B. UNE NOUVELLE FEUILLE DE ROUTE POUR LA RELATION DE DÉFENSE
La déclaration franco-britannique adoptée à Londres le 2 novembre 2010, dont le texte figure en annexe, constitue la feuille de route de la coopération bilatérale de défense et de sécurité pour les prochaines années.
Elle s'appuie sur le traité de coopération en matière de défense et de sécurité signé le même jour. Celui-ci fixe le cadre et les orientations générales de la coopération. Des accords et arrangements complémentaires seront conclus en tant que de besoin pour mettre en oeuvre les différents aspects de cette coopération.
Le traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes , adopté lui aussi le 2 novembre 2010, constitue en quelque sorte une première et remarquable traduction du renforcement de la coopération bilatérale. Celle-ci s'ouvre désormais à un champ nouveau, stratégique et hautement sensible, celui de la dissuasion nucléaire, à travers le projet de réalisation d'une installation d'expérimentation commune de simulation pour les armes nucléaires.
Votre rapporteur détaillera dans les deuxième et troisième parties du présent rapport le contenu précis et les enjeux de cette coopération en matière nucléaire.
Outre le volet nucléaire, les décisions prises à Londres couvrent la coopération dans les domaines opérationnels, capacitaires, technologiques et industriels .
Les deux pays ont également arrêté un cadre souple mais néanmoins institutionnalisé pour assurer le suivi de cette coopération et sa mise en oeuvre. Cette démarche s'est prolongée au plan parlementaire avec la constitution d'un groupe de travail commun aux quatre commissions de défense de la chambre des Communes, de la chambre des Lords, de l'Assemblée nationale et du Sénat.
1. La coopération dans le domaine opérationnel
Lors du sommet de Londres, la France et le Royaume-Uni ont signé une lettre d'intention portant création d'un nouveau cadre d'échanges entre nos forces armées sur des questions opérationnelles , dans la perspective d'identifier les moyens de rapprocher nos armées dans les domaines de la doctrine, des besoins capacitaires et de l'interopérabilité.
Il faut noter qu'une lettre d'intention liait, depuis 1996, la Royal Navy et la marine française, qui ont mis en place 12 groupes de travail et entretiennent des contacts très réguliers, notamment dans le domaine des opérations. De même, une lettre d'intention signée en mars 2007 formalise les relations entre l'armée de l'air française et la Royal Air Force . Une directive d'objectifs de coopération est signée annuellement par les deux chefs d'état-major, ces objectifs concernant une dizaine de domaines de coopération. S'agissant des armées de terre, les relations sont également tournées vers l'opérationnel, la coopération étant suivie par un comité de pilotage, structuré en quatre groupes de travail permanents.
Outre la refonte du cadre de coopération dans le cadre de la nouvelle lettre d'intention, deux objectifs ont été arrêtés, en matière opérationnelle, lors du sommet de Londres.
La France et le Royaume-Uni ont tout d'abord décidé la mise en place d'une force expéditionnaire commune interarmées ( Combined Joint Expeditionary Force - CJEF ) adaptée à une série de scénarios, y compris des opérations de haute intensité. Cette force, non permanente, comprenant une composante terrestre de niveau brigade, une composante maritime et une composante aérienne, pourra être déployée avec un préavis pour les opérations bilatérales, les opérations de l'OTAN, de l'Union européenne, des Nations unies ou pour d'autres opérations. Son emploi n'aura aucun caractère contraignant pour les deux Etats qui conserveront en permanence le contrôle de leurs propres forces.
Lors de leur rencontre du 2 février 2011, les chefs d'état-major des armées des deux pays ont défini le calendrier de montée en puissance de cette force expéditionnaire qui constitue l'épine dorsale de la coopération franco-britannique dans le domaine des opérations et de l'interopérabilité.
Les réflexions sur cette force s'appuieront initialement sur trois exercices conjoints prévus entre mars et novembre 2011. L'exercice programmé en mars 2011 pour le volet air ( Southern Mistral ) a été mis en veille du fait des opérations aériennes en Libye. Les exercices suivants sont programmés en juin 2011 pour le volet terre (exercice Flandres) et en novembre 2011 pour le volet mer (exercice PEAN).
La production puis la fusion interarmées des enseignements de haut niveau tirés de ces exercices alimenteront en parallèle la réalisation d'un projet de concept d'emploi de la force expéditionnaire commune d'ici la fin de l'automne 2011.
Par ailleurs, une coopération conduisant à l' intégration de personnel britannique au sein du groupe aéronaval français sera développée . Rappelons qu'avec le retrait du service du porte-avions Ark Royal et des avions à décollage court Harrier dès 2011, le Royaume-Uni ne disposera plus d'aviation embarquée jusqu'aux environs de 2020 , échéance désormais annoncée pour l'entrée en service du nouveau porte-avions Queen Elisabeth .
Par ailleurs, le Royaume-Uni a décidé de doter son futur porte-avions de catapultes et de brins d'arrêt, renonçant à une version à décollage court et atterrissage vertical du Joint Strike Fighter . La recherche de l'interopérabilité avec les porte-avions américains et français a été évoquée à l'appui de cette décision. Dans cette perspective, le Royaume-Uni et la France ont prévu de se doter, d'ici au début des années 2020, de la capacité à déployer une force aéronavale de projection intégrée commune composée d'éléments des deux pays.
2. La coopération dans le domaine capacitaire
Le Royaume-Uni se trouve d'ores et déjà engagé avec la France dans un certain nombre de programmes réalisés dans le cadre de coopérations européennes impliquant d'autres partenaires. C'est principalement le cas du programme d'avion de transport A400M et de plusieurs programmes de missiles (missile de croisière Scalp/Storm Shadow, système PAAMS de défense aérienne embarqué sur navire, missile air-air Meteor). Dans le domaine des systèmes d'armes terrestres, le Royaume-Uni a également coopéré avec la France sur le radar de contrebatterie Cobra et il doit participer au programme de lance-roquettes unitaire (LRU).
La déclaration adoptée lors du sommet de Londres témoigne de la volonté des deux pays de relancer cette coopération capacitaire.
En matière de transport aérien , un contrat unique sera signé par la France et le Royaume-Uni à la fin de l'année 2011 pour le soutien des futures flottes d'avions de transport A400M . Un groupe bilatéral d'utilisateurs sera en outre créé pour coopérer en matière de développement des systèmes de formation A400M, de techniques et de procédures opérationnelles, ainsi que pour les formations sur simulateur et en vol.
Dans le domaine maritime, le Royaume-Uni et la France ont également prévu de développer ensemble, d'une part des équipements et des technologies pour la prochaine génération de sous-marins , d'autre part des moyens dans le domaine de la guerre des mines .
En matière spatiale, le potentiel de collaboration sur les futures télécommunications militaires par satellite sera évalué et une étude de concept commune en 2011 pour les prochains satellites qui entreront en service entre 2018 et 2022.
S'agissant des drones d'observation MALE (moyenne altitude et longue endurance), les deux pays ont convenu de lancer en 2011 une phase d'évaluation concurrentielle financée conjointement, dans la perspective de développer de nouveaux équipements entre 2015 et 2020. L'objectif est de partager les coûts de développement, de soutien et de formation, et de faire en sorte que nos forces soient interopérables. Il s'agira de développer un drone très performant, répondant l'évolution des besoins et capable d'offrir des potentialités à l'exportation.
Le traité de coopération en matière de défense et de sécurité du 2 novembre 2010 Le traité de coopération en matière de défense et de sécurité est l'un des deux instruments bilatéraux signés à Londres le 2 novembre 2010. Il fixe un cadre général de coopération en matière de défense et de sécurité. Les objectifs et les domaines d'application de cette coopération sont énumérés en termes généraux par les articles 1 er et 2 du traité. L'article 3 renvoie à des accords et arrangements complémentaires la mise en oeuvre des aspects spécifiques de la coopération bilatérale. L'article 4 instaure un groupe de haut niveau chargé de diriger la coopération bilatérale et de préparer les éléments liés à la défense et à la sécurité en vue du sommet franco-britannique annuel. L'article 5 fixe les principes régissant d'éventuels déploiements de forces conjoints. Par les articles 6, 7, 8 et 9, les deux parties prennent un certain nombre d'engagements mutuels : s'accorder une garantie d'accès aux installations, équipements ou services de soutien mis en place dans le cadre de la coopération bilatérale ; se consulter en vue d'harmoniser, dans toute la mesure du possible, leurs besoins et leurs calendriers d'équipement ; faciliter les transferts d'équipements et de services et ne pas entraver l'accès à leurs marchés de défense ; rapprocher et rationaliser leur industrie de défense. L'article 10 pose le principe du partage équitable des coûts et bénéfices résultant de la coopération. L'article 11 prévoit la conclusion d'arrangements pour faciliter l'échange d'informations classifiées. L'article 12 traite des demandes d'indemnisation et de la responsabilité. L'article 13 précise que le traité n'affecte pas les droits ou obligations de chacune des parties en vertu d'autres accords de sécurité et de défense. L'article 14 précise que le traité est conclu pour une durée indéterminée. Les articles 15, 16 et 17 portent sur le règlement des différends, les amendements au traité et ses modalités d'entrée en vigueur. De par son contenu et le caractère général de ses stipulations, ce traité n'entre pas dans le champ de ceux dont la ratification doit intervenir en application d'une loi, en vertu de l'article 53 2 ( * ) de la Constitution. En particulier, il ne saurait être considéré comme engageant les finances de l'Etat ou modifiant des dispositions de nature législative. Dès lors, et à la différence du traité relatif à l'installation commune Epure qui engage les finances de l'Etat, ce traité de coopération pourra être ratifié sans recours à la procédure d'autorisation parlementaire. |
Les deux pays ont également convenu d'évaluer les besoins et les options pour la prochaine génération de drones de combat à partir de 2030 et d'élaborer d'ici 2012 une feuille de route technologique et industrielle commune. Ces travaux pourraient aboutir à la décision de lancer en 2012 un programme commun technologique et opérationnel de démonstrateur de 2013 à 2018, en prévision des systèmes successeurs des avions de combat de type Rafale/Typhoon à l'horizon 2030. Il s'agit ici de préserver l'aptitude des industriels européens à être présents sur la prochaine génération d'avions de combat.
3. La coopération dans les domaines technologique et industriel
Dans le domaine de la recherche et technologie , la France et le Royaume-Uni ont identifié plusieurs champs prioritaires de collaboration pour les deux prochaines années. Les travaux communs se concentreront sur dix principaux domaines incluant notamment des recherches essentielles pour les communications par satellite, les drones, les systèmes navals et les missiles. Ils porteront également sur des secteurs industriels nouveaux, tels que les capteurs ou les technologies de guerre électronique et sur des domaines innovants comme la simulation.
En matière de coopération industrielle de défense , il est prévu de constituer, au cours de la prochaine décennie, un secteur franco-britannique des armes complexes , centré sur les filiales MBDA France et MBDA United Kingdom regroupées à terme au sein d'une même entité : One MBDA . Ce rapprochement, assorti d'un objectif d'économies pouvant aller jusqu'à 30 %, vise à préserver la compétitivité de cette filière missiles dans un contexte extrêmement concurrentiel. Dans cette perspective, il est envisagé de lancer conjointement, dès 2011, une série de projets d'armement, au nombre desquels figurent le développement et la fabrication d'un nouveau missile antinavire léger tiré d'hélicoptère (FASGW/ANL), la définition du programme d'amélioration des missiles Scalp/Storm Shadow, ainsi que l'élaboration d'une feuille de route technologique pour la défense aérienne. Cette consolidation industrielle dans le secteur des missiles doit permettre de supprimer des duplications en contrepartie de l'acceptation par chaque pays d'une dépendance mutuelle.
4. Le cadre de mise en oeuvre de la coopération bilatérale
? La mise en place d'une structure de pilotage de la coopération bilatérale
Le traité de coopération en matière de défense et de sécurité du 2 novembre 2010 institue un Groupe de haut niveau chargé, en vertu de l'article 4 du traité, de diriger et de coordonner la coopération et la préparation des éléments liés à la défense et à la sécurité du sommet franco-britannique annuel.
Plus précisément, le Groupe de haut niveau définit les objectifs, priorités et avantages à long terme de la coopération. Il exerce un contrôle sur l'ensemble de la coopération. Il identifie de nouveaux secteurs de coopération à proposer au sommet annuel. Il règle les litiges et les différends pouvant survenir dans le cadre de la mise en oeuvre de la coopération et il recommande tout amendement éventuel au traité.
Les chefs des délégations nationales au Groupe de haut niveau sont nommés par le Président de la République française et le Premier ministre britannique. Il s'agit, pour la partie française, du conseiller diplomatique et du chef d'état-major particulier du Président de la République et pour la partie britannique, du conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre.
A l'échelon immédiatement inférieur, la coopération est mise en oeuvre sous la supervision de deux structures :
- le groupe de travail de haut niveau ( High Level Working Group - HLWG ), institué lors du sommet bilatéral de juin 2006, et co-dirigé par le délégué général pour l'armement français et le secrétaire d'Etat britannique de l'équipement, du soutien et de la technologie de défense ; ce groupe, qui associe l'industrie à ses travaux, constitue l'organe central du développement de la coopération en matière d'armement ;
- le nouveau cadre d'échange entre les deux armées institué par la lettre d'intention (LOI) signée à Londres le 2 novembre 2010, co-dirigé par les deux chefs d'état-major des armées ; cet organe est notamment en charge des questions liées aux opérations, à l'interopérabilité, aux concepts et aux doctrines.
Les questions capacitaires donnent lieu à des travaux communs à ces deux structures.
? L'instauration d'un suivi parlementaire
Dans le rapport d'information précité sur la coopération bilatérale de défense, le président Josselin de Rohan et notre collègue Daniel Reiner avaient proposé la création d'un groupe de travail parlementaire constitué de représentants des commissions de défense des deux parlements et chargé de suivre les différents aspects de la coopération bilatérale de défense.
Cette démarche a été formellement engagée par le président Josselin de Rohan et M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. Elle a reçu un écho favorable de leurs homologues britanniques.
La première réunion de ce groupe s'est tenue au Sénat, le mercredi 8 décembre 2010 en présence de :
- pour la Chambre des Communes : M. James Arbuthnot, président de la commission de défense et M. Dai Havard, vice-président ;
- pour la Chambre des Lords : Lord Teverson, président de la sous-commission des affaires étrangères, de la défense et du développement de la commission des affaires européennes, et Lord Sewel ;
- pour l'Assemblée nationale : M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale, Mme Patricia Adam et M. Marc Joulaud ;
- pour le Sénat : M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et MM. Xavier Pintat et Daniel Reiner.
L'objectif de ce groupe de travail est de suivre la coopération bilatérale de défense entre les deux pays, que ce soit pour étudier la mise en oeuvre des traités bilatéraux signés lors du sommet franco-britannique du 2 novembre ou pour échanger sur l'ensemble des questions de politique de défense et de sécurité qui intéressent les deux pays.
Lors de cette première réunion, le groupe de travail parlementaire a entendu M. Laurent Collet-Billon, Délégué général pour l'armement. Il a également rencontré l'Amiral Edouard Guillaud, chef d'Etat major des armées, et abordé les questions opérationnelles au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) du ministère de la défense.
Le groupe de travail parlementaire se réunira deux fois par an, alternativement en France et au Royaume Uni.
Pour l'année 2011, il a retenu deux thèmes de travail : la transition en Afghanistan et la coopération en matière de drones.
La prochaine réunion du groupe de travail aura lieu à Londres à la fin du premier semestre 2011.
* 2 Le 1 er alinéa de l'article 53 de la Constitution dispose : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ».