Audition de Jean-Yves RAUDE, directeur du service des retraites de l'Etat (jeudi 16 septembre 2010)
Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Jean-Yves Raude, directeur du service des retraites de l'Etat, sur le projet de loi n° 713 (2009-2010) portant réforme des retraites dont Dominique Leclerc est le rapporteur .
Jean-Yves Raude, directeur du service des retraites de l'Etat au ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. - La réforme de l'ancien service des pensions, devenu service des retraites de l'Etat, prend sa source dans une décision, fin 2007, du conseil de modernisation des politiques publiques. Le décret du 26 août 2009 a créé un service à compétence nationale, intégré dans la direction générale des finances publiques.
Précédemment, les dossiers des fonctionnaires civils et militaires et des magistrats étaient préparés dans les ministères employeurs, puis transmis pour liquidation au service des pensions. Le paiement était mis en oeuvre par le réseau, auparavant des trésoreries générales, à présent des directions régionales des finances publiques. Il y avait dans le passé deux ruptures de charge et nous avons recherché une meilleure fluidité, afin de dégager des gains de productivité et améliorer le service rendu aux usagers. La réforme sera achevée lorsque tous les comptes individuels de retraite (Cir) seront complets. Ceux-ci ont été créés en application de la loi de 2003 : ils sont indispensables pour rendre effectif le droit à l'information sur la retraite. Chaque compte doit être créé, alimenté, complété rétroactivement. La moitié des deux millions deux cent mille comptes a été traitée. Le comité de coordination stratégique, interministériel, instauré par le décret de 2009, pilote et suit l'avancement de ce long chantier, lequel doit être terminé fin 2012. Il sera alors possible de consulter les carrières complètes et de procéder à des simulations en ligne. Les services qui, actuellement, reconstituent les carrières n'auront plus lieu d'être, ce qui représente mille deux cents agents, dont neuf cents dans les ministères employeurs.
Le réseau chargé du paiement relève de la direction générale des finances publiques. Il sera reconfiguré et les vingt-neuf centres réduits à onze pour la France métropolitaine. Nous allons vers une meilleure professionnalisation. Deux centres d'appels ouvriront à la fin de l'année, à Rennes et à Bordeaux, pour l'ensemble du territoire. L'accueil sera ainsi réformé et les usagers auront à disposition un numéro de téléphone et une adresse de messagerie uniques. Le centre de Rennes commencera son activité fin 2010 ou début 2011.
Quant à la réforme des retraites, les mesures inscrites dans le texte nous contraignent à revoir un certain nombre de systèmes d'information : un travail considérable nous attend donc ces prochains mois.
Dominique Leclerc, rapporteur. - Nous avons entendu des demandes récurrentes, hier encore à l'Assemblée nationale, pour que soit créée une caisse autonome de retraite des fonctionnaires : pourquoi avoir mis en place un service et non une caisse comme on l'a fait pour les régimes spéciaux lorsque ceux-ci ont été réformés, dans une logique de la transparence et de la fluidité ?
Le projet de loi entraîne des obligations précises pour vos services : reconstitution des carrières, entretiens, en particulier point d'étape à quarante-cinq ans pour évaluer la future retraite. Comment ferez-vous face, avec onze centres régionaux et deux centres d'appel ? Enfin, comment les polypensionnés obtiendront-ils des renseignements par l'intermédiaire du Gip Info-retraite ?
Jean-Yves Raude. - Caisse ou service, le conseil de modernisation des politiques publiques ne se prononçait pas et ce sont les discussions ultérieures qui ont orienté le choix : il est apparu qu'il fallait surtout revoir les processus. En outre, la transformation immédiate en caisse eût été difficile en raison du morcellement. La réforme a été menée dans le cadre de la RGPP. Quant à la transparence, avant l'ère de la Lolf, les pensions de l'Etat étaient difficiles à cerner, éparpillées dans les budgets des différents ministères. Mais l'article 21 de la loi organique a créé un compte d'affectation spéciale retraçant l'ensemble des dépenses et des recettes. Les indicateurs fournissent une mesure de performance ; on connaît la contribution de l'employeur aux cotisations puisqu'elle est fixée par décret ; et la trésorerie est gérée avec l'ensemble de la trésorerie de l'Etat, de façon efficiente. Les coûts de gestion administrative du régime apparaissent dans les documents budgétaires. Bref, ce régime n'a pas la personnalité juridique mais il a toutes les composantes d'une caisse. La seule différence est que les partenaires sociaux ne sont pas associés à la gestion.
Dominique Leclerc, rapporteur. - Quelles sont les répercussions du projet de loi sur vos services ? Quelles conséquences financières auront les mesures d'âge, l'augmentation du taux de cotisation, la réforme du minimum garanti, la fin du dispositif de départ anticipé pour les parents de trois enfants ? Avec le recul de soixante-cinq à soixante-sept de la limite d'âge, sait-on qui part à la limite et qui avant, qui avec toutes ses annuités et qui sans taux plein ? Les parents de trois enfants ont-ils anticipé l'adoption du texte en déposant plus de demandes de départ anticipé ? Quelles sont les conséquences des amendements adoptés à l'Assemblée nationale ? Enfin, sur le droit individuel à l'information, que répondre au médiateur de la République lorsqu'il soulève le risque d'écart sensible entre estimation et liquidation effective ? A partir de quand la décision de partir est, dans votre processus administratif, irréversible ?
Jean-Yves Raude. - Les mesures touchant les retraites de la fonction publique produiront 2,2 milliards d'euros d'économies en 2015, 3,7 milliards en 2018 et 4,8 en 2020. Le recul des âges de la retraite représentera alors 2,6 milliards, la hausse du taux de cotisation 1,5 milliard, le minimum garanti 0,3 et les dispositions applicables aux parents de trois enfants, 0,4. L'amendement conservant aux parents qui ont aujourd'hui plus de cinquante-cinq ans le bénéfice des anciennes mesures ne change pas grand-chose aux estimations.
En 2003, l'adoption de mesures sur le départ anticipé a suscité quelques milliers de départs supplémentaires avant la modification législative. Aujourd'hui, la moitié des départs anticipés concerne des personnes de plus de cinquante-cinq ans. Celles-là n'ont pas de raison de modifier leur comportement. Les moins de cinquante-cinq ans décideront-ils en plus grand nombre de partir ? Je ne crois pas que le phénomène sera de grande ampleur. Nous avons questionné à ce sujet le ministère de l'éducation nationale, qui compte la moitié des effectifs des fonctionnaires, afin d'avoir quelque idée sur cette question. En 2009, il y a eu de juin à août deux cent quatre-vingts demandes ; cet été, sept cent quinze. Une augmentation, certes, mais sans « déformation de la structure », disent les statisticiens. On retrouve la même répartition : pour moitié des moins de cinquante-cinq ans, pour moitié des plus de cinquante-cinq ans.
Muguette Dini, présidente de la commission. - L'évolution entre 2009 et 2010 serait-elle également due aux « papy-boomers » ?
Jean-Yves Raude. - Pas de façon significative.
La mesure abaissant de quinze à deux le nombre des années de service pour ouvrir droit à la retraite des fonctionnaires est une mesure de simplification tant pour l'usager que pour les relations entre régimes. Cela concerne les civils. Nous avons actuellement trois mille affiliations rétroactives par an, pour la population qui a moins de quinze ans de service ; six cents concernent des fonctionnaires ayant moins de deux ans de service. Nous aurons donc demain six cents dossiers à traiter. Pour les deux mille quatre cents autres, la vie sera simplifiée. Quant à l'effet financier, il est décalé dans le temps et n'apparaît pas dans les schémas.
Après la loi de 2003, nous avons traité les appels des usagers, à leur satisfaction semble-t-il. Lors de la dernière campagne nous avons eu quarante-cinq mille contacts ; nous sommes organisés pour le faire, nous ferons face.
Dominique Leclerc, rapporteur. - Mais vous recevrez peut-être un million d'appels.
Jean-Yves Raude. - Nous avons traité l'an dernier environ deux cent mille demandes de relevé individuel et d'estimation globale. Il est vrai que le point d'étape à quarante-cinq ans puis tous les cinq ans - ou à tout autre moment... - dépassera la simple demande de renseignements. Les questions seront précises, techniques. Les agents qui répondront devront bien connaître le code des pensions civiles et militaires. Nous répondrons à tous ceux qui nous contacteront. Mais l'entretien sera nécessairement téléphonique, cela n'est pas possible autrement. Aujourd'hui déjà, tout fonctionnaire peut demander un point sur le déroulement de sa carrière. Quelles questions nous posera-t-il sur sa retraite ? Nous menons une enquête pour cerner les attentes, à l'issue de quoi nous nous organiserons.
Philippe Fertier-Pottier, chef du département des retraites et de l'accueil du service des retraites de l'Etat. - L'information donnée par les gestionnaires des dossiers de retraite, en l'état actuel du droit, sera indicative et non contractuelle. Je vous renvoie au code de la sécurité sociale. Tout renseignement, toute simulation seront communiqués à titre indicatif. Les sociétés de conseil privées, spécialisées sur les retraites, se dégagent pareillement de toute responsabilité en ce domaine.
Le code des pensions précise que la radiation des cadres n'a pas une valeur définitive. C'est l'acte de concession, autrement dit la liquidation de la pension, qui compte lorsque l'on s'est assuré que toutes les conditions de la liquidation sont réunies. Je veux ajouter, à propos de l'intervention du médiateur de la République, qu'il est très difficile de réintégrer une personne après coup...
Jean-Yves Raude. - Le risque d'erreur sera faible dans l'avenir puisque nous disposerons des informations complètes.
En 2009, sur soixante-huit mille pensions nouvelles, six mille émanaient d'agents à la limite d'âge ou au-delà. Les catégories actives étaient sur-représentées, 40 %, alors qu'elles constituent 25 % du total des effectifs. Et 85 % des agents avaient atteint le taux plein ; 15 % arrivaient à la limite d'âge sans avoir acquis l'ensemble de leurs droits.
Alain Vasselle, rapporteur général. - Pourquoi n'aligne-t-on pas les âges de départ des fonctionnaires de l'Etat appartenant aux catégories actives, sur l'âge de droit commun ? M. Tron nous a parlé des métiers sans équivalent dans le privé, policiers, gendarmes, mais au nom de quoi un fonctionnaire de DDE ne part pas à la retraite au même âge que l'employé municipal ou le salarié d'une entreprise privée qui effectue sensiblement les mêmes tâches ? Il en va de même pour les infirmières. Est-ce pour une raison financière ? Y a-t-il d'autres motifs ?
Jean-Yves Raude. - Je ne puis aller au-delà de ce qu'a répondu le ministre.
Alain Vasselle, rapporteur général. - Je formule autrement ma question afin que vous puissiez y répondre. Quelles économies pourrait-on dégager pour le budget de l'Etat si l'on alignait public et privé sur ce point ?
Jean-Yves Raude. - Je n'ai pas eu à effectuer une telle estimation mais je tenterai d'apprécier ce que représenterait, financièrement, un alignement complet de 25 % des fonctionnaires de l'Etat sur le régime général.
Dominique Leclerc, rapporteur. - J'en viens à deux articles nouveaux. L'un impose aux services administratifs d'avertir avant fin 2010 les fonctionnaires parents de trois enfants du changement des règles les concernant. L'autre annonce un rapport avant le 15 octobre 2010, ce qui paraît un peu bref puisque le projet de loi ne sera pas adopté à cette date, sur les modalités de versement des pensions dès le premier jour du mois.
Jean-Yves Raude. - Le deuxième article ne nous concerne pas : c'est dans le régime général que les pensions sont versées le 8 du mois pour le mois précédent ; nos pensions sont versées le 23, le 25 ou le 27 pour le mois en cours. Nous faisons mieux que le 1er du mois...
Philippe Fertier-Pottier. - La disposition concernant les parents de trois enfants a été conçue de façon à ne pas provoquer de ressaut dans les départs anticipés. L'information des fonctionnaires sur cette mesure ne pose pas de problème, elle se fera au sein des administrations employeurs, comme cela se fait couramment par voie de circulaire, note, instruction...
Raymonde Le Texier. - Le nombre d'appels, quarante-cinq mille, est impressionnant. Chaque entretien prendra un certain temps. Combien avez-vous aujourd'hui d'agents pour effectuer ce travail ?
Philippe Fertier-Pottier. - Un appel téléphonique dure en moyenne cinq à sept minutes. Dans 80 % des cas, les questions sont simples et les agents temporaires qui travaillent durant les campagnes savent y répondre ; les questions plus complexes, les appels « de second niveau » exigent l'intervention de l'équipe permanente. Elle compte neuf agents aujourd'hui, sans compter la plateforme d'appui mise en oeuvre avec le bureau des retraites, dont les agents liquidateurs viennent prêter main-forte aux neuf permanents - ce renfort peut être estimé à sept équivalent-temps plein.
Jean-Yves Raude. - Notre « public » appelle beaucoup plus que dans l'ensemble des autres régimes, avec une pointe le mercredi. Le taux de retour, lors des campagnes d'information, est deux fois plus important que dans l'ensemble des régimes. On peut s'attendre à ce que le point d'étape à partir de quarante-cinq ans donne lieu également à de nombreuses demandes.