IV. UNE RÉPONSE À LA CRISE ENCORE INCOMPLÈTE

A. LE RISQUE D'UN « ACTE II » DE LA CRISE FINANCIÈRE EST SOUVENT MIS EN AVANT

1. Le risque de défaut d'Etats développés est ouvertement évoqué par certains économistes

Dans trois articles remarqués 19 ( * ) , Mme Carmen Reinhart et M. Kenneth Rogoff, économistes du Bureau of Economic Analysis , s'appuient sur des données historiques longues pour étudier les conséquences que les crises bancaires et les taux d'endettement élevés des Etats ont eues par le passé. Ils aboutissent notamment aux trois conclusions suivantes :

- lors des trois années suivant les treize principales crises bancaires survenues depuis la fin des années 1970, la dette publique a augmenté en moyenne de 86 %, très majoritairement en raison de l'effondrement des recettes (et non des plans de sauvetage des banques) ;

Augmentation cumulée de la dette publique réelle
dans les trois années suivant une crise bancaire

(année de la crise=100)

186,3 (augmentation de 86 %)

Malaisie, 1997

Mexique, 1994

Japon, 1992

Norvège, 1987

Philippines, 1997

Corée, 1997

Suède, 1991

Thaïlande, 1997

Moyenne

Espagne, 1977

Indonésie, 1997

Chili, 1980

Finlande, 1991

Colombie, 1998

Source : Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, « The Aftermath of Financial Crises », 19 décembre 2008

- dans les 20 principaux pays développés, les périodes où l'endettement du Gouvernement central a été supérieur à 90 points de PIB se sont traduites par une croissance nettement inférieure à celles où il a été compris entre 60 et 90 points de PIB (en moyenne, de 1,7 point depuis 1790 et 4 points depuis 1946) ;

La croissance du PIB selon différents niveaux d'endettement du gouvernement central

(en %)

Rapport dette/PIB de :

Période

Moins de 30 %

30 % à 60 %

60 %à 90 %

plus de 90 %

Ecart entre les deux dernières colonnes*

Australie

1902-2009

3,1

4,1

2,3

4,6

2,3

Autriche

1880-2009

4,3

3

2,3

n.d.

Belgique

1835-2009

3

2,6

2,1

3,3

1,2

Canada

1925-2009

2

4,5

3

2,2

-0,8

Danemark

1880-2009

3,1

1,7

2,4

n.d.

Finlande

1913-2009

3,2

3

4,3

1,9

-2,4

France

1880-2009

4,9

2,7

2,8

2,3

-0,5

Allemagne

1880-2009

3,6

0,9

n.d.

n.d.

Grèce

1884-2009

4

0,3

4,8

2,5

-2,3

Irlande

1949-2009

4,4

4,5

4

2,4

-1,6

Italie

1880-2009

5,4

4,9

1,9

0,7

-1,2

Japon

1885-2009

4,9

3,7

3,9

0,7

-3,2

Pays-Bas

1880-2009

4

2,8

2,4

2

-0,4

Nouvelle Zélande

1932-2009

2,5

2,9

3,9

3,6

-0,3

Norvège

1880-2009

2,9

4,4

n.d.

n.d.

Portugal

1851-2009

4,8

2,5

1,4

n.d.

Espagne

1850-2009

1,6

3,3

1,3

2,2

0,9

Suède

1880-2009

2,9

2,9

2,7

n.d.

Royaume-Uni

1830-2009

2,5

2,2

2,1

1,8

-0,3

Etats-Unis

1790-2009

4

3,4

3,3

-1,8

-5,1

Moyenne

3,7

3

3,4

1,7

-1,7

Médiane

3,9

3,1

2,8

1,9

-0,9

Nombre d'observations

866

654

445

352

-93

* Calculs de la commission des finances

Source : Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, « Growth in a Time of Debt », 7 janvier 2010

- deux facteurs important de risque de défaut souverain sont une augmentation brutale de l'endettement (public ou privé) et une crise bancaire. En particulier, lors des quatre grandes crises bancaires traversées par les pays développés depuis la fin du XIXe siècle précédemment à la crise actuelle (qui ont débuté respectivement en 1893, 1907, 1914 et 1931), trois 20 ( * ) ont été accompagnées ou suivies d'une vague de défauts souverains, de 5 % à 25 % des Etats développés ayant alors fait défaut (les défauts des années 1890 et des années 1930 constituant, avec ceux des pays d'Amérique latine dans les années 1980-1990, les trois principales crises de la dette souveraine au niveau mondial).

Le défaut souverain sur la dette extérieure, sur la dette totale (intérieure et extérieure), et les crises bancaires systémiques : économies avancées, 1880-2010

(dette en points de PIB)

Années pendant lesquelles 25 % ou plus des économies avancées sont entrées dans une première année de crise bancaire (barres noires)

% des économies avancées en défaut ou restructuration (ombré, échelle gauche)

Economies avancées

Ratio dette publique/PIB (en %, ligne, échelle droite)

Source : Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, « From Financial Crash to Debt Crisis », 24 février 2010

Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff concluent leur article de février 2010 en suggérant que la crise bancaire actuelle pourrait amener des Etats à faire défaut 21 ( * ) .

Ce point de vue est contesté. Par exemple, les auteurs ne montrent pas que c'est bien la dette qui suscite la faible croissance, et non l'inverse. Par ailleurs, ce n'est pas parce que les crises bancaires mondiales (au demeurant peu nombreuses jusqu'à présent) ont le plus souvent été accompagnées de défauts d'Etats développés que tel sera également le cas cette fois-ci.

Ces analyses montrent cependant que la crise a suffisamment dégradé la situation des finances publiques pour que l'on puisse désormais s'interroger sérieusement sur l'éventualité du défaut d'un Etat développé.

* 19 Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, « The Aftermath of Financial Crises », 19 décembre 2008 ; « Growth in a Time of Debt », 7 janvier 2010 ; « From Financial Crash to Debt Crisis », 24 février 2010.

* 20 L'exception concerne celle de 1907.

* 21 « Les crises bancaires (même celles d'une origine purement privée) augmentent directement la probabilité d'un défaut souverain, par elles-mêmes (conformément à nos résultats) et indirectement alors que les dettes publiques augmentent fortement. Peu d'éléments suggèrent dans cette analyse que ces cycles de dette et leurs liens avec les crises économiques aient changé de manière appréciable au cours du temps » (traduction de la commission des finances).

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