B. LES EFFETS CONTRASTÉS DE CETTE DISTINCTION

Selon que le discernement est reconnu aboli ou seulement altéré, la situation de la personne sur le plan pénal sera fort différente : irresponsabilité pénale dans un cas, application d'une sanction, parfois aggravée en pratique, dans le second.

Le choix du juge est généralement éclairé par une expertise psychiatrique (systématique en matière criminelle).

L'abolition du discernement

Comme par le passé, la personne déclarée irresponsable de ses actes ne peut donc pas être jugée.

Toutefois, elle demeure civilement responsable de ses actes, en application de l'article 414-3 du code civil 8 ( * ) .

Les modalités de constatation et de déclaration de l'irresponsabilité pénale, que n'avait pas modifiées l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, ont été profondément réformées par la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale.

Jusqu'alors, la personne déclarée irresponsable en raison d'un trouble mental devait faire l'objet, selon l'étape de la procédure à laquelle était constatée l'affection mentale ayant aboli son discernement, d'un classement sans suite par le procureur de la République, d'une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, d'un jugement de relaxe prononcé par le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, ou d'un arrêt d' acquittement prononcé par la cour d'assises.

La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale, qui a inséré dans le code de procédure pénale un nouveau titre intitulé « de la procédure et des décisions d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » 9 ( * ) , a entièrement revu la procédure de reconnaissance de l'irresponsabilité pénale.

- Désormais, le juge d'instruction rend une « ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » , et non plus une ordonnance de non-lieu ;

- toutefois, si les parties ou le parquet le demandent, le juge d'instruction qui considère que l'état mental de la personne mise en examen justifie qu'il soit déclaré irresponsable de ses actes est tenu de transmettre son dossier à la chambre de l'instruction , sans pouvoir clôturer sa procédure par une ordonnance d'irresponsabilité pénale ;

- dans ce cas, la chambre de l'instruction procède à une audience publique et contradictoire , au cours de laquelle la personne mise en examen, qui comparaît si son état le lui permet, peut être interrogée. Les experts et, le cas échéant, les témoins sont entendus, et un débat sur la matérialité des faits commis peut avoir lieu ;

- à l'issue de l'audience, si la chambre de l'instruction estime qu'il n'existe pas de charges suffisantes contre le mis en examen, elle déclare qu'il n'y a pas lieu de poursuivre. Si elle estime qu'il existe des charges suffisantes et que l'état mental de ce dernier ne relève pas du premier alinéa de l'article 122-1, la chambre de l'instruction ordonne le renvoi de la personne devant la juridiction de jugement compétente ;

- dans les autres cas, la chambre de l'instruction rend un « arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » par lequel elle déclare tout d'abord qu'il existe des charges suffisantes contre la personne d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés, avant de déclarer la personne irresponsable pénalement 10 ( * ) ;

- la chambre de l'instruction peut ensuite renvoyer l'affaire devant le tribunal correctionnel, à la demande de la partie civile, afin que celui-ci se prononce sur la responsabilité civile et statue sur les demandes de dommages et intérêts ;

- enfin, lorsque l'abolition du discernement est constatée au stade du jugement devant le tribunal correctionnel ou la cour d'assises, la juridiction de jugement déclare tout d'abord que la personne a bien commis les faits qui lui sont reprochés, avant de rendre un jugement ou un arrêt « portant déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » et de se prononcer, le cas échéant, sur les demandes de dommages et intérêts formées par la partie civile 11 ( * ) .

Dans toutes ces hypothèses, la reconnaissance de l'irresponsabilité pénale de la personne mise en cause met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire.

Selon les informations communiquées par le ministère de la Justice, entre le 15 septembre 2008 et le 20 juillet 2009, 44 décisions d'irresponsabilité pénale ont été rendues :

- 23 ont été prononcées par les chambres de l'instruction (dont 8 par la seule chambre de l'instruction de Paris) ;

- 13 l'ont été par des tribunaux correctionnels (dont 4 par le seul tribunal correctionnel de Mulhouse) ;

- seule la cour d'assises de Cahors a rendu une décision d'irresponsabilité pénale, pour des faits d'homicide volontaire ;

- enfin, 7 ordonnances d'irresponsabilité pénale ont été prises par des juges d'instruction.

Sur ces 44 décisions, un peu plus d'un quart (27,3%) concernaient des affaires de meurtres, 15,9 % des faits de violences et 11,4% des affaires de vols.

Sur les 44 personnes ayant fait l'objet d'une décision d'irresponsabilité pénale, une seule était mineure au moment des faits.

20 d'entre elles ont fait l'objet d'une mesure d'hospitalisation d'office décidée par la juridiction (18 sur décision d'une chambre de l'instruction, 2 sur décision du tribunal correctionnel).

12 ont fait l'objet d'une ou plusieurs mesures de sûreté. Parmi ces 12 personnes, 9 ont subi à la fois une mesure d'hospitalisation d'office et au moins une mesure de sûreté.

Source : Ministère de la Justice, rapport sur l'application
de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté
et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

L'altération du discernement

Dans l'esprit du législateur, les termes du deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal devaient jouer dans le sens d'une atténuation de la responsabilité et, partant, d'une diminution de la peine. Les travaux préparatoires ne laissent aucun doute à cet égard.

Ainsi le rapporteur pour le Sénat, M. Marcel Rudloff, relevait que si, en l'état du droit antérieur à la réforme, « la juridiction n'est jamais tenue de retenir les circonstances atténuantes, dans le texte de l'article 122-1, en revanche, la juridiction se voit soumise à une obligation légale d'atténuation de la responsabilité, susceptible d'un contrôle de la Cour de cassation » 12 ( * ) . De même, M. Pierre Arpaillange, alors ministre de la justice, déclarait devant le Sénat que le « second alinéa [de l'article 122-1 du code pénal] , qui concerne l'altération des facultés mentales, aujourd'hui non réglementée, consacre pour l'essentiel une pratique judiciaire quotidienne qui y voit une cause d'atténuation de la responsabilité » 13 ( * ) .

Au demeurant, ces dispositions trouvent leur place dans un chapitre du code pénal consacré aux causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité .

Enfin, le Conseil constitutionnel a été appelé à préciser la portée du second alinéa de l'article 122-1 du code pénal, en 2007, dans sa décision relative à la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive. En effet, ce texte prévoit que dans l'hypothèse d'une nouvelle récidive, la juridiction n'a la faculté de descendre sous le seuil de la peine plancher que si l'auteur présente des « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion », condition difficilement accessible aux personnes atteintes de troubles mentaux de nature à altérer leur discernement ou à entraver le contrôle de leurs actes. Cependant, dans le silence de la loi, le Conseil constitutionnel a estimé que « même lorsque les faits ont été commis une nouvelle fois en état de récidive légale, [les dispositions spéciales du deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal] permettent à la juridiction de prononcer, si elle l'estime nécessaire, une peine autre que l'emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale » 14 ( * ) .

Ainsi le Conseil constitutionnel considère que la juridiction peut toujours, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 122-1, prononcer une peine inférieure aux peines planchers fixées par la loi.

Néanmoins, l'altération du discernement représente souvent un facteur d'aggravation de la peine, sinon en correctionnelle du moins devant les cours d'assises. Malgré l'absence de statistiques précises (compte tenu de l'absence, à ce jour, de motivation des arrêts d'assises, il ne s'agit que de considérations évoquées en délibéré) Mme Virginie Valton, vice-présidente de l'USM, a fait état devant votre rapporteur d'un constat convergent des présidents et assesseurs d'assises sur ce point.

Selon M. Jean-Pierre Getti, président de chambre de la cour d'appel de Versailles, ancien président de cour d'assises de Paris, s'exprimant devant le groupe de travail, la détection d'un trouble mental chez l'accusé suscite le plus souvent l'inquiétude du jury. Celui-ci, convaincu que l'emprisonnement ne permettra pas l'amendement du condamné, est paradoxalement tenté d'allonger les peines pour retarder une éventuelle récidive. Cette position est encore renforcée par le sentiment, également partagé par les magistrats, que la prison est le lieu le plus sûr pour se prémunir de la dangerosité des personnes atteintes de troubles mentaux.

Comme le relevait le rapport de la commission Santé-Justice présidée par M. Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation, en 2005, « ce n'est pas le moindre des paradoxes que de constater que les individus dont le discernement a été diminué puissent être plus sévèrement sanctionnés que ceux dont on considère qu'ils étaient pleinement conscients de la portée de leurs actes » 15 ( * ) .


* 8 Depuis la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs.

* 9 Composé des articles 706-119 à 706-140.

* 10 Jusqu'alors, seule la cour d'assises se prononçait sur l'imputabilité des faits avant de déclarer la personne poursuivie irresponsable sur le plan pénal (article 349-1 du code de procédure pénale).

* 11 La cour d'assises se prononce sur ce point sans l'assistance du jury.

* 12 Rapport fait au nom de la commission des lois par M. Marcel Rudloff, n° 271, Sénat, 1988-1989, p 73.

* 13 Sénat, séance du 9 mai 1989, JO, p 555.

* 14 Conseil constitutionnel, décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007.

* 15 « Santé, justice et dangerosité : pour une meilleure prévention de la récidive », Commission Santé-Justice, ministère de la justice et ministère des solidarités, de la santé et de la famille, juillet 2005.

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