b) Un régime d'encadrement qui doit encore évoluer
A la lumière des récents événements, on peut aujourd'hui se demander s'il existe une alternative à l'offre actuelle de notation, si la fiabilité et l'indépendance des agences sont à la mesure de leur impact potentiel sur la pérennité des financements, et si le règlement européen adopté en 2009 est suffisant. Ce n'est pas tant l'existence même de ces organismes , qui demeurent nécessaires en tant qu'ils répondent à une demande de réduction des incertitudes de la part des acteurs de marché, que la manière dont ils remplissent leur rôle qui est en cause . Qu'on le déplore ou non, on doit acter l'utilité collective de ces agences et admettre qu'on ne pourra - du moins à moyen terme - leur substituer des structures à financement ou statut public.
En tant qu'organismes externes d'évaluation dont les publications ont progressivement acquis le statut de « label » ou de norme de marché d'origine privée, en particulier avec la bénédiction des autorités politiques et de régulation bancaire ( cf. infra ) qui leur ont conféré une portée impérative dans certains cas, les agences jouent un rôle nécessaire , pour autant que leur attitude ne traduise pas des biais systématiques, par exemple en faveur des intérêts stratégiques des grands groupes financiers américains...
Il est donc parfaitement légitime que la structure et le fonctionnement des agences de notation fassent l'objet de prescriptions précises. La formation, l'expérience et la rotation des équipes, le contrôle interne de la qualité des prestations ou la transparence des méthodologies sont ainsi des critères communs d'évaluation de la fiabilité des agences comme des auditeurs des comptes sociaux.
De fait, les trois principales agences ont sensiblement renforcé leur communication sur leur méthodologie - dont les grandes caractéristiques sont publiées sur leur site Internet - depuis août 2007. Votre commission a d'ailleurs auditionné les trois principales agences le 3 février 2010, en particulier sur leurs méthodes de notation des obligations d'Etat, et les entendra à nouveau le 9 juin.
Les gouvernements, assemblées parlementaires et banques centrales ont une responsabilité évidente dans l'essor - et partant les dérives - des agences de notation . Les banques centrales et la BCE conditionnent ainsi le refinancement et les prises en pension des banques à l'apport de collatéraux dont la qualité est jugée par référence aux notations des agences, et le régime prudentiel de « Bâle II » incite les banques, en particulier dans l'approche « standard » (la plus fruste) d'évaluation de leur risque de crédit, à utiliser les notations fournies par les « organismes externes d'évaluation de crédit » (OEEC).
Certaines banques centrales, telle que la Banque de France, disposent de ce statut d'OEEC et proposent des cotations sur une gamme étendue d'émetteurs 42 ( * ) privés nationaux, mais leurs services sont davantage utilisés par les PME que par les grands émetteurs et investisseurs.
Le règlement européen de septembre 2009, précité, constitue une importante avancée mais n'entrera pleinement en application que le 7 décembre 2010 (pour les agences européennes), à l'issue d'une phase de dépôt et d'instruction des demandes d'agrément auprès du Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM). Les articles 3 et 4 du projet de loi de régulation bancaire et financière , actuellement examiné par nos collègues députés, transposent certaines dispositions de ce règlement et désignent l'AMF comme autorité responsable du contrôle des agences.
La notation des émissions souveraines présente cependant un caractère systémique que le règlement n'aborde pas de manière spécifique et qui appelle donc des mesures complémentaires . Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, s'est ainsi exprimé le 30 avril sur la notation des dettes souveraines et s'est déclaré favorable à la création d'une agence européenne. Dans le cadre des mesures d'application du règlement précité, le CERVM a également lancé, le 17 mai dernier, une consultation sur les standards communs d'évaluation de la conformité de la méthodologie des agences, et a publié le 21 mai un avis technique sur l'équivalence des régimes américain et européen de supervision.
Dans ce contexte, votre rapporteur général formule les observations suivantes et estime que le Gouvernement et les autorités européennes seraient fondés à approfondir certaines pistes de réflexion :
- les émetteurs peuvent avoir un intérêt à ce que l'offre de notation se diversifie , malgré l'existence de barrières élevées à l'entrée. Un nouvel acteur européen émergera davantage par l'initiative privée qu' ex nihilo par la seule volonté politique - même si celle-ci peut apporter un utile « encouragement ». La Coface devrait d'ailleurs prochainement déposer une demande d'agrément auprès du CERVM ;
- il paraît difficile d'interdire la notation des Etats souverains, qui répond fondamentalement aux besoins des investisseurs, ou d'élargir le champ des acteurs en conférant à la BCE une fonction de notation des Etats, compte tenu des conflits d'intérêt auxquels elle se trouverait exposée. Les spécificités de la dette souveraine - telles que la solidarité au sein d'une zone économique ou la soutenabilité de la trajectoire budgétaire - pourraient cependant être mieux prises en compte en complétant le nouveau régime d'encadrement européen ;
- les évolutions de la réglementation doivent résoudre un paradoxe sur le « timing » des publications des agences. En effet, ces dernières fondent leurs analyses des risques sur des critères d'évolution à long terme des émetteurs, mais par leur communication, peuvent alimenter des crises conjoncturelles et des mouvements de court terme ;
- si la prévention des conflits d'intérêt aura a priori nettement progressé avec l'application du règlement communautaire, le modèle économiqu e des agences peut être discuté et il serait utile de réfléchir à la faisabilité d'un mode de financement alternatif, par les investisseurs plutôt que par les émetteurs ;
- enfin de même que pour les commissaires aux comptes, se pose la question de l'étendue et de l'éventuelle mise en cause de la responsabilité civile des agences, ainsi que le Congrès des Etats-Unis en a récemment débattu. Un tel régime de responsabilité - pour ou sans faute - devrait être précisément encadré, de préférence au niveau communautaire.
* 42 La « cotation Banque de France » est ainsi établie à partir des informations collectées dans le FIBEN (fichier bancaire des entreprises) et comporte quinze échelons. Elle mesure la capacité d'une entreprise à honorer ses engagements financiers à un horizon de trois ans et comprend deux composantes, une cote d'activité et une cote de crédit. Le code de conduite du processus de cotation est consultable sur le site Internet de la Banque de France.