ARTICLE 18 bis
(Art. L. 214-39 du code monétaire et financier
et art. L. 3332-17 du code du travail)

Renforcement de l'épargne solidaire

Commentaire : le présent article, adopté à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, tend à modifier le régime applicable à l'épargne salariale dite « solidaire ». Il accroît la part des actifs solidaires dans les fonds communs de placement d'entreprise solidaires (FCPES), qui doit s'élever à « au moins 10 % ». Il étend le champ des investissements solidaires au logement social dans les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France. Il permet à un FCPES de devenir nourricier d'un OPCVM maître. Enfin, il procède à une mise en cohérence des dispositions relatives à l'épargne solidaire entre le code monétaire et financier et le code du travail, suite à la récente recodification de ce dernier.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LES PLANS D'ÉPARGNE SALARIALE ONT L'OBLIGATION DE PROPOSER DES INVESTISSEMENTS DANS LES FONDS SOLIDAIRES

1. Les plans d'épargne salariale

Le titre III (« Epargne salariale ») du livre III (« Dividende du travail : intéressement, participation et épargne salariale ») de la troisième partie du code du travail établit trois types d'épargne salariale en entreprise :

- le plan d'épargne d'entreprise (PEE) ;

- le plan d'épargne interentreprises (PEI) qui fonctionne selon les mêmes modalités que le PEE à la différence qu'il est constitué par plusieurs entreprises ;

- le plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO).

Sous réserve de dispositions spécifiques, les dispositions relatives aux PEE sont applicables aux PEI et aux PERCO .

L'article L. 3332-1 du code du travail dispose que le PEE est un « système d'épargne collectif ouvrant aux salariés d'une entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières ».

Il peut être établi à l'initiative de l'entreprise ou par un accord avec le personnel (article L. 3332-3 du code du travail). Toutes les entreprises peuvent le mettre en place, quelles que soient leur taille, la nature de leur activité et leurs formes juridiques.

Les salariés déterminent volontairement le montant et la périodicité de leurs versements sur le PEE. Le règlement de celui-ci peut cependant prévoir un montant minimum, qui ne peut excéder 160 euros. Les salariés peuvent, de surcroît, verser sur le plan les sommes qu'ils reçoivent au titre de l'intéressement et de la participation. En tout état de cause, la contribution d'un salarié (intéressement et versement volontaire) ne peut être supérieure au quart de sa rémunération annuelle.

L'entreprise peut également verser annuellement une somme, l'abondement, non fondée sur des critères de performance individuelle. L'article L. 3332-11 du code du travail précise cependant que « les sommes versées annuellement par une ou plusieurs entreprises pour un salarié [...] ne peuvent excéder un plafond fixé par voie réglementaire pour les versements à un [PEE] , sans pouvoir excéder le triple de la contribution du bénéficiaire ».

Les sommes que le salarié ou l'employeur versent sur le PEE produisent des revenus que le salarié peut retirer ou réinvestir dans le PEE. Le capital, en revanche, n'est pas disponible avant un délai de 5 ans, sauf déblocage anticipé sous certaines conditions (L. 3332-25 du code du travail). Il est bloqué jusqu'à la retraite pour les PERCO.

Les primes d'intéressement et les droits à participation versés sur un PEE ainsi que l'abondement ne sont pas soumis à l'impôt. En revanche, les produits et revenus réinvestis dans le plan et l'abondement restent soumis aux prélèvements sociaux (CSG et CRDS) mais sont exonérés de cotisations sociales (article L. 3332-27 du code du travail).

2. L'actif des plans d'épargne salariale est composé de titres de SICAV ou de parts de fonds communs de placement

L'article L. 3332-15 précise que « les sommes recueillies par un plan d'épargne d'entreprise peuvent être affectées à l'acquisition : [...]

« De parts de fonds communs de placement [FCP] ou des titres émis par des sociétés d'investissement à capital variable [SICAV] régis par les articles L. 214-39 et L. 214-40 du code monétaire et financier ». Les FCP visés sont les fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) .

Les modalités de fonctionnement du PEE sont fixées par un règlement qui précise en particulier le ou les FCPE sur lesquels les sommes seront placées.

Aux termes de l'article L. 3332-17 du code du travail le règlement du PEE prévoit « qu'une partie des sommes recueillies peut être affectée à l'acquisition de parts de fonds investis, dans les limites prévues à l'article L. 214-39 du code monétaire et financier, dans les entreprises solidaires au sens de l'article L. 3332-17-1 du présent code » .

Cette disposition introduite par l'article 81 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) est pleinement effective depuis le 1 er janvier 2010. Désormais, tous les salariés disposant d'un PEE se voient proposer d'investir une partie de leur épargne dans des entreprises solidaires - mais ils restent libres d'y souscrire ou non . Une obligation similaire existe pour les PERCO (article L. 3334-13 du code du travail).

L'article L. 3332-17-1 du code du travail dispose que « sont considérées comme entreprises solidaires [...] les entreprises dont les titres de capital, lorsqu'ils existent, ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé et qui :

« - soit emploient des salariés dans le cadre de contrats aidés ou en situation d'insertion professionnelle ;

« - soit, si elles sont constituées sous forme d'associations, de coopératives, de mutuelles, d'institutions de prévoyance ou de sociétés dont les dirigeants sont élus par les salariés, les adhérents ou les sociétaires, remplissent certaines règles en matière de rémunération de leurs dirigeants et salariés ». La moyenne des rémunérations des cinq personnes les mieux rétribuées ne doit alors pas dépasser cinq fois le SMIC .

Sont également assimilées à des entreprises solidaires, « les organismes dont l'actif est composé pour au moins 35 % de titres émis par des entreprises solidaires ou les établissements de crédit dont 80 % de l'ensemble des prêts et des investissements sont effectués en faveur des entreprises solidaires ».

B. LES FONDS SOLIDAIRES SONT CONSTITUÉS PAR DES FONDS COMMUNS DE PLACEMENT D'ENTREPRISE

1. Les FCPE solidaires obéissent au droit commun des fonds communs de placement

L'article L. 214-2 du code monétaire et financier (CMF) dispose que les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) « prennent soit la prennent la forme soit de [SICAV] soit de [FCP] ».

Aux termes de l'article L. 214-4 du CMF, « un OPCVM ne peut employer en titres d'un même émetteur plus de 5 % de ses actifs. [...] Un OPCVM ne peut détenir plus de 10 % d'une même catégorie de titres financiers d'un même émetteur. [...] Ce seuil est porté à 25 % lorsque l'émetteur est une entreprise solidaire mentionnée à l'article L. 3332-17-1 du code du travail ».

Un FCP, dénué de la personnalité morale, est une « copropriété d'instruments financiers et de dépôts dont les parts sont émises et rachetées à la demande des porteurs à la valeur liquidative majorée ou diminuée, selon les cas, des frais et commissions . Ne s'appliquent pas au fonds commun de placement, les dispositions du code civil relatives à l'indivision ni celles des articles 1871 à 1873 du même code relatives aux sociétés en participation » (article L. 214-20 du CMF).

L'article L. 214-23 rappelle que « les porteurs de parts ne sont tenus des dettes de la copropriété qu'à concurrence de l'actif du fonds et proportionnellement à leur quote-part ».

Comme indiqué plus haut, les FCPE, catégorie ad hoc de FCP, constituent un des instruments les plus utilisés pour les plans d'épargne salariale.

2. Des dispositions particulières sont en outre applicables aux FCPE solidaires

L'article L. 214-39 prévoit des dispositions spécifiques pour les règlements des FCPE établis en vue de gérer des sommes investies dans les plans d'épargne salariale, notamment l'institution d'un conseil de surveillance où siègent des salariés porteurs de parts des fonds.

Son quinzième alinéa prévoit que ces dispositions sont applicables aux FCPE solidaires. L'actif de ces fonds est composé :

« a) pour une part, comprise entre 5 et 10 %, de titres émis par des entreprises solidaires agréées [...] ou par des sociétés de capital-risque [...] ou des [FCP à risques] sous réserve que leur actif soit composé d'au moins 40 % de titres émis par des entreprises solidaires [...] ;

« b) pour le surplus, de titres financiers admis aux négociations sur un marché réglementé, de parts [d'OPCVM] investies dans ces mêmes titres et, à titre accessoire, de liquidités ».

Le plancher de 5 % est une exigence législative nationale. En revanche, le plafond de 10 % répond à une contrainte communautaire issue de la « directive OPCVM » 267 ( * ) . Le a du 2 de son article 19 dispose en particulier qu' un OPCVM « peut placer ses actifs à concurrence de 10 % maximum dans des valeurs mobilières et instruments du marché monétaire » autres que ceux qui sont négociés et cotés sur un marché réglementé ou équivalent .

Cette disposition a été transposée en droit interne à l'article R. 214-5 du CMF 268 ( * ) .

La « directive OPCVM » établit des règles de composition de l'actif très strictes afin d'obliger les OPCVM à diversifier leurs placements et ainsi protéger les investisseurs en cas de retournement de la valeur d'un actif .

C. LE RÉGIME DES OPCVM MAÎTRES ET NOURRICIERS

Le présent article a notamment pour objet de prévoir que des FCPE solidaires peuvent investir tout ou partie de leur actif dans un OPCVM qui lui-même investit les sommes qu'il reçoit selon les critères applicables aux FCPE solidaires.

Il s'agit d'un schéma OPCVM nourricier - OPCVM maître régi par l'article L. 214-34 du CMF qui dispose que « les statuts ou le règlement d'un [OPCVM] dit nourricier peuvent prévoir , dans des conditions fixées par un règlement général de l'Autorité des marchés financiers, que son actif est investi en totalité en actions ou parts d'un seul [OPCVM] , dit maître, et, à titre accessoire, en liquidités ».

En particulier, l'article 412-5 du règlement général de l'AMF impose que le « prospectus complet de l'OPCVM nourricier précise que l'actif de celui-ci est investi en totalité et en permanence en parts ou actions d'un seul OPCVM dit maître et à titre accessoire en dépôts détenus dans la stricte limite des besoins liés à la gestion des flux de l'OPCVM ».

Il prévoit également qu' un « OPCVM nourricier ne peut détenir des parts ou actions d'un autre OPCVM nourricier » .

D. L'ENCOURS DES FCPE SOLIDAIRES DÉPASSE UN MILLIARD D'EUROS

Les dispositions de la LME ont particulièrement favorisé l'épargne salariale solidaire puisque l'encours des FCPE solidaires a presque doublé entre 2007 (604 millions d'euros) et 2009 (1.012 millions d'euros d'encours) . Au total, compte tenu des règles d'investissements de ces fonds, ce sont près de 70 millions d'euros qui sont directement investis dans des entreprises solidaires .

Ce montant peut apparaître modeste mais il convient de rappeler que la « surface » de la finance solidaire est limitée compte tenu de la stricte définition légale des entreprises solidaires (article L. 3332-17-1 du code du travail). De surcroît, les actifs solidaires, non cotés, présentent un profil de risques plus élevé que les actifs cotés, notamment parce qu'ils sont moins liquides. Pour autant, leur rentabilité financière est plus faible .

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Sur proposition de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté le présent article qui comporte quatre objets distincts.

Il procède tout d'abord à la mise en cohérence du CMF suite à la recodification du code du travail intervenue en 2008 . Les alinéas 2 et 3 du présent article modifient le quinzième alinéa de l'article L. 214-39 du CMF afin de viser l'ensemble des plans d'épargne salariale et non plus le seul PERCO. De même, l' alinéa 6 corrige deux références au code du travail qui renvoient à son ancienne version.

Il permet ensuite à un FCPE solidaire de devenir nourricier d'un seul OPCVM maître respectant les conditions de composition de l'actif des FCPE solidaires ( alinéas 8 et 9 ).

Il relève à « au moins 10 % » (contre 5 à 10 % actuellement) la part de l'actif des FCPE solidaires investis dans des titres émis par des entreprises solidaires ( alinéa 5 ). Par coordination, l' alinéa 10 modifie le code du travail.

Il élargit enfin les possibilités d'investissement solidaires aux « titres investis dans le logement social dans les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France » ( alinéa 7 ).

L' alinéa 11 constitue le gage tendant à compenser pour l'Etat la perte de recettes résultant des dispositions du présent article.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

En ce qui concerne la mise en cohérence du code monétaire et financier et du code du travail, il convient également de modifier le premier alinéa de l'article L. 214-39 du code monétaire et financier qui vise le « titre IV du livre IV du code du travail ». Or les dispositions relatives à l'épargne salariale sont désormais codifiées au livre III du titre III de la troisième partie de ce code. L'amendement adopté par votre commission procède à cette correction .

Par ailleurs, votre commission juge très favorablement la possibilité pour des FCPE solidaires de devenir des OPCVM nourriciers. Cette disposition permettra de mutualiser l'épargne de plusieurs entreprises autour d'un seul fonds, diminuant ainsi les frais de gestion. Elle garantit aussi un encours moyen plus élevé pour ces fonds ce qui constitue une garantie de liquidité.

Votre commission a en revanche supprimé la possibilité d'investir dans le logement social dans les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France . En effet, comme indiqué plus haut, la finance solidaire est une création récente qui se structure peu à peu dans notre pays. Outre que le critère de l'investissement dans le logement social dans un pays bénéficiant de l'aide publique au développement est difficilement contrôlable, il importe de donner à la finance solidaire une assise nationale plus forte avant d'élargir ses possibilités d'investissement.

Le relèvement du pourcentage d'actifs solidaires au sein des FCPE solidaires pose enfin une délicate question . En effet, aujourd'hui, il suffit d'investir 5 % de son actif, soit une part très faible, dans des titres solidaires pour bénéficier du qualificatif de « solidaire » qui jouit auprès de nombreux salariés d'une très bonne « image de marque ».

L'organisme FINANSOL (« collectif des acteurs de la finance solidaire ») a ainsi indiqué à votre rapporteur que les FCPE solidaires qu'il a labellisés investissent, en moyenne, 6,2 % de leurs actifs en titres solidaires 269 ( * ) . Il a toutefois précisé qu'il oeuvre au relèvement de ce ratio par le biais de l'intervention d'un « fonds de liquidité » qui pourrait assurer le portage temporaire des actifs solidaires en cas de retraits massifs des capitaux des FCPE solidaires.

La dénomination de « solidaire » peut donc apparaître relativement trompeuse, si ce n'est délibérément fallacieuse .

Relever le pourcentage à « au moins 10 % » permettrait aux FCPE solidaires de réellement assumer une activité d'investissement « solidaire », puisque celle-ci pourrait aller jusqu'à 100 % de leurs actifs .

Il n'est pas sûr, pour autant, que cette disposition permette d'atteindre les objectifs qu'elle se fixe et ce pour deux raisons .

En premier lieu, elle est contraire à la « directive OPCVM » citée plus haut qui interdit à un OPCVM d'investir plus de 10 % des sommes qu'il reçoit dans des actifs non cotés. Or cette règle constitue d'abord et avant tout une règle de protection de l'investisseur . La diversification imposée par la directive lui permet d'éviter que la baisse d'un actif n'entraîne une chute trop forte de la valeur de l'OPCVM et, en l'espèce, du FCPE solidaire.

Il convient de rappeler que l'épargne solidaire est principalement souscrite par des salariés, c'est-à-dire des investisseurs non professionnels auprès de qui le législateur, surtout après la récente crise financière, a une obligation renforcée de protection . Or les placements solidaires sont d'ores et déjà des investissements plus risqués, moins liquides et au rendement financier moindre que les autres actifs contenus dans le portefeuille d'un FCPE solidaire. Autoriser un tel fonds à détenir jusqu'à 100 % de ses actifs en titres solidaires serait contraire à une règle élémentaire de bonne gestion .

C'est précisément parce que l'investissement solidaire est souvent porté par une volonté altruiste et généreuse de la part des salariés qu'il convient de l'encadrer avec d'autant plus de rigueur et leur éviter ainsi une prise de risque démesurée qui menacerait l'épargne qu'ils ont constituée.

En second lieu, et en lien avec les arguments énoncés ci-dessus, la disposition pourrait conduire plusieurs FCPE à renoncer à leur qualification de solidaire compte tenu des risques qu'elle comporterait alors. Il pourrait s'ensuivre deux conséquences également dommageables :

- soit, ces décisions conduisent à une chute brutale de l'encours de l'épargne solidaire et entraînent un effet dépressif sur la finance solidaire actuellement en plein essor ;

- soit, l'épargne solidaire se concentre dans un nombre limité de FCPE solidaires - d'autant plus facilement qu'il n'existera plus de plafond - qui seraient alors exposés à un risque élevé compte tenu de la faible diversification de leur portefeuille, par ailleurs très peu liquide .

Votre commission a par conséquent décidé de maintenir le statu quo actuel, aussi insatisfaisant qu'il puisse être, et a supprimé la disposition portant à « au moins 10 % » la part des titres solidaires dans les actifs des FCPE solidaires .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.


* 267 Directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM).

* 268 Article R. 214-5 : « l'actif d'un [OPCVM] peut également comprendre dans la limite de 10 % :7° des instruments financiers » non négociés sur un marché d'instruments financiers.

* 269 Ce chiffre doit toutefois être analysé avec prudence. En effet, les autres titres composant l'actif sont cotés. Ainsi, en cas de chute de la Bourse, la part relative des titres solidaires peut augmenter dans le FCPE et dépasser la barre des 10 %.

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