et le Royaume-Uni sont ainsi confrontés à la nécessité commune de garantir la fiabilité et la sûreté de leurs armes nucléaires sans recours aux essais nucléaires, en se fondant sur les méthodes expérimentales autorisées par le TICE .
2. La mise en oeuvre du programme « simulation » en France
La simulation doit fournir les moyens de garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires en l'absence d'essais en vraie grandeur. Ce programme mis en oeuvre par la Direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique (CEA/DAM) a été engagé dans un double but :
- évaluer les conséquences du vieillissement des charges sur les armes en service lors de l'arrêt des essais ;
- valider les futures têtes nucléaires dotées de charges « robustes » , en vérifiant que leurs caractéristiques sont compatibles avec les modèles définis à la suite de la dernière campagne d'essais réalisée dans le Pacifique en 1995-1996.
La définition de la « tête nucléaire aéroportée » (TNA), en service sur le missile ASMP/A depuis 2009, et celle de la « tête nucléaire océanique » (TNO) qui équipera le missile balistique M51 à l'horizon 2015, reposent sur ce concept de « charge robuste » mis au point par la France. Par conception, ces charges sont moins sensibles aux évolutions de paramètres ou des phénomènes physiques, ce qui permet d'en rendre le fonctionnement plus stable. La charge nucléaire robuste peut être garantie par la simulation.
Le programme « simulation » comporte trois volets :
- la simulation numérique qui permet, au moyen de puissants ordinateurs, de reproduire par le calcul les différentes étapes du fonctionnement d'une arme nucléaire ; la puissance de calcul du CEA/DAM a ainsi été multipliée par 20 000 entre 1996 et 2010, avec la mise en place successive des calculateurs Tera, Tera 10 et Tera 100 ; Tera 10 a été utilisé pour garantir la TNA et Tera 100 permettra de garantir la TNO ;
- la physique théorique , destinée à améliorer les modèles mis en oeuvre par la simulation numérique, en s'appuyant notamment sur la réinterprétation des essais nucléaires passés ;
- la validation expérimentale , grâce à deux instruments, le laser Mégajoule et l' installation de radiographie Airix .
Situé au Barp, en Gironde, le laser mégajoule permettra de reproduire à très petite échelle les phénomènes thermonucléaires. Un prototype, la ligne d'intégration laser (LIL), est en service depuis 2004. Plus de 300 expériences y ont déjà été réalisées, en vue notamment de « défricher » les expériences qui seront conduites sur le laser mégajoule. Le laser mégajoule lui-même doit entrer en service en 2014. Les premiers résultats obtenus avec la LIL ont démontré des performances de puissance autorisant de réduire le nombre de faisceaux à 176 par rapport aux 240 initialement prévus. Il est prévu de débuter les premières expériences de physique sur le laser mégajoule en 2014, avant de réaliser ensuite les premières expériences de fusion thermonucléaire.
L' installation radiographique Airix est pour sa part située sur le camp de Moronvilliers, près de Reims. Elle est destinée à l'étude du fonctionnement non nucléaire des armes. Depuis sa mise en service en 2001, elle a permis de réaliser plus de 50 « expériences froides ». Des développements ont été entrepris en vue d'améliorer les performances de l'installation Airix. C'est dans ce cadre qu'a été envisagée la réalisation d'une nouvelle installation à Valduc (Côte d'Or) . Cette installation baptisée Epure (Expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair) sera commune à la France et au Royaume-Uni.
3. La garantie de l'arsenal britannique depuis l'arrêt des essais
Le Royaume-Uni a effectué son dernier essai nucléaire en 1991 sur le Nevada Test Site , aux Etats-Unis.
Comme la France, le Royaume-Uni doit désormais garantir la fiabilité et la sûreté de ses armes sans recours aux essais nucléaires. Toutefois, à la différence de la France, il n'a pas défini, ni surtout testé, une formule de charge robuste, se trouvant dans une situation analogue à celle des Etats-Unis.
Le Livre blanc sur l'avenir de la dissuasion nucléaire britannique publié en décembre 2006 avait fixé à 2011-2012 l'échéance d'une décision sur le renouvellement des têtes nucléaires équipant le missile Trident . La Strategic Defence Review de 2010 reporte cette décision de plusieurs années, estimant que le remplacement des têtes nucléaires actuelles n'était pas nécessaire avant la fin des années 2030 au plus tôt .
Dès lors, le Royaume-Uni doit poursuivre le programme de surveillance et de maintien en condition opérationnelle des armes en services.
La validation des armes nucléaires britanniques est pour l'essentiel réalisée en autonome par l'équivalent de la DAM, l' Atomic Weapons Establishment (AWE).
Comme le CEA/DAM, l'AWE dispose de moyens de calcul et vient d'acquérir deux nouveaux ordinateurs auprès du constructeur français Bull.
Les accords de coopération avec les Etats-Unis permettent au Royaume-Uni d'accéder aux moyens d'expérimentation américains , notamment le laser ( National Ignition Facility - NIF ) du laboratoire Lawrence de Livermore en Californie, qui a été mis en service en 2009. Le Royaume-Uni a apporté une contribution financière à la réalisation du NIF.
En effet, le Royaume-Uni ne dispose pas de laser de la classe du laser mégajoule et n'envisage pas d'en acquérir.
Il possède en revanche une installation de radiographie d'ancienne génération, antérieure à l'installation française Airix. Comme la France, il envisageait de se doter d'une nouvelle installation de radiographie couplée à une plate-forme de détonique (projet Hydrus). Ce projet est désormais abandonné au profit d'une installation commune, Epure, réalisée en France, à Valduc.